Conclusions d’appel : 30 août 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04691

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Conclusions d’appel : 30 août 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04691
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3008/2023

ARRÊT N°326

N° RG 21/04691

N° Portalis DBVI-V-B7F-OPRO

MN/ND

Décision déférée du 28 Octobre 2021 – TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CASTRES (20/00568)

Mme SEVILLA

S.A. BANQUE POPULAIRE OCCITANE

C/

[M] [B]

[C] [E] épouse [B]

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

***

ARRÊT DU TRENTE AOUT DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

S.A. BANQUE POPULAIRE OCCITANE

[Adresse 7]

[Localité 6]

Représentée par Me Loïc ALRAN de la SCP APR AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMES

Monsieur [M] [B]

[Adresse 8]

[Localité 12]

Représenté par Me Valérie ALBOUY LAURENT de la SCPI IDAVOCAT CONSEIL, avocat au barreau de CASTRES

Madame [C] [E] épouse [B]

[Adresse 8]

[Localité 12]

Représentée par Me Valérie ALBOUY LAURENT de la SCPI IDAVOCAT CONSEIL, avocat au barreau de CASTRES

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. NORGUET, Conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

V. SALMERON, présidente

F. PENAVAYRE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

M. NORGUET, conseillère

Greffier, lors des débats : C. OULIE

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par V. SALMERON, présidente, et par C. OULIE, greffier de chambre

Faits et procédure

[Z] [B] a exploité en nom personnel une activité d’auto-école à [Localité 11] (81).

Pour le rachat de la structure nécessaire à l’exercice de son activité, elle a contracté, le 9 janvier 2015, un prêt équipement N° 08691107 auprès de la Banque Populaire Occitane (ci-après la BPO) d’un montant de 64 080 euros.

Selon avenant en date du 27 novembre 2015, [M] [B], père d'[Z] [B] s’est porté caution personnelle et solidaire de cet engagement pris envers la BPO. [C] [B] son épouse, mariée sous le régime de la communauté, a donné son consentement a l’opération.

Par acte sous seing privé en date du 30 décembre 2016, [M] [B] s’est porté caution personnelle, solidaire et indivisible des engagements pris par [Z] [B] envers la BPO à hauteur de 36 000 euros. [C] [B] à, à nouveau, donné son consentement a l’opération.

Le 9 avril 2018, [J] [B] a été placé en redressement judiciaire par le Tribunal de grande instance de Castres, converti en liquidation judiciaire le 8 avril 2019.

Le 3 mai 2018, la BPO a déclaré sa créance entre les mains du mandataire pour un montant total de 87 597,44 euros.

Le même jour, elle a mis en demeure [M] [B] de remplir ses engagements de caution par lettre recommandée avec accusé de réception soit au 22 août 2018, un montant de 66 835,01 euros comprenant 30 835,01 euros au titre de l’engagement de caution du prêt équipement N° 08691107 de 64 080 euros et 36 000 euros au titre de son cautionnement limité de tous les autres engagements d'[Z] [B] constitués par un solde débiteur de compte courant professionnel N° [XXXXXXXXXX010] de 6 197,19 euros, un solde débiteur de compte chèques N° [XXXXXXXXXX01] de 640,84 euros, un solde du prêt équipement N° 08719532 de 8 093,50 euros et un billet à ordre de 30 086,62 euros.

Le 25 février 2020, la BPO a présenté une requête auprès du juge de l’exécution pour être autorisée a inscrire une hypothèque judiciaire sur les biens immobiliers appartenant à [M] [B] cadastrés commune de [Localité 12], section A numéros [Cadastre 2], [Cadastre 4] et [Cadastre 5] et ses droits indivis sur les parcelles cadastrées sur la même commune, même section numéros [Cadastre 9] et [Cadastre 3]. Le juge de l’exécution a fait droit à sa demande par ordonnance du 27 février 2020 et l’hypothèque a été déposée puis dénoncée à [M] [B] le 23 mars 2020.

Le 16 avril 2020, la BPO a assigné [M] [B] et [C] [B] devant le Tribunal judiciaire de Castres en paiement des sommes dues au titre de leurs engagements de caution, outre leur condamnation à lui verser 2 000 euros au titre de l’article 700 du CPC et aux entiers dépens.

Le 28 octobre 2021, le Tribunal judiciaire, a :

– dit que les cautionnements souscrits par [M] [B] ne sont entachés d’aucune nullité,

– dit que la Banque a manqué à son devoir de mise en garde à l’égard de la caution qui a privé [M] [B] de 80% de chance de ne pas contracter,

– condamné [M] [B] à payer à la Banque Populaire Occitane la somme de 13 367,01 euros dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision, jusqu’à parfait règlement,

– dit que passé ce délai, les sommes porteraient intérêts au taux légal et que la Banque Populaire Occitane sera fondée à exercer ses poursuites pour le recouvrement des sommes qui lui sont dues sur les biens communs des époux [M] [B] – [C] [E] épouse [B],

– rejeté les autres demandes des parties,

– dit que chaque partie garderait la charge de ses propres dépens.

Par déclaration en date du 25 novembre 2021, la BPO a relevé appel du jugement du Tribunal judiciaire aux fins de le voir réformer en intégralité à l’exception du chef de dispositif ayant dit que les cautionnements souscrits par [M] [B] n’étaient entachés d’aucune nullité.

Par voie de conclusions, [M] [B] a fait appel incident du chef de dispositif ayant dit que les cautionnements souscrits par lui n’étaient entachés d’aucune nullité.

L’ordonnance de clôture a été rendue en date du 24 avril 2023.

Prétentions et moyens des parties 

Dans ses conclusions N°2 notifiées le 1er août 2022, auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, la Banque Populaire Occitane sollicite, au visa des articles 1415, 2888 et suivants du code civil :

 . la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a rejeté l’action en nullité de la caution,

l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a :

– dit que la Banque a manqué à son devoir de mise en garde à l’égard de la caution qui a privé [M] [B] de 80% de chance de ne pas contracter,

– condamné [M] [B] à payer à la BPO la somme de 13 367,01 euros dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision, jusqu’à parfait règlement,

– dit que passé ce délai, les sommes porteront intérêts au taux légal et que la BPO sera fondée à exercer ses poursuites pour le recouvrement des sommes qui lui sont dues sur les biens communs des époux [M] [B] – [C] [B],

– rejeté les autres demandes des parties,

– dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens,

statuant à nouveau :

à titre principal, la reconnaissance de l’absence de devoir de mise en garde imposé à la BPO au regard des conditions des opérations garanties,

la condamnation de [M] [B] à payer à la BPO la somme de 66 835,01 euros arrêtée au 22 août 2018 outre les intérêts postérieurs au taux légal sur la somme de 36 000 euros et au taux de 2,65 % sur la somme de 30 835,01 euros jusqu’à parfait règlement,

à titre subsidiaire, que le pourcentage de perte de chance de ne pas contracter soit ramené à 20 % et la condamnation de [M] [B] à payer à la BPO la somme de 53 468 euros, arrêtée au 22 août 2018 outre les intérêts postérieurs au taux légal sur la somme de 36 000 euros et au taux de 2,65 % sur la somme de 17 468 euros jusqu’à parfait règlement,

. la condamnation de [M] [B] au paiement d’une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ceux compris les frais d’hypothèque judiciaire provisoire et définitive dont distraction au profit de Me Alran.

La Banque soutient que la caution qui se prévaut d’un défaut de mise en garde doit rapporter la preuve que le crédit consenti était excessif ou consenti à des conditions anormales, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, le premier prêt proposé ayant pour objectif de permettre à [J] [B] d’acquérir le fonds libéral nécessaire à l’exercice de son activité était forcément adapté à ses capacités contributives. La BPO souligne que [M] [B] ne peut soutenir avoir subi un préjudice né de la nécessité de contracter sans disposer des informations utiles dans la mesure où il n’a donné son cautionnement que très postérieurement à la date d’octroi du prêt, de sorte qu’il était tout à fait libre de s’engager ou non en tant que caution, le versement des sommes par la Banque étant déjà intervenu.

Pour le second engagement de caution, contractuellement limité, la Banque conteste également tout devoir de mise en garde à sa charge envers [M] [B] dans la mesure où les financements visaient à soutenir l’activité d'[Z] [B] et que l’engagement de son père n’était pas excessif au regard de ses biens et revenus. La Banque soutient que le père se serait fort probablement porté caution pour sa fille, avisé des risques du cautionnement ou non, de sorte qu’elle estime que s’il devait être retenu un manquement de sa part à son devoir de mise en garde, le préjudice subi par l’intimé ne pourrait consister qu’en une perte de chance de ne pas avoir contracté et non en une indemnisation équivalent au montant de ses engagements. Pour la BPO, cette perte de chance ne peut être estimée qu’à 20% du montant de l’engagement du fait des liens de proximité entre l’intimé et la bénéficiaire des financements.

Sur la demande de délais de paiement formulée par l’intimée, elle souligne qu’il n’est apporté aucun justificatif au soutien de leur nécessité.

En réponse à l’appel incident de [M] [B], elle soutient qu’il ne rapporte aucunement la preuve de violence ou d’un dol ayant présidé à la conclusion de ses engagements de caution. Elle même conteste toute menace ou man’uvre dolosive lors de la conclusion des contrats.

Enfin, elle conteste la disproportion manifeste des engagements de caution de [M] [B] à ses biens et revenus en renvoyant à la fiche patrimoniale signée par ce dernier, mentionnant un actif immobilier lui permettant de faire face à tous ses engagements.

En réponse, dans ses conclusions notifiées en date du 16 mai 2022, auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, [M] [B] demande, au visa des articles 1111, 1116 et suivants anciens, les articles 1137, 1140 nouveaux du Code Civil,les articles L343-4 et suivants du Code de la Consommation et l’article 514-1 du Code de Procédure Civile :

la réformation de la décision entreprise,

en conséquence, le prononcé de la nullité des actes de cautionnement des 27 novembre 2015 et 30 décembre 2016,

le rejet de toutes les demandes, fins et conclusions de la Banque,

la condamner de la Banque au paiement d’une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

A titre subsidiaire,

la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a retenu que la Banque a manqué à son devoir de mise en garde à l’égard de la caution, ce qui a privé [M] [B] de 80% de chance de ne pas contracter,

A titre très infiniment subsidiaire, en cas de réformation au préjudice des époux [B], l’octroi de délais de paiement au vu de l’article 1343-5 du Code Civil,

la diminution de la clause pénale du prêt équipement ramenée à l’euro symbolique au visa de l’article 1231-5 du Code Civil,

le report des sommes éventuellement dues à la Banque pour une durée de deux années,

que soit ordonné que ces sommes porteront intérêts au taux légal,

en toutes hypothèses, la condamnation de la BPO au paiement d’une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la Cour, ainsi qu’aux entiers dépens.

[M] [B] expose que les cautionnements souscrits doivent être considérés comme nuls soit pour violence lors de la souscription, car [M] [B] dit être totalement profane en la matière, ne pas avoir pu mesurer la portée des engagements proposés, avoir dû faire entière confiance à la conseillère bancaire qu’il connaît depuis longtemps et été contraint de se porter caution des engagements de sa fille de peur que les concours financiers ne lui soient retirés, ou pour dol en raison du fait qu’on lui ait demandé de se porter caution personnelle du premier prêt, plusieurs mois après sa conclusion et alors que la Banque disposait à l’origine d’un nantissement sur le fonds de commerce.

Si la cour ne retenait pas la nullité initiale de ses engagements de caution, il indique rapporter la preuve de ce que ceux-ci étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus au moment de leur conclusion. Il affirme que la BPO ne peut se prévaloir d’aucun de ces deux engagements à son encontre, ce d’autant qu’elle a participé à aggraver la situation de l’entreprise d'[Z] [B] en lui consentant des soutiens abusifs pendant sa durée d’activité, tels que les billets à ordre mensuellement accordés.

Enfin, si la disproportion manifeste n’était pas retenue, il sollicite, en raison de ses difficultés financières, l’octroi de délais de paiement, en l’occurrence deux ans, au taux légal uniquement, pour s’acquitter des sommes mises à sa charge ainsi que la diminution de la clause pénale ramenée à l’euro symbolique. Il met également en avant le défaut d’information annuelle de la caution sur le montant de son engagement pour solliciter la déchéance du droit de la Banque aux frais et intérêts.

MOTIFS

Sur les demandes présentées à la cour

Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé. Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

La cour constate que, curieusement, [M] [B] n’a pas repris dans le dispositif de ses dernières conclusions ses prétentions relatives à la reconnaissance du caractère manifestement disproportionné de ses cautionnements et à la déchéance du droit de la Banque à s’en prévaloir, pas plus que celles relatives à la déchéance du droit de la Banque de réclamer les intérêts et pénalités de retard du fait de l’absence d’information annuelle de la caution alors qu’elles sont évoquées dans le corps de sa motivation.

En application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statuera donc pas sur ces chefs de demandes.

Sur la nullité des actes de cautionnement de [M] [B] des 27 novembre 2015 et 30 décembre 2016

Aux termes des articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder. Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En raison de l’adoption, entre les deux contrats en cause, de l’ordonnance du 10 février 2016, applicable à compter du 1er octobre 2016, les conditions de validité de chacun d’eux sont régies par des textes distincts.

– Pour le cautionnement du 27 novembre 2015

Selon les articles 1111 et 1112 du code civil, dans leur version applicable à ce contrat, la violence exercée contre celui qui a contracté l’obligation est une cause de nullité, encore qu’elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. Il y a violence lorsqu’elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu’elle peut lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent. On a égard, en cette matière, à l’âge, au sexe et à la condition des personnes.

Selon l’article 1113 du code civil, dans leur version applicable à ce contrat, la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants.

Aux termes de l’article 1116 du code civil, dans sa version applicable à ce contrat, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man’uvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces man’uvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.

Selon l’article 1117 du code civil, dans sa version applicable à ce contrat, la convention contractée par erreur, violence ou dol, n’est point nulle de plein droit ; elle donne seulement lieu à une action en nullité ou en rescision, dans les cas et de la manière expliqués à la section VII du chapitre V du présent titre.

[M] [B] soutient le fait que la Banque est venue chercher son engagement de caution plusieurs mois après la conclusion du prêt et le versement des sommes prêtées à sa fille, après avoir renoncé à un nantissement sur le fonds de commerce pris à l’origine, alors que sa femme connaissait des problèmes de santé, a été constitutif d’une violence pour lui en ce qu’il a craint qu’en l’absence d’engagement de sa part, la Banque cesse les concours financiers nécessaires à la poursuite de l’activité professionnelle de sa fille.

[M] [B] soutient qu’à tout le moins, le fait pour la Banque, de manière déloyale, par l’intermédiaire de leur conseillère bancaire habituelle, de le pousser à conclure un contrat de cautionnement alors que sa fille était à jour des mensualités du prêt et que la Banque avait initialement pris un nantissement sur le fonds de commerce qu’elle a décidé par la suite d’abandonner constituent des man’uvres dolosives ayant vicié son consentement.

La Banque conteste toute violence comme tout dol lors de la conclusion des engagements. Elle souligne que les fonds relatifs au prêt du 9 janvier 2015 avaient déjà été versés à [Z] [B] quand son père s’est engagé en tant que caution.

C’est à l’intimé, qui soutient la nullité des contrats le concernant, d’en rapporter la preuve.

Outre le caractère relativement imprécis des actes effectivement reprochés à la Banque, il n’est fourni à la cour aucun élément autre que des documents établissant la situation personnelle de l’intimé, ou relatifs à l’état de santé de son épouse et son statut au titre du handicap, uniquement à compter de l’année 2018, ainsi que des lettres rédigées par les parties elles-mêmes au soutien de ces allégations. Ainsi, notamment, il n’est produit aucun courrier ou mail d’échange avec la Banque relatifs à la mise en place du cautionnement et aux raisons y présidant.

Cependant, la cour doit néanmoins vérifier si l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite dans le but de tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne ou d’un de ses proches, n’a pas caractérisé la violence viciant le consentement, comme la menace d’un retrait de tous les concours bancaires du débiteur principal formulée par la Banque à l’égard d’un proche en vue d’obtenir son cautionnement.

C’est là encore à celui qui excipe du vice de consentement de devoir apporter tout élément à même d’établir la situation de dépendance économique et l’exploitation abusive de la situation par le cocontractant.

Or si la preuve de la précarité de la situation économique de [M] [B] et de son foyer durant l’année 2015 et de la nécessité pour sa fille de recourir aux emprunts bancaires pour démarrer son activité d’auto-école est bien rapportée, celle d’une réelle volonté de la Banque de retirer son concours à cette activité naissante en cas de refus de signature du cautionnement ne l’est pas. Ce d’autant plus, qu’à la date du 27 novembre 2015, les fonds issus du prêt équipement N° 08691107 de 64 080 euros avaient déjà été versés par la Banque à [Z] [B].

Il ne peut donc être caractérisé en l’espèce ni violence, ni man’uvres dolosives ayant pu vicier le consentement de [M] [B] lors de la conclusion du contrat de cautionnement du 27 novembre 2015, lequel sera donc reconnu valide.

– Pour le cautionnement du 30 décembre 2016

Selon l’article 1137 du code civil, dans sa version applicable à ce contrat, le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des man’uvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.

Aux termes des articles 1140, 1142 et 1143 du code civil, dans leur version applicable à ce contrat, il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. La violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.

[M] [B] soutient que la Banque a usé de man’uvres dolosives pour lui faire conclure ce nouvel engagement alors que la situation de l’exploitation de sa fille, soutenue exclusivement par les multiples concours donnés par la Banque, était obérée depuis fin 2015 ce que celle-ci ne pouvait ignorer.

De l’examen des pièces produites par [M] [B], le cautionnement du 30 décembre 2016 a été signé alors que l’activité d'[Z] [B] avait débuté depuis presque deux ans. Cependant, la BPO avait déjà consenti deux prêts complémentaires à [Z] [B], un prêt de 15 000 euros en date du 29 octobre 2015 et un prêt de 13 200 euros en date du 8 mars 2016. Elle lui a également consenti mensuellement des billets à ordre, avalisés par elle-même.

Le cautionnement de [M] [B] a certes été conclu pour couvrir tous les engagements futurs de la société mais il a été limité à la somme de 36 000 euros et une période de dix ans.

L’état de dépendance économique existant au démarrage de la structure avec la crainte d’un retrait des concours bancaires ne se retrouve pas lors de la conclusion de ce nouveau contrat un an plus tard, la Banque ayant, de manière répétée, prêté son concours financier à l’activité d'[Z] [B] entre le moment de conclusion du premier engagement de caution et le second.

Là encore, [M] [B] est défaillant à rapporter la preuve d’une violence ou d’un dol ayant vicié son consentement lors de la conclusion du cautionnement du 30 décembre 2016, qui est donc lui aussi reconnu valide.

Dès lors, le jugement de premier instance, ayant dit que les cautionnements souscrits par [M] [B] n’étaient pas entachés de nullité, sera confirmé sur ce point.

[M] [B] sera condamné à verser à la Banque Populaire Occitane la somme réclamée de 66 835,01 euros arrêtée au 22 août 2018 outre les intérêts postérieurs au taux légal sur la somme de 36 000 euros et au taux de 2,65 % sur la somme de 30 835,01 euros jusqu’à parfait règlement.

Sur les manquements de la Banque à ses obligations de mise en garde de la caution sur le risque financier lié à son engagement

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 15 septembre 2021, il était imposé aux créanciers professionnels qui sollicitaient un engagement de la part d’une caution non-avertie, un devoir de mise en garde soit sur l’inadaptation des capacités financières de la caution à son propre engagement, soit sur le risque encouru d’endettement excessif découlant pour elle du risque caractérisé de défaillance du débiteur principal.

[M] [B] soutient que la BPO a manqué à son devoir de mise en garde à son encontre en ne le prévenant pas de l’inadaptation de ses capacités financières aux contrats conclus et des risques d’endettement encourus, alors même qu’il se dit caution non-avertie.

C’est à l’intimé, qui soutient l’existence de ces manquements à son encontre, qu’il revient d’apporter la preuve de l’inadaptation de ses capacités financières, du risque d’endettement excessif ainsi que de sa qualité de caution non-avertie.

La cour constate que la Banque n’invoque pas d’éléments relativement à la qualité de caution non-avertie ou non de [M] [B].

Des éléments produits par [M] [B], non contestés par la Banque, il ne ressort pas qu’il a participé à quelque titre que ce soit au fonctionnement de l’auto-école exploitée par sa fille ou qu’il a eu des intérêts dans ladite exploitation. Lui-même justifie être chauffeur routier salarié, marié à une conjointe en invalidité. Il ne se déduit des pièces fournies aucune expérience particulière dans le domaine de la gestion d’entreprise ou des produits financiers le rendant apte à évaluer lui-même les risques des opérations financées. La cour considère que [M] [B] rapporte bien la preuve qu’il est une caution non-avertie.

Sur l’inadaptation des capacités financières de [M] [B] aux engagements consentis, les pièces produites par celui-ci démontrent un patrimoine composé uniquement de revenus tirés de ses salaires de chauffeur routier et de l’AAH de sa femme, l’ensemble pour une valeur annuelle de 19 800 euros en 2015 et 22 022 euros en 2016, rendant le couple non imposable sur ces deux années. Les époux [B] ne possèdent que le logement leur servant de résidence principale valorisé à 230 000 euros.

Le cautionnement conclu le 27 novembre 2015 à hauteur de 64 080 euros ne paraît pas adapté aux capacités financières de [M] [B], en ce que les mensualités du prêt consenti à [Z] [B] représentaient 40% du salaire mensuel de son père et que seule la vente du logement principal du couple permettait à la caution de s’acquitter de sa dette en cas de défaillance du débiteur principal.

A plus forte raison, le cautionnement « omnibus » du 30 décembre 2016, de par son quantum indéterminé et sa durée de dix ans, était également inadapté aux capacités financières de la caution, ce d’autant plus qu’il s’ajoutait au premier engagement déjà consenti.

La Banque avait bien un devoir de mise en garde envers [M] [B] de l’informer de l’inadaptation de ses capacités financières aux engagements de caution conclus.

Sur le devoir de mise en garde du risque d’endettement excessif pouvant découler du risque caractérisé de défaillance du débiteur principal, contrairement à ce qu’affirme la Banque, en l’absence de production de sa part des éléments financiers et comptables prévisionnels à elle transmis par [Z] [B] au démarrage de son activité d’auto-école et ayant présidé au choix du montant du prêt équipement ainsi qu’à ses modalités, il ne s’évince pas automatiquement de la conclusion d’un prêt pour le démarrage d’une activité professionnelle que le montant prêté est nécessairement adapté aux moyens financiers de la structure en devenir.

Une distinction est faite entre les prêts accordés aux entreprises se créant et à celles déjà en fonctionnement. Dans les deux cas cependant, la Banque a l’obligation de se renseigner sur les capacités financières du débiteur, ne seraient-elles que prévisionnelles, afin d’être en mesure de pouvoir alerter celui-ci, et encore plus lorsque l’emprunteuse est âgée de 25 ans et manifestement totalement inexpérimentée dans la gestion d’une entreprise. La détention d’un diplôme de monitrice d’auto-école et d’un agrément préfectoral ne donne pas à [Z] [B] de compétence particulière dans la gestion économique d’une activité libérale.

Comme l’a relevé le juge de première instance, la cour souligne dans le jugement prononçant la liquidation judiciaire de l’exploitation d'[Z] [B] le passage suivant « [Si] l’entreprise a connu une baisse d’activité, qui s’explique par les difficultés économiques rencontrées, essentiellement imputables à l’inexpérience de Mme [B] selon un précédent rapport de Me [S], et son manque de réactivité face aux difficultés rencontrées, économiques et sociales ».

La Banque a prêté de nombreuses sommes à la structure d’exploitation d'[Z] [B] et a également soutenu sa trésorerie notamment par l’émission de billets à ordre mensuels, le dernier d’un montant de 30 000 euros ayant été consenti le 28 février 2018 soit précisément 39 jours avant l’ouverture du redressement judiciaire la concernant et 14 mois après la conclusion du deuxième cautionnement consenti par son père.

La Banque ne produit aucune pièce, échanges de mails, communications, autres que les mentions stéréotypées figurant dans les documents fournis pour attester de ce qu’elle a correctement rempli son obligation en l’espèce alors que [M] [B] le conteste.

Dès lors, le manquement à son devoir de mise en garde à l’égard de [M] [B] lors de la conclusion des deux contrats de cautionnement est avéré. En effet la Banque, qui doit remplir son obligation de mise en garde dès lors que [M] [B], caution non avertie, n’avait pas la capacité financière de supporter les conséquences des engagements consentis, n’établit pas avoir rempli celle-ci. Peu importe les intentions de la caution d’aider sa fille.

Dans le cas d’un manquement avéré au devoir de mise en garde, le préjudice réparé par la juridiction est celui de la perte de chance de ne pas souscrire les cautionnements concernés qui ne peut être égale à l’avantage procuré par cette chance si elle s’était réalisée.

[M] [B] n’ayant eu aucun intérêt dans l’exploitation du fonds libéral de sa fille, disposant d’un patrimoine et de revenus limités, étant dépourvu de l’aptitude d’évaluer seul les risques liés aux opérations financées, sa perte de chance de ne pas contracter les cautionnements donnés est évaluée à 80%.

Le juge de première instance a opéré une compensation automatique et tacite entre les sommes dues par [M] [B] à la Banque en vertu des cautionnements reconnus valables et l’indemnisation mise à la charge de la Banque pour réparer la perte de chance de [M] [B] de ne pas avoir contracté.

[M] [B] ayant conclu dans le dispositif de ses conclusions à la confirmation du jugement entrepris sur le manquement de la Banque à son devoir de mise en garde et la fixation de sa perte de chance, a nécessairement également saisi la cour de la question de la compensation entre les deux sommes.

La Banque sera donc condamnée à lui verser la somme de 53 468 euros en indemnisation de sa perte de chance de ne pas avoir contracté les cautionnements en cause et en vertu des dispositions de l’article 1348 du code civil, la cour prononce la compensation entre les créances réciproques telles que fixées pour l’appelante et pour l’intimé.

Sur la demande en délais de paiement de [M] [B]

Aux termes de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.

Les délais de grâce peuvent être sollicités en tout état de cause.

En l’espèce, [M] [B] produit une pièce émanant de la MDPH du Tarn accordant le bénéfice de l’AAH à son épouse du 1er avril 2018 au 31 mars 2023. La cour considère donc que jusqu’à récemment Mme [B] était toujours allocataire de l’AAH.

En revanche, il n’est produit aucune pièce justificative permettant d’actualiser la situation professionnelle et financière de [M] [B], les dernières pièces fournies datant de 2018, de sorte que la cour ne peut estimer la réalité de ses capacités contributives cinq ans plus tard.

La dette étant ancienne, aucun paiement n’étant intervenu depuis, la cour rejette la demande en délais de paiement de [M] [B].

Sur les frais irrépétibles,

[M] [B], partie succombante, sera condamné aux dépens d’appel.

Les circonstances de l’espèce ne justifient pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit que les cautionnements souscrits par [M] [B] n’étaient entachés d’aucune nullité, dit que la Banque avait manqué à son devoir de mise en garde à l’égard de la caution qui a privé [M] [B] de 80% de chance de ne pas contracter, dit la Banque Populaire Occitane serait fondée à exercer ses poursuites pour le recouvrement des sommes qui lui sont dues sur les biens communs des époux [M] [B] – [C] [E] épouse [B], rejeté la demande de [M] [B] au titre de la clause pénale et dit que chaque partie garderait la charge de ses propres dépens

L’infirme sur le reste,

Statuant à nouveau,

Condamne [M] [B] à verser à la Banque Populaire Occitane la somme de 66 835,01 euros arrêtée au 22 août 2018 outre les intérêts postérieurs au taux légal sur la somme de 36 000 euros et au taux de 2,65 % sur la somme de 30 835,01 euros, ce jusqu’à parfait règlement,

Condamne la Banque Populaire Occitane à verser à [M] [B] 53 468 euros au titre de l’indemnisation de sa perte de chance,

Ordonne la compensation entre les créances réciproques de la Banque Populaire Occitane et de [M] [B] telles qu’arrêtées dans le présent arrêt,

Déboute [M] [B] de sa demande en délais de paiement,

Y ajoutant,

Condamne [M] [B] aux dépens d’appel,

Dit n’y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

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