Prêt illicite de main d’oeuvre : 4 novembre 2021 Cour de cassation Pourvoi n° 19-24.377

·

·

Prêt illicite de main d’oeuvre : 4 novembre 2021 Cour de cassation Pourvoi n° 19-24.377
Ce point juridique est utile ?

SOC.

SG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 4 novembre 2021

Cassation partielle partiellement sans renvoi

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1226 F-D

Pourvoi n° Q 19-24.377

Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. [P].
Admission du Bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 25 mai 2020.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 NOVEMBRE 2021

La société BP France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° Q 19-24.377 contre l’arrêt rendu le 19 septembre 2019 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 4-5), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. [W] [P], domicilié [Adresse 9],

2°/ à la société Adecco France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la société Total, dont le siège est [Adresse 6], société européenne, anciennement Total, société anonyme,

4°/ à la Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La société Total et la Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation ont formé un pourvoi incident commun contre le même arrêt.

La société Adecco France a également formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse, au pourvoi principal, invoque, à l’appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La société Total et la Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation, invoquent à l’appui de leur pourvoi incident, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La société Adecco France, invoque à l’appui de son pourvoi incident, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société BP France, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [P], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Adecco France, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Total et de la Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation, après débats en l’audience publique du 15 septembre 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Monge, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 septembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 9 juin 2017, pourvoi n° 15-28.544), et les pièces de la procédure, M. [P] a été engagé en qualité d’avitailleur et chauffeur poids-lourds sur le site de l’aéroport de [8], par la société de travail temporaire Adecco France (la société Adecco) suivant plusieurs contrats de mission du 4 mai 1991 au 30 novembre 2005.

2. Faisant valoir qu’il avait été affecté au sein du groupement d’intérêt économique dénommé Groupement pour l’avitaillement [8] (le GIE) créé par la société BP France (la société BP) et la société Total qui en étaient membres, il a saisi, le 30 septembre 2010, la juridiction prud’homale à l’effet d’obtenir la requalification de sa relation contractuelle en contrat à durée indéterminée et la condamnation du GIE et des sociétés BP, Total et Adecco ainsi que de la chambre de commerce et d’industrie de [8] (la CCI), au paiement de diverses sommes au titre de la requalification et de la rupture du contrat de travail.

3. La société en nom collectif dénommée Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation (la Sasca) au profit de laquelle les sociétés BP et Total ont conclu un traité d’apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions, étant volontairement intervenue à l’instance, le salarié a demandé sa condamnation aux côtés des sociétés BP, Total et Adecco. Il s’est désisté de son action à l’encontre de la CCI.

Examen des moyens

Sur les premiers moyens du pourvoi principal de la société BP, du pourvoi incident des sociétés Total et Sasca et du pourvoi incident de la société Adecco, ci-après annexés

4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le deuxième moyen du pourvoi incident des sociétés Total et Sasca, réunis

Enoncé des moyens

5. Par leur deuxième moyen, celui des sociétés Total et Sasca, pris en ses deux premières branches, les sociétés BP, Total et Sasca font grief à l’arrêt de requalifier les contrats de missions en un contrat de travail à durée indéterminée, de dire que la rupture des relations contractuelles s’analyse en un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse, de les condamner, in solidum avec la société Adecco, à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour prêt de main-d’oeuvre illicite et diverses sommes à titre d’indemnité de requalification, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour perte du droit individuel à la formation, de dire que la charge finale desdites condamnations sera répartie à concurrence de la moitié à la charge des sociétés BP, Total et Sasca et à concurrence de la moitié à la charge de la société Adecco, et d’ordonner aux sociétés Adecco, BP, Total et Sasca, de remettre divers documents sociaux, alors :

« 1°/ qu’aux termes de l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de travail de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise-utilisatrice ; qu’il résulte de l’article L. 1251-6 du même code, qu’un contrat de mission peut être conclu pour le remplacement d’un salarié, notamment en cas d’absence ou de suspension du contrat de travail, et en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ; qu’il résulte du sens et de la portée de ces dispositions, lues à la lumière de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, que la circonstance qu’un nombre important de contrats intérimaires se soient succédé sur une période donnée en vue de remplacer des salariés absents ou de faire face à un accroissement temporaire d’activité, et que le salarié employé ait été recruté pour effectuer des tâches identiques ou similaires, ne saurait suffire à caractériser un recours au travail intérimaire ayant pour objet de satisfaire à un besoin structurel de main-d’oeuvre et de pourvoir à un poste permanent de l’entreprise ; qu’en particulier, la brièveté de tout ou partie des contrats, comme leur discontinuité, constituent des indices significatifs qu’il ne s’agit pas de pourvoir un poste permanent ; qu’en l’espèce, pour ordonner la requalification des contrats de missions en un contrat de travail à durée indéterminée à l’égard des sociétés BP et Total, la cour d’appel a retenu que “365 contrats de mission ont été conclus entre le salarié et la société Adecco entre le 4 mai 1991 et le 30 novembre 2005”, que “ces contrats ont tous été conclus au motif du remplacement d’un salarié absent ou d’un surcroît temporaire d’activité” et que “l’examen détaillé des exemplaires de ces contrats permet d’établir qu’ils se sont succédé régulièrement depuis le début des relations contractuelles, avec une fréquence particulièrement importante durant les périodes estivales, que le salarié intérimaire était toujours employé avec la même qualification afin d’assurer des tâches identiques, soit le ravitaillement des avions suivant les directives données par Total et BP et que le renouvellement des absences entraînait un renouvellement systématique des engagements conclus avec lui” ; qu’en se déterminant ainsi, au regard du seul nombre de missions conclues avec l’intéressé, de la durée globale de celles-ci et du poste occupé par le salarié lors des missions, sans caractériser concrètement, au regard -outre de la nature des emplois successifs occupés par le salarié- de la structure des effectifs de la société BP, que les diverses mises à disposition du salarié avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, ce qui supposait notamment la vérification de la réalité des remplacements opérés et des accroissements temporaires de l’activité de la société BP dont il était justifié par celle-ci, la cour d’appel, qui ne s’est pas livrée à l’analyse comparée de l’activité normale de l’entreprise et de celle justifiant l’embauche de l’intéressé et n’a pas vérifié si les effectifs habituels de l’entreprise pouvaient absorber les absences des salariés remplacés et les surcroîts de travail invoqués par elle, a violé les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail, lue à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l’accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du 28 juin 2000 ;

2°/ qu’en statuant comme elle l’a fait, par référence aux missions accomplies par le salarié au sein du GIE, sans faire ressortir en quoi, pour la société BP et pour la société Total, chacune prise isolément, le nombre et la fréquence des contrats de mission exécutés en leur sein, qui ne sont pas précisés, permettraient d’établir que le salarié aurait occupé durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de la société BP et à celle de la société Total, la cour d’appel a, derechef, violé les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail. »

6. Par leur deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, les sociétés Total et Sasca font le même grief à l’arrêt, alors :

« 3°/ que dans leurs écritures, les sociétés Total et Sasca avaient soutenu et démontré, ainsi que cela ressortait des contrats produits par le salarié et du tableau récapitulatif qu’elles avaient réalisé, d’une part, que sur une période de 10 ans, l’intéressé n’avait effectué dans le cadre de sa spécialité d’avitailleur que 340 missions très brèves pour trois sociétés pétrolières différentes, soit en moyenne 11 missions par an alternativement pour chacune de ces sociétés, d’autre part, qu’à partir du 15 mai 2002, il avait effectué 49 mois de longues missions pour la CCI, de 3 à 8 mois chacune ce qui explique qu’un accord transactionnel soit intervenu entre la CCI et lui, en sorte que sur cette période, il n’avait travaillé en moyenne pour les sociétés BP, Total et Elf que de 1 à 6 jours par mois, enfin, que sur la période du 4 mai 1991 au 31 novembre 2005, soit environ 14 ans, les périodes de suspension de travail du salarié ou de travail pour d’autres employeurs ont duré 72 mois, autant d’éléments démontrant le caractère par nature temporaire de son emploi et qu’il n’était pas affecté au fonctionnement normal et permanent de la société Total ; qu’en se bornant à affirmer, sur la seule base du nombre de contrats, que le salarié était affecté au fonctionnement normal de l’entreprise sans répondre à ce moyen précis et circonstancié des écritures des exposantes, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4°/ qu’en affirmant que le salarié n’aurait effectué que des missions ponctuelles et limitées pour le compte d’autres entreprises cependant qu’il résultait des contrats produits par celui-ci et du tableau récapitulatif réalisé sur la base desdits contrats par les sociétés Total et Sasca qu’à partir du 15 mai 2002, l’intéressé avait effectué 49 mois de longues missions pour la CCI, de 3 à 8 mois chacune ce qui explique qu’un accord transactionnel soit intervenu entre la CCI et lui, en sorte que sur cette période, il n’avait travaillé en moyenne pour les sociétés BP, Total et Elf que de 1 à 6 jours par mois, enfin, que sur la période du 4 mai 1991 au 31 novembre 2005, soit environ 14 ans, les périodes de suspension de travail du salarié ou de travail pour d’autres employeurs ont duré 72 mois, la cour d’appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x