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AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/05180 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MP7C
Société EUROCAST [Localité 7]
C/
[O]
Société DOMINO MISSIONS BRON
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON
du 02 Juillet 2019
RG : F 17/02738
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 07 DECEMBRE 2022
APPELANTE :
Société EUROCAST [Localité 7] anciennement dénommée FP ALU
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Franck JANIN de la SELCA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
INTIMÉS :
[T] [O]
né le 17 Mai 1980 à [Localité 8]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Laurence SEGURA-LLORENS, avocat au barreau de LYON
Société DOMINO MISSIONS BRON
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Sandrine MOUSSY de la SELARL A PRIM, avocat au barreau de LYON substituée par Me Allison MOUGNE, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 10 Octobre 2022
Présidée par Joëlle DOAT, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 07 Décembre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [T] [O] a été mis à disposition de la société Eurocast [Localité 7] (anciennement FP Alu) par la société de travail temporaire Domino Missions Bron, suivant divers contrats de mission pendant la période du 4 juin 2014 au 2 juillet 2017, date du terme de la dernière mission.
Par courrier recommandé du 30 juin 2017, M. [O] a revendiqué la signature d’un contrat de travail à durée indéterminée auprès de la société Eurocast [Localité 7].
Par requête du 18 septembre 2017, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes LYON en lui demandant d’ordonner la requalification des contrats de mission intérim en contrat à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise utilisatrice et de l’entreprise de travail temporaire à compter du 4 juin 2014, de dire que la fin de son contrat constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner la société Eurocast à lui verser une indemnité de requalification et de condamner in solidum la société Eurocast et la société Domino Missions à lui verser diverses sommes à titre d’indemnités de rupture, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour prêt de main d”uvre illicite et d’indemnité pour travail dissimulé.
Par jugement du 2 juillet 2019, le conseil de prud’hommes a :
– ordonné la requalification des contrats de mission intérim de Monsieur [T] [O] en contrat à durée indéterminée de droit commun auprès de la société EUROCAST [Localité 7] ;
– fixé la moyenne des salaires de Monsieur [T] [O] à la somme mensuelle brute de 2 133,53 euros ;
– dit que son ancienneté débute au 4 juin 20114 ;
– dit que la rupture du contrat de travail de Monsieur [T] [O] constitue un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
en conséquence,
– condamné la société EUROCAST [Localité 7] (anciennement FP ALU) à verser à
Monsieur [T] [O] les sommes suivantes :
– 2 138,58 euros au titre de l’indemnité de requalification
– 4 277,16 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 421,71 euros bruts au titre des congés payés
– 1 286,55 euros au titre de l’indemnité de licenciement
– 12 831,48 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif
(six mois de salaire)
– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– débouté Monsieur [T] [O] de ses demandes plus amples ou contraires
– condamné la société EUROCAST [Localité 7] (anciennement FP ALU) à remettre à
Monsieur [T] [O] un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiée conforme à la présente décision sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement
– débouté les sociétés EUROCAST [Localité 7] et DOMINO MISSION BRON de leurs demandes reconventionnelles faites au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– rappelé les dispositions de l’article R.1454-28 du code du travail
– condamné la société EUROCAST [Localité 7] aux entiers dépens de l’instance.
La société Eurocast [Localité 7] a interjeté appel de ce jugement, le 19 juillet 2019.
Elle demande à la cour :
à titre principal,
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a ordonné la requalification des contrats de mission temporaire de Monsieur [O] en contrat de travail à durée indéterminée, dit que la rupture devait s’analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’a condamnée à payer diverses sommes au salarié et à remettre à ce dernier un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiée conformes à la présente décision sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement
– de débouter M. [O] de toutes ses demandes
– de condamner Monsieur [O] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;
à titre subsidiaire et dans l’hypothèse où la cour viendrait à retenir la requalification des contrats de missions temporaire de Monsieur [O] en contrat à durée indéterminée aux torts de la société DOMINO MISSIONS BRON :
– de mettre à la charge exclusive de la société DOMINO MISSIONS BRON les sommes revendiquées par Monsieur [O]
à titre infiniment subsidiaire et dans l’hypothèse où la Cour viendrait à retenir la requalification des contrats de missions temporaire de Monsieur [O] en contrat à durée indéterminée et sa responsabilité solidaire,
– de confirmer les condamnations dans leur montant
– de rejeter toutes autres demandes ayant trait à une prétendue situation de travail dissimulé ou de prêt de main d”uvre illicite.
M. [O] demande à la cour :
– de confirmer le jugement en ce qu’il a :
– ordonné la requalification des contrats de mission intérim en contrat à durée indéterminée de droit commun,
– dit que son ancienneté débute au 4 juin 2014,
– dit que la rupture du contrat de travail constitue un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– débouté les sociétés EUROCAST [Localité 7] et DOMINO MISSIONS BRON de leurs demandes reconventionnelles faites au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– d’infirmer le jugement en ce qu’il :
– a fixé la moyenne de ses salaires à la somme mensuelle brute de 2 138,58 euros
– a condamné la société EUROCAST [Localité 7] (anciennement FP ALU) à lui verser les sommes suivantes :
2 138,58 euros au titre de l’indemnité de requalification
4 277,16 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre
427,71 euros brut au titre des congés payés
1 286,55 euros au titre de l’indemnité de licenciement
12 831,48 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif
1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– l’a débouté de ses demandes plus amples ou contraires
– a condamné la société EUROCAST [Localité 7] (anciennement FP ALU) à lui remettre un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiés conformes à la décision
– a limité la condamnation aux entiers dépens de l’instance à la société EUROCAST [Localité 7]
et statuant à nouveau :
– de condamner la société SASU EUROCAST [Localité 7] (anciennement FP ALU) à lui verser la somme nette de 2 797,44 euros à titre d’indemnité de requalification ;
– de condamner in solidum, les sociétés SASU EUROCAST [Localité 7] (anciennement FP ALU) et SAS DOMINO MISSIONS BRON, ou qui mieux le devra, à lui verser les sommes de :
5 594,88 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
559,48 euros brut à titre de congés payés afférents,
1 725,06 euros net à titre d’indemnité de licenciement,
30 235 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
7 600 euros net à titre de dommages et intérêts pour prêt de main d”uvre illicite,
16 784 euros net d’indemnité pour travail dissimulé ;
– de condamner in solidum, les sociétés SASU EUROCAST [Localité 7] (anciennement FP ALU) et SAS DOMINO MISSIONS BRON, ou qui mieux le devra, à lui remettre un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiés conformes aux chefs de demande sus énoncés sous astreinte de 50 euros par jour de retard
– de fixer le salaire moyen mensuel brut à la somme de 2 797,44 euros
– de débouter les sociétés SASU EUROCAST [Localité 7] (anciennement FP ALU) et
SAS DOMINO MISSIONS BRON de toutes demandes contraires
– de condamner in solidum, les sociétés Société EUROCAST [Localité 7] (anciennement FP ALU) et SAS DOMINO MISSIONS BRON, ou qui mieux le devra, à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les condamner aux dépens de première instance et d’appel.
La société Domino Missions Bron demande à la cour :
à titre principal,
– de confirmer le jugement
– de débouter Monsieur [O] de l’ensemble de ses demandes
à titre subsidiaire et dans l’hypothèse où la Cour serait amenée à prononcer des condamnations in solidum :
– de fixer la moyenne des salaires à la somme mensuelle brute de 2 138,58 euros
– de dire que la société EUROCAST devra obligatoirement supporter seule les condamnations suivantes :
2 138,58 euros au titre de l’indemnité de requalification
4 277,16 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
427,71 euros au titre des congés payés afférents
– de rejeter la demande de dommages et intérêts formée par M. [O] au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse
– de dire que les éventuelles condamnations in solidum porteront sur les autres demandes de Monsieur [O]
en tout état de cause,
– de condamner Monsieur [O] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de
l’article 700 du code de procédure civile
– de condamner Monsieur [O] aux dépens de l’instance.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2022.
SUR CE :
Sur la demande de requalification à l’égard de la société utilisatrice
La société Eurocast fait valoir que :
– le salarié n’a été occupé que sur de courtes périodes entre 2014 et 2017 pour répondre à son activité par nature fluctuante
– elle justifie de chacun des motifs mentionnés sur les contrats, étant observé que certains des contrats de mission n’ont en réalité jamais été exécutés (contrat du 7 au 8 janvier 2016)
– elle est soumise à des variations d’activité qu’elle ne peut que rarement anticiper, raison pour laquelle elle est contrainte de faire appel régulièrement à des salariés intérimaires
– elle a dû faire appel à M. [O] pour renforcer ses équipes afin de ne pas laisser s’accumuler un retard de production grandissant (5 820 pièces de retard à la fin décembre 2016), le retard n’ayant pu être définitivement résorbé qu’en juillet 2017, au terme des contrats du salarié
– elle subi diverses pannes techniques et des défauts de qualité sur ses pièces, ce qui est venu ajouter au retard accumulé dès l’année 2014
– il n’est plus exigé que l’accroissement temporaire soit exceptionnel, le caractère cyclique des variations d’activité de la société utilisatrice étant indifférent
– M. [O] a été employé selon diverses qualifications contractuelles et même lorsqu’il était successivement affecté sur des postes relevant d’une qualification contractuelle identique, les tâches variaient d’un contrat de mission à un autre et les postes de travail occupés étaient différents.
M. [O] fait valoir que :
– il a bénéficié de plus de 100 contrats de mission sur une période de 37 mois
– la durée de ses missions était renouvelée de semaine en semaine voire de jour en jour, les contrats sont successifs, il a toujours travaillé sur le même poste d’emploi, souvent sans discontinuer pendant plusieurs semaines, et la durée totale de sa mission a excédé dix-huit mois
– les motifs invoqués, à savoir le remplacement de salariés absents et l’accroissement temporaire de l’activité qui perdureraient sur l’intégralité de l’année civile, montrent que l’intérim a été lié à l’activité permanente de l’entreprise utilisatrice
– en réalité, la société Eurocast a eu recours de façon systématique aux missions d’intérim en ce qui le concerne pour faire face à un besoin structurel de main d’oeuvre
– la société Eurocast ne rapporte pas la preuve de la réalité des motifs énoncés dans les contrats de mission.
****
Aux termes de l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
Selon l’article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
La société Eurocast explique dans ses conclusions d’appel que M. [O] n’a nullement été affecté à un emploi permanent de l’entreprise pour n’avoir travaillé que :
– 91 jours entre le 1er juin et le 31 décembre 2014
– 175 jours du 1er janvier au 31 décembre 2015
– 112 jours entre le 7 janvier 2016 et le 2 juillet 2017.
Il ressort des contrats de mission produits que :
– 46 contrats de mission ont été consentis sur la période du 4 juin 2014 au 23 décembre 2014, dont 43 pour motif d’accroissement temporaire d’activité, d’une durée d’une ou deux journées chacun et 3 pour motif d’absence temporaire d’un salarié, M. [E] en arrêt maladie, du
28 au 31 juillet 2014 et du 4 au 8 août 2014 et remplacement partiel de M. [X], en congés, du 18 au 22 août 2014
– 81 contrats de mission ont été consentis sur la période du 10 janvier 2015 au 28 décembre 2015, dont 68 pour motif d’accroissement temporaire d’activité, d’une durée d’une journée ou deux journées chacun et 13 pour motif d’absence temporaire d’un salarié, d’une durée d’une, deux ou trois journées chacun, par exemple du 3 au 3 novembre 2015 : ‘remplacement partiel de M. [J] aux expéditions’
– 21 contrats de mission ont été consentis sur la période du 7 janvier 2016 au 17 décembre 2016, dont 15 pour motif d’accroissement temporaire d’activité, d’une durée de deux journées chacun (sauf un contrat pour une journée et un contrat pour quatre jours) et 6 pour motif d’absence temporaire d’un salarié, par exemple du 24 au 24 octobre 2016 et
du 28 au 28 octobre 2016 : remplacement de M. [A], cariste, par glissement de poste,
17 au 20 octobre 2016, remplacement par glissement de poste de M. [A]
– 37 contrats de mission ont été consentis sur la période du 7 janvier 2017 au 1er juillet 2017, dont 23 pour motif d’accroissement temporaire d’activité, d’une durée d’une ou deux journées chacun, et 14 pour motif d’absence temporaire d’un salarié, par exemple du 5 au 7 avril 2017 : remplacement de M. [I], du 17 au 17 avril 2017 : remplacement de M. [L],
du 3 au 5 mai 2017, du 5 au 5 mai 2017, du 8 au 8 mai 2017 : remplacement de
M. [U] [R],
Compte-tenu du nombre important de contrats de très courte durée souscrits sur de longues périodes, de ce que la société Eurocast ne justifie pas de la réalité des motifs d’accroissement temporaire d’activité mentionnés sur les contrats, à savoir surcroît qualité ZF, retard sur référence X suite problème qualité en clientèle X, lié à la mise en place d’étiquettes pour fin d’année en logistique, formation au poste d’agent qualité, complément formation au poste d’agent qualité, surcroît lié au tri nouvel opérateur, au moyen des courriels (dont certains rédigés en langue anglaise non traduits), tableaux et extraits de compte qu’elle verse aux débats, et ne démontre pas qu’elle subissait des variations de production qu’elle ne pouvait absorber avec son effectif permanent, qu’elle ne justifie pas non plus des absences de certains des salariés mentionnés, M. [A] par exemple, la copie de registre d’incident mentionnant le 11 octobre 2016 arrêt de M. [A] en tant que cariste ne permettant pas de rapporter la preuve qu’il a dû être remplacé aux dates des contrats de mission, que les dates d’absence des salariés remplacés telles que figurant sur les plannings produits ne correspondent pas toutes aux dates des contrats de mission, que M. [O] a été essentiellement affecté, de 2014 à 2017, sous la qualification d’agent qualité, au poste de contrôle visuel et dimensionnel de pièces, retouches de pièces manutention liées à production, et ce quelle que soit la période de l’année, exceptionnellement de cariste (conduite de chariots, chargement et déchargement, manutention liée à la production), il est établi que ces contrats ont eu pour objet et pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de production de l’entreprise et c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a relevé que les contrats de mission consentis à M. [O] par la société Eurocast étaient destinés à faire face à un besoin structurel de main d’oeuvre.
Il convient en conséquence, au vu de ces éléments et de ceux qui ont été retenus par le conseil de prud’hommes, de confirmer le jugement qui a prononcé la requalification des contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de la société Eurocast à compter du 4 juin 2014, date du premier contrat irrégulier.
Sur la demande de requalification à l’égard de la société de travail temporaire
M. [O] fait valoir que :
– certains des contrats de mission communiqués pour la période du 7 janvier 2016 au
2 juillet 2017 ne comportent pas sa signature, d’autres ne comportent ni la signature du représentant de l’entreprise de travail temporaire, ni la sienne
– plusieurs contrats ne comportent aucune indication quant à la qualification de la personne remplacée
– les contrats de mission ne comportent pas sa propre qualification, sa catégorie et son coefficient, alors que le dispositif conventionnel applicable à la société Eurocast comprend quatre catégories d’emplois dont celle des ouvriers qui elle-même contient quatre niveaux subdivisés en positions distinctes avec l’attribution de coefficients distincts
– certains contrats de mission se sont succédé sans respecter le délai de carence
– l’entreprise de travail temporaire n’a donc pas respecté ses propres obligations à son égard, de sorte qu’elle doit être condamnée in solidum avec l’entreprise utilisatrice à lui payer les sommes dûes en conséquence de la requalification.
La société Domino Missions Bron fait valoir que :
– les mentions requises ont bien été portées sur les contrats s’agissant du remplacement par glissement de poste de M. [A]
– la qualification contractuelle de M. [O] et celle des salariés remplacés figure sur l’ensemble des contrats de mission
-les délais de carence entre chaque mission ont été respectés
– M. [O] produit lui-même les contrats de mission, ce qui démontre que ces contrats ont été établis et lui ont bien été remis.
****
Le travailleur temporaire peut exercer l’action en requalification d’un contrat de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire, en cas de non-respect par cette dernière des règles de forme imposées par les textes sur le travail temporaire.
L’article L1251-43 du code du travail énonce que le contrat de mise à disposition établi pour chaque salarié comporte :
1° le motif pour lequel il est fait appel au salarié temporaire. Cette mention est assortie de justifications précises dont notamment, dans les cas prévus aux 1°, 4° et 5° de
l’article L1251-6, le nom et la qualification de la personne remplacée ou à remplacer.
En application de l’article L1251-16 du code du travail, le contrat de mission est établi par écrit et comporte notamment (1°) la reproduction des clauses et mentions du contrat de mise à disposition énumérées à l’article L1251-43 et (3°) les modalités de la rémunération dûe au salarié y compris celles de l’indemnité de fin de mission prévue à l’article L1251-32.
Il apparaît que certains des contrats de mission consentis à M. [O] ne comportent pas la mention de la qualification de la personne remplacée :
– contrat du 28 juillet 2014 : remplacement partiel de M. [E] en arrêt-maladie
– contrat du 14 juillet 2015 : remplacement de Mme [Y]
– contrat du 21 octobre 2016 : remplacement partiel de M. [N] en congés
– contrat du 13 mars 2017 : remplacement de [D]
– contrat du 5 avril 2017 : remplacement de A. [I].
La convention collective nationale de la métallurgie applicable à l’entreprise utilisatrice prévoit quatre catégories d’ouvriers et plusieurs niveaux et coefficients au sein de chaque catégorie.
Or, la qualification de M. [O] telle que mentionnée sur la plupart des contrats depuis le premier d’entre eux est ‘agent qualité’ et parfois ‘cariste’, ce qui ne suffit pas à caractériser la qualification professionnelle du salarié au regard de la convention collective.
Certains des contrats versés aux débats, non par M. [O] mais par la société utilisatrice, ne sont pas revêtus de la signature du salarié (13, 21, 24, 28, 31 octobre 2016,
12 et 26 novembre 2016).
Au vu de ces éléments et sans qu’il soit nécessaire de déterminer si la société de travail temporaire a ou non respecté le délai de carence entre certains contrats, il est établi que la société Domino Missions Bron a commis des manquements à ses obligations propres relatives à l’établissement des contrats de mission, de sorte qu’il y a lieu de requalifier à son égard les contrats de mission qu’elle a consentis à M. [O] en un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au 4 juin 2014, date du premier contrat irrégulier.
C’est à tort que le conseil de prud’hommes, sans en préciser les motifs, a rejeté les demandes du salarié dirigées contre cette société.
Le jugement sera infirmé sur ce point,
Sur les conséquences de la requalification
En application de l’article L1251-41 du code du travail, une indemnité ne pouvant pas être inférieure à un mois de salaire est mise à la charge de l’entreprise utilisatrice.
Le salarié soutient que sa moyenne mensuelle de salaire sur les six derniers mois de l’année 2017, prime de précarité déduite et indemnité de congés payés, accessoire du salaire, incluse, s’élève à 2 797, 44 euros.
La société Eurocast soutient qu’au regard des bulletins de paie produits, la rémunération mensuelle brute, hors congés payés et indemnité de fin de mission, s’élève à la somme de
2 138, 58 euros.
Au vu des bulletins de salaire des mois de janvier à juin 2017, il convient de fixer le montant de l’indemnité de requalification à la somme de 2 138, 58 euros correspondant à la moyenne des six derniers mois de salaire, déduction faite des indemnités compensatrices de congés payés et des indemnités de fin de mission, comme l’a justement fait le conseil de prud’hommes, et de confirmer le jugement qui a condamné la société Eurocast à payer ladite somme à M. [O].
La rupture du contrat de travail consécutive à la seule survenance du terme du contrat temporaire, le contrat étant requalifié, s’analyse en un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, puisque la procédure n’a pas été respectée et qu’aucun motif n’a été notifié.
Les sociétés Eurocast et Domino Missions Bron qui ont commis chacune des fautes ayant concouru à l’entier préjudice subi par M. [O] en raison de la rupture injustifiée du contrat de travail doivent être condamnées in solidum à payer à celui-ci les indemnités consécutives et des dommages et intérêts.
Il convient de confirmer le jugement en ce qui concerne le montant des condamnations prononcées à l’encontre de la société Eurocast [Localité 7] à titre d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de congés payés afférents et d’indemnité de licenciement, calculées sur la base du salaire ci-dessus, et de condamner la société Domino Missions Bron, in solidum avec la société Eurocast [Localité 7], à payer lesdites sommes à M. [O].
En application de l’article L1235-3 ancien du code du travail applicable à la date de la rupture, compte-tenu de l’âge du salarié à la date de la rupture (37 ans), de son ancienneté (trois ans et un mois), des difficultés à retrouver un emploi et de sa perte de revenus pendant la période d’indemnisation de sa période de chômage, dont il justifie, le conseil de prud’hommes a exactement apprécié le préjudice résultant pour M. [O] de la perte de son emploi.
Il convient de condamner in solidum la société Domino Missions Bron avec la société Eurocast [Localité 7] à payer au salarié la somme fixée par les premiers juges.
Sur la demande en dommages et intérêts fondée sur le prêt illicite de main d’oeuvre
Au visa des articles L 8241-1 et L 8231-1 du code du travail, M. [O] soutient qu’il a été maintenu pendant plus de trois années en situation de précarité, ce qui est constitutif d’une exécution fautive du contrat de travail , ‘distincte du préjudice réparé au titre de la rupture du contrat requalifié’, qu’il se tenait à la disposition de l’entreprise, que le responsable de
la société QSE FP ALU devenue Eurocast le sollicitait directement la veille pour le lendemain, si bien qu’il était privé de visibilité, ainsi que d’un emploi et d’un revenu assurés, étant observé qu’il a interpellé sur ce point l’entreprise utilisatrice en sollicitant un contrat de travail à durée indéterminée.
Il ajoute qu’il a été privé des droits conventionnels bénéficiant au personnel de la société Eurocast et de la progression professionnelle interne accordée aux salariés embauchés.
La société Eurocast estime que cette infraction est par nature étrangère à la société utilisatrice et, subsidiairement, que la preuve de son intention fautive n’est pas rapportée.
La société Domino Missions Bron expose que le propre de son activité est de mettre à disposition de salariés intérimaires au sein d’entreprises utilisatrices.
****
Les dispositions de l’article L8241-1 du code du travail relatives à l’interdiction de toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre des dispositions relatives au travail temporaire.
Le fait pour la société de travail temporaire d’avoir consenti aux salariés des contrats de mission dont plusieurs ont été déclarés irréguliers ne suffit pas à caractériser à son égard l’infraction de marchandage telle que définie par l’article L8231-1 du code du travail.
Par ailleurs, les éléments invoqués par le salarié ne sont pas de nature à démontrer que sa mise à la disposition de l’entreprise utilisatrice réalisait une opération de fourniture de main d’oeuvre procurant à celle-ci des facilités et des économies dans la gestion du personnel.
Le jugement qui a rejeté la demande de dommages et intérêts formée de ce chef doit être confirmé.
Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé
M. [O] soutient que les deux sociétés ont de manière intentionnelle dissimulé les heures supplémentaires qu’il a effectuées, en lui versant une prime exceptionnelle, ce qui ressort des bulletins de salaire établis en octobre 2016 et ajoute que les heures supplémentaires qu’il a accomplies depuis le mois de juin 2014 n’ont été régularisées sur sa demande qu’en juin 2017, soit avec un retard de trois ans.
La société Eurocast répond que la charge et la responsabilité de la paie relèvent de la seule société de travail temporaire en sa qualité d’employeur.
La société Domino Missions Bron affirme qu’elle n’avait aucun intérêt à verser à M. [O] une prime exceptionnelle de même montant que ses prétendues heures supplémentaires,
les charges sociales étant strictement identiques.
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Au soutien de sa demande, M. [O] produit sa propre lettre en date du 30 juin 2017 adressée aux deux sociétés, dans laquelle il évoque la circonstance que ses heures supplémentaires n’ont pas été payées conformément aux taux appliqués aux permanents de l’entreprise, concluant en post scriptum : je vous rappelle également vos méthodes irrégulières (…) pour masquer des heures supplémentaires qui consistent à me donner une prime exceptionnelle et deux bulletins de paie du 1er au 31 octobre 2016 qui font apparaître à la fois le paiement d’heures supplémentaires et celui d’une prime exceptionnelle.
Ces éléments ne permettent pas de caractériser la matérialité d’une dissimulation d’emploi au sens de l’article L 8221-5 du code du travail.
Il convient de confirmer le jugement qui a rejeté la demande du salarié en paiement d’une indemnité pour travail dissimulé.
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives à la remise des documents de fin de contrat, sauf en ce qui concerne l’astreinte qui doit être supprimée.
Il n’y a pas lieu d’étendre cette obligation à la société Domino Missions Bron.
Il convient de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l’indemnité de procédure, sauf à condamner la société Domino Missions Bron à les payer, in solidum avec la société Eurocast [Localité 7].
Il ya lieu de condamner in solidum les deux sociétés aux dépens d’appel et à payer à
M. [O] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :
CONFIRME le jugement en ce qu’il a requalifié les contrats de mission de M. [T] [O] en un contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de la société Eurocast [Localité 7] à compter du 4 juin 2014, en ce qui concerne les condamnations en paiement prononcées à l’égard de la société Eurocast [Localité 7], en ce qu’il a condamné la société Eurocast [Localité 7] à remettre à
M. [O] un certificat de travail et une attestation Pôle emploi rectifiés, en ce qu’il a condamné la société Eurocast [Localité 7] aux dépens et à payer une indemnité de procédure à
M. [O] et en ce qu’il a rejeté la demande en paiement de dommages et intérêts fondée sur le prêt illicite de main d’oeuvre et la demande d’indemnité pour travail dissimulé
INFIRME le jugement pour le surplus de ses dispositions
STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés,
REQUALIFIE les contrats de mission de M. [T] [O] en un contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de la société Domino Missions Bron à compter du 4 juin 2014
CONDAMNE la société Domino Missions Bron, in solidum avec la société Eurocast [Localité 7], à payer à M. [T] [O] les sommes suivantes :
– 4 277,16 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 427,71 euros bruts à titre d’indemnité de congés payés
– 1 286,55 euros au titre de l’indemnité de licenciement
– 12 831,48 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en première instance
– les dépens de première instance
DIT n’y avoir lieu à assortir l’obligation de remise des documents de fin de contrat du prononcé d’une astreinte
REJETTE la demande de remise des documents de fin de contrat dirigée contre la société Domino Missions Bron
CONDAMNE in solidum la société Eurocast [Localité 7] et la société Domino Missions Bron aux dépens d’appel
CONDAMNE in solidum la société Eurocast [Localité 7] et la société Domino Missions Bron à payer à M. [T] [O] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE