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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-4
ARRÊT
DU 09 FEVRIER 2023
N°2023/22
Rôle N° RG 19/19009 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFJNJ
SARL TAXI-TRANSPORTS CHAROLLAIS-MAISON CLEMENT
C/
[N] [W]
SAS CABINET AUDIT & CO
SA MMA IARD
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Françoise BOULAN
Me Philippe KLEIN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 13 Novembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2016J00346.
APPELANTE
SARL TAXI-TRANSPORTS CHAROLLAIS-MAISON CLEMENT prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège est sis [Adresse 4]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assistée de Me William ROLLET, avocat au barreau de MACON
INTIMES
SAS CABINET AUDIT & CO, prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège est sis [Adresse 2]
représentée par Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON KLEIN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
SA MMA IARD, prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège est sis [Adresse 1]
représentée par Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON KLEIN, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
PARTIE INTERVENANTE
Maître [N] [W] pris en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la Société AUDIT ET CO, assigné le 20 août 2020 en intervention forcée pris en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de la société AUDIT ET CO
demeurant [Adresse 3]
défaillant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Décembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, et Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller, chargés du rapport.
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Madame Françoise PETEL, Conseiller
Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Février 2023.
ARRÊT
de défaut,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Février 2023.
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
La SARL Taxi transports charollais – maison Clément a engagé le 27 août 2015 une procédure de licenciement pour motif économique à l’égard de 10 salariés, à la suite de la perte du marché Chronopost.
Plusieurs salariés ont engagé un recours devant le conseil de prud’hommes de Mâcon pour contester leur licenciement.
Par acte en date du 23 juin 2016 la SARL Taxi transports charollais – maison Clément a fait assigner la SAS Audit & Co devant le tribunal de commerce de Toulon aux fins d’entendre dire et juger que la défenderesse a engagé sa responsabilité contractuelle compte tenu de ses manquements dans son obligation de conseil et pour solliciter la condamnation du cabinet d’expertise comptable au paiement des sommes de 83549 euros et 12632,10 euros correspondant au montant des indemnités allouées aux salariés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure.
La société Audit & Co a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte le 20 juin 2017.
Par acte du 19 septembre 2018, la société Taxi transports charollais – maison Clément a fait attraire en la cause la compagnie d’assurance MMA IARD et Maître [N] [W], mandataire à la procédure collective de la société Audit & Co.
Par jugement du 13 novembre 2019, le tribunal de commerce de Toulon a :
– constaté que la SARL Taxi transports charollais – maison Clément ne rapporte pas la preuve d’un manquement contractuel à l’origine d’une faute de la SAS Audit & Co qui pourrait être en relation directe avec le préjudice réclamé,
– constaté l’absence de lettre de mission en ce qui concerne la procédure de licenciement,
– débouté la SARL Taxi transports charollais – maison Clément de toutes ses demandes, fins et conclusions à l’égard de la SAS Audit & Co,
– débouté la SARL Taxi transports charollais – maison Clément de toutes ses demandes, fins et conclusions à l’égard de la compagnie MMA IARD,
– condamné la SARL Taxi transports charollais – maison Clément à payer à la SAS Audit & Co la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SARL Taxi transports charollais – maison Clément à payer à la compagnie d’assurances MMA IARD la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé les dépens à la charge de la société Taxi transports charollais – maison Clément.
Le tribunal a considéré qu’il n’était pas établi que la société Taxi transports charollais – maison Clément aurait confié au cabinet Audit & Co une mission spécifique pour la mise en oeuvre des licenciements de sorte que la responsabilité de l’expert-comptable ne pouvait être engagée.
La SARL Taxi transports charollais – maison Clément a interjeté appel de cette décision le 13 décembre 2019.
Par conclusions déposées et notifiées le 11 mars 2020, et signifiées le 20 août 2020 à Maître [W] ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de la société Audit & Co, l’appelante demande à la cour, vu les articles 1134 et 1147 du code civil, L.124-3 du code des assurances, de :
– déclarer recevable l’appel de la SARL Taxi transports charollais, et y faisant droit,
– infirmer le jugement rendu le 13 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Toulon, statuant à nouveau,
– juger que le cabinet Audit & Co a engagé sa responsabilité contractuelle compte tenu de ses manquements dans son obligation de conseil à l’égard de la société Taxi transports charollais,
– condamner la compagnie MMA IARD, ès qualités d’assureur responsabilité civile professionnelle de la société Audit & Co, dont Maître [N] [W], ès qualités de mandataire liquidateur du cabinet Audit & Co, à payer à la société Taxi transports charollais les sommes de 83549 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 12632,10 euros au titre des dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure,
– condamner la compagnie MMA IARD, ès qualités d’assureur responsabilité civile professionnelle de la société Audit & Co, dont Maître [N] [W], ès qualités de mandataire liquidateur du cabinet Audit & Co au paiement de la somme de 3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance et d’appel, ces derniers distraits au profit de la SELARL Lexavoué Aix-en-Provence.
Par conclusions déposées et notifiées le 8 juin 2020, la compagnie MMA IARD demande à la cour de :
– statuant sur la recevabilité de l’appel, en débouter la société Taxi transports charollais,
– dire et juger que la demanderesse ne justifie pas du fondement juridique et des conditions juridiques de son action directe à l’encontre de la société MMA IARD,
– dire et juger que la demanderesse ne rapporte pas la preuve d’un manquement contractuel à l’origine d’une faute du cabinet Audit & Co qui pourrait être en relation directe avec le préjudice réclamé,
– débouter la société Taxi transports charollais de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– la condamner reconventionnellement au paiement d’une somme de 2000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La société Audit & Co a constitué avocat mais n’a pas conclu.
Par ordonnance du 7 septembre 2020 le conseiller de la mise en état a constaté le désistement de la SARL Taxi transports charollais – maison Clément à l’égard de Maître [N] [W] pris en sa qualité de mandataire judiciaire au règlement judiciaire de la société Audit & Co.
Maître [W], cité à domicile en sa nouvelle qualité de commissaire à l’exécution du plan, n’a pas constitué avocat.
La procédure a été clôturée le 15 novembre 2022.
MOTIFS :
Les premiers juges ont relevé qu’aucun contrat écrit définissant les missions de l’expert-comptable n’avait été formalisé entre la société Audit & Co et la SARL Taxi transports charollais – maison Clément.
La lettre de mission préconisée par l’article 151 du décret n°2012-432 du 30 mars 2012 en vigueur à l’époque des faits, portant code de déontologie des experts-comptables, n’est pas une condition d’existence ou de validité du contrat, et l’absence de lettre de mission, imputable à l’expert-comptable, ne prive pas l’entreprise cliente de rapporter par tout moyen la preuve de l’existence et de l’étendue de la mission confiée au professionnel.
En l’espèce, la société Taxi transports charollais – maison Clément verse aux débats les factures d’honoraires établies périodiquement par la société Audit & Co entre février 2012 et novembre 2016, comportant de manière régulière la désignation des travaux suivantes :
– mission comptabilité,
– mission sociale : bulletins de salaire,
– mission juridique : assemblée générale annuelle.
Ces factures permettent de déterminer la mission de base confiée à l’expert-comptable.
Certaines factures mentionnent par ailleurs des missions accessoires ponctuelles.
Tel est le cas de la facture du 7 décembre 2015 qui mentionne notamment au titre de la mission sociale des ‘honoraires procédure de licenciement’ pour 250 euros HT.
La société Taxi transports charollais – maison Clément produit également :
– un message signé de Mme [H] [L] de Audit & Co, rédigé dans les termes suivants:
‘M. [Z] lors de vos entretiens individuels avec vos salariés vous devrez :
– leur proposer le CSP. Les 3 feuillets avec le récépissé détachable
– leur expliquer les raisons de cet entretien.
Vous devrez leur formuler les choses de la manière suivante :
– prenant votre retraite le contrat avec Chronopost va être interrompu le 28 septembre 2015
– vous êtes seul détenteur de la capacité de transport
– compte tenu de ces deux faits la société ne peut plus continuer son activité
– le personnel lié à la partie transport de l’entreprise est donc licencié pour motif économique
N’hésitez pas à me contacter ou M. [I] pour la moindre question.’
– un mail adressé le 11 septembre 2015 par Mme [L] à l’adresse [Courriel 5] pour transmettre une trame de lettre de licenciement.
Il est ainsi suffisamment établi que la société Taxi transports charollais – maison Clément avait confié à son expert-comptable une mission ponctuelle d’assistance dans la mise en oeuvre des licenciements économiques auxquels elle souhaitait procéder.
Dans le cadre de cette mission d’assistance, l’expert-comptable est tenu d’une obligation d’information et de conseil envers son client.
La preuve de l’exécution de cette obligation incombe au professionnel qui en est débiteur.
En l’espèce, il appartenait à l’expert-comptable, qui avait fourni à son client une trame de lettre de licenciement, d’attirer l’attention de l’employeur sur les obligations édictées par les articles L.1233-2 et suivants du code du travail et en particulier sur la nécessité d’énoncer de façon détaillée, dans la lettre de licenciement, les faits précis et matériellement vérifiables constituant le motif du licenciement, ainsi que sur le risque encouru, en cas de non-respect de cette obligation, que le licenciement soit jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse et ouvre droit, au profit des salariés de licenciés qui avaient plus de deux ans d’ancienneté, à une indemnité d’un montant au moins égal au salaire des six derniers mois ainsi qu’à des dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure.
S’il ressort des échanges versés aux débats que le cabinet Audit & Co a conseillé le chef d’entreprise sur le déroulement de l’entretien préalable, il n’est justifié d’aucune explication fournie concernant la formalisation de la lettre de licenciement et la façon de compléter la trame transmise, en ce qui concerne en particulier l’énonciation des motifs.
La lettre de licenciement adressée par la société Taxi transports charollais – maison Clément le 15 septembre 2015 aux 7 salariés qui ont ensuite contesté cette mesure comporte pour seule motivation la phrase suivante :
‘Comme nous vous l’avons indiqué lors de notre entretien du 4 septembre 2015, le motif de notre décision est le suivant : licenciement collectif pour motif économique.’
Il est justifié par la production des jugements rendus le 30 septembre 2016 par le conseil de prud’hommes de Mâcon que cette juridiction a jugé que la lettre de licenciement fixant les limites du litige et ne comportant pas l’énonciation de motifs précis, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Six salariés se sont ainsi vu allouer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant équivalent au salaire des six derniers mois ainsi que des dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement d’un montant équivalent à un mois de salaire.
Une septième salariée, dans une situation identique à celle des autres salariés, mais ayant agi plus tardivement, a obtenu, dans le cadre d’un accord transactionnel, une indemnisation équivalente à celle allouée par les jugements du 30 septembre 2016.
Le montant total des indemnités réglées par l’employeur s’élève ainsi à 83549 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 12632,10 euros au titre des dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure.
La décision prud’homale est conforme aux textes en vigueur et à une jurisprudence à l’époque bien établie et la SARL Taxi transports charollais – maison Clément fait valoir à juste titre qu’en l’état de la non-conformité des lettres de licenciement aux exigences légales, les chances d’infirmation de cette décision en appel étaient nulles.
Les condamnations mises à la charge de l’employeur sont la conséquence directe d’une mauvaise formulation de la lettre de licenciement, qui aurait pu être évitée si l’expert-comptable avait correctement exécuté sa mission d’assistance à la procédure de licenciement et l’obligation d’information et de conseil afférente à cette mission.
Le manquement de l’expert-comptable à cette obligation a privé son client d’une chance d’éviter une condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sans respect de la procédure.
Sa responsabilité contractuelle est engagée sur le fondement des dispositions de l’article 1147 ancien du code civil.
Il ressort des échanges intervenus avant les entretiens préalables et notamment des conseils prodigués par le cabinet Audit & Co en vue de cet entretien (pièce 10 de l’appelante) que des motifs apparemment sérieux de licenciement des salariés du secteur transport auraient pu être invoqués, à savoir la perte du marché Chronopost et le départ en retraite de l’ancien dirigeant seul titulaire de la capacité de transport.
La perte de chance ne peut cependant être évaluée à 100% des indemnités allouées compte tenu de l’aléa inhérent à toute procédure judiciaire et la rigueur des juridictions du travail en matière d’appréciation du caractère réel et sérieux des licenciements économiques.
Le préjudice de la société Taxi transports charollais – maison Clément sera en conséquence évalué à 75% des indemnités allouées soit 73635,83 euros.
La compagnie MMA IARD ne conteste pas être l’assureur en responsabilité civile professionnelle du cabinet d’expertise comptable.
Ne produisant pas la police d’assurance, elle n’invoque aucune cause d’exclusion ou de limitation de sa garantie, sa défense consistant principalement à contester la responsabilité de son assuré.
La SARL Taxi transports charollais – maison Clément est recevable à agir directement à l’encontre de l’assureur sur le fondement de l’article L.124-3 du code des assurances.
Partie succombante, la compagnie MMA IARD sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par défaut,
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau,
Condamne la compagnie MMA IARD, ès qualités d’assureur responsabilité civile professionnelle de la société Audit & Co, à payer à la société Taxi transports charollais la somme de 73635,83 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif au manquement de la société Audit & Co à son devoir de conseil,
Condamne la compagnie MMA IARD à payer à la société Taxi transports charollais – maison Clément la somme de 2500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, ces derniers distraits au profit de la SELARL Lexavoué Aix-en-Provence.
LE GREFFIER LE PRESIDENT