Rupture abusive de pourparlers : 23 juin 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/11950

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Rupture abusive de pourparlers : 23 juin 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/11950
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23 juin 2022
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
19/11950

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-7

ARRÊT AU FOND

DU 23 JUIN 2022

N° 2022/ 276

Rôle N° RG 19/11950 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEUYD

SCI PIERRE ALBERT

C/

[N] [R]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Nino PARRAVICINI

Me Monica GRASSO

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal d’Instance de MENTON en date du 11 Juin 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 1119-102.

APPELANTE

SCI PIERRE ALBERT, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Nino PARRAVICINI de la SELARL NINO PARRAVICINI, avocat au barreau de NICE

INTIMEE

Madame [N] [R], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Monica GRASSO, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 04 Mai 2022 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Carole DAUX-HARAND, Présidente de chambre

Madame Carole MENDOZA, Conseillère,

Madame Mireille CAURIER-LEHOT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Natacha BARBE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Juin 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Juin 2022,

Signé par Madame Carole DAUX-HARAND, Présidente de chambre et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCI PIERRE ALBERT est propriétaire d’un local sis [Adresse 1].

Ce bien a été visité par Mesdames [J] [R], [V] [M], [W] [C] et [S] [G].

Par acte sous seing privé du 04 décembre 2017, intitulé ‘compromis’ signé par Madame [R] au nom de la société civile de moyens désignée sous l’appellation ‘cabinet paramédical Carnot’ dont il était indiqué que les statuts étaient en cours de formation, représentée par Mesdames [R], [M] [C] et [G], cette société s’engageait à l’égard de la SCI PIERRE ALBERT représentée par Madame [E] à louer l’appartement du [Adresse 1] et versait ‘un acompte sur caution’ de 500 euros, en attente de la signature définitive du bail.

Un document signé par les mêmes parties, le même jour, intitulé ‘réservation de location’ faisait état de ce que la SCI PIERRE ALBERT convenait de réserver le local professionnel du [Adresse 1] (4ème étage) pour la société civile de moyens dont les statuts étaient en cours d’élaboration, à compter du 15 décembre 2017, pour un loyer de 1600 euros et que le bail professionnel était consenti pour une durée de six ans. Il était noté la remise par la société civile de moyens de la somme de 500 euros.

Plusieurs rendez-vous de signature ont été reportés.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 décembre 2017, Madame [R] a indiqué renoncer à la signature du bail à la gérante de la SCI PIERRE ALBERT.

Par acte d’huissier du 25 mai 2018, la SCI PIERRE ALBERT a fait assigner Madame [R] aux fins principalement de la voir condamner à lui verser la somme de 4800 euros de dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire du 11 juin 2019, le tribunal d’instance de Menton a statué de la manière suivante, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :

‘Déboute LA SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE PIERRE ALBERT de sa demande d’indemnisation;

Condamne LA SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE PIERRE ALBERT à payer à Madame [N] [R] la somme de 500 euros (CINQ CENTS EUROS) et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, en restitution de l’acompte versé sur dépôt de garantie ;

Déboute Madame [N] [R] de sa demande d’indemnisation formée au titre de son préjudice économique et moral ;

Déboute LA SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE PIERRE ALBERT de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne LA SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE PIERRE ALBERT à payer à Madame [N] [R] la somme de 1 000 euros (MILLE EUROS) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne LA SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE PIERRE ALBERT aux dépens’.

Le premier juge a estimé que le document, intitulé ‘compromis’ ne valait pas promesse synallagmatique de bail. Il a dénié également la qualité de promesse synallagmatique de bail au document intitulé ‘réservation de location’, en indiquant qu’il n’avait pour seul objet que d’imposer à la SCI PIERRE ALBERT de s’engager à louer son bien, sans destination des locaux.

Le premier juge a estimé qu’aucune faute ne pouvait être reprochée à Madame [R] et souligné que la SCI avait fait preuve d’agressivité, si bien qu’il était légitime pour Madame [R] de ne pas vouloir s’engager avec cette SCI.

Il a indiqué qu’en tout état de cause, la SCI ne démontrait pas l’existence d’un préjudice économique et relevé que le local avait été loué dès le 13 février 2018.

Il a ordonné la restitution à Madame [R] de la somme de 500 euros qui avait été auparavant versée.

Il a rejeté les demande de dommages et intérêts formée par Madame [R] au titre de son préjudice moral et de son préjudice économique en indiquant qu’ils n’étaient pas démontrés.

Le 22 juillet 2019, la SCI PIERRE ALBERT a relevé appel de ce jugement en ce qu’elle a été déboutée de sa demande d’indemnisation, en ce qu’elle a été condamnée à verser à Madame [R] la somme de 500 euros avec intérêts légaux à compter de la décision ainsi que celle de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Madame [R] a constitué avocat et formé un appel incident.

Par conclusions notifiées le 06 septembre 2019 sur le RPVA auxquelles il convient de se reporter, la SCI PIERRE ALBERT demande à la cour de statuer en ce sens :

– infirmer le jugement déféré,

– condamner Madame [R] à lui verser la somme de 4800 euros de dommages et intérêts

– débouter Madame [R] de ses demandes,

– condamner Madame [R] à lui verser la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle expose que les documents intitulés ‘compromis’ et ‘réservation’ ont été signés par Madame [R].

Elle souligne que le rendez-vous de remise des clefs et signature du bail a été reporté à deux reprises par la partie adverse.

Elle reproche à Madame [R], seule signataire des documents, d’avoir abusivement refusé de signer le bail après avoir reporté plusieurs rendez-vous. Elle estime que la promesse de bail vaut bail et note que le locataire doit donner congé au bailleur en respectant un préavis. Elle souligne que le document intitulé ‘réservation de location’ est très clair s’agissant de l’objet, du prix et des conditions du bail.

Elle soutient que seule Madame [R] est responsable de l’absence de signature du bail.

Elle estime avoir subi un préjudice financier qu’elle évalue à six mois de location puisqu’elle aurait renoncé à louer le local lorsqu’elle était en lien avec Madame [R] et n’a pu le relouer qu’en février 2018.

Par conclusions notifiées le 02 décembre 2019 sur le RPVA auxquelles il convient de se reporter, Madame [R] demande à la cour de statuer en ce sens :

‘Recevoir Madame [N] [R] en son appel incident.

Confirmer le jugement rendu par le Tribunal d’instance de Menton le 11 juin 2019 en ce qu’il a :

– débouté purement et simplement la SCI PIERRE ALBERT de sa demande d’indemnisation,

– condamné la SCI PIERRE ALBERT à restituer à Madame [N] [R] la somme de 500 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision en restitution de l’acompte versé sur dépôt de garantie,

– condamné la SCI PIERRE ALBERT à payer à Madame [N] [R] une somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

STATUANT A NOUVEAU,

– condamner la SCI PIERRE ALBERT à payer à Madame [N] [R] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral et financier subi.

– débouter la SCI PIERRE ALBERT de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

– condamner la SCI PIERRE ALBERT à payer à Madame [N] [R] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

– condamner la SCI PIERRE ALBERT aux entiers dépens’.

Elle conteste tout agissement fautif. Elle conteste avoir été liée par une promesse synallagmatique de bail avec la SCI PIERRE ALBERT.

Elle note n’avoir pas été à l’origine d’un report de rendez-vous de signature du bail fixé au 15 décembre 2017 et conteste le caractère fautif de sa propre demande de report à l’approche des fêtes de fin d’année.

Elle soutient que la gérante de la SCI PIERRE ALBERT a été particulièrement agressive à son encontre et l’a harcelée.

Elle indique que c’est en raison de ce comportement qu’elle a refusé de régulariser le bail.

Elle relève que la SCI PIERRE ALBERT ne démontre pas l’existence d’un préjudice.

Elle sollicite la restitution de la somme de 500 euros versée le 04 décembre 2017 qui s’analyse comme un acompte sur le dépôt de garantie qui aurait dû être versé lors de la signature du bail.

Elle demande des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et financier qu’elle a subi, lié au comportement de la gérante de la SCI.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 20 octobre 2021.

MOTIVATION

L’article 1106 du code civil énonce que le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres.

Il est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci.

Selon l’article 1124 du même code, la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.

Le document intitulé ‘compromis de location’ du 04 décembre 2017, signé par Madame [R], aux termes duquel la SCM Cabinet paramédical Carnot représentée par Mesdames [R], [M], [C] et [G] ‘s’engage à louer l’appartement du [Adresse 1], en l’attente de la signature définitive du bail’ et qui acte l’existence ‘d’un acompte sur caution de 500 euros’ est une simple offre émanant de la SCM et ne peut s’analyser en une promesse unilatérale de louer le local puisque les éléments essentiels de la location en sont pas déterminés : en effet, le prix n’est pas mentionné.

Le document intitulé ‘réservation de location’ du 04 décembre 2017 s’analyse en une promesse unilatérale de bail puisque la SCI PIERRE ALBERT s’engage à louer le local situé au 4ème étage du 27 de l’avenue Carnot ‘à compter du 15 décembre 2017 au loyer de 1600 euros (consenti au loyer exceptionnel de 1400 euros + 50 euros de provision sur charges) à la SCM dont les statuts sont en cours de formation’, dont ‘la responsable coordinatrice est Madame [N] [R]’, pour une durée de six ans.

Les deux documents ne valent pas promesse synallagmatique de bail puisque la société civile de moyens, représentée par Madame [R], ne s’est jamais engagée ni sur un prix, ni sur les modalités de la location (forme et durée du bail). Il n’existe aucun engagement réciproque des parties sur les éléments essentiels d’une location. Madame [R], représentant la SCM, n’est pas même engagée par une promesse unilatérale de location. Elle s’est contentée de faire une offre.

Dès lors, la SCI PIERRE ALBERT ne peut soutenir que le refus de signature du bail par Madame [R] s’analyse comme une rupture d’un contrat déjà établi.

La question qui se pose est celle de savoir s’il y a eu, de la part de Madame [R], une rupture abusive de pourparlers.

L’article 1112 du code civil énonce que l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.

En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages.

L’article 1240 du code civil énonce que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il ne ressort pas des pièces produites que le refus par Madame [R] de poursuivre les démarches pour louer le bien à la SCI PIERRE ALBERT aurait été fautif; un rendez-vous qui aurait dû se tenir le 15 décembre 2017 a été annulé par la SCI PIERRE ALBERT. Pendant cette période, Madame [R], comme le relèvent Mesdames [G] et [M], a été contactée de façon très insistante par la gérante de la SCI, qui souhaitait que la signature d’un bail se fasse le plus rapidement possible.

Dès le 27 décembre 2017, Madame [R] indiquait qu’aucun bail ne serait pas signé. Dans sa lettre adressée à la gérante de la SCI, elle se plaint du comportement de cette dernière et indique ne pas vouloir d’un engagement sur six ans dans un contexte contentieux.

Le refus de poursuivre les démarches pour s’engager dans la conclusion d’un bail professionnel signifié le 27 décembre 2017, alors que l’offre faite par Madame [R] de louer le bien, pour le compte de la SCM, ne datait que du 04 décembre 2017 et qu’il apparaissait que les relations entre les parties s’engageaient de façon fort délicate n’est pas fautif.

De façon surabondante, aurait-il été fautif (ce qui n’est pas le cas), la SCI PIERRE ALBERT ne pourrait solliciter la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages.

Dès lors, la SCI PIERRE ALBERT sera déboutée de sa demande d’indemnisation et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la restitution à Madame [R] de la somme de 500 euros

Ainsi qu’il l’a été indiqué, Madame [R], représentant la SCM en cours de formation, n’était tenue par aucune promesse unilatérale ou synallagmatique de contrat. Aucun contrat n’a été établi entre elle-même et la SCI PIERRE ALBERT qui devra lui restituer la somme de 500 euros versée dans l’optique de la signature du bail qui n’a jamais eu lieu. Le jugement déféré sera confirmé

en ce qu’il a condamné la SCI PIERRE ALBERT à lui restituer la somme de 500 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision.

Sur la demande de dommages et intérêts formée par Madame [R]

Madame [R] ne justifie pas avoir subi un préjudice financier ou moral lié au comportement de la gérante de la SCI PIERRE ALBERT. Elle sera déboutée de cette demande. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens et sur l’article 700 du code de procédure civile

La SCI PIERRE ALBERT est essentiellement succombante. Elle sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel. Elle sera déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles qu’elle a engagés en première instance et en appel.

Il n’est pas équitable de laisser à la charge de Madame [R] les frais irrépétibles qu’elle a exposés en première instance et en appel.

Le jugement déféré qui a mis les dépens à la charge de la SCI PIERRE ALBERT et qui l’a condamnée à verser à Madame [R] la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile sera confirmé.

La SCI PIERRE ALBERT sera en outre condamnée à verser à Madame [R] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par cette dernière en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la SCI PIERRE ALBERT à verser à Madame [N] [R] la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu’elle a exposés en appel,

CONDAMNE la SCI PIERRE ALBERT aux dépens de la présente procédure.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

 


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