Prêt illicite de main d’oeuvre : 8 février 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/06720

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Prêt illicite de main d’oeuvre : 8 février 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/06720
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AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/06720 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MTTM

[I]

C/

Société IKOS RA

SNCF VOYAGEURS

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 05 Septembre 2019

RG : F 17/03589

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 08 FEVRIER 2023

APPELANT :

[D] [I]

né le 1er août 1978 à [Localité 8]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Mélanie TASTEVIN de la SELARL DELGADO & MEYER, avocat au barreau de LYON

INTIMÉES :

Société IKOS RA

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Lucie ANCELET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Séverine MARTEL du PARTNERSHIPS REED SMITH LLP, avocat au barreau de PARIS substituée par Me FANNY MOLLA, avocat au barreau de PARIS

Société SNCF VOYAGEURS venant aux droits de la société SNCF MOBILITES

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par Me Romain MIFSUD de la SARL OCTOJURIS – MIFSUD – PESSON – AVOCATS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Anne FERREIRA, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Décembre 2022

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Joëlle DOAT, présidente

– Nathalie ROCCI, conseiller

– Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 08 Février 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société Ikos-RA appartient au groupe Ikos créé en 2005, qui exerce une activité de conseil en technologies auprès des principaux acteurs du marché ferroviaire et de l’énergie.

Depuis sa création en 2007, la société Ikos-RA a développé un savoir-faire dans l’assistance à la réalisation et à la conduite de projets à forte valeur ajoutée technique dans le secteur du ferroviaire.

M. [I] a été engagé, à compter du 14 mars 2011, par la Société Ikos-RA dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée du 8 février 2011 pour exercer les fonctions d’Ingénieur d’Etudes, statut Cadre, Position 2.1, Coefficient115, moyennant une rémunération mensuelle brute de 3 000 euros.

Avant cette date, M. [I] avait été employé par la société Manpower suivant contrats de travail à durée déterminée, du 27 juillet 2009 au 27 janvier 2010, pour effectuer des missions temporaires au sein du pôle ingénierie du Technicentre industriel d'[Localité 7] de la SNCF.

Courant 2011 et 2016, à la suite d’appels d’offres émis par la société SNCF Mobilités, la société Ikos-RA a été retenue pour réaliser un certain nombre d’études mécaniques liées aux projets de modifications de locomotives pour l’ingénierie du Technicentre Industriel d'[Localité 7] de la SNCF.

Tout au long de la relation contractuelle, la société Ikos-RA a confié à M. [I] des missions relatives à des études mécaniques au sein de la société SNCF Mobilités.

A compter du 14 mars 2016, M. [I] a été promu au poste d’Ingénieur Consultant.

Son contrat de travail était régi par les dispositions de la convention collective nationale des

Bureaux d’Etudes Techniques, Cabinets d’Ingénieurs-Conseils et Sociétés de Conseils (ci-

après dénommée la « CCN Syntec »).

En dernier lieu, il percevait une rémunération brute mensuelle de 3 340,89 euros.

A l’issue de sa mission au sein de SNCF Mobilités, M.[I] a été placé en situation d’interprojet à compter du 1er janvier 2016.

Après consultation du CE d’Ikos-RA le 25 novembre 2016 sur un projet de rupture conventionnelle, les parties ont régularisé le formulaire Cerfa de rupture conventionnelle le 28 novembre 2016 prévoyant comme date de rupture du contrat de travail le 13 janvier 2017.

La rupture conventionnelle du contrat de M.[I] a été autorisée par l’Inspection du Travail le 10 janvier 2017.

M. [I] a rejoint ensuite la société JTEKT en qualité d’Ingénieur d’Etudes puis s’est inscrit, le 10 février 2018, comme demandeur d’emploi auprès de Pôle Emploi.

Le 11 octobre 2017, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes afin de voir juger d’une part, que la relation de travail entre lui et la SNCF devait être qualifiée de contrat de travail et voir la SNCF condamner à lui verser des dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre des indemnités de rupture et une indemnité pour travail dissimulé; d’autre part, voir constater qu’il a été victime de la part des sociétés Ikos-RA et SNCF, de marchandage et prêt illicite de main d’oeuvre et voir les sociétés Ikos-RA et SNCF condamnées solidairement à lui verser l’équivalent de neuf mois de salaires à titre de dommages-intérêts, outre une indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 5 septembre 2019, le Conseil de Prud’hommes de Lyon a débouté M. [I] de ses demandes, l’a condamné au versement d’une amende civile de 500 euros en raison de la procédure abusive initiée à l’encontre d’Ikos-RA ainsi qu’aux dépens.

La cour est saisie de l’appel interjeté le 2 octobre 2019 par M. [I].

Par conclusions notifiées le 26 juillet 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, M. [I] demande à la cour de :

– Infirmer le jugement prud’homal sur les chefs de jugements critiqués en ce qu’il a jugé qu’il ne démontrait pas avoir été victime de la part de la SAS Ikos-RA et de la SNCF Mobilités des délits de marchandage et de prêt illicite de main d”uvre, que la relation de travail entre SNCF Mobilités et lui ne peut être qualifiée de contrat de travail, que la procédure qu’il a engagée à l’encontre de la SAS Ikos-RA est abusive, en ce qu’il l’a condamné aux entiers dépens de l’instance, à verser à la SAS Ikos-RA la somme de 500 euros au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile et débouté de l’intégralité de ses demandes;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

– Juger qu’il a été victime, de la part de la société Ikos-RA et de la SNCF Mobilités, de marchandage et de prêt illicite de main d”uvre, opérations prohibées par les articles L.8231-1 et L.8241-1 du code du travail ;

– Condamner solidairement la société Ikos-RA et la SNCF Voyageurs venant aux droits de la SNCF Mobilités à lui verser la somme de 32 085 euros ;

– Juger que la relation de travail entre lui et la SNCF Mobilités doit être requalifiée en un contrat de travail ;

– Juger que la rupture de la relation de travail doit s’analyser en un licenciement sans cause

réelle et sérieuse ;

En conséquence,

– Condamner la SNCF Voyageurs venant aux droits de la SNCF Mobilités à lui verser les sommes suivantes :

* 3 707,60 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

* 10 695 euros à titre d’indemnité de préavis, outre 1 069,50 euros à titre de congés payés

afférents ;

* 35 650 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 21 390 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé.

En tout état de cause,

– Débouter la SNCF Voyageurs venant aux droits de la SNCF Mobilités et la SAS Ikos-RA de toutes leurs demandes, fins et prétentions contraires ;

– Fixer son salaire de référence à la somme de 3 565 euros ;

– Condamner solidairement la société Ikos-RA et la SNCF Voyageurs venant aux droits de la SNCF à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société Ikos-RA et la SNCF Voyageurs venant aux droits de la SNCF Mobilités aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 18 mars 2020, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, la société IKOS-RA demande à la cour de :

– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon du 5 septembre 2019 en ce qu’il a dit et jugé que les délits de prêt illicite de main d”uvre et de marchandage ne sont pas constitués ;

– Débouter M.[I] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– Condamner M.[I] à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

– Condamner M.[I] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre d’amende civile en application des dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile ;

– Condamner M.[I] à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

– Le condamner aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 17 mars 2020, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, l’EPIC SNCF MOBILITES demande à la cour de :

– Confirmer l’intégralité du jugement rendu

Ce faisant,

– Constater l’absence de contrat de travail entre M. [I] et la SNCF

– Dire et juger que les délits de prêt illicite de main d”uvre et de marchandage ne sont pas constitués.

En conséquence,

– Débouter M. [I] de l’intégralité de ses prétentions injustifiées tant dans leur principe que dans leur quantum

Y ajoutant,

– Condamner M. [I] à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner M. [I] aux entiers dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 octobre 2022.

MOTIFS

– Sur le prêt illicite de main d’oeuvre et le marchandage :

M. [I] expose que :

– il a été salarié intérimaire des entreprises de travail temporaire Expectra et Manpower et mis à disposition de la société SNCF Mobilités de juillet 2009 à janvier 2011, soit pendant 18 mois, en qualité d’ingénieur d’études ;

– la SNCF Mobilités ayant toujours besoin de ses services malgré l’atteinte de la durée maximale d’emploi d’un salarié intérimaire, il a finalement été engagé par la société Ikos-RA par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 14 mars 2011 pour répondre à un

appel d’offres de la SNCF parfaitement adapté à son profil ;

– par la suite, tous les appels d’offres de la SNCF ont été rédigés de façon à pouvoir correspondre à son profil ;

– il a perçu une prime « d’apporteur d’affaires » d’un montant de 800 euros conformément à l’article 3 du contrat de travail, de sorte qu’il est établi que c’est lui qui a apporté le client

« SNCF Mobilités» à la société Ikos-RA, et non cette dernière qui a été choisie pour son expertise dans le cadre d’un appel d’offres ;

– il a donc été affecté par la société Ikos-RA, sur des missions au sein de la SNCF au Technicentre d'[Localité 7] jusqu’au 15 juin 2016.

M. [I] soutient qu’il a finalement accumulé des missions au sein de la SNCF, presque sans interruption, pendant 5 ans et demi au sein du groupe Conception Mécanique, qu’il y a donc poursuite et continuité de l’activité, qu’il a fait l’objet d’un prêt via la société Ikos-RA dans le seul but de contourner l’interdiction d’emploi d’un salarié intérimaire plus de 18 mois et que la chronologie démontre que son engagement au sein de la société Ikos-RA était parfaitement orchestré avec la société SNCF Mobilités afin qu’il soit opérationnel pour la première mission qui devait débuter le 14 mars 2011.

En ce qui concerne la relation entre la société Ikos-RA et la société SNCF Mobilités,

M.[I] fait valoir :

– l’absence de savoir-faire ou de technicité spécifique dont serait dépourvue l’entreprise utilisatrice ;

– un processus de sélection désignant la société Ikos-RA sur le seul critère du travail déjà réalisé par M. [I] au Technicentre d'[Localité 7] ;

– que la comparaison entre les cahiers des charges produits par la SNCF Mobilités et le travail finalement exécuté par M. [I] tendent à démontrer que le prêt de main d”uvre

ne visait pas l’exécution d’une tâche précise,

– que la facturation se faisait au temps passé en jours de travail, et non en fonction de l’état

d’avancement du livrable,

– l’immixtion de la société SNCF dans l’organisation de son travail,

– son intégration au sein de la société SNCF,

– qu’il recevait les instructions pratiques de la SNCF, y compris en dehors du cahier des charges et travaillait sous la responsabilité d’un chef de groupe.

M. [I] ajoute qu’il a été privé des avantages accordés aux salariés de la SNCF tels que :

– 13 ème mois (prime de fin d’année)

– 18 jours de RTT pour les cadres (il en avait en moyenne 7 chez Ikos-RA)

– la retraite à 57 ans, avec 75% du salaire des 6 derniers mois

– la quasi gratuité des billets de train

– les soins médicaux gratuits (consultations généralistes et spécialistes)

– les abondements au plan d’épargne entreprise

– la garantie de l’emploi à vie.

La société Ikos-RA réfute tout prêt illicite de main d’oeuvre ou marchandage et fait valoir que :

– M. [I] a été mis à la disposition de SNCF Mobilités dans le cadre d’un contrat de prestations de service,

– la prestation de services effectuée par Ikos-RA au profit de SNCF Mobilités est pleinement caractérisée ;

– pour chaque projet, SNCF Mobilités a organisé un appel d’offres émettant un cahier des charges auquel a répondu Ikos-RA ;

– Ikos-RA et SNCF Mobilités ont, à plusieurs reprises échangé sur le suivi de la mission de M. [I] ;

– Ikos-RA a conservé tout au long de l’exécution du contrat de prestation de services la qualité d’employeur de M. [I] caractérisée par :

* le maintien du lien de subordination juridique entre elle et M. [I],

* la validation par Ikos-RA de ses jours de congés et de RTT,

* le traitement par Ikos-RA des demandes de remboursement des frais professionnels et des demandes d’augmentation ainsi que des arrêts maladie

* l’organisation par Ikos-RA des entretiens annuels d’évaluation ;

– les relations d’affaires entre elle et la société SNCF préexistaient à l’embauche de M.[I] et se sont poursuivies après son départ,

– elle a mis en place plusieurs outils permettant le suivi de l’exécution de la mission du salarié au sein du technicentre d'[Localité 7],

– dans le cadre des appels d’offre émis par IKOS RA, il est précisé que le prix de la prestation est forfaitaire et associé à chaque livrable, et M. [I] qui soutient que la facturation du contrat de prestation de services se faisait au ‘temps passé’ en jours de travail ne fait pas la démonstration de ce qu’il avance ;

La société SNCF Mobilités conclut dans le même sens.

****

L’article L. 8231-1 du code du travail prohibe le marchandage, défini comme :

« toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail ».

L’article L. 8241-1, alinéa 1, du même code prohibe, quant à lui, sauf dans les cas limitativement prévus par ce texte, le prêt illicite de main d’oeuvre, défini comme :

« Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre ».

Le prêt illicite de main-d’oeuvre est constitué de deux critères cumulatifs : le caractère lucratif du but poursuivi et celui de l’exclusivité de l’objet. Ainsi, le prêt de main-d’oeuvre à but lucratif n’est pas interdit lorsqu’il s’inscrit dans une prestation plus vaste : contrat d’entreprise ou sous-traitance notamment.

Il appartient aux juges du fond d’établir le but lucratif de l’opération, cet élément constitutif étant commun aux délits de marchandage et de prêt illicite de main d’oeuvre.

Enfin, pour être caractérisé, le délit de marchandage nécessite que soit établi, soit qu’un préjudice a été causé au salarié concerné, soit qu’une règle légale ou conventionnelle a été éludée. Le délit est ainsi constitué lorsque les salariés mis à la disposition de l’entreprise utilisatrice n’ont pas bénéficié des mêmes avantages que ses salariés permanents.

En l’espèce, il résulte des éléments du débat que la société Ikos-RA a répondu à plusieurs appels d’offres de la société SNCF Mobilités portant sur des études mécaniques et électriques sur locomotives et qu’un premier ordre de mission daté du 8 février 2011 a affecté M. [I] au projet intitulé ‘Etudes Réduction de masse locomotive’.

M. [I] conteste avoir disposé d’une compétence particulière pour travailler sur les évolutions techniques des locomotives électriques au sein du pôle ingénierie du Technicentre SNCF d'[Localité 7]. Il s’appuie sur l’attestation de M. [N], agent SNCF qui déclare que M. [I] et lui -même ont travaillé dans le même service et effectué les mêmes tâches que les autres techniciens de bureau d’études, mais cette affirmation au demeurant totalement imprécise sur la nature des activités évoquées, n’est pas de nature à remettre en cause le fait que M. [I] a exercé au sein de la société SNCF Mobilités une activité spécifique distincte de celle de l’entreprise bénéficiaire de son travail et qu’il lui a apporté un savoir-faire particulier.

Le fait que M. [O] [R], spécialiste technique mécanique du technicentre industriel d'[Localité 7] de la SNCF ait indiqué, le 23 octobre 2014 dans le cadre d’une mise à jour du cahier des charges que le projet du cahier des charges initial serait poursuivi par [Z] [S], nouvellement embauché par la société SNCF, ne signifie pas davantage que la SNCF disposait des compétentes pour lesquelles elle a fait appel à la société Ikos-RA.

M. [I] évoque en outre la demande de concertation immédiate déposée le 9 octobre 2015 par l’organisation syndicale CGT au sujet notamment de la présence de prestataires et d’intérimaires au sein de l’ingénierie, depuis 2009 en dehors des pics de charges ou des absences de salariés cheminots. Faute de plus amples précisions, il ne résulte pas de cette revendication qu’elle s’applique aux ingénieurs d’études.

Et il résulte des rapports de fin de projet adressés par M. [I] à [J] [P], Business Manager d’Ikos-RA, qu’il a bien travaillé sur des missions nécessitant une technicité particulière sans rapport avec les missions habituelles d’un technicien ou d’un cheminot de la SNCF dés lors que M. [I] a été chargé d’études destinées à l’amélioration des performances des locomotives et automotrices afin de leur permettre de rouler sur les lignes grandes vitesse; qu’à cette fin, M. [I] a notamment travaillé sur l’installation d’une armoire ERTMS (pour ‘ European Rail Traffic Management System’) en compartiment voyageur, sur la réalisation des calculs de tenue mécanique de la traverse TVM, sur la réalisation du bilan masse de l’ensemble des modifications apportées aux rames (rapport de fin de projet du 29 juillet 2014), ce qui ne relève pas des missions habituelles des techniciens de la SNCF.

M. [I] soutient par ailleurs que les échanges de courriels entre lui et la société Ikos-RA démontrent que la facturation se faisait au temps passé en jours de travail et non en fonction de l’état d’avancement du livrable, et qu’il appartient à la société Ikos-RA de produire l’ensemble des factures.

Mais il résulte des offres financières et administratives produites par la société Ikos-RA que :

‘Le règlement de la prestation fait l’objet d’un montant global forfaitaire et ferme pour chacune des missions.

Ce montant comprend l’ensemble des coûts afférents à la prestation connus et identifiés à la date d’attribution, notamment tous les traitements, papiers, fournitures et documents, sans que cette liste soit exhaustive. (…)’ et que ces offres comportent par ailleurs un calendrier prévisionnel prévoyant un nombre de jours par livrable attendu.

Dés lors, les échanges de courriels objet de la pièce n°34 du salarié, lesquels portent sur des récapitulatifs de jours en fonction des commandes,ne démontrent nullement que le règlement des prestations réalisées par M. [I] n’aurait pas été forfaitaire.

En ce qui concerne le lien de subordination, il résulte des débats que :

– M. [I] rendait compte de son activité et de l’état d’avancement de ses missions à [J] [P], son business Manager au sein de la société Ikos-RA ;

– M. [P] signait les notes de frais de M. [I] qui les adressait à Mme [K], assistante ressources humaines de la société Ikos-RA ;

– M. [I] adressait ses demandes de congés à la société Ikos-RA ;

– les entretiens annuels d’évaluation étaient réalisés par la société Ikos-RA.

Ainsi, il ne résulte pas des éléments examinés ci-avant que le contrat de prestations de service conclu entre la société Ikos-RA et la société SNCF Mobilités aurait eu pour objet exclusif un prêt de main d’oeuvre dés lors qu’il résulte des offres techniques versées aux débats que la société Ikos-Ra s’est effectivement engagée à exécuter auprès de la SNCF des missions spécifiques, définies de façon univoque et relevant d’un savoir faire qui lui est propre.

Le fait que M [I] ait été employé en qualité d’intérimaire, au cours d’une période antérieure à son embauche par la société Ikos-Ra, au sein du technicentre d'[Localité 7], dans le cadre d’un accroissement temporaire d’activité, n’implique aucunement que les missions spécifiques qui lui ont été confiées ultérieurement relevaient d’une compétence dont disposait le centre technique d'[Localité 7], étant précisé que les missions de M. [I] étaient réalisées en application d’offres techniques distinctes dans leur objet.

Enfin, en l’état des éléments débattus, la cour ne saurait tirer aucune conclusion du fait que M. [I] ait perçu une prime d’apporteur d’affaires de 800 euros à l’issue de sa période d’essai, si ce n’est que l’existence même de cette prime confirme que le salarié disposait d’une expertise et d’une qualification particulière.

Il en résulte que la mise à disposition de M. [I] auprès de SNCF Mobilités ne constituait pas une opération illicite de prêt de main d’oeuvre à titre lucratif dès lors que le salarié, qui détenait une compétence mécanique particulière en matière de performances des locomotives et automotrices, était mis à la disposition de la société SNCF Mobilités pour y apporter un savoir-faire d’une technicité spécifique dans le cadre d’une prestation de service selon un tarif forfaitaire.

Il en résulte qu’en l’absence de prêt illicite de main-d’oeuvre, M. [I] ne démontre pas que sa mise à disposition auprès du Technicentre d'[Localité 7] de la SNCF aurait eu pour effet de lui causer un préjudice ou d’éluder l’application de dispositions légales ou conventionnelles.

Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu’il a jugé que M. [I], ne démontre ni l’existence d’un prêt illicite de main-d’oeuvre, ni le marchandage dont il prétend avoir été victime de la part des sociétés Ikos-RA et SNCF Mobilités et en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts faite à ce titre.

– Sur l’existence d’un contrat de travail avec la société SNCF Mobilités :

M. [I] soutient que différents indices permettent de démontrer le transfert du lien de subordination de l’entreprise prêteuse à l’entreprise utilisatrice ainsi que l’existence d’une situation de co-emploi.

Il invoque à ce titre d’une part la durée de sa mise à disposition et l’absence de spécificité de ses tâches, d’autre part l’exercice du pouvoir hiérarchique par la société SNCF, soutenant que la SNCF organisait son travail, l’encadrait et le contrôlait.

La société Ikos-RA souligne qu’aucune disposition légale ne prévoit la solidarité entre l’entreprise prestataire et l’entreprise utilisatrice. De plus, aucune convention ne prévoit cette solidarité.

Les sociétés Ikos-RA et SNCF Mobilités contestent tout lien de subordination entre cette dernière et M. [I].

La société SNCF Mobilités fait valoir que les mails sur lesquels s’appuie le salarié sont purement techniques, mais ne contiennent ni directives de travail, ni d’éléments de contrôle de ce travail par le personnel de SNCF Mobilités et que s’il était invité à participer à des réunions techniques en lien avec sa prestation, il ne démontre nullement qu’il participait avec présence obligatoire à toutes les réunions du service auquel il était intégré.

La société Ikos-RA soutient qu’au contraire, elle rapporte la preuve du maintien du lien de subordination entre elle et M. [I].

****

La durée de la mise à disposition, soit en l’espèce plus de cinq années, n’est pas un critère pertinent pour définir l’existence d’un lien de subordination et la spécificité des tâches confiées à M. [I] a été retenue au terme des développements ci-avant.

En ce qui concerne l’exercice du pouvoir hiérarchique, M. [I] invoque :

– l’immixtion de la SNCF dans l’organisation de son travail, résultant de ce qu’il était convoqué aux réunions de service, de ce qu’il était mentionné sur les plannings de travail et informait la SNCF de ses congés et de ses déplacements ;

– son intégration au sein du personnel, notamment par le partage d’un bureau et son invitation aux repas de service ;

– le fait qu’il travaillait sous la responsabilité d’un chef de groupe, M. [G] ;

– des instructions pour réaliser des missions en dehors du cahier des charges.

Mais, il résulte des éléments apportés par la société Ikos-Ra, qu’elle définissait l’affectation du salarié par des fiches de mission, procédait à ses entretiens d’évaluation et de performance, contrôlait le temps de travail déclaré par le salarié et assurait le remboursement de ses frais, ainsi que la gestion de ses congés et arrêts maladie.

Il apparaît aussi que M. [I] rendait compte de son activité à la société Ikos-RA et notamment à son business manager, par l’envoi de tableaux de bord ou de rapports de fin de mission et qu’il était identifié au sein de la société SNCF comme un personnel extérieur, relevant de la société Ikos ainsi qu’en atteste le libellé de son adresse e-mail :

‘ ext.ikos.maxime.thinon@sncf.’

Enfin, M. [I] affirme que la SNCF lui aurait confié des missions étrangères au cahier des charges, mais cette affirmation n’est pas démontrée aux termes des échanges de courriels purement techniques produits en pièce n°7.

Dans ces conditions, ni le fait que M. [I] ait exercé l’essentiel de son activité dans les locaux du technicentre d'[Localité 7], ni les échanges techniques qu’il a pu avoir avec des personnels de la SNCF ou les informations échangées sur les RTT, ni les témoignages de salariés sur la parfaite intégration de M. [I] au sein des équipes de l’entreprise utilisatrice, ne permettent de caractériser l’existence d’un lien de subordination entre M. [I] et la SNCF.

Il est ainsi démontré que M. [I] est demeuré sous la subordination juridique de la société Ikos-RA, de sorte que le jugement du Conseil de Prud’hommes de Lyon sera confirmé en ce qu’il a jugé qu’aucun élément ne permettait d’établir l’existence d’un contrat de travail liant M [I] à la S.N.C.F. ;

– Sur la demande au titre de la procédure abusive :

L’exercice d’une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à réparation que s’il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s’il s’agit d’une erreur équipollente au dol.

Pour caractériser une faute dans l’exercice d’une voie de droit, le juge doit relever des circonstances constitutives d’un abus, plus précisément d’un «comportement procédural excédant l’exercice légitime du droit d’ester en justice ».

En l’espèce, le conseil de prud’hommes a condamné M. [I] au paiement d’une amende civile de 500 euros en considérant qu’il n’avait apporté aucun élément justificatif concret tendant à démontrer qu’il avait été lié par un contrat de travail à la société SNCF Mobilités.

Ce faisant, les premiers juges ont porté une appréciation sur la force des éléments de preuve mais n’ont pas caractérisé l’abus, de sorte que le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné M. [I] au visa des articles 6 et 9 du code de procédure civile, 1315 du code civil et 32-1 du code de procédure civile.

Les demandes tendant à la condamnation de M. [I] à payer des dommages et intérêts pour procédure abusive et une amende civile doivent être rejetées.

– Sur les demandes accessoires :

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis à la charge de M. [I] les dépens de première instance et sur l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [I], partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, sera condamné aux dépens d’appel.

L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il ne soit pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a condamné M. [I] à verser à la société Ikos-RA la somme de 500 euros au titre des dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile,

STATUANT à nouveau sur le chef infirmé

DÉBOUTE la société Ikos-RA de sa demande au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile,

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,

CONDAMNE M. [I] aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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