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12 septembre 2022
Cour d’appel de Cayenne
RG n°
21/00378
COUR D’APPEL DE CAYENNE
[Adresse 1]
Chambre commerciale
ARRÊT N°35
N° RG 21/00378 – N° Portalis 4ZAM-V-B7F-6WL
S.A.S. MAT PRO DIFFUSION représentée par son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
S.A.S. SANY GUYANE représentée par son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
C/
Société SANY EUROPE GMBH
ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2022
Jugement au fond, origine Tribunal mixte de Commerce de CAYENNE, décision attaquée en date du 13 août 2021, enregistrée sous le n° 2020000119
APPELANTES :
S.A.S. MAT PRO DIFFUSION représentée par son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Maître Julie PAGE, avocate au barreau de GUYANE
S.A.S. SANY GUYANE représentée par son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Maître Julie PAGE, avocate au barreau de GUYANE
INTIMEE :
Société SANY EUROPE GMBH
[Adresse 9]
[Localité 3] (ALLEMAGNE)
représentée par Maître Stéphan DOUTRELONG, avocat au barreau de GUYANE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
En application des dispositions des articles 907 et 786 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 juin 2022 en audience publiqueet mise en délibéré au 10 octobre 2022, avancé au 12 septembre 2022, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :
Mme Aurore BLUM,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme Aurore BLUM, Présidente de chambre
Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre
Mme Emmanuelle WATTRAINT, Conseillère
qui en ont délibéré.
GREFFIER :
Mme Fanny MILAN, Greffier, présente lors des débats et du prononcé
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 al 2 du Code de procédure civile.
Exposé du litige :
La société Sany Europe GmbH est une société allemande ayant pour activité la fabrication et la commercialisation d’engins de chantier.
La société Mat pro diffusion est une société immatriculée depuis le 3 août 2012 au RCS de Cayenne et a pour activité principale celle de négoce, de vente et de location de matériels neufs et d’occasion d’engins et de véhicules avec ou sans chauffeur. Son président est [N] [G].
La société Sany Guyane a été immatriculée au RCS de Cayenne à compter du 22 mars 2019 et avait pour activité « la vente de matériel Sany, et tout autre matériel et service, ainsi que la participation de la société à toutes sociétés et plus généralement toutes opérations pouvant se rattacher à l’objet social ». Son président était [R] [G].
Le 30 avril 2019, la société Sany Europe GmbH a émis six factures et réclamé paiement à la société Mat Pro diffusion d’une somme totale de 299 605,10€ relative à l’achat de six engins de chantiers, outre une 7ème facture relative aux frais de port de six engins d’un montant 23 300 €.
Elle a par la suite émis les 10 octobre 2019, 31 octobre 2019 et 4 novembre 2019 3 autres factures pour un montant total de 1 765,35 €.
Par acte en date du 7 janvier 2020, la société allemande Sany Europe GmbH a assigné la société Mat pro diffusion, la société Sany Guyane, ainsi que MM. [R] [G] et [N] [G] devant le tribunal mixte de commerce de Cayenne aux fins, notamment, d’obtenir paiement des sommes précitées.
Par jugement contradictoire du 13 août 2021, le tribunal a :
-déclaré le tribunal mixte de commerce de Cayenne compétent pour connaître de l’ensemble du litige ;
-condamné la société Mat Pro diffusion à verser à la société Sany Europe GmbH la somme de 266670, 45€ ;
-condamné la société Mat Pro diffusion à verser à la société Sany Europe GmbH la somme de 7291,09€ au titre des frais d’huissier exposés à l’occasion des saisies conservatoires réalisées par la société Sany Europe en date du 3 juillet 2020 et 29 juin 2020 ;
-dit qu’en utilisant le terme Sany, notamment sur le site www.sanyguane.fr, dont la société Sany Guyane est titulaire, celle-ci avait porté atteinte au nom commercial Sany de la société demanderesse et avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de cette dernière ;
En conséquence,
-fait interdiction à Sany Guyane d’utiliser le terme Sany sous quelque forme que ce soit, en ce compris dans son nom de domaine et dans sa dénomination sociale, et ce sous astreinte de 150 euros par infraction constatée à compter de l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la signification du jugement ;
-condamné la société Sany Guyane à verser à la société Sany Europe GmbH la somme de 10 000 € en réparation de son préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaires commis à son encontre ;
-condamné solidairement les sociétés Sany Guyane et Mat Pro diffusion à verser à la société Sany Europe GmbH la somme de 3.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-dit que la décision serait assortie de l’exécution provisoire à l’exception de la condamnation en paiement prononcée à l’encontre de la société Mat Pro diffusion d’un montant de 266.670, 45€ ;
-débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
-condamné solidairement les sociétés Sany Guyane et Mat Pro diffusion aux entiers dépens de l’instance.
Par déclarations reçues les 23 et 25 août 2021, la société Mat pro diffusion et la SAS Sany Guyane ont interjeté appel de cette décision, limité aux chefs de jugement expressément critiquées, à l’encontre de la société Sany Europe Gmbh.
Ces déclarations ont donné lieu à deux enrôlements sous les numéros RG 21/378 et 21/379.
Les appelantes ont fait procéder à l’accomplissement des formalités de l’article 9-32 du règlement CE n° 1348/2000 du Conseil de l’Europe par acte d’huissier du 22 octobre 2021.
Elles ont communiqué leurs premières conclusions le 19 novembre 2021.
L’intimée a constitué avocat le 12 novembre 2021 et communiqué ses premières conclusions le 13 janvier 2022.
Aux termes de leurs conclusions responsives et récapitulatives du 30 avril 2022, les appelantes demandent d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Mat pro diffusion à payer à la société Sany Europe la somme principale de 266.670,45 euros et celle de 7291,09 euros au titre des frais d’huissier, et, statuant à nouveau, de :
-débouter la société Sany Europe de l’intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
-fixer le montant de la créance de la société Sany Europe à la somme de 246. 670,45 euros ;
-déduire du montant de la créance de Sany Europe, la somme de 64.000 euros correspondant au prix des deux pelles Sany 50 saisies par cette entreprise ;
A tout le moins, dire et juger que la créance sera payée en deniers et quittances en affectant la valeur ou le produit de la vente des équipements saisis ;
-infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Sany Guyane à payer à la société Sany Europe la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et lui a fait interdiction d’utiliser le nom Sany ;
Et statuant à nouveau,
-débouter la société Sany Europe de ses demandes de ce chef ;
-infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté les sociétés Mat pro diffusion et Sany Guyane de leur demande d’indemnisation pour rupture des pourparlers ;
Et statuant à nouveau,
-condamner la société Sany Europe à payer aux défendeurs la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de pourparlers contractuels ;
-condamner la société Sany Europe à indemniser aux sociétés Mat pro diffusion et Sun TP, anciennement Sany Guyane, des sommes suivantes :
*266.670,45 euros au titre du préjudice financier,
*9.240 euros au titre des frais portuaires,
*23.300 euros au titre des frais de transport ;
-ordonner la compensation ;
-confirmer le jugement en ce qu’il a mis hors de cause la société Sany Guyane, devenue Sun TP, dans le paiement de la créance principale de la société Sany Europe ;
-confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Sany Europe de sa demande au titre des frais portuaires ;
-confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Sany Europe de sa demande au titre de la résistance abusive ;
-débouter la société Sany Europe de l’ensemble de ses fins et prétentions dont la demande d’indemnisation au titre d’un appel abusif ;
-condamner la société Sany Europe à payer à chacune des sociétés Mat pro diffusion et Sun TP, anciennement Sany Guyane, la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les entiers dépens avec distraction au profit de Me Julie Page, avocat.
Par conclusions récapitulatives du 08 avril 2022, la société Sany Europe GmbH demande de :
-confirmer le jugement du tribunal mixte de commerce de Cayenne rendu le 13 août 2021 en ce qu’il:
‘ condamne la société Mat pro diffusion à verser à la société Sany Europe Gmbh la somme de 266.670,45 euros, sauf en ce qu’il rejette la condamnation solidaire de la société Sany Guyane ;
‘ condamne la société Mat pro diffusion à verser à la société Sany Europe Gmbh la somme de 7.291,09 euros au titre des frais d’huissier exposés à l’occasion des saisies conservatoires réalisées par la société Sany Europe en date du 3 juillet 2020 et 29 juin 2020, sauf en ce qu’il rejette la condamnation solidaire de la société Sany Guyane et limite la condamnation à la somme de 7.291,09 euros;
‘ dit qu’en utilisant le terme Sany, notamment sur le site www.sanyguyane.fr, dont la société Sany Guyane est titulaire, celle-ci a porté atteinte au nom commercial Sany de la société demanderesse et a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de cette dernière, sauf en ce qu’il rejette la condamnation solidaire de la société Mat pro diffusion;
En conséquence,
‘ fait interdiction à Sany Guyane d’utiliser le terme Sany sous quelque forme que ce soit, en ce compris dans son nom de domaine et dans sa dénomination sociale, et ce sous astreinte de 150 euros par infraction constatée à compter de l’expiration du délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement, sauf en ce qu’il rejette la condamnation solidaire de la société Mat pro diffusion, qu’il rejette la demande d’astreinte de la société Sany Europe et qu’il rejette les autres mesures sollicitées;
‘ condamne la société Sany Guyane à verser à la société Sany Europe Gmbh la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaires commis à son encontre, sauf en ce qu’il rejette la condamnation solidaire de la société Mat pro diffusion et qu’il fixe le montant de l’indemnisation à la somme de 10.000 euros;
‘ condamne solidairement les sociétés Sany Guyane et Mat pro diffusion à verser à la société Sany Europe Gmbh la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
‘ condamne solidaire les sociétés Sany Guyane et Mat pro diffusion aux entiers dépens de l’instance ;
-infirmer le jugement du tribunal mixte de commerce de Cayenne rendu le 13 août 2021 en ce qu’il :
‘ déboute la société Sany Europe GmbH du surplus de ses demandes;
‘ déboute la société Sany Europe GmbH de la demande de condamnation solidaire des sociétés Mat pro diffusion et la société Sany Guyane ;
‘ déboute la société Sany Europe GmbH de sa demande formée au titre de la résistance abusive ;
‘ déboute la société Sany Europe GmbH des mesures d’injonction nécessaires à la cessation des agissements illicites des sociétés Mat pro diffusion et Sany Guyane ;
‘ limite à la somme de 10.000 euros le montant de l’indemnité sollicitée au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaires ;
Et statuant à nouveau,
1/ Sur la demande en paiement et d’indemnisation pour résistance abusive :
-condamner in solidum les sociétés Mat pro diffusion et Sun TP anciennement dénommée Sany Guyane à payer à la société Sany Europe GmbH la somme de 266.670,45 euros, déduction faite de la somme de 20.000 euros payée par la société Any Guyane, soit la somme de 246.670,45 euros;
-condamner in solidum les sociétés Mat pro diffusion et Sun TP anciennement dénommée Sany Guyane à payer à la société Sany Europe GmbH la somme de 50.000 euros pour résistance abusive;
-condamner in solidum la société Mat pro diffusion et la société Sun TP anciennement dénommée Sany Guyane à payer à la société Sany Europe GmbH, les frais d’huissier exposés présents et futurs, s’élevant au 08 avril 2022 à la somme de 21.691,09 euros, sauf à parfaire;
2/ Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
-condamner in solidum la société Mat pro diffusion et la société Sun TP anciennement dénommée Sany Guyane à payer à la société Sany Europe GmbH la somme de 100.000 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaires;
-faire interdiction à la Société Mat pro diffusion et la société Sun TP anciennement dénommée Sany Guyane d’utiliser le terme Sany sous quelque forme que ce soit, en ce compris dans son nom de domaine et dans sa dénomination sociale, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir;
-ordonner le transfert du nom de domaine sanyguyane.fr à la société Sany Europe GmbH, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir;
-ordonner la publication du dispositif et/ou d’un extrait de l’arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues au choix de la demanderesse, aux frais de la société Mat pro diffusion et de la société Sun TP anciennement dénommée Sany Guyane, dans la limite de 5.000 euros HT par publication;
3/ Sur l’appel abusif :
-condamner in solidum la société Mat pro diffusion et la société Sun TP anciennement dénommée Sany Guyane à payer à la société Sany Europe GmbH la somme de 20.000 euros pour appel abusif;
4/ Sur la demande des sociétés Mat pro diffusion et Sany Guyane au titre de la prétendue rupture des pourparlers :
-débouter les sociétés Mat pro diffusion et Sun TP anciennement dénommée Sany Guyane de cette demande;
En tout état de cause :
-débouter les sociétés Mat pro diffusion et Sun TP anciennement dénommée, Sany Guyane de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions;
-condamner in solidum les sociétés Mat pro diffusion et Sun TP anciennement dénommée Sany Guyane, à payer à la société Sany Europe GmbH, la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
-condamner in solidum les sociétés Mat pro diffusion et Sun TP anciennement dénommée Sany Guyane, aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La clôture de l’instruction est intervenue le 13 mai 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, qui seront exposés dans les motifs pour les besoins de la discussion, la cour se réfère aux conclusions sus-visées et à la décision déférée, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
Motifs
1/ Sur la demande principale en paiement
Au visa des articles 1353 du code civil et L.110-3 du code de commerce, et à l’examen des factures produites au nom de la société Mat pro diffusion, ainsi que des échanges de mails entre M. [V] [Z], dont l’adresse mail est [Courriel 7], et M. [N] [G], le tribunal a retenu que la société Mat pro diffusion avait commandé les machines facturées par la société Sany Europe, à charge pour elle de les revendre à la société Sany Guyane alors en cours de constitution.
Il a considéré que si, par la suite, la société Sany Europe avait émis des factures d’annulation portant sur les commandes :
– n° 20009318 d’un montant de 90 000 € ,
– n° 20009320 d’un montant de 32 000 €,
– n° 20009641,
il résultait des pièces produites que la société Sany Guyane avait été en possession des machines visées dans les dites factures d’annulation, ce dont il a déduit que ces dernières n’avaient pas valeur de résiliation.
Après déduction des versements intervenus, il a condamné la société Mat pro diffusion à payer à la société Sany Europe la somme de 266.670, 45€.
Les appelantes invoquent l’absence de cause des ventes, affirmant que la société Mat pro diffusion n’avait jamais eu l’intention d’acheter pour elle-même les machines mais seulement de conclure un contrat de concession avec la société Sany Europe, dont elle entendait devenir la représentante en Guyane. La société Mat pro diffusion conteste toute commande de machine.
Elles soutiennent que l’arrêt brutal, à l’initiative de la société Sany Guyane, du projet de partenariat commercial a privé les factures de cause.
Elles soulignent par ailleurs que la production des seules factures, à l’exclusion de justificatif des commandes et de la fourniture des machines, ne démontre pas l’existence de la créance dont le paiement est sollicité.
Subsidiairement, elles font valoir que le montant total des factures est de 246.670,45€, et qu’il convient de déduire de ce montant le produit de la vente des machines qui ont été saisies par l’intimée.
Cette dernière ne conteste pas l’évaluation du solde des factures.
En revanche, elle prétend qu’aucune déduction ne saurait s’appliquer au regard des saisies conservatoires, mesures provisoires, la valeur des machines diminuant au gré des délais de procédure.
Elle souligne que certaines des machines ont été revendues par les appelantes, ou entreposées au domicile de Mme [W] épouse [G].
Elle soutient que le paiement des factures n’était pas conditionné à la signature d’un contrat de concession, et relève que la première vente est intervenue avant même qu’un quelconque projet de concession ne soit évoqué.
La cour retient qu’en dépit de l’absence de toute formalisation des commandes des engins, leur vente à la société Mat pro diffusion est incontestable à la lecture des échanges de mails intervenus entre M. [Z] d’une part et MM. [N] et [R] [G] d’autre part, étant observé qu’il n’est pas contesté que ces derniers agissaient en qualité de représentant de leurs sociétés respectives Mat pro diffusion et Sany Guyane (Cf. les pièces de l’intimée n° 19 à 21 évoquant le paiement en cours ou à venir des machines, et les pièces n° 32 à 35 ayant pour objet des commandes).
Le paiement partiel des factures par la société Sany Guyane confirme au demeurant l’existence des ventes.
La livraison des machines est également établie à la lecture des mails, étant relevé que les sociétés appelantes ne contestent pas avoir revendu certaines d’entre elles, et que d’autres ont été saisies au domicile de l’épouse de M. [R] [G] (pièce n° 37 de l’intimée).
La rupture des pourparlers relatifs au projet de contrat de concession ne prive pas les ventes de leur cause dès lors qu’aucune des pièces produites ne permet de retenir que les ventes n’étaient conclues que dans ce cadre, mais aussi en ce que le projet de contrat de concession versé aux débats précise dans son article 1.3 : «le partenaire achète et vend les objets du contrat en son nom propre et à son compte. Il agit en qualité de commerçant indépendant, que ce soit vis-à-vis de SANY ou de ses clients ».
Le jugement doit toutefois être modifié en ce que :
– il n’est pas contesté que le solde des factures est désormais de 246 670,45€ ;
– la société Sun TP, anciennement dénommée Sany Guyane, qui est à l’origine de la commande de grilles de protection de machines (pièce n° 35), a réglé une partie des factures destinés à la société Mat pro diffusion au titre de la vente des machines elles-mêmes et était manifestement associée à cette dernière dans la commande des dites machines en vue de leur revente comme il apparaît à la lecture du mail de M. [N] [G] du 22 novembre 2019 en réponse à un mail adressé par M. [Z] à MM. [N] et [R] [G] (« nous avons signé la deuxième SY26′.Nous avons rendez-vous lundi pour finaliser la vente d’une SY 50′ nous devrions également pouvoir signer tous les documents pour la SY 215’. »), doit être condamnée in solidum avec la société Mat pro diffusion au paiement du solde des factures, sa responsabilité apparaissant ainsi engagée, étant observé qu’aucune commande ou facture ne permet de retenir que la société Sany Guyane a pu acheter des machines vendues par l’intimée auprès de la société Mat pro diffusion.
S’agissant de la demande de compensation à hauteur de 64 000 €, la cour adopte les motifs du tribunal qui a pu l’écarter dès lors que la saisie conservatoire est une mesure provisoire ; que les biens saisis ne peuvent faire l’objet d’une conversion en saisie-vente qu’une fois le débiteur condamné au paiement et qu’il ne peut donc être considéré qu’il existe en l’état des obligations réciproques entre les sociétés Sany Europe et Mat pro diffusion.
En revanche, le produit de la vente des machines saisies devra venir en déduction de la créance de la société Sany Europe.
2/ Sur les demandes de paiement de frais d’huissier et des factures émises par le port de l'[8]
Le tribunal a débouté la société Sany Europe de sa demande de paiement des factures adressées par le Port de [8] en l’absence d’élément démontrant qu’elle avait effectivement réglé celles-ci et que les préjudices dont elle se prévalait pouvaient être considérés comme des suites immédiates et directes de l’inexécution par la société Mat pro diffusion de ses obligations contractuelles et résultant d’une faute lourde ou dolosive ou du fait même de cette dernière et de la société Sany Guyane.
S’agissant des frais d’huissier exposés à l’occasion des saisies conservatoires, il a fait droit à la demande de la société Sany Europe après avoir rappelé que les frais occasionnés par une saisie conservatoire étaient par principe à la charge du débiteur.
L’intimée précise que les factures du port [8] ont été payées en cours de procédure par la société Sany Guyane.
Elle sollicite la confirmation du jugement s’agissant des frais d’huissier mais demande à la cour de compléter cette condamnation des frais futurs qui seront exposés, et chiffre le montant des frais d’ores et déjà engagés à la somme de 21 691,09€.
Le jugement sera infirmé sur le premier point compte tenu du paiement intervenu au titre des factures du port [8], et confirmé sur le second, mais complété par les frais de gardiennage exposés à la suite de la saisie de machines. Au jour du présent arrêt et à l’examen des pièces produites, les frais d’huissier s’élèvent à la somme de 19.761,95€.
3/ Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
Au visa des articles 1231-3, 1231-4, 1231-6, et 1240 du code civil, le tribunal a débouté la société Sany Europe de sa demande, considérant qu’aucune des pièces produites ne permettait de retenir une mauvaise foi caractérisée de la part de la société Mat pro diffusion, et que la société Sany Europe ne justifiait pas d’un préjudice indépendant qui lui aurait été causé par la mauvaise foi alléguée des consorts [G], de la société Sany Guyane et de la société Mat pro diffusion.
L’intimée souligne que les sociétés appelantes retiennent le paiement de la somme principale évoquée supra depuis plus de trois ans, qu’elles ont soustrait les machines pour les dissimuler au domicile de Mme [W] épouse [G], puis se sont opposées à la vente des machines saisies, dont la valeur se déprécie. Elle sollicite en conséquence le paiement de la somme de 50.000€ à titre de dommages et intérêts.
Les sociétés appelantes font valoir que c’est le refus injustifié de la société intimée de régulariser le contrat de concession qui a placé la société Mat pro diffusion dans l’impossibilité de payer. Elles affirment avoir accompli de nombreuses démarches pour régler les sommes réclamées.
Elles se prévalent enfin de l’absence de préjudice démontré par l’intimée.
L’opposition à la vente des machines saisie caractérise une résistance abusive des appelantes en l’absence, dans le même temps, de leur paiement intégral.
En revanche, la société intimée ne justifie pas d’un préjudice qui n’aurait pas été réparé par les condamnations précédentes.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
4/ Sur les demandes au titre des actes parasitaires et de concurrence déloyale
Le tribunal a considéré que la société Sany Guyane avait fait usage du sigle Sany Guyane à titre de dénomination sociale et de nom commercial.
S’agissant du nom commercial, il a relevé que :
-la société Sany Europe produisait des factures à destination des deux sociétés Mat pro diffusion et Sany Guyane sur lesquelles figuraient sa dénomination, ce dont il a déduit que l’intimée établissait que « Sany » était son nom commercial utilisé sur le territoire français, et qu’elle pouvait en demander la protection sur le territoire français ;
-la société Sany Guyane utilisait un sigle proche de celui de la société Sany Europe, avec un code couleur similaire, se présentait comme étant concessionnaire de matériels TP et proposait exclusivement des engins de la marque Sany.
Il a en conséquence retenu qu’il existait un risque de confusion pour le consommateur final, celui-ci pouvant légitimement être amené à croire que Sany Guyane était concessionnaire de Sany Europe, et que la société Sany Guyane avait porté atteinte au nom commercial de la Sany.
S’agissant du nom de domaine, le tribunal a observé que « sanyeurope.com » était accessible notamment en langue française et qu’il renvoyait à un réseau de distributeur. Il a jugé que, dans ces conditions, la société Sany Europe pouvait effectivement considérer que l’utilisation du domaine « www.sanyguyane.fr » caractérisait un acte parasitaire, susceptible de lui porter préjudice.
En l’absence de production de son chiffre d’affaires en Guyane et de justificatif de l’exercice sur ce territoire d’une quelconque activité, et en conséquence de l’ampleur de son préjudice, le tribunal a limité l’indemnisation de la société Sany Europe à 10 000€.
Il a par ailleurs débouté cette dernière de sa demande de publication du dispositif du jugement, le dommage étant suffisamment réparé.
Il a en revanche fait droit aux demandes d’interdiction sollicitées.
Les sociétés appelantes dénient à l’intimée tout droit spécifique à la dénomination Sany sur le territoire national en ce que, société allemande ne justifiant d’aucune immatriculation en France, elle n’a aucune existence légale sur ce même territoire.
Elles soulignent que l’intimée ne dispose d’aucune clientèle en Guyane, de sorte qu’il n’existe aucun risque de confusion auprès de la clientèle guyanaise.
Elles affirment que l’utilisation du nom commercial et du domaine a été faite avec l’accord de la société intimée dans le cadre du projet de partenariat.
Elles précisent que la dénomination sociale de Sany Guyane a été abandonnée et que le site associé à cette société a été désactivé.
Elles mettent en exergue l’absence de préjudice subi par l’intimée.
Cette dernière dénonce une atteinte à sa dénomination sociale et à son image par la confusion entretenue dans l’esprit des clients résultant de la création du site internet sanyguyane.fr et la reproduction sur ce site de la dénomination sociale Sany et Sany Europe, des produits de la société Sany Europe et des photos, clichés et images de la société Sany Europe.
Elle fait également grief aux sociétés appelantes de revendiquer faussement la qualité de concessionnaire de la société Sany Europe, et de commercialiser des produits dont elles ne disposent pas.
Elle affirme que les agissements des appelantes aboutissent à ce que la clientèle et les tiers les associent à la société Sany Europe.
L’intimée fait valoir qu’elle a une activité en France notamment à travers son réseau, et que sa dénomination sociale est exploitée.
Elle conteste toute autorisation d’usage du terme Sany et souligne à cet égard, d’une part, que le contrat de concession produit par les appelantes n’a pas été signé ; d’autre part, que M. [Z] en sa qualité de directeur commercial ne disposait pas du pouvoir d’autoriser l’utilisation de la dénomination Sany ; enfin, que les sociétés appelantes ont été interdites d’utiliser la dénomination Sany par divers courriels et lettre.
S’agissant du préjudice subi, elle soutient que l’utilisation du terme Sany a permis aux appelantes de commercialiser des produits entraînant un manque à gagner et une perte directe pour elle, et fait valoir une atteinte à son image.
L’intimée sollicite la publication d’extrait de l’arrêt au motif qu’il est dans son intérêt de faire savoir qu’elle défend ses droits et d’informer le public des agissements délictuels de MM. [G].
Une situation de concurrence directe ou effective entre les sociétés considérées n’est pas une condition de l’action en concurrence déloyale qui exige seulement l’existence de faits fautifs, y compris non intentionnels, générateurs d’un préjudice.
Ainsi peut être sanctionné le simple fait de n’avoir pas pris les précautions nécessaires pour éviter un risque de confusion avec des produits concurrents.
Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de constater que le procédé ait eu pour objet de créer un risque de confusion, s’il a eu cet effet.
En l’espèce, le tribunal a pu retenir à bon droit, pour les motifs que la cour adopte, des actes de concurrence déloyale et parasitaires, étant souligné que :
-la société intimée justifie d’une activité sur le territoire français ;
-les sociétés appelantes ne peuvent se prévaloir d’aucune autorisation expresse, dénuée de toute équivoque et donnée par la personne qui en a le pouvoir, d’utiliser le nom « Sany ».
La cour l’approuve également en ce qu’il a limité l’indemnisation sollicitée à la somme de 10 000€ qui répare le préjudice moral subi, en l’absence de tout justificatif de préjudice matériel, l’utilisation de son nom ayant été faite sur une partie du territoire français (la Guyane) sur laquelle elle n’exerce aucune activité. Cette condamnation sera à la charge, in solidum, des deux sociétés appelantes en ce qu’elles ont été associées dans la commission de la faute.
L’abandon du nom « Sany Guyane » et la désactivation du site y afférent rendent sans objet les mesures d’interdiction sollicitées.
La publication de l’arrêt n’apparaît pas justifiée au regard du lieu de commission de la concurrence (soit un département sur lequel la société Sany Europe n’exerce pas son activité), de la faible durée pendant laquelle les actes dénoncés ont eu lieu, et de leur cessation.
5/ Sur les demandes d’indemnisation au titre de la rupture abusive des pourparlers contractuels
Le tribunal a considéré que s’il ressortait des échanges de courriels entre M. [V] [Z] et les consorts [G] que la société Sany Europe avait connaissance des commandes passées au nom de la société Mat pro diffusion, en l’attente de constitution de la société Sany Guyane, et que celle-ci avait vocation à revendre les engins Sany, ainsi acquis, les relations entre les parties s’étaient détériorées en raison des factures restant dues par la société Mat pro diffusion à la société Sany Europe.
Dans ces conditions et en l’absence de tout autre élément, il a jugé qu’en s’abstenant de s’engager contractuellement avec la société Sany Guyane afin de lui donner la qualité de distributeur de sa marque, la société Sany Europe n’avait pas rompu de manière brutale et abusive les pourparlers avec les deux autres sociétés précitées.
Les sociétés appelantes soutiennent que la rupture des pourparlers contractuels, qui étaient avancés, caractérise une faute à l’origine d’un préjudice financier, humain et matériel, dont elles évaluent la réparation à la somme de 50 000€.
Elles affirment également que cette même rupture leur a causé un préjudice en ce qu’elles se sont trouvées débitrices d’importantes sommes qu’elle n’aurait jamais exposées sans être assurées de conclure un contrat de concession. Elles sollicitent en conséquence la condamnation de l’intimée à leur payer la somme de 266 670,45€ au titre de son préjudice financier, 9 240€ au titre des frais portuaires, et 23 300€ au titre des frais de transport, sommes à compenser avec la créance de l’intimée.
Cette dernière prétend que ses relations avec la société Mat pro diffusion se limitaient à la prise de commandes et que les initiatives de M. [G] pour anticiper la signature d’un contrat de concession sont de sa seule responsabilité.
Elle précise que la « plaquette réunion concessionnaire » produite en pièce n° 2 par les sociétés appelantes qui prétendent que la société Mat pro diffusion était présentée comme son représentant en Guyane constitue le power point réalisé pour les besoins d’une journée de présentation Sany Europe, utilisé seulement devant les participants d’une journée et que seules certaines des sociétés qui y figuraient sont effectivement devenues par la suite des distributeurs de la société Sany Europe.
A défaut d’élément nouveau, la cour estime que le tribunal a fait une exacte appréciation de la cause ainsi que des droits des parties et a, par de justes motifs qu’elle approuve, retenu que la rupture des pourparlers n’avait été ni brutale, ni abusive.
6/ Sur la demande de dommages et intérêts pour appel abusif
L’intimée soutient que la présente procédure participe de la stratégie dilatoire que les sociétés appelantes ont mise en ‘uvre. Elle dénonce la témérité et l’intention de nuire des appelantes et sollicite l’allocation d’une somme de 20 000€ à titre d’indemnisation.
Les sociétés appelantes font valoir que seul un véritable abus à l’occasion de l’exercice d’une action en justice engage la responsabilité de celui qui en est à l’origine ; qu’en l’espèce, elles n’ont fait que défendre leur position face aux revendications de la société intimée.
Elles rappellent au surplus que le tribunal n’a pas fait droit à l’intégralité des prétentions présentées, admettant ainsi le bien fondé d’une partie de leur argumentation.
Le rejet de l’argumentation des sociétés appelantes ne permet pas à lui seul de retenir le caractère abusif de l’appel.
En l’absence de toute malice, mauvaise foi ou erreur grossière équivalente au dol caractérisée, cette prétention doit être rejetée.
7/ Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné solidairement les société Mat pro diffusion et Sany Guyane aux dépens et à payer à la société Sany Europe la somme de 3.000€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Succombant en leur recours, les sociétés appelantes supporteront solidairement la charge des dépens d’appel.
La société intimée sollicitant à la fois la confirmation du jugement s’agissant des frais irrépétibles de première instance et l’allocation d’une somme de 20 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, il s’en déduit que cette demande vise les frais irrépétibles engagés en cause d’appel
.
Le sens de la décision et l’équité justifient la condamnation solidaire des appelantes à lui payer la somme de 5 000€ à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition par le greffe,
Infirme le jugement du tribunal mixte de commerce de Cayenne du 13 août 2021 sauf en ce qu’il a :
-rejeté la demande de paiement de la société Sany Europe GmbH au titre des factures émises par le port de l'[8] ;
-rejeté la demande de compensation présentée par les sociétés Mat pro diffusion et Sun Tp anciennement dénommée Sany Guyane ;
-rejeté la demande d’indemnisation de la société Sany Europe GmbH au titre d’une résistance abusive ;
-condamné la société Sany Guyane à verser à la société Sany Europe GmbH la somme de 10 000 € en réparation de son préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaires commis à son encontre;
-rejeté la demande de publication du dispositif du jugement ;
-rejeté la demande de dommages et intérêts des sociétés Mat pro diffusion au titre d’une rupture abusive des pourparlers contractuels ;
-condamné solidairement les sociétés Sany Guyane, Mat Pro diffusion à verser à la société Sany Europe GmbH la somme de 3 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;
Statuant à nouveau,
Condamne in solidum les sociétés Mat pro diffusion et Sun TP, anciennement dénommée Sany Guyane, à payer à la société Sany Europe GmbH la somme de 246.670,45 € (deux cent quarante-six mille six cent soixante-dix euros et quarante-cinq centimes) au titre du solde de ses factures, somme dont devra être déduit le produit de la vente des machines saisies ;
Condamne in solidum les sociétés Mat pro diffusion et Sun TP, anciennement dénommée Sany Guyane, à payer à la société Sany Europe GmbH la somme de 19 761,95€ (dix-neuf mille sept cent soixante et un euros et quatre-vingt-quinze centimes) au titre des frais d’huissier exposés à ce jour ;
Déboute la société Sany Europe GmbH de sa demande d’interdiction du terme Sany, devenue sans objet ;
Et y ajoutant,
Déboute la société Sany Europe GmbH de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;
Condamne solidairement les société Mat pro diffusion et Sun TP, anciennement dénommée Sany Guyane, aux dépens d’appel ;
Condamne solidairement les société Mat pro diffusion et Sun TP, anciennement dénommée Sany Guyane, à payer à la société Sany Europe GmbH la somme de 5 000 € (cinq mille euros) au titre des frais irrépétibles engagés en cause d’appel.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par la Présidente de chambre et le Greffier.
Le GreffierLa Présidente de chambre
Fanny MILANAurore BLUM