Prêt illicite de main d’oeuvre : 27 février 2020 Cour d’appel de Grenoble RG n° 19/03470

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Prêt illicite de main d’oeuvre : 27 février 2020 Cour d’appel de Grenoble RG n° 19/03470
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N° RG 19/03470

N° Portalis DBVM-V-B7D-KD7U

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION

DU JEUDI 27 FEVRIER 2020

DECLARATION DE SAISINE DU 07 Août 2019

sur un arrêt de cassation du 19 juin 2019

Recours contre une décision (N° R.G.F 14/03855)

rendu par le conseil de prud’hommes – formation paritaire de LYON

en date du 25 avril 2016

ayant fait l’objet d’un arrêt rendu le 27 octobre 2017 (N° R.G. 16/03926)

par la Cour d’Appel de LYON

SAISISSANTS :

M. [W]-[M] [P]

né le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 5]

comparant en personne, assisté de Me Adrien RENAUD de la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE

Mme [R]-[E] [O]

née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 5]

représentée par Me Adrien RENAUD de la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE

SAISIE :

SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE (DCF), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Yann BOISADAM de la SCP AGUERA ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

M. Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l’audience publique de renvoi de cassation du 18 Décembre 2019, Monsieur BLANC, Conseiller est entendu en son rapport.

Les représentants des parties ont été entendues en leurs observations et plaidoiries.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE :

Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] ont régularisé le 20 décembre 2004, avec la société distribution Casino France (ci-après DCF) un contrat de cogérance non-salariée en vue d’assurer la gestion l’exploitation d’une succursale Petit Casino à [Localité 8].

La rémunération des co-gérants reposait sur une commission fixe de 6 % sur l’ensemble des ventes réalisées. Il relevait alors de l’application du statut de gérant non-salarié dans le principe et les modalités sont fixés par les articles L7222-1 et suivants du code du travail et par un accord collectif national du 18 juillet 1963.

Courant 2007, la société DCF affectait, sur leur demande, Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] à la gestion de magasins en remplacement des gérants titulaires absents durant leurs congés.

À cette occasion, le 8 janvier 2007, la société DCF concluait un nouveau contrat de cogérance intérimaire avec Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] qui prévoyait que le gérant accepte conjointement et solidairement le mandat d’assurer à titre tout à fait précaire la gestion et l’exploitation notamment « des magasins de vente au détail, pendant la période de congés des co-gérants titulaires dont le programme leur sera communiqué chaque début d’année sous réserve de modifications ultérieures dont ils seront informés, avec un délai de prévenance d’au moins 10 jours ou d’un de ses magasins de vente au détail dans l’attente ou l’acceptation dudit magasin par un couple de co-gérants ».

Ainsi, Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] étaient considérés par la société DCF comme des « gérants non salariés intérimaires ». Ils intervenaient à ce titre en remplacement des gérants titulaires absents suivant une « chaîne d’intérim » selon un planning déterminé par la société DCF.

Le 14 juin 2013, Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] ont saisi le conseil de prud’hommes de LYON aux fins d’obtenir la requalification de leur contrat de gérance non salariée en contrat travail salarié et la résiliation judiciaire de celui-ci aux torts de la société DCF et sollicité la condamnation de la société DCF à verser à chacun des demandeurs les sommes de :

– 20 000 euros au titre de la requalification de leur contrat de cogérance non-salariée intérimaire en contrat travail salarié à durée indéterminé,

– 60 000 € à titre de dommages intérêts pour rupture imputable à la société DCF,

– 6 800 € au titre de l’indemnité de préavis,

– 680 € au titre des congés payés afférents,

– 6 120,91 € au titre de l’indemnité de licenciement,

– 21 890,15 € bruts à titre de rappel de rémunération, ainsi que 2 189 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2008,

– 21 086,69 € bruts à titre de rappel de rémunération,

– 2108,20 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2009,

– 14 906,85 € à titre de rappel de rémunération,

– 1 490,70 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2010,

– 19 974,84 € bruts à titre de rappel de rémunération, outre 1 997,50 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2011,

– 24 499,78 € bruts à titre de rappel de rémunération, outre 2 450 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2012,

– 22 920,60 € bruts de rappel de rémunération,

– 2 292 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2013,

– 20 000 € à titre de dommages-intérêts au titre de la nullité de la clause de non-concurrence,

– 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de formation,

– 30 000 € en réparation du préjudice subi du fait de la privation du logement de fonction,

– 5 000 € au titre du prêt de main-d’oeuvre illicite lié à l’exercice de l’activité CDISCOUNT,

– 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 25 avril 2016, le conseil de prud’hommes de LYON a débouté Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] de l’intégralité de leurs demandes et débouté CDF de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 20 mai 2016 reçue le 23 mai 2016, Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] ont relevé appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 27 octobre 2017, la procédure a été orientée en médiation.

Le 27 janvier 2017, un procès-verbal d’échec de la médiation a été établi par le médiateur désigné.

Selon conclusions soutenues à l’audience du 14 septembre 2017 Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] ont demandé à la cour par voie de réformation du jugement de :

Sur la requalification de la relation contractuelle

DIRE ET JUGER que Monsieur [P] et Madame [O] ont exercé leur travail sous la subordination de la société DCF, en l’absence de toute indépendance dans la gestion du magasin et de toute autonomie dans la détermination de leurs conditions de travail ;

PRONONCER pour chacun des demandeurs la requalification du contrat de co-gérance non salariée intérimaire en contrat de travail salarié à durée indéterminée.

DIRE ET JUGER que la société DCF n’a pas exécuté le contrat de bonne foi.

CONDAMNER la société DCF à verser à chacun des demandeurs la somme de 20 000 € en réparation du préjudice subi du fait de l’exécution déloyale du contrat, outre intérêts de droits à compter de la demande.

Sur la rupture du contrat

DIRE ET JUGER que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a violé les dispositions légales et conventionnelles relatives au statut de gérant non salarié.

DIRE ET JUGER que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE n’a pas exécuté le contrat de bonne foi.

DIRE ET JUGER que la demande de résiliation judiciaire du contrat de gérance non salariée de Monsieur [P] et Madame [O] aux torts exclusifs de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE était fondée, et rend la rupture du contrat de Madame [O], notifiée ultérieurement, sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à verser à Madame [O] la somme de 60.000 € à titre de dommages et intérêts, outre intérêts de droits à compter de la demande.

CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à verser à Madame [O] la somme de 2 960,54 € bruts au titre de l’indemnité de préavis, outre 296 € au titre des congés payés afférents, avec intérêts de droits à compter de la demande.

DIRE ET JUGER que Monsieur [P] conserve la faculté de demander réparation du préjudice résultant des manquements de la société DISTRIBUTION CASINO France.

En conséquence,

CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à verser à Monsieur [P] la somme de 60 000 € à titre de dommages et intérêts, outre intérêts de droits à compter de la demande.

A titre subsidiaire,

REQUALIFIER la rupture du contrat de Madame [O] pour inaptitude en rupture sans cause réelle et sérieuse.

CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à verser à Madame [O] la somme de 60 000 € à titre de dommages et intérêts, avec intérêts de droits à compter de la demande.

CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à verser à Madame [O] la somme de 2 960,54 € bruts au titre de l’indemnité de préavis, outre 296 € au titre des congés payés afférents, avec intérêts de droits à compter de la demande.

En tout état de cause,

CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à verser les sommes suivantes, avec intérêts de droits à compter de la demande :

à Monsieur [P] :

– 21.890,15 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2189 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2008.

– 21.086,69 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2108,20 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2009.

– 14.906,85 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1490,70 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2010.

– 19.974,84 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1997,50 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2011.

– 24 499,78 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2450 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2012

– 22 920,60 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2292 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2013

– 21 689,24 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2169 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2014

– 20 000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la nullité de la clause de non-concurrence ;

– 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de formation ;

– 30 000 € en réparation du préjudice subi du fait de la privation de logement de fonction ;

– 5 000 € au titre du prêt de main d’oeuvre illicite lié à l’exercice de l’activité CDISCOUNT;

– 3000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;

à Madame [O] :

– 21 890,15 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2189 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2008 ;

– 21 086,69 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2108,20 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2009 ;

– 14 906,85 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1490,70 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2010 ;

– 19 974,84 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1997,50 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2011 ;

– 24 499,78 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2450 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2012 ;

– 22.920,60 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2292 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2013 ;

– 21 664,63 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2166 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2014 ;

– 20 000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la nullité de la clause de non-concurrence ;

– 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de formation ;

– 30 000 € en réparation du préjudice subi du fait de la privation de logement de fonction ;

– 5 000 € au titre du prêt de main d’oeuvre illicite lié à l’exercice de l’activité CDISCOUNT;

– 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Ils soutiennent que les gérants non-salariés se voient appliquer la législation sociale applicable aux salariés. Par ailleurs, si le statut de gérant non salarié doit répondre à trois critères, celui de « gérant non salarié intérimaire » constitue une application dévoyée du l’article L 7322-2 du code du travail du fait que ces gérants se trouvent en situation de subordination économique et juridique de la société DSF et qu’en particulier, ils sont contraints à des sujétions exclusives de toute notion d’indépendance en particulier s’agissant du temps de travail.

Ils sollicitent la résiliation judiciaire de leur contrat de gérance aux torts de l’employeur du fait de la violation par la société DCF du statut de gérant non salarié et l’absence d’indépendance des co-gérants dans la gestion de leur travail, de la législation relative au repos et à la durée légale du travail et du non respect de l’obligation de formation.

A titre subsidiaire, Madame [O] soutient que la rupture du contrat pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse et que cette inaptitude n’est que la conséquence des conditions de travail auxquelles elle a été confrontée et qui n’ont pas été soumises à la médecine du travail. Elle met en avant que les carences de la société DCF sont constitutives d’un manquement à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat ainsi qu’à son obligation de sécurité de résultat et démontre qu’elle n’a pas pris toutes les mesures pour protéger les travailleurs. Bien au contraire, les consorts [P]-[O] soulignent qu’ils ont été soumis à une charge de travail croissante ayant abouti à leur arrêt de travail, Madame [O] étant déclarée inapte en application de la procédure de « danger immédiat ».

Les consorts [P]-[O] sollicitent également le paiement d’heures supplémentaires au taux du SMIC qui sont comprises dans leur statut de gérants non-salariés. Ils évaluent à 25 % le temps de travail supplémentaire réalisé hors horaires d’ouverture du magasin. Ils mettent encore en avant le fait que leur rémunération était inférieure au SMIC.

Les consorts [P]-[O] sollicitent, en outre, le paiement des frais de logement inhérent à leur fonction de gérants intérimaires et en contre-partie de la suppression du logement de fonction octroyé aux gérants salariés titulaires, cette indemnité ne pouvant, selon eux se confondre avec les indemnités de déplacement propres au changement du lieu d’exercice des missions intérimaires.

Par ailleurs, ils estiment que la clause de non-concurrence qui leur est appliquée est nulle faute de contrepartie financière et que l’obligation de formation n’a pas été respectée.

Enfin, ils considèrent que l’activité de point relais pour le compte de la société CDISCOUNT constitue un prêt illicite de main d’oeuvre au bénéfice de cette société et caractérise l’infraction de travail illégal.

Selon des conclusions soutenues l’audience du 14 septembre 2007, la société CASINO demande à la cour de confirmer le jugement et ainsi de débouter Monsieur [P] et Madame [O] de l’intégralité de leurs demandes et de les condamner, chacun, au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société CSF soutient que les conditions de travail des consorts [P]-[O] sont conformes au statut de gérants mandataires non-salariés. Elle rappelle que depuis 2008, les gérants non salariés sont soumis au Titre II du Livre III de la 7ème partie du code du travail relatif aux « gérants de succursales», certaines dispositions se trouvant ainsi exclues pour les gérants non salariés. Elle développe les conditions d’application du statut des gérants non-salariés des succursales de commerce de détail alimentaire et les garanties bénéficiant aux gérants mandataires non-salariés. Elle considère que le statut du gérant non salarié intérimaire ne diffère pas du statut de gérant titulaire et qu’en toute hypothèse, ils bénéficient des mêmes règles relatives à la rémunération, à la garantie d’embauche de salariés et à la liberté de fixer leurs propres conditions de travail.

La société CSF soutient que les dispositions relatives au temps de travail ne s’appliquaient pas aux gérants non salariés et en particulier en ce qui concerne les heures supplémentaires et sont incompatibles avec ce statut dès lors que la société CSF n’est pas à même de contrôler le temps de travail des gérants non salariés. Elle soutient que les consorts [P]-[O] étaient libres de fixer leurs horaires de travail.

S’agissant des règles régissant la rupture du contrat de gérance non-salariée, la société CSF soutient que chacune des parties doit pouvoir mettre un terme à ce type de contrat dans les formes prévues par la loi et l’article 14 de l’Accord Collectif National du 18 juillet 1963 et doit en particulier être précédée d’un entretien et reposer sur un « motif réel et sérieux», la rupture n’étant pas liée à une règle de priorité d’emploi. Par ailleurs, elle soutient que le contrat ayant déjà été rompu par le départ à la retraite de Monsieur [P] et par l’inaptitude de Madame [O], la demande de résiliation judiciaire est sans objet. Elle estime qu’elle n’a pas fait obstacle à l’exercice de la médecine du travail, que l’inaptitude de Madame [O] ne peut être imputée à un manquement à une obligation de sécurité de résultat qui n’est pas démontrée par les appelants.

Elle prétend que la clause de non-concurrence d’un contrat de gérant salarié ne suppose pas une contrepartie financière, que les consorts [P]-[O] ont bénéficié d’une formation continue, que la demande d’indemnité de logement n’est pas fondée compte tenu du renoncement contractuel à cet avantage et que l’activité de point relais colis CDISCOUNT ne caractérise par un prêt illicite de main d’oeuvre.

Par arrêt en date du 27 octobre 2017, la cour d’appel de LYON a :

– confirmé la décision déférée en ce qu’elle a débouté Monsieur [P] et Madame [O] :

– de leur demande de requalification du contrat de gérant non salarié en contrat de travail de droit commun à temps complet,

– de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de la violation du statut,

– de leur demande de dommages et intérêts pour privation du logement de fonction,

– de leur demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé et rémunération de l’activité C DISCOUNT,

– de leur demande de dommages et intérêts au titre de la clause de non-concurrence sans contrepartie financière,

– de la demande tendant à dire la rupture du contrat de Monsieur [P] et de Madame [O] sans cause réelle et sérieuse et lui allouer des dommages et intérêts de ce chef,

– L’a réformée sur le surplus,

Statuant à nouveau :

– condamné la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à Monsieur [W]-[M] [P] la somme de 146 968,15 € bruts au titre des heures accomplies outre 14696 euros au titre des congés payés afférents avec intérêts de droit à compter de la demande,

– condamné la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à Madame [R]-[E] [O] la somme de 146 943,24 € bruts au titre des heures accomplies outre 14 694 € au titre des congés payés afférents

– condamné la société DCF à payer à Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] pour chacun d’eux la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la même aux dépens d’appel.

Par arrêt en date du 19 juin 2019, la Cour de cassation a :

– cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il condamne la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à verser à M. [P] et Mme [O] certaines sommes à titre de rappel pour heures accomplies outre congés payés afférents et débouté Mme [O] de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de gérance et de sa demande d’indemnité de préavis outre congés payés afférents, l’arrêt rendu le 27 octobre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de LYON ; remis, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de GRENOBLE

– dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

– a rejeté les demandes ;

– dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé

La cassation est intervenu selon les motifs suivants :

« Vu l’article L. 3171-4 du code du travail ;

Attendu que pour condamner la société Casino à payer certaines sommes au titre des heures accomplies outre congés payés afférents, l’arrêt retient que les gérants établissent par les pièces qu’ils produisent, que dans les différentes succursales dans lesquelles ils ont travaillé pour la période allant de 2007 à 2011, ils ont dû respecter des horaires d’ouverture du magasin six jours par semaine auxquels s’ajoutaient 25 % de temps supplémentaire en moyenne par semaine du fait des livraisons matinales quotidiennes, de la mise à jour des prix et étiquettes, du rangement, du nettoyage, des opérations de caisse et comptables et des commandes, de sorte qu’ils effectuaient en moyenne chacun 60 heures de travail par semaine, qu’en conséquence il convient de leur accorder des rappels d’heures accomplies sur la base de 35 heures par semaine en tenant compte des majorations légales ;

Qu’en statuant ainsi, en faisant intégralement droit aux demandes formulées sur une période allant de l’année 2008 à l’année 2013, sans constater que la demande des gérants était étayée pour la période postérieure à l’année 2011, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le troisième moyen du pourvoi incident :

Vu les articles L. 1226-10, L. 1226-12 du code du travail, ensemble l’article L. 7322-1 du même code;

« Attendu que pour débouter Mme [O] de sa demande tendant à voir dire abusive la rupture du contrat de gérance par la société Casino et que lui soient allouées certaines sommes à titre d’indemnité de préavis, congés payés afférents et de dommages-intérêts, l’arrêt retient que la gérante estime avoir été licenciée pour inaptitude, qu’elle demande des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que cette demande ne peut être accueillie dès lors que le contrat de gérance n’a pas été requalifié en contrat de travail ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de l’article L. 7322-1 du code du travail que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s’appliquent en principe aux gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire et qu’en conséquence les dispositions des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail leur sont applicables, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »

Par déclaration en date du 7 août 2019, Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] ont saisi la présente cour sur renvoi de cassation.

Monsieur [W]-[M] [P] et Madame [R]-[E] [O] s’en sont remis à des conclusions transmises par RPVA le 12 décembre 2019 et entendent voir :

Vu les articles L. 3121-10, L.3171-4 , L.8241-1 et L.7322-1 et suivants du code du travail,

Vu l’accord national collectif du 18 Juillet 1963,

Vu la jurisprudence,

– RÉFORMER le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon du 25 Avril 2016 dans son intégralité.

Et statuant à nouveau,

– REQUALIFIER la rupture du contrat de Madame [O] pour inaptitude en rupture sans cause réelle et sérieuse.

– CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à verser à Madame [O] la somme de 60.000 € à titre de dommages et intérêts, avec intérêts de droits à compter de la demande.

– CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à verser à Madame [O] la somme de 2960,54 € bruts au titre de l’indemnité de préavis, outre 296 € au titre des congés payés afférents, avec intérêts de droits à compter de la demande.

En tout état de cause

Vu la cassation prononcée ;

– DIRE ET JUGER IRRECEVABLE la demande de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE tendant à ce que les consorts [P]-[O] soient déboutés de leurs demandes de rappels de rémunération pour la période allant de l’année 2008 à l’année 2011, et en tout état de cause infondée pour la totalité de la période concernée par les demandes de rappels de rémunération.

– CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à verser les sommes suivantes, avec intérêts de droits à compter de la demande :

à Monsieur [P] :

– 21.890,15 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2189 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2008.

– 21.086,69 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2108,20 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2009.

– 14.906,85 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1490,70 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2010.

– 19.974,84 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1997,50 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2011.

– 24.499,78 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2450 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2012

– 22.920,60 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2292 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2013

– 21.689,24 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2169 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2014

à Madame [O] :

– 21.890,15 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2189 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2008.

– 21.086,69 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2108,20 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2009.

– 14.906,85 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1490,70 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2010.

– 19.974,84 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1997,50 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2011.

– 24.499,78 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2450 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2012

– 22.920,60 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2292 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2013

– 21.664,63 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2166 € au titre des congés payés afférents pour l’année 2014

– ORDONNER à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE de communiquer respectivement à Monsieur [W] [M] [P] et à Madame [R] [E] [O] des bulletins de commissions rectifiés faisant état des rappels de rémunération versés, établis pour chacune des années en cause, soit de 2008 à 2014, dans un délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt, sous astreinte de 100 € par jour de retard.

– CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à régler à Monsieur [W] [M] [P] la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

– CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à régler à Madame [R] [E] [O] la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

– CONDAMNER la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Ils font valoir que :

– la rupture du contrat de Madame [O] pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse en ce que:

-la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a manqué à son obligation de prévention et à celle de résultat. Madame [O] n’a jamais bénéficié des visites médicales périodiques. La seule visite médicale dont elle a été l’objet est en date du 11 janvier 2017. La société DISTRIBUTION CASINO FRANCE les a affectés sur des magasins avec des horaires d’ouverture et de fermeture très larges et n’a jamais accédé à leur demande d’effectuer des remplacements dans des succursales de plus petites surfaces, nonobstant les problèmes de santé de Monsieur [P] (cancer de la vessie en 2008 et infarctus en 2010) ou à celle de bénéficier d’une gérance non salariée fixe. Ils ont dû solliciter l’aide de la soeur de Madame [O] pour venir les aider, eu égard à la faiblesse de leur rémunération ne leur permettant pas d’embaucher du personnel. Ils ont finalement tous deux été placés en arrêts maladie. Madame [O] a elle-même dû solliciter une visite à la médecine du travail et a fait l’objet d’un classement en invalidité catégorie 2.

– les dispositions des articles L 1226-2 et suivants du code du travail s’appliquaient à la rupture du contrat de gérance même sans requalification en contrat de travail

– leurs prétentions au titre des rappels de salaire sont fondées en ce que :

– la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE est irrecevable en sa demande tendant à les voir débouter de leurs demandes de rappel de salaire pour la période de 2008 à 2011 compte tenu du périmètre de la cassation d’après les motifs de l’arrêt de cassation

– la Cour de cassation n’a pas remis en cause le bien fondé de leurs demandes à ce titre mais uniquement pointé une incohérence de périodes dans l’arrêt cassé partiellement. Elle a ainsi validé les rappels sur la période de 2008 à 2011.

– la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE est responsable de la durée du travail des gérants non salariés et l’article L 3171-4 du code du travail s’applique s’agissant de la preuve des heures effectuées. Les horaires de travail leur sont imposés par la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à l’occasion des remplacements qu’ils effectuent. Ils sont alignés sur les horaires d’ouverture et de fermeture des magasins. (attestation des consorts [N], gérants non salariés titulaires dont ils ont assuré le remplacement). Ils avaient, par ailleurs, des contraintes de déplacement pour se rendre sur leurs différents lieux de travail. Ils étaient affectés dans des succursales de catégorie 2 nécessitant deux personnes de sorte que la distinction opérée par la partie adverse entre amplitude horaire et temps de travail effectif est sans portée. En sus du temps de travail aux horaires d’ouverture des magasins, ils avaient une charge supplémentaire de travail de l’ordre de 25%. Ils sont, en conséquence, fondés à solliciter un rappel d’heures à titre individuel sur la base du SMIC.

La SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE s’en est rapportée à des conclusions transmises le 17 décembre 2019 et entend voir :

Confirmant le jugement entrepris,

– DEBOUTER Monsieur [P] et Madame [O] de l’intégralité de leurs demandes ;

Y ajoutant,

– Les CONDAMNER, chacun, au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de

l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

– il n’existe qu’un seul statut de gérants non salariés, les gérants non salariés intérimaires n’étant qu’une déclinaison de celui-ci, ces derniers formulant des desiderata sur leurs affectations et pouvant refuser une gérance intérimaire

– la rupture du contrat de gérance de Madame [O] est parfaitement justifiée en ce que :

– les dispositions des articles L 1226-2 et L 1226-2-1 du code du travail, seules applicables dans l’hypothèse d’une maladie non professionnelle, ont bien été respectées, le médecin de travail ayant considéré qu’aucun reclassement n’était possible

– il n’y a aucun manquement s’agissant des visites médicales puisque celles-ci s’inscrivent dans le cadre conventionnel de l’accord national du 18 juillet 1963, Madame [O] n’ayant jamais sollicité le remboursements des frais médicaux afférents aux visites dont elle aurait pu bénéficier

– elle ne peut se voir reprocher une augmentation de la charge de travail de Madame [O] en ce qu’elle n’exerce aucun contrôle à ce titre et a tenu compte du souhait des consorts [P]-[O] d’être orientés sur des succursales de plus petites tailles

– Madame [O] ne s’est pas vu imposer des horaires d’ouverture et de fermeture des magasins où elle effectuait des remplacements

– Madame [O] ne justifie d’aucune demande en vue de repasser à une gérance fixe

– les prétentions au titre du rappel d’heures ne sont pas fondées en ce que :

– il n’est pas démontré que les consorts [P]-[O] se soient vu imposer des horaires de travail précis

– l’application de l’article L 3174-1 du code du travail doit se faire en tenant compte du statut de gérants non salariés

– les demandes des consorts [P]-[O] ne sont nullement étayées. Ils opèrent une confusion entre temps de présence et travail effectif.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-visées.

EXPOSE DES MOTIFS :

Sur le périmètre de la cassation :

Au visa des articles 623, 624, 625, 632 et 638 du code de procédure civile, le dispositif de l’arrêt de cassation partielle du 19 juin 2019 ne limitant pas à certaines années pour lesquelles il est sollicité des rappels de rémunérations et faisant uniquement référence à certaines sommes à titre de rappel pour heures accomplies outre congés payés afférents, sans précision de montants qui auraient permis d’exclure certaines années visées dans l’arrêt d’appel, la cour de renvoi est saisie de l’ensemble des prétentions des consorts [P]/[O] de rappel d’heures accomplies et au titre des congés payés afférents, peu important que les motifs non décisoires de l’arrêt de cassation opère une distinction entre deux périodes, celle-ci n’étant pas reprise dans le dispositif.

Il convient, en conséquence, de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par les consorts [P]/[O] tendant à dire que la présente cour n’est pas saisie de leurs prétentions relatives aux rappels d’heures accomplies et aux congés payés afférents pour la période de 2008 à 2011.

Sur les prétentions des consorts [P]/[O] au titre des rappels de rémunération :

Il résulte de l’article L. 7322-1 du code du travail, que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s’appliquent en principe aux gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire. Selon ce même texte, l’entreprise propriétaire de la succursale est responsable au profit des gérants non salariés des dispositions du livre Ier de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et congés payés et à la sécurité du travail lorsque les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l’établissement ont été fixées par elle et soumises à son accord. Il en résulte que lorsque, les conditions d’application en sont réunies, les gérants non salariés peuvent revendiquer le paiement d’heures supplémentaires et l’application des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail.

En l’espèce, si la société CASINO n’a pas imposé les conditions de travail, de sorte que le lien de subordination juridique caractérisant l’existence d’un contrat de travail n’était pas caractérisé, ses demandes adressées aux gérants non salariés, concernant les horaires d’ouverture et de fermeture des succursales, de se conformer aux coutumes locales ainsi que cela ressort des contrats de co-gérance non salariés remplaçants en date du 08.01.2007, la diffusion par ses soins des horaires d’ouverture des commerces sur son site internet ainsi que les attestations de Monsieur [N] et de Madame [A], épouse [N] selon lesquelles « lors de nos remplacements, en tant que qualité de gérants intérimaires, M. [P] et Madame [O] étaient contraints d’adopter les mêmes horaires de travail que nous, puisque les ouvertures/fermetures devaient rester identiques au panneau mis en place par CASINO sur la vitrine et que les horaires de livraisons ne pouvaient pas être modifiés », permettent de caractériser une vérification du respect de l’amplitude horaire dans le cadre du service organisé de succursales qu’elle dirige de sorte qu’il apparait que le respect de l’amplitude horaire était soumis à son accord.

La société CASINO DISTRIBUTION FRANCE opère une confusion entre le fait d’imposer unilatéralement des horaires de travail précis de nature à caractériser l’existence d’un contrat de travail et le fait de soumettre à son accord des horaires d’ouverture et de fermeture de succursales à des gérants non salariés selon des critères qu’elle prédétermine ; ce qui implique l’existence non pas d’une directive impérative, unilatérale et précise quant aux horaires de travail mais à tout le moins un contrôle par la société CASINO DISTIBUTION FRANCE des horaires d’ouverture et de fermeture des succursales et partant de l’amplitude horaire de travail des gérants non salariés en ce que ces derniers sont amenés à porter à sa connaissance les horaires d’ouverture et de fermeture qu’ils ont certes choisis mais pas de manière libre et indépendante puisque devant respecter la condition fixée dans son seul intérêt par la société CASINO DISTRIBUTION FRANCE de respect des usages et coutumes locales, cette dernière pouvant alors vérifier le respect de cette disposition contractuelle à l’instar de ce qu’elle a pu faire à l’égard des époux [V], autres gérants non salariés, par comparaison avec d’autres établissements du même type compris dans la zone de chalandise, comme l’illustre le courrier du 8 juin 2016 produit aux débats par les appelants.

Il s’ensuit que les conditions d’application de l’article L. 7322-1 du code du travail sont réunies et que les dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail s’appliquent.

L’article L. 3171-4 du code du travail dispose qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ou assimilé en l’occurrence.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié ou la personne assimilée à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Ces dispositions doivent être interprétées de manière conforme à la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil et à la directive 89/391 CE telle qu’interprétées par la CJCE dans un arrêt du 14 mai 2019 (CJCE 14 mai 2019 C 55-18) qui a indiqué que « les articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 11, paragraphe 3, et de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en ‘uvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui, selon l’interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n’impose pas aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur. »

En conséquence, le juge doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ou la personne assimilée et que l’employeur ou la personne assimilée est tenu de lui fournir.

Le salarié ou la personne assimilée doit pour autant fournir au préalable au juge des éléments de nature à étayer sa demande de rappel d’heures supplémentaires et ce sur l’ensemble de la période concernée, étant précisé qu’un récapitulatif d’horaires dressé par le salarié ou la personne assimilée est jugé suffisant.

L’employeur ou la personne assimilée peut ensuite contredire les éléments avancés par le salarié ou la personne assimilée et en particulier en justifiant des horaires effectivement réalisés par ce dernier dont il doit assurer le décompte et/ou justifier.

Une fois constatée l’existence d’heures supplémentaires, le juge est souverain pour évaluer l’importance des heures effectuées et fixer le montant du rappel de salaire (rémunération) qui en résulte sans qu’il soit nécessaire de préciser le détail du calcul appliqué.

En l’espèce, les consorts [P]/[O] produisent comme éléments préalables de nature à étayer leurs prétentions de rappel de rémunérations des tableaux sur la période du 21 janvier 2008 au 8 décembre 2014, mois par mois, avec la référence des succursales confiées successivement à leur gestion, les horaires de travail revendiqués par jour, par référence aux horaires d’ouverture et de fermeture hebdomadaire, avec plus une heure avant et plus une heure après, signalant un temps de présence obligatoire, le nombre allégué d’heures travaillées par jour et un calcul individuel pour chacun par référence au SMIC avec une distinction opérée entre les heures à un taux à 25 % de majoration et celles à 50 % de majoration.

Sauf à critiquer les éléments produits par les consorts [P]/[O] qui sont parfaitement précis et circonstanciés, la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE ne fournit aucun élément utile, si ce n’est des attestations très générales dans leur contenu de co-gérants de succursales différentes et donc avec des contraintes nécessairement distinctes, permettant de déterminer de manière précise le temps de travail effectif de chacun des co-gérants non salariés.

Par ailleurs, la distinction opérée par la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE entre temps de présence dans le magasin par référence aux horaires d’ouverture et de fermeture et temps de travail effectif de chacun des co-gérants n’est pas opérante.

En effet, le contrat de co-gérance de remplacement prévoit une rémunération minimale correspondant à des succursales de catégorie 2, qualifiée de gérance normale à l’article 4 de l’accord du 18 juillet 1963 nécessitant l’activité effective de plus d’une personne, soit au moins deux sans autre précision toutefois sur le fait que cette gérance implique deux temps complets ou un temps complet et un temps partiel alors que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE doit être en mesure de justifier de la durée du travail effectivement accomplie pour chaque co-gérant, ne serait-ce qu’au regard de son obligation relative au fait que chacun doit a minima bénéficier d’une rémunération équivalente au SMIC.

Par ailleurs, l’article F de l’avenant de co-gérance du 08 janvier 2007 relatif à la répartition de la commission entre les co-gérants prévoit, certes, un partage égalitaire de la commission entre co-gérants « en raison des aménagements convenus entre eux pour la gestion du magasin qui leur est confié et pouvant conduire à une activité incomplète de l’un ou de l’autre ».

Cependant, alors qu’il appartient à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE de justifier du temps de travail effectivement accompli par chaque co-gérant, l’activité incomplète n’est pas présentée comme certaine mais uniquement comme une possibilité et au demeurant, les co-gérants ont en l’espèce décidé d’une répartition par moitié de la rémunération de sorte qu’aucune conclusion ne peut en être tirée quant à l’activité de chacun puisqu’il s’agit d’une gérance de catégorie 2, occupant plus d’une personne de sorte qu’il serait erroné d’en déduire que les co-gérants sont chacun à mi-temps.

Enfin, c’est à tort que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE prétend que le statut des co-gérants non-salariés non seulement ne lui permettrait pas mais encore lui interdirait de contrôler l’amplitude horaire et le volume d’heures de chacun des co-gérants puisqu’il lui est parfaitement loisible, dans le cadre des horaires d’ouverture et de fermeture soumis à son accord par référence aux usages locaux de stipuler dans le contrat de co-gérance en accord avec les co-gérants, des amplitudes horaires maximales de travail, la durée minimale du repos journalier, le repos hebdomadaire et le volume hebdomadaire de travail de l’un et de l’autre (deux temps complets, 1 temps complet, 1 temps partiel, deux temps partiels etc…) après évaluation contradictoire par les parties de l’activité de la succursale (chiffres d’affaires, surface, localisation….), et ce, sans pour autant leur imposer individuellement à chacun des horaires de travail précis avec un contrôle quotidien de nature à faire naître un lien de subordination juridique.

Il s’ensuit que, réformant le jugement dont appel, compte tenu des éléments préalables précis et circonstanciés fournis par les appelants, de l’absence de justification de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE quant aux heures effectuées par les consorts [P] et [O] chaque semaine, et par référence pour chaque co-gérant au SMIC, il convient de condamner la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à :

à Monsieur [P] :

– 21.890,15 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2189 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2008.

– 21.086,69 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2108,20 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2009.

– 14.906,85 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1490,70 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2010.

– 19.974,84 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1997,50 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2011.

– 24.499,78 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2450 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2012

– 22.920,60 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2292 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2013

– 21.689,24 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2169 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2014

à Madame [O] :

– 21.890,15 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2189 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2008.

– 21.086,69 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2108,20 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2009.

– 14.906,85 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1490,70 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2010.

– 19.974,84 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1997,50 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2011.

– 24.499,78 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2450 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2012

– 22.920,60 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2292 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2013

– 21.664,63 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2166 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2014

Il convient, par voie de conséquence, d’ordonner à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE de communiquer à Monsieur [W]-[M] [P] et à Madame [R]-[E] [O] des bulletins de commissions rectifiés conformes à la présente décision pour chacune des années de 2008 à 2014 dans les trois mois de la signification ou de l’éventuel acquiescement au présent arrêt, et passé ce délai sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard pendant 3 mois.

Sur la rupture du contrat de co-gérance non salariée de Madame [R]-[E] [P] :

Il résulte de l’article L. 7322-1 du code du travail que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s’appliquent en principe aux gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire et qu’en conséquence les dispositions des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail leur sont applicables en cas d’inaptitude d’origine professionnelle ou les articles L 1226-2 et suivants du code du travail en cas d’inaptitude d’origine non-professionnelle.

Il appartient au salarié ou à la personne assimilée de rapporter la preuve du lien de causalité entre son inaptitude définitive à son emploi et les manquements qu’il reproche à son employeur ou à la personne assimilée.

En l’espèce, sans même qu’il soit nécessaire de vérifier la réalité des manquements reprochés par Madame [O] à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE relatifs aux visites médicales et à la préservation de sa santé dès lors qu’il n’est pas formulé de prétentions au titre de l’exécution fautive du contrat de co-gérance non salariée mais uniquement à raison de la rupture injustifiée de celui-ci, force est de constater que Madame [O] ne rapporte pas suffisamment la preuve d’un lien de causalité entre son inaptitude physique fondant la résiliation du contrat de co-gérance notifiée le 13 mars 2017 et les manquements allégués de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE.

En effet, si le médecin du travail a prononcé l’inaptitude en une seule visite avec danger immédiat, il l’a pour autant fait dans le cadre d’une visite de reprise pour une maladie ou un accident qualifié de non professionnel.

Or, Madame [O], qui justifie effectivement par ailleurs avoir fait l’objet d’un classement en invalidité catégorie 2 par la CPAM du RHONE le 6 octobre 2016 n’explicite et encore moins ne produit d’éléments médicaux relatifs à la pathologie dont elle souffre et qui a conduit à sa déclaration d’inaptitude physique, qualifiée de non professionnelle ou encore à son classement en invalidité.

Il s’ensuit qu’en l’absence de tout élément médical -seule la pathologie de Monsieur [P] est étayée par les pièces produites- aucun lien de causalité ne peut être déduit de manière certaine.

Il convient, en conséquence, de débouter Madame [O] de sa demande de requalification de la rupture de son contrat de co-gérance pour inaptitude en résiliation sans cause réelle et sérieuse, étant relevé que cette prétention est postérieure au jugement dont appel puisqu’ayant été formée à titre subsidiaire devant la cour d’appel de LYON de la demande principale de résiliation judiciaire, l’arrêt ayant été cassé de ces deux chefs de prétentions rejetées.

Madame [O] ayant, en première instance, sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de co-gérance, de même qu’à titre principal, devant la cour d’appel de LYON, l’arrêt ayant été cassé sur ce point, le jugement entrepris est purement et simplement confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de résiliation judiciaire du contrat de co-gérance, Madame [O] n’ayant pas repris cette prétention devant la cour d’appel de renvoi, nonobstant son appel total et ne développant aucun moyen de contestation à l’encontre de ce chef de la décision attaquée.

La résiliation du contrat de gérance n’étant pas déclarée sans cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et la demande indemnitaire pour rupture imputable à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE.

Sur les prétentions accessoires :

L’équité commande de condamner la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à Madame [O] et Monsieur [P] à chacun une indemnité de procédure de 2000 euros.

Le surplus des prétentions des parties au visa de l’article 700 du code de procédure civile est rejeté.

Au visa des articles 639 et 696 du code de procédure civile, réformant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux dépens de première instance et des procédures d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de la cassation partielle

REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par les consorts [P]/[O] tendant à dire que la présente cour n’est pas saisie de leurs prétentions relatives aux rappels d’heures accomplies et aux congés payés afférents pour la période de 2008 à 2011.

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a :

– débouté Madame [R]-[E] [O] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de gérance non salariée

– rejeté la demande indemnitaire à raison de la rupture injustifiée du contrat de gérance non salariée de Madame [R]-[E] [O]

– rejeté la demande d’indemnité compensatrice de préavis et celle au titre des congés payés afférents formées par Madame [R]-[E] [O]

L’INFIRME pour le surplus de ses dispositions concernées par la cassation,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à :

à Monsieur [P] :

– 21.890,15 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2189 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2008.

– 21.086,69 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2108,20 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2009.

– 14.906,85 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1490,70 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2010.

– 19.974,84 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1997,50 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2011.

– 24.499,78 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2450 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2012

– 22.920,60 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2292 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2013

– 21.689,24 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2169 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2014

à Madame [O] :

– 21.890,15 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2189 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2008.

– 21.086,69 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2108,20 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2009.

– 14.906,85 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1490,70 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2010.

– 19.974,84 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 1997,4850 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2011.

– 24.499,78 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2450 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2012

– 22.920,60 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2292 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2013

– 21.664,63 € bruts à titre de rappels de rémunération, outre 2166 € bruts au titre des congés payés afférents pour l’année 2014

ORDONNE à la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE de communiquer à Monsieur [W]-[M] [P] et à Madame [R]-[E] [O] des bulletins de commissions rectifiés conformes à la présente décision pour chacune des années de 2008 à 2014 dans les trois mois de la signification ou de l’éventuel acquiescement au présent arrêt, et passé ce délai sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard pendant 3 mois

DEBOUTE Madame [R]-[E] [O] de sa demande de requalification de la rupture de son contrat de co-gérance pour inaptitude en résiliation sans cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à Madame [R]-[E] [O] et Monsieur [W]-[M] [P] à chacun une indemnité de procédure de 2000 euros

REJETTE le surplus des prétentions des parties au visa de l’article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux dépens de première instance et des procédures d’appel

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

Signé par Madame Blandine FRESSARD, Présidente et par Madame Carole COLAS, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLA PRESIDENTE

 


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