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COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 12 JANVIER 2023
N° RG 22/00744 – N° Portalis DBVY-V-B7G-G7FK
[F] [Y]
C/ S.A.S. ALPES SECURITAS
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNECY en date du 07 Mai 2019, RG F18/00046
APPELANT :
Monsieur [F] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me François FAVRE de la SCP FAVRE-ESCOUBES, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
INTIMEE :
S.A.S. ALPES SECURITAS
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Valentin TREAL, avocat au barreau d’ANNECY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 06 Octobre 2022 devant Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller, chargé du rapport et Madame Isabelle CHUILON, Conseiller, avec l’assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier,
et lors du délibéré :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Copies délivrées le : ********
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS
M. [F] [Y] a été embauché le 17 février 2014 par la société Alpes Sécuritas sous contrat à durée indéterminée en qualité d’agent de sécurité polyvalent.
La convention collective applicable est celle des entreprises de prévention et de sécurité.
M. [Y] est affecté sur le site du Centre européen pour la recherche nucléaire ([Localité 5]).
La société Alpes Sécuritas a obtenu une partie du marché de gardiennage du [Localité 5] à compter du 1er juillet 2011.
Le site du [Localité 5] appelé le site du [Localité 9] est situé en partie sur le territoire suisse et en partie sur le territoire français, à quelques kilomètres de [Localité 8] sur la commune suisse du [Localité 9] et sur les communes françaises de [Localité 10] et [Localité 7].
Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié percevait un salaire mensuel brut de 2174,47 € correspondant au niveau III2 coefficient 140 de la convention collective de la prévention et de la sécurité.
M.[F] [Y] estimant que les salaires dus sont les salaires suisses déterminés par la convention collective de travail pour la branche des services de sécurité conclue entre l’association des entreprises suisses de service et sécurité et le syndicat UNIA, a saisi le 8 mars 2018 le conseil des prud’hommes d’Annecy afin notamment d’obtenir la condamnation de la société Alpes Sécuritas à lui payer un rappel de salaires, à titre subsidiaire une mesure d’instruction ayant pour objet de déterminer les périodes de travail exécutées en territoire suisse et celles exécutées sur le territoire français, et également la condamnation de la société Alpes Sécuritas à lui verser une indemnité en réparation du préjudice résultant du prêt de main d’oeuvre, la résiliation judiciaire de son contrat de travail à la date du 1er juillet 2018 aux torts de la société Alpes Sécuritas, et la condamnation de cette dernière à lui verser à ce titre diverses sommes.
M. [F] [Y] a pris acte de la rupture du contrat de travail par lettre du 28 juin 2018.
Le contrat de travail du salarié a été transféré à compter du 1er juillet 2018 à la société Goron de droit suisse, celle-ci reprenant le marché à compter du 1er juillet 2018.
En réponse à la lettre du 28 juin 2018, la société Alpes Sécuritas, par lettre du 3 juillet 2018, a informé le salarié qu’elle considérait sa prise d’acte comme une démission.
Par jugement du 7 mai 2019, le conseil de prud’hommes d’Annecy a débouté M. [F] [Y] de l’ensemble de ses demandes, a débouté la SAS Alpes Securitas de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [F] [Y] aux dépens.
M. [F] [Y] a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 11 juin 2019.
Par arrêt du 3 septembre 2020, la chambre sociale de la cour d’appel de Chambéry a :
– sursis à statuer sur l’ensemble des demandes jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par la cour de cassation dans les affaires opposant la société Alpes Sécuritas à d’autres salariés et ayant été l’objet d’arrêts rendus le 25 juin 2019 par la cour d’appel de Chambéry,
– ordonné la radiation du rôle de la cour de l’affaire enregistrée au répertoire général, l’affaire étant rétablie à l’issue du suris à statuer prononcé ci-dessus à la demande de la partie la plus diligente et sur production de la décision définitive,
– réservé les dépens.
Suite aux arrêts rendus par la cour de cassation le 16 mars 2022, M. [F] [Y] a sollicité la résinscription du dossier au rôle par courrier transmis par RPVA le 28 avril 2022.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 26 septembre 2022, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, M. [F] [Y] demande à la cour de :
– réformer le jugement du conseil de prud’hommes,
– dire que les salaires dus au salarié sont les salaires suisses déterminés par la convention collective de travail pour la branche des services de sécurité conclue entre l’association des entreprises suisses de service de sécurité et le syndicat UNIA ayant force exécutoire depuis le 1er mars 2004 après une ordonnance fédérale,
– condamner la société Alpes Sécuritas à lui payer la somme de 69271,56 € à titre de rappel de salaires, outre 6927,15 € à titre de congés payés afférents,
Subsidiairement :
– ordonner une mesure d’instruction ayant pour objet de déterminer les périodes de travail qu’il a exécutées en territoire suisse et celles exécutées sur le territoire français au sens de l’article 2 de la convention entre le conseil fédéral suisse et la France relative à l’extension du territoire français du domaine de l’organisation européenne pour la recherche nucléaire du 13 septembre 1965,
– condamner la société Alpes Sécuritas à lui payer la somme de 25000 € en réparation du préjudice résultant du prêt de main d’oeuvre,
– prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail à la date du 1er juillet 2018 aux torts de la société Alpes Sécuritas,
– condamner la société Alpes Sécuritas à lui payer :
* une indemnité compensatrice de préavis de 8761,08 €, outre 876,10 € à titre de congés payés afférents,
* 4599,76 € à titre d’indemnité de licenciement,
* 52566 € d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Alpes Sécuritas à lui verser 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Alpes Sécuritas aux dépens, y compris d’exécution.
Au soutien de ses demandes, il expose que les arrêts de la chambre sociale de la cour d’appel de Chambéry rendus le 25 juin 2019 n’ont pas autorité de la chose jugée relativement au présente litige, dans la mesure où les parties en cause et l’objet de leurs demandes sont différents.
Le droit français commande le respect des dispositions relatives au salaire du lieu d’exécution du travail. Alpes Sécuritas s’est engagé à garantir les respect des dispositions
en matière de travail, incluant celles des conventions collectives applicables sur le canton de [Localité 8].
La convention internationale du 13 septembre 1965 sur le [Localité 5] impose les salaires suisses au prorata du temps passé par les agents de sécurité sur la partie suisse du [Localité 5].
La convention internationale du 18 octobre 2010 et le message du 10 octobre 2012 l’interprétant imposent les salaires suisses en totalité pour les agents de sécurité dont la part de travail est prépondérante sur la partie suisse du [Localité 5].
Il démontre par les attestations qu’il produit, par l’attestation qui lui a été délivrée par les autorités suisses d’exercer une activité lucrative dans ce pays, par une lettre de l’inspectrice du travail enjoignant son employeur de payer le salaire suisse que son travail sur la partie suisse du [Localité 5] était significative.
L’employeur n’apporte quant à lui pas la preuve qu’il n’aurait exécuté l’intégralité de ses tâches de sécurité que sur la partie française du [Localité 5]. La charge de la preuve du lieu d’exécution du contrat de travail doit incomber à l’employeur, puisqu’il est le seul à détenir les informations précises sur celui-ci.
Si un doute subsistait sur ce point, une mesure d’instruction doit être ordonnée afin de déterminer ses périodes de travail au sein du [Localité 5] sur le territoire suisse et le territoire français.
Tant les textes légaux français que les textes légaux suisses édictent la règle de l’égalité de traitement entre les salariés de la même entreprise exerçant le même travail. En l’espèce, les société Sécuritas et Alpes Sécuritas forment une seule entreprise. Les agents de sécurité des deux entités effectuent le même travail. Alpes Sécuritas ne produit aucune justification à cette inégalité de traitement.
Sécuritas a imposé à Alpes Sécuritas, qui les a acceptées, sa direction et sa discipline du personnel, l’organisation du temps de travail, du repos et des congés du personnel.
La mise à disposition du personnel s’est faite sans valeur ajoutée, sans convention de mise à disposition, sans avenant au contrat de travail des salariés concernés.
Sécuritas et Alpes Sécuritas ont ainsi organisé une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre illicite de la seconde à la première.
Ce prêt de main d’oeuvre lui a causé un préjudice en éludant frauduleusement la loi suisse.
Le défaut du paiement des salaires suisses et le prêt illicite de main d’oeuvre constituent des fautes suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur à la date du 1er juillet 2018. La reprise de son contrat de travail par la société de droit suisse ne saurait exonérer Alpes Sécuritas de ses fautes.
La cour n’a pas à examiner les questions relatives à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail et à ses conséquences dans la mesure où la demande de résiliation judiciaire du 8 mars 2018 était antérieure.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 20 septembre 2022, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la SAS Alpes Sécuritas demande à la cour de :
– juger irrecevable l’appel de M. [F] [Y],
A défaut, à titre principal :
– juger que la prise d’acte de M. [F] [Y] doit produire les effets d’une démission,
– débouter M. [F] [Y] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner M. [F] [Y] à lui verser la somme de 3328,28 euros à titre d’indemnité de préavis,
A titre subsidiaire, s’il était jugé que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse:
– débouter M. [F] [Y] de sa demande de rappel de salaire suisse,
– limiter les condamnations aux sommes suivantes:
* 3328,28 euros d’indemnité de préavis, outre 332,83 euros de congés payés afférents,
* 2307,22 euros d’indemnité légale de licenciement,
* 6389 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réeelle et sérieuse,
– débouter M. [F] [Y] du surplus de ses demandes,
– condamner M. [F] [Y] à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, elle expose qu’il résulte d’une jurisprudence constante que lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire devient sans objet; que, malgré sa prise d’acte, M. [F] [Y] a maintenu devant le conseil de prud’hommes sa demande de résiliation judiciaire; qu’il en a été débouté, qu’il maintient cette demande en cause d’appel; que son appel doit donc être déclaré irrecevable faute d’intérêt à agir.
Sur le fond, la cour d’appel de Chambéry a débouté, dans des arrêts du 25 juin 2019, d’anciens salariés d’Alpes Sécuritas de leurs demandes de rappels de salaires basés sur l’application de la loi suisse, d’indemnisation au titre du prêt de main d’oeuvre, et a rejeté leur argumentation relative au co-emploi. Leurs pourvois ont tous été rejetés par arrêts de la cour de cassation du 16 mars 2022. Les moyens soulevés par ces salariés sont les mêmes que ceux retenus par M. [F] [Y] pour fonder ses demandes dans le cadre de la présente instance.
L’accord du 18 octobre 2010 n’est entré en application que le 18 janvier 2014, il ne peut donc être invoqué en l’espèce, puisque l’article 7 de cet accord précise qu’il n’est applicable que pour les appels d’offres postérieurs à son entrée en vigueur. A la date d’attribution du marché du [Localité 5] en 2011, seule la convention du 13 septembre 1965 était applicable.
La société Alpes Sécuritas n’exerçait son activité que sur la partie française du [Localité 5], et c’était également le cas du salarié.
L’engagement contratcuel d’appliquer les conventions collectives applicables sur le canton de [Localité 8] ne concerne que les sociétés travaillant sur le secteur suisse du [Localité 5].
En tout état de cause, le salarié n’apporte pas la preuve qui lui incombe qu’il effectuait son travail en Suisse. L’attestation l’autorisant à exercer une activité en Suisse démontre juste qu’il avait la possibilité d’intervenir dans ce pays s’il devait le faire. Les attestations produites aux débats ne sont pas probantes en ce qu’elles évoquent les situations d’autres salariés que M. [F] [Y] et/ou émanent de salariés ayant également élevé un contentieux devant els prud’hommes pour les mêmes raisons que ce dernier. Dans son courrier, l’inspection du travail ne fait que reprendre les arguments du salarié, sans prendre position sur leur bien-fondé.
Il ne saurait être palié par une mesure d’instruction à la carence du salarié dans l’administration de la preuve qui lui incombe.
M. [F] [Y] fait une application distributive de la loi française et de la loi suisse en fonction de ce qui sert ses intérêts.
Aucune situation de co-emploi ne saurait être reconnue entre la SA Sécuritas et Alpes Sécuritas car aucun des critères exigés n’est rempli. Sécuritas SA et Alpes Sécuritas sont respectivements les filiales suisse et française de la société mère Sécuritas AG, qui exerçent la même activité, mais l’une sur le territoire suisse et l’autre sur le territoire français. Leur colllaboration nécessaire dans le cadre de leur activité commune sur le site du [Localité 5] n’impliquait pas un lien de subordination de l’une sur l’autre.
Aucun des critères du prêt de main d’oeuvre illicite n’est établi, puisque les contrats passés avec le [Localité 5] distinguent bien les missions de chaque entreprise, qu’à aucun moment la société Alpes Sécuritas n’a facturé de prêt de personnel à la société SA Sécuritas, que chaque société planifiait ses salariés et assumait la responsabilité de l’accomplissement des tâches qui leur étaient dévolues, que ce sont des cadres d’Alpes Sécuritas qui encadraient ses salariés et avaient sur eux un pouvoir hiérarchique et disciplinaire. Subsidiairement, le salarié ne produit aucun justificatif au soutien de sa demande au titre du préjudice qu’il aurait subi de ce fait.
Les développements ci-dessus conduisent à débouter le salarié de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
Selon la jurisprudence, lorsque le salarié est débouté de sa demande de prise d’acte, l’employeur peut demander sa condamnation à lui régler l’indemnité de préavis qu’il n’a pas effectué.
L’instruction de l’affaire a été clôturée le 06 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le [Localité 5] qui a son siège en Suisse, est une organisation internationale et intergouvernementale dont le domaine s’étend à la fois sur les territoires suisses et français.
La Suisse et la France ont conclu le 13 septembre 1965 avec le [Localité 5] une convention entrée en vigueur le 5 mars 1968, relative à l’extension en territoire français du domaine de ce dernier, réglant notamment les questions de droit applicable, de compétence des autorités françaises et suisses au regard de la partie du domaine de l’Organisation située sur le territoire français et d’autre part sur le territoire suisse.
Le [Localité 5] a conclu de nombreux contrats de prestations de services avec des entreprises pour des activités telles que le gardiennage, la sécurité, l’entretien d’installations techniques, le nettoyage et le transport.
Sur la demande de rappel de salaire
M. [F] [Y] a été embauché dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter du 17 février 2014 par la société Alpes Securitas ayant son siège social à [Localité 6]. Cette société, immatriculée au greffe du tribunal de commerce d’Annecy-74 fait référence à la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité. Ce contrat précise que le salarié exercera les fonctions d’agent de sécurité qualifié.
Le contrat comporte en annexe le descriptif de son poste indiquant notamment sa classification, coefficient 140- niveau 3- échelon 2, ainsi que le montant de sa rémunération en euros.
Les parties ont ainsi soumis leur contrat à une disposition impérative de la loi française faisant obligation d’application d’une convention collective à une entreprise comprise dans les champs géographique et professionnel d’une convention.
Dès lors que le contrat de travail a été conclu en France entre une société française et un salarié français pour son exercice sur le sol français, qu’il prévoit une rémunération stipulée en euros ainsi que l’application de la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité, il en résulte que les parties ont entendu appliquer la loi française à leurs relations contractuelles.
Par ailleurs, afin de revendiquer l’application du salaire minimum suisse, le salarié met en exergue l’exécution significative de son contrat de travail sur la partie suisse du [Localité 5], une situation de co-emploi, une discrimination fondée sur la nationalité et une différence de traitement.
* sur le lieu d’exécution du travail :
Sur la base de la convention du 13 septembre 1965 entre le Conseil fédéral de la confédération Suisse et le Gouvernement de la République française relative à l’extension en territoire français du domaine de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire et de l’accord conclu le 18 octobre 2010 entre le Conseil fédéral de la confédération Suisse, le Gouvernement de la République française et l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire sur le droit applicable aux entreprises intervenant sur le domaine de l’organisation afin d’y réaliser des prestations de services revêtant un caractère transnational, le salarié soutient que son contrat de travail s’exécutait pour une part prépondérante sur le territoire suisse, au regard des installations situées de part et d’autre de la frontière.
Le décret du 17 février 2014 portant publication de l’accord conclu le 18 octobre 2010 mentionne en son article 7 que ‘le présent accord est applicable aux contrats de prestations de services revêtant un caractère transantional conclus par l’Organisation, dont l’appel d’ofrfres est postérieur à l’entrée en vigueur de celui-ci’. Ce décret mentionne également que l’accord est entré en vigueur le 18 janvier 2014.
Ainsi cet accord n’est pas applicable en l’espèce dans la mesure où la société Alpes Securitas n’est bénéficiaire du contrat de prestations de services avec le [Localité 5] que suite à un appel d’offre réalisé en 2011.
S’agissant de la convention du 13 septembre 1965 relative à l’extension en territoire français du domaine du [Localité 5], seule applicable en l’espèce, elle ne définit pas – contrairement à l’accord conclu le 18 octobre 2010 – le sort des contrats de prestations de services revêtant un caractère transnational sur le domaine du [Localité 5] et des contrats de travail afférents à ces prestations, précisant uniquement en son article II que ‘les lois et règlements de la Confédération suisse et ceux de la République française sont applicables, les premiers à la partie du domaine de l’Organisation qui est située en territoire suisse et les seconds à la partie du domaine de l’Organisation qui est située en territoire français’.
Il ne résulte donc pas de cette convention, conrtairement à ce que soutient le salarié, que celle-ci imposerait les salaires suisses au prorata du temps passé par les agents de sécurité sur la partie suisse du [Localité 5].
Sans se prévaloir du statut de travailleur détaché en territoire suisse de manière permanente dans le cadre de l’exécution du contrat de travail sur l’emprise du [Localité 5], le salarié affirme que son activité professionnelle s’effectue de manière significative sur le sol suisse.
Cependant, il résulte :
– du formulaire de sécurité ‘Plan de prévention’ ayant valeur contractuelle et conclu entre le [Localité 5] et les entreprises Alpes Sécuritas et SA Sécuritas que les besoins en agents de sécurité étaient de 852 heures par semaine sur la partie française ou s’agissant des agents français, y compris les patrouilleurs mobiles au sujet desquels il est mentionné que les français sont ‘en charge des rondes de surveillance principalement sur la partie française des sites du [Localité 5]’, et de 689 heures par semaine sur la partie suisse ou s’agissant des agents suisses (pages 8 et 9) ;
– des plans produits que la partie française occupe plus de 80 % du territoire du [Localité 5].
M. [F] [Y] ne produit par ailleurs aucun élément de nature à démontrer que son temps de travail était prépondérant sur le territoire suisse.
Ainsi le courrier de l’inspection du travail adressé à la société Alpes Sécuritas le 20 février 2018 ne mentionne pas la situation de M. [F] [Y] mais celle de M. [P] [B], et ne fait manifestement que reprendre les seules allégations de ce dernier quant à son droit à bénéficier d’un salaire suisse en indiquant ‘il semblerait également qu’il puisse bénéficier d’une rémunération suisse déterminée par l’UNIA’, et en sollicitant, en l’absence de régularisation en ce sens, des précisions complémentaires.
L’attestation délivrée par les autorités de la Confédération suisse se contente de constater que le salarié engagé par une entreprise liée par un marché au [Localité 5] exerce une activité lucrative en Suisse.
Parmi les attestations produites par M. [F] [Y], seule celle de M. [X] évoque sa situation: ce dernier soutient que M. [F] [Y] ‘passait sa ronde la plupart du temps côté suisse du [Localité 5]’. Aucune des autres attestations ne vient soutenir que le temps de travail des salariés d’Alpes Sécuritas était majoritairement situé sur le territoire suisse.
La seule attestation de M. [X] ne saurait démontrer, compte-tenu des éléments rappelés ci-dessus, que le temps de travail de M. [F] [Y] s’effectuait majoritairement ou même significativement sur le territoire Suisse.
S’agissant de la mesure d’instruction sollicitée subsidiairement, il résulte de l’article 146 du code de procédure civile qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve.
En l’espèce, au regard des éléments rappelés ci-dessus, il doit être constaté la carence de M. [F] [Y] dans l’administration de la preuve qui lui incombe. Il n’y a pas lieu à ordonner de mesure d’instruction.
* sur le co-emploi :
Il résulte des articles L. 1221-1 et suivants du même code que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.
En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve.
M. [F] [Y] soutient que la société Sécuritas SA, société de droit suisse, constitue avec son employeur une unique entreprise, ce qui le placerait dans le cadre d’une situation de co-emploi ou d’emploi conjoint.
Il lui incombe de le prouver.
Il résulte d’une jurisprudence constante de la cour de cassation qu’en application de l’article L. 1221-1 du code du travail, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière (Cass soc 24/05/18 n°17-15.630; Cass soc 25/11/20 n°18-13.769).
Même si à l’appel d’offres, la société Alpes Sécuritas apparaît en tant que ‘membre de l’ensemble’ au côté de la société Sécuritas SA, de droit suisse, toutes deux exerçant dans le même domaine d’activité et soumises aux mêmes obligations du marché de sécurité du [Localité 5], cet élément ne caractérise pas à lui seul une confusion d’intérêts, d’activités et de direction. En outre, l’exécution d’une même activité, par deux filiales d’un même groupe intervenant sur des zones géographiques différentes ne peut non plus caractériser une quelconque immixtion.
D’autre part la reconnaissance d’employeurs conjoints supposant en tout état de cause un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination des deux sociétés moyennant rémunération , en l’absence d’apparence de contrat, M. [F] [Y]
n’établit pas les éléments caractérisant le contrat de travail, soit le paiement d’une rémunération, la fourniture d’un travail, et l’existence d’un lien de subordination juridique.
En l’espèce M. [F] [Y] ne démontre ni l’existence d’un contrat de travail à l’égard de la société Sécuritas SA ni la situation de co-emploi ou d’emploi conjoint à l’égard de celle-ci et de la société Alpes Sécuritas.
* sur la discrimination :
Lorsque le salarié n’invoque aucune caractéristique personnelle qui aurait déterminé l’employeur à le traiter différemment de ses collègues, mais revendique le même traitement que d’autres travailleurs, dont il soutient qu’ils sont dans une situation comparable à la sienne, sa demande est fondée, non sur la discrimination, mais sur l’inégalité de traitement.
Il résulte du principe “à travail égal, salaire égal”, dont s’inspirent les articles L.l242-14, L.1242-15, L.2261-22.9 , L.2271-1.8° et L.3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.
En application de l’article 1353 du code civil, s’il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe “à travail égal, salaire égal” de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération ou de traitement, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.
En l’espèce, pour caractériser une situation d’inégalité de traitement au regard des autres travailleurs embauchés par la société Sécuritas SA , le salarié invoque l’ordonnance fédérale suisse du 6 octobre 1986 et la loi fédérale du 8 octobre 1999.
Les dispositions de l’ordonnance fédérale, qui conféraient priorité aux indigènes, n’ont pas pour objet d’imposer à l’employeur le respect des rémunérations en usage dans la localité et la profession mais seulement de subordonner la délivrance des autorisations administratives à l’obtention par l’étranger d’un contrat de travail répondant à ces exigences.
Suite à l’accord sur la libre circulation des personnes entre l’Union Européenne et la Suisse, le contrôle de priorité des travailleurs indigènes ainsi que des conditions de rémunérations a été supprimé.
La loi du 8 octobre 1999 règle les conditions minimales de travail et de salaire applicables aux travailleurs détachés pendant une période limitée en Suisse, situation dont ne relève pas le salarié travaillant en France.
Ainsi, le salarié ne peut prétendre sur ces fondements aux mêmes salaires minima suisses – tels que déterminés par la convention collective de travail pour la branche des services de sécurité conclue entre l’association des entreprises suisses de service de sécurité et le syndicat UNIA – que ceux versés par la société Sécuritas SA à ses salariés travaillant sur la partie suisse du site du [Localité 5].
Compte-tenu de l’ensemble de ces développements, la décision du conseil de prud’hommes sera confirmée en ce qu’elle a débouté le salarié de sa demande au titre du rappel de salaire.
Sur le prêt illicite de main d’oeuvre
Le salarié soutient que la société Alpes Sécuritas , qui aurait mise à disposition à titre onéreux sa main d’oeuvre à la société Sécuritas SA et cette dernière, qui aurait été la seule à exécuter le marché de sécurité du [Localité 5] sur la partie française et sur la partie suisse, ont organisé une opération à but lucratif ayant pour objet le prêt de main d’oeuvre.
Si la convention conclue le 1er avril 2014 entre les deux sociétés mentionne que ‘l’officier et le chef de terrain’ sous subordination directe de la société Sécuritas SA et au bénéfice d’un contrat de travail avec cette dernière encadrent sur le plan organisationnel le personnel de la société Alpes Sécuritas, aucune pièce ne révèle que le lien de subordination sur les salariés de la société Alpes Sécuritas a été transféré à celle-ci moyennant obligation de paiement par son intermédiaire du salaire et des accessoires tout en prélevant un bénéfice pour elle-même.
Par ailleurs, dans la ‘Note interne contrôles qualitatifs et protocole disciplinaire’ du 10 mai 2016, Alpes Securitas rappelle que si l’encadrement suisse de Securitas a autorité pour effectuer des contrôles inopinés sur l’ensemble des effectifs d’Alpes Securitas sur le territoire français, l’encadrement de cette dernière ‘reste seul décisionnaire en termes de poursuites disciplinaires’.
M. [F] [Y] ne produit aucun élément de nature à démontrer l’existence d’un transfert du lien de subordination entre Alpes Securitas et ses salariés vers Securitas SA, transfert qui aurait été de nature à caractériser un prêt de main d’oeuvre illicite;
La décision du conseil de prud’hommes sera donc confirmée en ce qu’elle a débouté le salarié de sa demande à ce titre.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et la prise d’acte
Il résulte d’une jurisprudence constante que lorsque la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié intervient postérieurement à l’introduction d’une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, cette dernière devient sans objet, et que s’il appartient alors au juge de se prononcer sur la seule prise d’acte, il doit fonder sa décision sur les manquements de l’employeur invoqués par le salarié tant à l’appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu’à l’appui de la prise d’acte (Cass. soc., 31 oct. 2006, arrêts n°04-46.280, n° 05-42.158, n° 04-48.234)
Tel est le cas en l’espèce.
M. [F] [Y] n’avait pas fait état des griefs invoqués à l’encontre de son employeur dans son courrier reçu par l’employeur le 28 juin 2018 et par lequel il notifiait sa prise d’acte. Il ne produit aucun élément s’agissant des griefs qu’il reprochait à son employeur dans le cadre de cette prise d’acte.
Les demandes de M. [F] [Y] au soutien de sa demande de résiliation judiciaire au titre du rappel de salaire et du prêt illicite de main d’oeuvre sont par ailleurs rejetées, les griefs allégués n’étant pas établis.
Compte-tenu de ces éléments, il sera constaté que la demande de résiliation judiciaire est sans objet et que M. [F] [Y] doit être débouté de sa demande de prise d’acte aux torts de l’employeur et de ses demandes subséquentes.
Le salarié n’établissant pas l’existence de manquements de la part de l’employeur, sa prise d’acte produit les effets d’une démission. M. [F] [Y] est donc redevable à Alpes Securitas d’une indemnité correspondant au préavis de deux mois non exécuté, soit 3328,28 euros.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte-tenu de l’équité, il n’y a pas lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [F] [Y] sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
DÉCLARE recevable l’appel de M. [F] [Y],
CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes d’Annecy du 7 mai 2019 en ce qu’il a débouté M. [F] [Y] de ses demandes au titre :
– du rappel de salaire selon salaires suisses,
– de la mesure d’instruction,
– du prêt de main d’oeuvre,
– de l’indemnité de préavis et des congés payés afférents,
– de l’indemnité légale de licenciement,
– de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
INFIRME pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
DIT que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est sans objet,
Y ajoutant,
DÉBOUTE M. [F] [Y] de sa demande au titre de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail,
DIT que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par M. [F] [Y] s’analyse en une démission,
CONDAMNE M. [F] [Y] à verser à Alpes Securitas la somme de 3328,28 euros net à titre d’indemnité au titre du préavis non effectué,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [F] [Y] aux dépens.
Ainsi prononcé publiquement le 12 Janvier 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président