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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRÊT DU 29 JUIN 2023
(n° 360, 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/02485 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7KWQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 janvier 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 15/12690
APPELANT
Monsieur [X] [P]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Daniel RAVEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : B1024
INTIMÉS
Société LA VIE À DOMICILE
Placée en liquidation judiciaire par décision du Tribunal de commerce de Créteil en date du 18 novembre 2015.
Me [T] [U] en qualité de mandataire liquidateur de la société LA VIE À DOMICILE
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représenté par Me Jean PRINGAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2539
Société BAUDIN [Localité 8]
RCS d’ORLÉANS – 085 780 534
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représentée par Me Guillaume BREDON, avocat au barreau de PARIS, toque : C1532
PARTIE INTERVENANTE
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Anne-France DE HARTINGH, avocat au barreau de PARIS, toque : R186
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre, chargée du rapport et Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR.
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre et par Madame Alisson POISSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROC”DURE ET PR”TENTIONS DES PARTIES
M. [X] [P] a été engagé par la société La Vie à Domicile par contrat de travail à durée déterminée du 13 octobre 2014, en qualité d’agent de nettoyage avec chariot élévateur. Le contrat a été prolongé à deux reprises et la rupture de la relation de travail est intervenue le 30 juin 2015.
Il percevait en dernier lieu une rémunération de base de 2500 euros bruts.
La convention collective applicable est celle des Services à la Personne.
Le contrat de travail précise qu’il exercera ‘chez Baudin [Localité 8]’ aux entrepôts McDonald dans le [Localité 5]. La société Baudin [Localité 8], qui exerce une activité de construction, applique la convention collective de la métallurgie.
Le 11 mars 2015, la société La Vie à Domicile a été placée en redressement judiciaire et Maître [T] a été nommé en qualité de mandataire judiciaire. Par jugement du 18 novembre 2015, le tribunal de commerce de Créteil a prononcé la liquidation judiciaire et a nommé Maître [T] en qualité de liquidateur judiciaire.
Contestant les conditions d’exécution de son contrat, M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 4 novembre 2015 de demandes à l’égard de son employeur et également de la société Baudin [Localité 8].
Par jugement contradictoire du 9 janvier 2019, le conseil de prud’hommes a :
– constaté l’existence d’un contrat de travail liant M. [P] à la société Baudin [Localité 8] ;
– ordonné la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ;
-condamné la société Baudin [Localité 8] à payer à M. [P] les sommes de :
‘ 3.957,06 euros à titre d’indemnité de requalification,
‘ 4.500,00 euros au titre de la prime de panier,
‘ 3.213,56 euros à titre d’heures supplémentaires et 321,35 euros de congés payés afférents,
‘ 77,00 euros à titre de rappel de salaire pour novembre 2014 et 7,70 euros de congés payés afférents,
‘ 466,29 euros au titre du salaire de mars 2015,
‘ 3.957,06 euros à titre d’ indemnité compensatrice de préavis et 395,70 euros de congés payés afférents,
‘ 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.
– ordonné l’exécution provisoire de la décision ;
– mis hors de cause la société La Vie à Domicile, prise en la personne de son liquidateur, ainsi que les AGS CGEA ;
– condamné la société Baudin [Localité 8] à verser à Me Ravez une somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 alinéa 2 du code de procédure civile ;
– débouté M. [P] du surplus de ses demandes ;
– débouté la société Baudin [Localité 8] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens.
Par déclaration notifiée par le RVPA le 11 février 2019, M. [P] a interjeté appel partiel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 7 mars 2023, M. [P] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a refusé de condamner la société Baudin [Localité 8] pour prêt de main d’oeuvre illicite, indemnité compensatrice de congés payés, marchandage et dissimulation d’emploi salarié ;
et en conséquence, statuant à nouveau :
– de condamner la société Baudin [Localité 8] à :
‘ dommages et intérêts pour prêt de main d’oeuvre illicite (6 mois) : 23.742,36 euros,
‘ indemnité compensatrice de congés payés : 911,18 euros,
‘ dommages et intérêts pour marchandage : 20.000 euros,
‘ intérêts au taux légal et capitalisation par année entière,
‘ dissimulation partielle d’emploi salarié des 17,33 heures supplémentaires prévues et effectuées mais non déclarées : 23.742,36 euros,
‘ article 700 du code de procédure civile : 2.000 euros,
‘ intérêts au taux légal et capitalisation par année entière à compter de la saisine,
‘ dépens.
– de réformer le jugement sur le quantum, et statuant à nouveau, de condamner la société Baudin [Localité 8] aux sommes suivantes :
‘ indemnité de licenciement : 593,55 euros,
‘ quantum licenciement sans cause réelle et sérieuse : 23.742,36 euros.
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a mis hors de cause la société La Vie à Domicile en liquidation judiciaire et en conséquence, statuant à nouveau :
– d’inscrire au passif de la société La Vie à Domicile :
‘ dommages et intérêts pour prêt de main d”uvre illicite (6 mois) : 23.742,36 euros,
‘ dommages et intérêts pour marchandage : 20.000,00 euros,
‘ dissimulation emploi salarié : 23.742,36 euros.
– de rejeter la demande des AGS en nullité du contrat de travail en période suspecte et dire les sommes inscrites au passif garanties par l’AGS dans la limite de sa garantie, y compris les dommages intérêts ci-dessus qui découlent tous de l’exécution du contrat de travail.
La société Baudin [Localité 8] a communiqué des conclusions par la voie électronique le 25 juin 2019, lesquelles ont été déclarées irrecevables par ordonnance du conseiller de la mise en état du 21 septembre 2020.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 27 mai 2019, Maître [T], ès qualités de liquidateur de la société La Vie à Domicile, demande à la cour de:
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 9 janvier 2019 en toutes ses dispositions ;
– débouter M. [P] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner M. [P] en tous les dépens ;
– condamner la société Baudin [Localité 8] à payer la somme de 2.500 euros à Maître [T], ès qualités de mandataire liquidateur de la société La Vie à Domicile, en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Baudin [Localité 8] en tous les dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 6 mars 2023, l’AGS CGEA IDF EST demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la mise hors de cause de Maître [T] et de l’AGS ;
– juger que M. [P] ne démontre pas sa qualité de salarié de la société La Vie à Domicile ;
– prononcer la nullité du contrat de travail conclu au cours de la période suspecte ;
– en conséquence, débouter M. [P] de ses demandes présentées à l’encontre de la procédure collective de l’Association La Vie à Domicile ;
– condamner M. [P] aux entiers dépens.
sur la garantie de l’AGS,
– ordonner que toute condamnation relative au travail dissimulé ou en découlant sera exclue de la garantie de l’AGS ;
– inscrire au dispositif de la décision à intervenir, que s’il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale ;
– inscrire au dispositif de la décision à intervenir qu’en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l’article L.3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens et dans les limites et conditions des articles L 3253-6 et suivants dont l’article L.3253-8 du code du travail, les astreintes ou article 700 du code de procédure civile et dépens étant ainsi exclus de la garantie ;
– inscrire au dispositif de la décision à intervenir que la garantie de l’AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l’article D.3253-5 du code du travail ;
– statuer ce que de droit quant aux frais d’instance (dont les dépens) sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’UNÉDIC AGS.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L’instruction a été déclarée close le 8 mars 2023.
MOTIFS
A titre liminaire, les conclusions de la société Baudin [Localité 8] ayant été déclarées irrecevables, il ne peut être tenu compte du dossier de plaidoirie adressé à la cour par cette dernière et comprenant les conclusions et pièces communiquées au conseil de prud’hommes.
Par ailleurs, aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.
Sur l’étendue de la saisine de la cour
Le conseil de prud’hommes a reconnu l’existence d’un prêt de main d”uvre illicite entre les deux sociétés pour en déduire l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée liant M. [P] à la société Baudin [Localité 8].
M. [P] a interjeté un appel partiel de la décision le 11 février 2019 et aucun appel incident ne porte sur la reconnaissance de ce contrat qui est donc définitivement admise, comme la condamnation de la société Baudin [Localité 8] à payer à M. [P] les sommes suivantes :
‘ 3.957,06 euros à titre d’indemnité de requalification,
‘ 4.500,00 euros au titre de la prime de panier,
‘ 3.213,56 euros à titre d’heures supplémentaires et 321,35 euros de congés payés afférents,
‘ 77,00 euros à titre de rappel de salaire de novembre 2014 et 7,70 euros de congés payés afférents,
‘ 466,29 euros au titre du salaire de mars 2015,
‘ 3.957,06 euros à titre d’ indemnité compensatrice de préavis et 395,70 euros de congés payés afférents.
Sur les demandes à l’égard de la société Baudin [Localité 8]
M. [P] demande la condamnation de la société Baudin [Localité 8] au paiement des sommes suivantes :
‘ indemnité compensatrice de congés payés : 911,18 euros,
‘ indemnité de licenciement : 593,35 euros,
‘ indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 23.742,36 euros.
Sur l’indemnité compensatrice de congés payés
M. [P] fait valoir qu’il a perçu 1.550,66 euros d’indemnité compensatrice de congés payés alors qu’ayant perçu 24.618,43 euros brut durant toute la relation contractuelle, il aurait dû percevoir une indemnité égale à 10% de ses salaires bruts, soit 2461,84 et par conséquent un reliquat de 911,18 euros.
Le conseil de prud’hommes a rejeté la demande de M. [P] en indiquant que le salarié a perçu les congés payés à hauteur de 18 jours ce qui correspond aux jours acquis.
Au soutien de sa demande, le salarié produit ses fiches de paie, dont il ressort qu’il a pris en compte pour son calcul le montant de ‘primes exceptionnelles’. Ces primes, versées non pas de manière ‘exceptionnelle’, mais régulièrement durant la période contractuelle (500 euros en octobre et novembre 2014, janvier, février, avril et mai 2015 ; 391 euros en mars 2015 et 231 euros en juin 2015) revêtent ainsi le caractère d’un salaire entrant dans l’assiette de calcul des congés payés.
Le jugement sera infirmé sur ce point et la société Baudin [Localité 8] est condamnée au paiement de la somme de 911,18 euros réclamée.
Sur l’indemnité de licenciement
M. [P] n’argumente pas cette demande que le conseil de prud’hommes a rejeté à juste titre en indiquant que l’ancienneté du salarié est inférieure à un an, seuil de déclenchement de l’indemnité de licenciement en application de l’article L. 1234-9 du code du travail dans sa version alors en vigueur.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le quantum de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Pour réclamer la somme de 23.742,36 euros, le salarié fait valoir que son salaire brut moyen mensuel est de 3.957,06 euros et qu’il présente une ancienneté de 9 mois du 10 octobre 2014 au 12 juin 2015. Il ajoute qu’il a été contraint par son employeur de signer un contrat précaire.
Le conseil a motivé la fixation des dommages intérêts à hauteur de 5000 euros en relevant que M. [P] avait retrouvé un emploi à l’issue de la rupture du contrat et que son ancienneté au sein de la société Baudin [Localité 8] était inférieure à une année.
En application de l’article L. 1235-5 du code du travail dans sa version en vigueur à la date de la rupture, le salarié qui présente une ancienneté inférieure à 2 ans bénéficie de dommages et intérêts pour rupture abusive en fonction du préjudice subi.
Les circonstances de la signature du contrat avec la société La Vie à Domicile sont indifférentes à l’évaluation du préjudice résultant de la rupture du contrat de travail avec la société Baudin [Localité 8]. En outre, M. [P] ne produit aucune pièce sur sa situation postérieure à la rupture.
Ainsi, il n’y a pas lieu d’augmenter la somme allouée par le conseil en première instance et le jugement sera donc confirmé en ce sens.
Sur les demandes à l’égard de la société La Vie à Domicile en liquidation
L’AGS et le liquidateur de la société La Vie à Domicile concluent à la nullité du contrat de travail de M. [P] en faisant valoir que la signature de ce contrat est intervenue le 10 octobre 2014, en pleine période suspecte, puisque la date de cessation des paiements de la société La Vie à Domicile a été fixée au 11 septembre 2013 par le jugement du Tribunal de Commerce de Créteil du 11 mars 2015 qui a prononcé l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.
Le salarié rétorque que l’AGS ne peut agir en nullité de période suspecte et qu’il n’est pas établi que les obligations du débiteur (soit l’employeur) excèdent notablement celles de l’autre partie (soit le salarié).
En application de l’article L.632-1 du code de commerce, est nul lorsqu’il est intervenu depuis la date de cessation des paiements, ‘tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l’autre partie’.
Or, en l’occurrence, les intimés ne démontrent pas que les obligations de la société La Vie à Domicile excédaient notablement celles de M. [P] et aucune nullité n’est donc encourue de ce chef, étant relevé que la société a versé au salarié ses salaires durant la période contractuelle.
Par ailleurs, si le liquidateur comme l’AGS invoquent la fraude par la mise en oeuvre d’une fausse sous-traitance entre une société de services à la personne et une société de construction, force est de constater que la société la Vie à Domicile y a participé puisque c’est elle qui a engagé le salarié pour le placer au sein d’une société tierce, lui a payé ses salaires, lui a transmis une autorisation écrite de conduite de chariots élévateurs et a délivré les fiches de paie et les documents de fin de contrat, tous ces éléments confirmant le contrat de travail signé avec M. [P].
Enfin, aucun élément produit ne vient établir que M. [P] a participé en connaissance de cause à ce montage frauduleux.
Il en découle que la demande de nullité du contrat de travail signé entre M. [P] et la Vie à Domicile doit être rejetée.
Sur les demandes à l’égard des deux sociétés
M. [P] sollicite, d’une part, la condamnation de la société Baudin [Localité 8] au paiement des sommes suivantes et, d’autre part, l’inscription des mêmes sommes au passif de la société La Vie à Domicile :
‘ dommages et intérêts pour prêt de main d’oeuvre illicite : 23.742,36 euros,
‘ dommages et intérêts pour marchandage : 20.000,00 euros,
‘ dissimulation partielle d’emploi salarié : 23.742,36 euros.
Sur les dommages et intérêts pour prêt de main d”uvre illicite et marchandage
M. [P] fait valoir que les conditions de son engagement caractérisent non seulement un prêt de main d’oeuvre illicite mais également un marchandage puisqu’il aurait dû bénéficier des dispositions de la convention collective de la métallurgie, qui est plus favorable que celle des services à la personne, ainsi que de tous les avantages octroyés par le comité d’entreprise et le soutien des délégués syndicaux de la société Baudin [Localité 8]. Il conteste également la mise hors de cause de la société La Vie à Domicile qui a activement participé au montage frauduleux.
L’AGS et le liquidateur concluent, comme le conseil de prud’hommes, à la mise hors de cause de la société La Vie à Domicile. Ils font valoir en substance que M. [P] exerçait son activité au seul service de la société Baudin [Localité 8] et que le contrat de travail signé avec la société La Vie à Domicile caractérise une fausse sous-traitance, permettant à la société Baudin [Localité 8] d’échapper à ses obligations d’employeur. Subsidiairement, ils précisent que les délits de marchandage et de prêt de main d”uvre illicite ont profité exclusivement à la société Baudin [Localité 8] pour le compte de qui M. [P] a travaillé.
L’article L. 8241-1 du code du travail dispose que toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d”uvre est interdite.
Selon l’article L. 8231-1 du code du travail le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d”uvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, est interdit.
Faute d’appel sur ce point, il a été définitivement jugé que M. [P] a fait l’objet d’un prêt de main d’oeuvre illicite entre les sociétés La Vie à Domicile et Baudin [Localité 8] et il ressort effectivement des pièces versées aux débats (photographies, carte d’accès aux entrepôts notamment) que M. [P], embauché par une société qui exerce une activité d’aide à domicile en qualité d’agent de nettoyage, a en réalité exercé les fonctions de cariste portant casque et vêtements de sécurité et man’uvrant des véhicules de chantiers au bénéfice de la société Baudin [Localité 8] en charge de la reconversion d’un entrepôt et qui applique la convention collective de la métallurgie.
Par ailleurs, M. [P] fait valoir à juste titre que du fait de cette opération, il n’a pu bénéficier ni des avantages du comité d’entreprise de la société Baudin [Localité 8] qui compte, selon les informations données sur son site internet, 569 salariés (et 1250 salariés pour le groupe auquel elle appartient), ni des avantages de la convention collective de la Métallurgie (indemnité de repas, prime de panier…), ni encore des différentes mesures mises en oeuvre en son sein, tels que intéressement ou prime de rendement mentionnés dans les rapports d’activité et compte rendu de la négociation salariale annuelle.
Il en découle que l’opération illicite mise en oeuvre caractérise également un marchandage.
Enfin, le prêt de main d”uvre illicite comme le marchandage concernent aussi bien l’employeur d’origine que l’entreprise utilisatrice, la première mettant de façon irrégulière son personnel au service d’une autre société en dehors des dispositions sur la sous-traitance, et c’est ainsi à tort que le conseil de prud’hommes a mis hors de cause la société La Vie à Domicile en liquidation judiciaire au motif que M. [P] ne peut prétendre à une double indemnisation de ses préjudices.
Sur les sommes réclamées, M. [P] sollicite pour le prêt de main d’oeuvre illicite l’indemnité forfaitaire de 6 mois de salaire prévue par l’article L. 8223-1 du code du travail, alors que ces dispositions s’appliquent, non pas à cette infraction, mais au travail dissimulé par dissimulation d’activité ou d’emploi salarié. Par ailleurs, le salarié a d’ores et déjà obtenu réparation au titre du prêt de main d’oeuvre illicite par la reconnaissance par le conseil de prud’hommes d’un second contrat de travail entre lui et la société Baudin [Localité 8].
En revanche, s’agissant du marchandage, M. [P] est bien fondé à obtenir des dommages et intérêts à hauteur de 2 000 euros, compte tenu de la durée de la période contractuelle, puisqu’il n’a pu bénéficier pendant celle-ci des avantages offerts au personnel de la société Baudin [Localité 8].
Les deux sociétés, qui ont concouru à ce dommage, sont tenues in solidum à cette indemnisation.
Sur le travail dissimulé
En application de l’article L. 8221-5, « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre premier de la troisième partie ;
3° soit de ne pas accomplir auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci ».
Selon l’article L. 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
M. [P] sollicite cette indemnité à l’égard des deux intimées pour des motifs différents.
Il rappelle qu’il a travaillé jusqu’en juin 2015 et justifie par la production de son relevé de carrière que la société La Vie à Domicile n’a pas versé les cotisations de retraite à la CNAV pour l’année 2015.
Toutefois, il est établi que cette société, qui a déclaré le salarié et lui a délivré des bulletins de paie, a bénéficié en mars 2015 de l’ouverture d’une procédure collective avec une date de cessation des paiements fixée en septembre 2013. Il en découle que l’intention de dissimulation n’est pas établie dans ce contexte de difficultés financières.
S’agissant de la société Baudin [Localité 8], M. [P] fait valoir qu’elle n’a déclaré aucune heure supplémentaire et qu’elle a été condamnée à ce titre par le conseil de prud’hommes à un rappel de salaires.
Le prêt illicite de main d’oeuvre a permis à la société utilisatrice Baudin [Localité 8] d’éluder l’application du droit du travail à la situation de M. [P], notamment en ce qui concerne la rémunération des heures supplémentaires effectuées à son profit, ce qui caractérise l’intention de dissimulation d’un emploi salarié visée par l’article L. 8221-5 du code du travail.
La demande au titre du travail dissimulé sera donc accueillie en ce qui la concerne à hauteur de la somme de 23.742,36 euros, compte tenu du salaire moyen brut de M. [P] après réintégration des rappels ordonnés par le conseil et non frappés d’appel.
Sur la procédure collective et la garantie de l’AGS
La société La Vie à Domicile faisant l’objet d’une liquidation judiciaire, la somme allouée au salarié pour marchandage sera fixée à son passif.
Par ailleurs, l’AGS garantit « les sommes dues en exécution du contrat de travail », soit toutes les créances se rattachant au contrat de travail et notamment les dommages et intérêts venant compenser les comportements illicites de l’employeur tel que le marchandage.
La rupture de la relation de travail étant intervenue le 30 juin 2015, soit avant l’ouverture de la liquidation judiciaire le 18 novembre 2015, la garantie de l’AGS est due.
Sur les demandes accessoires
La société Baudin [Localité 8] supportera les dépens de l’instance à l’exclusion des frais afférents aux éventuels actes d’exécution de la décision, lesquels relèvent des procédures civiles d’exécution. Elle devra également participer aux frais irrépétibles engagés par M. [P] en cause d’appel, la demande à ce titre du liquidateur de la société La Vie à Domicile étant en revanche rejetée.
Les créances salariales porteront intérêts à compter de la convocation respective des deux sociétés devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonnent.
La capitalisation des intérêts dus pour une année entière sera également ordonnée sauf à rappeler que le cours des intérêts a été arrêté à l’égard de la société La Vie à Domicile au jour de l’ouverture de la procédure collective en application des dispositions de l’article L.622-28 du code de commerce.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans les limites de l’appel partiel,
CONFIRME le jugement en ce qu’il a condamné la société Baudin [Localité 8] à payer :
– à M. [P] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
– à Me Ravez une somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 alinéa 2 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens ;
CONFIRME le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes :
– au titre de l’indemnité de licenciement ;
– pour prêt de main d’oeuvre illicite à l’égard des deux sociétés ;
– pour travail dissimulé à l’égard de la société La Vie à Domicile ;
L’INFIRME en ce qu’il a :
– mis hors de cause la société La Vie à Domicile et l’AGS CGEA IDF Est ;
– rejeté les demandes au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés, du marchandage à l’égard des deux intimées et du travail dissimulé à l’égard de la société Baudin [Localité 8] ;
Statuant à nouveau sur ces chefs et y ajoutant :
REJETTE la demande de nullité du contrat de travail conclu entre M. [P] et la société La Vie à Domicile ;
FIXE la créance de M. [P] au passif de la société La Vie à Domicile à la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts pour marchandage ;
CONDAMNE in solidum la société Baudin [Localité 8] à payer cette somme à M. [P] ;
CONDAMNE en outre la société Baudin [Localité 8] à payer à M. [P] :
‘ la somme de 911,18 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés ;
‘ la somme de 23.742,36 euros pour dissimulation partielle d’emploi salarié ;
‘ la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DIT que les créances salariales porteront intérêts à compter de la convocation respective des deux sociétés devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonnent ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
RAPPELLE que le cours des intérêts a été arrêté à l’égard de la société La Vie à Domicile au jour de l’ouverture de la procédure collective ;
DÉCLARE l’arrêt opposable au CGEA IDF EST dans les limites de sa garantie légale ;
REJETTE la demande de la société La Vie à Domicile au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Baudin [Localité 8] aux dépens d’appel.
La greffière, La présidente.