Prêt illicite de main d’oeuvre : 12 décembre 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/00021

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Prêt illicite de main d’oeuvre : 12 décembre 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/00021
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Indemnisation de la détention provisoire

DECISION AU FOND

DU 12 DECEMBRE 2022

N° 2022/ 66

N° RG 22/00021 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJE72

[Y] [M]

C/

LE PROCUREUR GENERAL

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT

copie exécutoire délivrée

le 12 décembre 2022

à Me Myriam MANSEUR, avocat

Décision déférée à la Cour :

Décision en matière de réparation du préjudice subi à raison d’une détention provisoire rendue le 12 décembre 2022 prononcée sur requête déposée le 31 mars 2022.

DEMANDEUR A LA REQUÊTE

Monsieur [Y] [M]

né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 6], demeurant [Adresse 2]

comparant en personne,

assisté de Me Myriam MANSEUR, avocat au barreau de MARSEILLE

DEFENDEUR A LA REQUÊTE

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Eric TARLET de la SCP LIZEE PETIT TARLET, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

En présence de madame la procureure générale, en la personne de madame Martine ASSONION, substitut général, laquelle a été entendue en ses réquisitions.

*-*-*-*-*

DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ

L’affaire a été débattue le 14 novembre 2022 en audience publique devant Anne SEGOND, présidente de chambre déléguée par ordonnance de monsieur le premier président.

En présence de madame la procureure générale à laquelle l’affaire a été régulièrement communiquée, en la personne de madame Martine ASSONION, substitut général, laquelle a été entendue en ses réquisitions.

Greffier lors des débats : Florence CHUPIN faisant fonction et assermentée

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2022.

DECISION

Contradictoire,

Prononcée par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2022,

Signée par Anne SEGOND, présidente et Florence CHUPIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

***

*

Par requête réceptionnée le 30 mars 2022, [Y] [M] a sollicité la réparation du préjudice subi à la suite d’une détention provisoire d’une durée de 7 mois 28 jours, du 19 octobre 2016 au 16 juin 2017.

Il sollicite la somme de 305 000 € se décomposant comme suit :

– 100 000 € au titre du préjudice moral

– 200 000 € au titre du préjudice matériel

– 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat en date du 24 juillet 2022 tendant à l’irrecevabilité de la requête faute de production du certificat de non-appel mais à titre subsidiaire proposant d’allouer au requérant la somme de 25 000 € au titre du préjudice moral, de rejeter la demande au titre du préjudice matériel et de diminuer la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions du procureur général en date du 26 juillet 2022 tendant également à l’irrecevabilité de la requête et à la réduction de la somme réclamée au titre du préjudice moral et de l’article 700 et au rejet de la demande au titre du préjudice matériel ;

Vu les conclusions en réponse adressées par le conseil du requérant le 31 août 2022 et la production du certificat de non-appel ; vu la demande de 25000 € à titre de provision ;

Vu les conclusions en réponse adressées par le conseil de l’Agent judiciaire de l’Etat le 19 septembre 2022.

Vu les observations des parties à l’audience du 14 novembre 2022 ;

EN LA FORME

Formulée dans le délai légal, la requête est recevable en application des articles R 26 et 149-2 du code de procédure pénale.

AU FOND

Ayant subi une détention provisoire à l’occasion d’une procédure pénale des chefs de prêt illicite de main d’oeuvre, marchandage, travail dissimulé et emploi d’une personne non titulaire de carte professionnelle, le requérant, qui a bénéficié d’une décision de relaxe rendue le 9 février 2022 par le tribunal correctionnel de Marseille, est bien fondé à solliciter la réparation du préjudice directement causé par cette privation de liberté d’une durée de 7 mois 28 jours.

sur la demande de provision

L’affaire étant évoquée au fond ce jour, la demande de provision est devenue sans objet.

Préjudice matériel

[Y] [M] sollicite 200 000 € au titre du préjudice matériel. Il fait valoir qu’au moment de son incarcération, il était directeur commercial au sein de la société [7] et percevait l’équivalent de 1.100 € /mois, qu’il n’a retrouvé un nouvel emploi qu’en février 2019.

Il produit un courrier électronique du 3 mars 2016 pour un poste de directeur commercial à compter du 21 mars 2016 et un certificat de travail de la société [7] du 1er avril au 15 septembre 2016.

A l’audience, il précise qu’en réalité il ne travaillait plus pour la société [7] au jour de son incarcération, mais avait changé d’emploi. Il produit une attestation de travail de la société ‘ [5] SARL’ selon laquelle il a fait partie du personnel du 16 septembre au 19 octobre 2016.

Bien que la procédure soit écrite et que les pièces produites et communiquées la veille de l’audience à l’agent judiciaire de l’Etat ne soient pas conformes aux conclusions écrites, il convient de retenir que la réalité d’un préjudice matériel constitué par la perte de son emploi consécutivement à la détention provisoire subie est justifiée et permet l’indemnisation du préjudice subi du fait de la privation d’une rémunération pendant la durée de la détention provisoire, soit pendant 7 mois et 28 jours.

Il fait valoir qu’il percevait l’équivalent de 1.100 € /mois. Une somme de 8.800 € lui sera allouée de ce chef.

Suite à son placement sous contrôle judiciaire, il a obtenu par ordonnance du 12 juillet 2017, l’autorisation de quitter la France pour retourner au Maroc, faisant état d’un poste de responsable commercial de l’entreprise marocaine [4] SARL selon contrat de travail en date du 30 juin 2017 et d’un hébergement au Maroc chez sa compagne Mme [L].

Il a exposé aux termes de sa requête avoir été au RSA de mai 2017 à février 2019

A l’audience, il a expliqué que craignant à chaque passage à la frontière marocaine, de ne pas pouvoir entrer sur le territoire marocain, il a finalement renoncé à ce poste, cette assertion n’étant confirmée par aucune pièce du dossier.

En l’état de ces éléments et de l’absence d’élément probant sur sa situation réelle à compter de l’ordonnance précitée du 12 juillet 2017, il ne peut être retenu l’existence d’une perte de chance d’exercer une activité professionnelle consécutive à la détention provisoire subie.

Le requérant fait par ailleurs état des frais engagés par son épouse pour tenter de visiter son mari et éduquer leurs enfants correctement et de ce qu’il n’a pu aider sa famille qui a été contrainte de déménager en France pour suivre son périple. Outre le fait que ce poste de préjudice ne concerne pas directement [Y] [M], il résulte des déclarations de ce dernier lors de l’audience qu’il était en réalité séparé de son épouse depuis 2015, celle ci ayant dès cette époque déménagé en France avec ses enfants. Il convient par ailleurs de relever que s’il expose dans sa requête qu’il a été condamné pour abandon de famille en raison de son absence du territoire français et de sa détention, il résulte en réalité de la condamnation figurant à son casier judiciaire de ce chef que la date des faits visés remonte à la période 2009-2014, soit bien antérieurement à la détention provisoire, que dès lors dès cette époque et alors qu’il occupait des fonctions rémunératrices, il ne pourvoyait pas à l’entretien de ses enfants.

Aucun de ces chefs de préjudice complémentaires ne saurait en conséquence donner lieu à indemnisation.

Préjudice moral

[Y] [M] fait état de facteurs aggravants résultant des conditions de détention, de la séparation de sa famille, de la dégradation de son état de santé.

Il est certain que l’incarcération dans une prison marocaine, sans avoir de soutien particulier des services consulaires, et sans pouvoir avoir de relation avec ses proches, a engendré un préjudice particulièrement important , lequel justifie au regard de la durée de la détention subie, l’allocation de la somme de 40.000 € .

Frais irrépétibles

Il est inéquitable de laisser à la charge de [Y] [M] le montant des frais irrépétibles qu’il a dû exposer dans la présente procédure et qui seront évalués à la somme de

2000 €

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort;

Déclare la requête en réparation du préjudice causé suite à la détention provisoire subie par [Y] [M], recevable.

Fixe à la somme de 40 000 € (quarante mille euros) le préjudice moral subi par [Y] [M]

Fixe à la somme de 8 800 € (huit mille huit cents euros) le préjudice matériel subi par [Y] [M]

Fixe à la somme de 2 000 € (deux mille euros) l’indemnité de procédure

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

Le greffier, La présidente,

 


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