Rupture abusive de pourparlers : 22 avril 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/09718

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Rupture abusive de pourparlers : 22 avril 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/09718
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22 avril 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/09718

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRÊT DU 22 AVRIL 2022

(n° , pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/09718 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDXCI

Décision déférée à la Cour : arrêt du 01 Février 2019 ( RG 17/03319)

suite à l’arrêt de la Cour de Cassation n°291 F-D du 31 Mars 2021

DEMANDERESSE À LA SAISINE

Association L’ASSOCIATION AVEA LA POSTE

prise en la personne de ses représentants légaux

8 rue Brillat Savarin

75013 PARIS

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Ayant pour avocate plaidante Me Louise DECARSIN, Avocate au barreau de Paris

DÉFENDERESSE À LA SAISINE

S.A.R.L. IOCEAN

prise en la personne de ses représentants légaux

650 avenue Henri Becquerel

34000 Montpellier

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de MONTPELLIER sous le n° 438 843 872

Représentée par Me Emmanuelle BERKOVITS de la SELAS C2J AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0089

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile,

l’affaire a été débattue le 09 Septembre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Denis ARDISSON, Président de la chambre, chargé du rapport. :

M. Denis ARDISSON, Président de la chambre

Mme Marion PRIMEVERT, Conseillère

Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE,Conseillère

Greffière , lors des débats : Mathilde BOUDRENGHIEN

La clôture de l’instruction a été ordonnée par le président à l’audience du 3 février 2022.

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

L’Association Avea La Poste (l’association Avea) ayant pour objet l’organisation et la gestion des séjours de vacances des enfants des agents de la Poste et de ses filiales, et la société Iocean, ayant pour activité l’ingénierie informatique, ont conclu, le 7 septembre 2009, un contrat portant sur la refonte du système d’information opérationnel de l’association Avea mettant en oeuvre son logiciel ‘Aris’.

En février 2013, l’association Avea a fait part à la société Iocean de sa volonté de proposer à ses usagers un nouveau système informatique leur permettant de s’inscrire directement en ligne sur son site internet et l’a informée, à cette occasion, qu’elle mettait en concurrence plusieurs prestataires.

Le 23 juillet 2013, l’association Avea a accepté, sous diverses réserves, la proposition commerciale adressée le 19 juillet 2013 par la société Iocean, puis, par lettre du 6 août 2013, l’a informée qu’elle n’y donnerait pas suite.

Ayant vainement mis en demeure, le 20 septembre 2013, l’association Avea de lui confier l’exécution de son nouveau contrat, la société Iocean l’a assignée le 14 août 2014 en dommages et intérêts fondés sur la responsabilité contractuelle et subsidiairement, sur la rupture abusive des pourparlers ainsi que la rupture brutale de la relation commerciale établie, l’association Avea contestant toute responsabilité et réclamant des dommages et intérêts fondés sur l’abus de procédure.

* *

Par jugement du 5 janvier 2017, la juridiction civile a, avec exécution provisoire, condamné l’association Avea à payer à la société Iocean les sommes de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture fautive des négociations et 32.995 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, débouté l’association Avea de ses demandes reconventionnelles en dommages-intérêts et condamné l’association Avea à payer la somme de 4.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur appel de l’association Avea, la cour d’appel de Paris a, par arrêt du 1er février 2019, confirmé le jugement et condamné l’association Avea à payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur pourvoi principal de l’association Avea, la cour de cassation a, par arrêt du 31 mars 2021 n°19-14.533, cassé l’arrêt du 1er février 2019 seulement en ce qu’il a condamné l’association Avea à payer à la société Iocean les sommes de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture abusive de pourparlers précontractuels et de 32.955 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale d’une relation commerciale établie.

PROCÉDURE SUR RENVOI DE CASSATION :

Vu la déclaration du 18 mai 2021 de l’association Avea La Poste pour la saisine de la cour d’appel de Paris désignée comme juridiction de renvoi en application des articles 1032 et suivants du code de procédure civile ;

* *

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 28 janvier 2022 pour la société Iocean, afin d’entendre, en application des articles 1134, 1142 et 1147, 1184, 1243 et 1382 anciens du code civil et L. 442-6 du code de commerce :

– dire l’action recevable et bien fondée,

– débouter l’association Avea de l’intégralité de ses moyens, fins et prétendions.

– réformer le jugement,

– déclarer irrecevable car dotée de l’autorité de la chose jugée la demande de condamnation à hauteur de 25.000 euros formulée par l’association Avea à l’encontre de la société Iocean en réparation de prétendus préjudices causés du fait d’une prétendue déloyauté et mauvaise foi dans l’exécution des pourparlers,

sur la rupture fautive des pourparlers précontractuels :

– dire que l’association Avea a engagé sa responsabilité du fait de la rupture fautive des pourparlers précontractuels,

– condamner l’association Avea au paiement d’une somme de 104.605 euros (51.079 + 28 526 + 25 000) en indemnisation du préjudice au titre des frais engagés, de la perte de chance de conclure un autre contrat et de dommages et intérêts,

sur la résiliation brutale des relations établies :

– dire que l’association Avea a engagé sa responsabilité du fait de la résiliation brutale des relations établies entre les parties depuis 2009,

– condamner l’association Avea au paiement d’une somme de 102.982 euros représentant la moitié du chiffre d’affaires annuel moyen réalisé entre les parties sur les 3 dernières années et à titre subsidiaire, en calculant la marge brute perdue sur le chiffre d’affaires perdu sur une durée de six mois (102.982 euros) sur la base d’un taux de marge de 50 %, soit une somme de 51.491 euros,

– confirmer le jugement en ce qu’il a statué sur les frais irrépétibles,

– condamner l’association Avea au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile  ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de C2J Avocats agissant par Me Emmanuelle Berkovits dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;

* *

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 9 novembre 2021 pour l’Association nationale de gestion des centres de Vacances des Enfants et Adolescents de La Poste afin d’entendre, en application des articles 1101, 1134 et 1240 (1382 ancien) du code civil et L. 442-6 I 5° du code de commerce :

– juger recevable et bien fondée l’association Avea en son appel,

-infirmer partiellement le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 5 janvier 2017 ;

sur l’indemnisation accordée pour rupture abusive des pourparlers :

– juger que l’association Avea n’a commis aucune faute en rompant unilatéralement les pourparlers engagés avec la société Iocean dès lors que cette rupture était fondée sur une

raison légitime,

– débouter la société Iocean de sa demande d’indemnisation au titre d’une prétendue rupture abusive des pourparlers,

subsidiaire :

– juger subsidiairement que le préjudice subi du fait d’une rupture abusive des pourparlers ne peut consister dans la perte de chance de réaliser des gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat projeté,

– juger que la société Iocean n’apporte aucun élément probant justifiant avec précision l’existence d’un préjudice en relation avec la rupture des pourparlers,

– débouter la société Iocean de sa demande formée au titre d’une prétendue rupture brutale des pourparlers,

sur l’indemnisation accordée pour rupture brutale des relations établies :

– juger que la société Iocean ne saurait se prévaloir d’une relation commerciale établie avec l’association Avea,

– juger que la société Iocean ne saurait se prévaloir d’une rupture brutale des relations avec l’association Avea, un préavis de 8 mois lui ayant été accordé,

– débouter la société Iocean de sa demande formée au titre d’une prétendue rupture brutale de relations commerciales,

sur la déloyauté de la société Iocean lors des pourparlers :

– juger que la société Iocean a fait preuve de déloyauté et a commis une faute dans l’exécution des pourparlers engagés entre les parties,

– condamner la société Iocean à payer la somme de 25.000 euros à l’association Avea en réparation des préjudices causés,

en tout état de cause :

– débouter la société Iocean de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner la société Iocean à payer à l’association Avea la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Iocean aux entiers dépens d’instance dont distraction au profit de Maître Etevenard en application de l’article 699 du code de procédure civile ;

* *

La clôture de l’instruction a été ordonnée à l’audience du 3 février 2022.

SUR CE, LA COUR,

1. Sur les dispositions faisant l’objet de la cassation

A la suite des articles 623, 624, 625 et 638 du code de procédure civile, la cour saisie sur renvoi de cassation juge l’affaire à nouveau en fait et en droit à l’exclusion des chefs non atteints par l’arrêt de cassation déterminés à son dispositif, et tandis que celui du 31 mars 2021 qui nous saisit casse l’arrêt du 1er février 2019 ‘seulement en ce qu’il condamne l’association Avea La Poste à payer à la société Iocean les sommes de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture abusive de pourparlers et de 32.955 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale d’une relation commerciale établie’, il en résulte que l’association Avea est irrecevable en ses demandes tendant à contester la rupture fautive des pourparlers ainsi qu’à réclamer des dommages et intérêts du chef de l’abus de procédure qu’elle reproche à la société Iocean nécessairement exclu en raison de l’autorité définitivement jugée de sa responsabilité dans la rupture des pourparlers.

2. Sur la réparation du préjudice résultant de la rupture des pourparlers

Pour voir confirmer le jugement en ce qu’il a reconnu l’indemnisation de son préjudice directement lié aux frais qu’elle a dû exposer pour les pourparlers que l’association Avea La Poste a fautivement rompus, à l’exclusion par conséquent de l’indemnisation de la perte de chance de n’avoir pas contracté qui n’est pas réparable, mais entendre réformer le jugement dans la limitation de son indemnisation, la société Iocean revendique, en premier lieu la contrepartie des temps d’étude de ses salariés dédiés à l’élaboration de son offre pour le développement du système d’inscription en ligne de l’application de l’association, et met aux débats deux attestations de son responsable administratif de 2015 et de 2021 détaillant, la première, les coûts de 24.975 euros et et la seconde, de 22.136 euros.

Au demeurant, la société Iocean ne produit pas de preuve de travail qui permettent de justifier le bien fondé de la seconde attestation, en sorte que la cour l’écartera et ne retiendra que la première présomption de travail, vraisemblable, pour 24.975 euros.

La société Iocean soutient que son temps consacré aux négociations l’a privée de la chance d’obtenir un autre marché de 57.047 euros avec le Centre de ressources autisme Ile-de-France ainsi que celui-ci l’atteste, et dont elle chiffre la perte à la somme de 28.526 euros.

Toutefois, d’après son effectif de salariés, le chiffre d’affaires de près de deux millions d’euros qu’elle réalise en moyenne par an, et enfin, d’après la faculté de recourir à la sous-traitance que la société Iocean invoque par ailleurs, il ne peut se déduire la preuve du lien direct entre le temps consacré à l’offre de l’association et la perte de celle de son autre client, en sorte que cette demande sera rejetée.

Enfin, la société Iocean ne met aux débats aucun élément de preuve de nature à apprécier la réalité de son préjudice moral, de perte d’image ou d’atteinte à sa réputation en sorte que sa demande de dommages et intérêts de 25.000 euros sera aussi rejetée.

2. Sur la rupture de la relation commerciale établie

Devant les premiers juges, comme devant la cour d’appel, il a été retenu que la société Iocean était informée de l’appel d’offres en février 2013, ce que la cour de cassation a relevé dans son motif pour censurer ces décisions après avoir jugé que c’est à partir de cette date que devait être apprécié le point de départ utile à l’appréciation du préavis préalable à la rupture de la relation commerciale établie susceptible d’entraîner la responsabilité de l’association Avea.

Cependant d’après les productions des parties, il est constant que l’association Avea n’a donné aucune information sur son appel d’offres avant le mois de juillet 2013, en sorte que le préavis doit être fixé à compter de cette date.

Alors que les commandes de prestations de l’association postérieures se sont limitées à trois commandes de 5.337,15 euros au titre de la migration de serveurs le 29 août 2013, de 3.094 euros et 2.242,50 euros au titre de l’hébergement de ses données pour les troisième et quatrième trimestres 2013, quand, sur les trois dernières années de 2010 à 2012, la société Iocean recevait de l’association Avea des commandes pour un chiffre d’affaires mensuel moyen de 17.163 euros (pièce n°32 de la société Iocean ), il se déduit la preuve d’une rupture partielle et brutale de la relation commerciale établie depuis septembre 2009 qui justifiait le préavis de quatre mois que les premiers juges ont retenus, et non de six comme y prétend la société Iocean.

Sur la base du chiffre d’affaires établi sur les trois dernières années pour une moyenne mensuelle de 16.447 euros, rapportée à quatre mois de préavis et à une marge brute de 50% dûment justifiés par les productions de la société Iocean, la cour confirmera les premiers juges qui ont condamné l’association Avea à verser la somme de 32.955 euros de dommages et intérêts.

4. Sur les frais irrépétibles et les dépens

L’association Avea succombant à l’action, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles, et statuant de ces chefs en cause de renvoi sur cassation, elle sera condamnée aux dépens et à payer la somme de 12.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Ordonne la clôture de l’instruction ;

Déclare l’Association Avea La Poste irrecevable en ses demandes tendant à contester sa responsabilité dans la rupture des pourparlers et en dommages et intérêts fondés sur l’abus de procédure ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions déférées, sauf celle relative aux dommages et intérêts alloués au titre de la rupture fautive des pourparlers ;

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Condamne l’Association Avea La Poste à payer à la société Iocean la somme de 28.526 euros ;

Condamne l’Association Avea La Poste aux dépens du recours en application de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne l’Association Avea La Poste à payer à la société Iocean la somme de 12.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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