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Dans le cadre du développement d’un progiciel, suspendre la poursuite d’une relation commerciale peut être assimilée à une résiliation fautive de la part de celui qui en a pris l’initiative.
En l’occurrence, il a été jugé que la résiliation du contrat ne peut être imputée à la société IC3i (sous-traitant), mais résulte de la seule volonté des sociétés Probayes et Sintégra exprimée par leurs courriers recommandés.
Les contrats cadres de sous traitance ont été conclus pour une durée de trois ans. Leur réalisation a été organisée en phases successives d’une durée de six mois à un an, donnant lieu chacune à un contrat de sous traitance spécifique décrivant les tâches confiées à la société IC3i.
Selon les termes de leur article 8, leur résiliation unilatérale par chacun des cocontractants a été prévue en cas de force majeure, d’arrêt du projet quelqu’en soit la raison, ainsi qu’en cas de manquement caractérisé aux obligations des parties.
Les trois premières phases d’exécution du programme ont été intégralement réalisées, livrées, facturées par la société IC3i et payées sans réserves par les sociétés ProbaYes et Sintégra.
Néanmoins, par courriers, ces dernières ont notifié à leur sous traitante qu’elles n’étaient pas en mesure de lui commander de nouveaux travaux et qu’elles suspendaient leur relation de sous traitance : «dans l’attente des résultats des discussions entre les partenaires et la DGA» et promettant de reprendre contact «une fois la décision prise quant aux suites qui seront données au projet»
Les donneurs d’ordre ne font état dans ces courriers d’aucun grief à l’encontre de leur sous traitante et ne fournissent aucune indication sur la nature des discussions avec la DGA.
Il n’est pas établi qu’ils ont repris contact avec leur sous traitant avant les notifications, par leur conseil, de la résiliation des contrats de sous traitance aux torts exclusifs de la société IC3i en se prévalant de l’intention exprimée par cette dernière de ne pas poursuivre le projet ModTer aux conditions contractuelles initiales, en lui reprochant un courrier de réponse à la suspension du contrat leur intimant de choisir entre la résiliation du contrat-cadre et son exécution avec régularisation d’un avenant modificatif relatif à la propriété industrielle de ses travaux.
Dans ces conditions, la rupture des relations contractuelles a pu générer pour le sous traitant une perte de chance de se voir confier les phases de travaux restantes jusqu’au terme du projet à concurrence du budget prévu. 5 % le pourcentage de probabilité d’exécution des conventions de sous traitance jusqu’à leur terme.
Le préjudice économique correspondant à la perte de marge et non à celle du chiffre d’affaires a également été indemnisé.
N° RG 21/03564 – N° Portalis DBVM-V-B7F-LADV
C1
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL EUROPA AVOCATS
la SELARL CABINET LONJON ET ASSOCIES
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 07 SEPTEMBRE 2023
Appel d’un jugement (N° RG 2019J00157)
rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE
en date du 28 juin 2021
suivant déclaration d’appel du 02 août 2021
APPELANTE :
S.A.R.L. INNOVATION CONSEIL INTERNATIONAL EN IMAGERIE ET IN FORMATIQUE (IC3I) au capital de 100 000 euros, immatriculée au RCS de Versailles sous le numéro B 440 812 188, représentée par son gérant, Monsieur [L] [M], domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 5]
représentée par Me Sylvain REBOUL de la SELARL EUROPA AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me SPINELLA, avocat au barreau de CHAMBERY
INTIMÉES :
S.A.S. PROBAYES au capital de 88 000,00 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de GRENOBLE sous le numéro 450 538 830, prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège,
[Adresse 4]
[Localité 3]
S.A.S. SINTEGRA au capital de 71 520 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de GRENOBLE, sous le numéro 334 381 746, prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentées et plaidant par Me Hélène MOURIER de la SELARL CABINET LONJON ET ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière.
DÉBATS :
A l’audience publique du 22 mars 2023, Mme BLANCHARD, conseillère, a été entendue en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré.
EXPOSE DU LITIGE :
Le 1er juin 2012, les sociétés Innovation, Conseil international en imagerie & information-IC3i, ProbaYes, Sintégra et l’Institut National de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture (INRSTEA) ont signé un accord de confidentialité en vue de la mise en place d’un projet de développement d’un environnement informatique de modélisation et de simulation de l’incertitude du terrain dénommé ModTer, subventionné par la Direction Générale de l’Armement (DGA) dans le cadre du Régime d’Appui PME pour l’Innovation Duale (RAPID).
Par deux actes sous seing privé du 1er septembre 2013, la société ProbaYes d’une part et la société Sintégra d’autre part ont chacune conclu une convention cadre de sous traitance avec la société IC3i, cette dernière n’ayant pas été agréée par la DGA en qualité de partenaire du projet.
Les 1er septembre 2013, 1er mars et 1er septembre 2014, les mêmes parties ont régularisé des contrats de sous-traitance pour chacune des trois premières phases du projet Modter.
Le 10 décembre 2013, les partenaires du projet, les sociétés ProbaYes, Sintégra et l’INRSTEA ont signé un accord de consortium, sur lequel la société IC3i a émis des réserves de conformité avec les conventions de sous-traitance, quant à la protection de sa propriété intellectuelle.
Fin 2014, une présentation du projet à des tiers a été envisagée à laquelle la société IC3i s’est opposée et des dissensions sont apparues entre les sociétés ProbaYes et IC3i relatives à la propriété intellectuelle des travaux réalisés dans le cadre du projet.
La société IC3i a livré à ses donneurs d’ordre les travaux qui lui avaient été confiés au titre de la phase III du projet et en a reçu paiement.
Par courriers du 22 avril 2015, la société IC3i a interrogé les sociétés ProbaYes et Sintégra sur la poursuite de leurs relations contractuelles et par courriers de réponse du 24 avril, ces dernières lui ont toutes deux notifié la suspension de l’exécution du contrat cadre de sous-traitance dans l’attente d’une décision de la DGA sur la poursuite du projet ModTer, avant de lui en notifier la résiliation le 29 janvier 2016.
Sur l’assignation en indemnisation de la société IC3i et par jugement du 28 juin 2021, le tribunal de commerce de Grenoble a :
– dit que la rupture des contrats-cadre de sous-traitance du 1er septembre 2013 est exclusivement imputable à la SARL Innovation Conseil International en Imagerie et Information (IC3i),
– rejeté toutes les demandes de la SARL Innovation Conseil International en Imagerie et Information (IC3i),
– condamné la SARL Innovation Conseil International en Imagerie et Information (IC3i) à payer à chacune des sociétés ProbaYes et Sintégra une somme arbitrée à 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société IC3i en tous les dépens et les a liquidés.
Suivant déclaration au greffe du 2 août 2021, la société IC3i a relevé appel de cette décision, en toutes ses dispositions, telles qu’elle les a énumérées dans son acte d’appel.
Prétentions et moyens de la société IC3i :
Au terme de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 20 février 2023, la société IC3i demande à la cour de :
– réformer le jugement dont appel en ce qu’il a dit que la rupture des contrats-cadre de sous-traitance du 1er septembre 2013 est exclusivement imputable à la société IC3i, a rejeté toutes les demandes de cette dernière, l’a condamnée à payer à chacune des sociétés ProbaYes et Sintégra une somme de 2000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et l’a condamnée aux dépens,
– statuant à nouveau,
– condamner la société ProbaYes à payer à la société IC3i la somme de 103.281,60 euros ttc (86.068 euros ht), restant due au titre de la convention du 1er septembre 2013, outre intérêts au taux légal à compter du 1er septembre 2016, terme contractuel de la convention,
– condamner la société Sintégra à payer à la société IC3i la somme de 168.000 euros ttc (140.000 euros ht), restant due au titre de la convention du 1er septembre 2013, outre intérêts au taux légal à compter du 1er septembre 2016, terme contractuel de la convention,
– condamner la société ProbaYes à payer à la société IC3i la somme de 216.000 euros ttc (180.000 euros ht) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour la perte de chance,
– condamner solidairement la société ProbaYes et la société Sintégra à payer à la société IC3i la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et du préjudice d’image,
– condamner solidairement la société ProbaYes et la société Sintégra à payer à la société IC3i la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner solidairement la société ProbaYes et la société Sintégra aux entiers dépens de première instance et d’appel,
– rejeter l’intégralité des demandes formulées par les sociétés ProbaYes et Sintégra dans le cadre de leur appel incident.
La société IC3i critique la motivation du jugement de première instance en ce qu’il a considéré que la rupture des conventions de sous-traitance lui était exclusivement imputable à la lecture de ses courriers des 22 avril et 7 mai 2015, alors qu’elle n’avait accepté la sous-traitance qu’à la condition de garder la propriété intellectuelle des technologies de modélisation de l’incertitude du terrain apportées ou développées par elle ; qu’à plusieurs occasions, la société ProbaYes a semblé contester sa propriété intellectuelle ; que les sociétés Sintégra et ProbaYes ont cherché à l’évincer du projet ModTer en soumettant à la DGA une proposition de poursuite du projet sans elle et qu’elles n’ont pas répondu à ses demandes de définition des travaux de la phase IV, démontrant leur volonté de résilier les conventions de sous-traitance.
Elle soutient que ce sont bien les sociétés ProbaYes et Sintégra qui ont mis fin aux conventions de sous-traitance, en obtenant en juillet 2015 l’agrément par la DGA de leur demande de poursuite du projet sans elle; que ses courriers du 22 avril ne visaient qu’à inciter ses cocontractantes à renoncer à son éviction et à les placer devant l’alternative de la poursuite de leur collaboration ou de la résiliation des conventions et non à modifier les termes de ces dernières ; qu’il ne s’agissait ni d’un ultimatum, ni de menaces et de man’uvres ainsi que l’a retenu le tribunal.
Elle fait valoir que les conventions ne prévoyaient la rupture unilatérale qu’en cas de force majeure, d’arrêt du projet, de manquement caractérisé aux obligations des parties ; qu’aucun cas de force majeure n’est établi et que ses
prestations techniques ne peuvent justifier la résiliation brutale de la sous-traitance, puisque tous ses rapports de recherche ont été approuvés et payés.
Elle considère que le seul motif de la résiliation est son refus d’autoriser la société ProbaYes à présenter le projet ModTer à la société MBDA, alors que ce projet reposait sur des technologies qu’elle seule avait développées, soumises aux stipulations de l’accord de confidentialité et que la société ProbaYes a passé outre son refus.
Elle se prévaut de l’absence de motif légitime, de tout préavis et du caractère brutal de la résiliation pour prétendre, outre le paiement du solde des sommes dues en vertu des contrats, à l’indemnisation de ses préjudices économique et professionnel, constitués d’une part du prix de ses prestations et des redevances sur la commercialisation du progiciel qu’elle aurait du percevoir en exécution du contrat que la rupture anticipée lui a fait perdre une chance d’obtenir, d’autre part des atteintes à sa réputation et à son image, la société ProbaYes lui ayant fait courir le risque de ne pas pouvoir obtenir un brevet en présentant les résultats du projet à des tiers et l’ayant dénigrée auprès de la DGA.
Prétentions et moyens des sociétés ProbaYes et Sintégra:
Selon le dernier état de leurs conclusions notifiées le 23 novembre 2022, les sociétés ProbaYes et Sintégra entendent voir :
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
. dit que le rupture des contrats-cadre de sous-traitance du 1er septembre 2013 est exclusivement imputable à la société IC3i ;
. rejeté toutes les demandes de la société IC3i ;
– en conséquence :
– débouter la société «Innovation, Conseil international en imagerie & information – IC3i» de ses demandes, fins et conclusions ;
– pour le surplus,
– réformer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes d’indemnisation formées par les sociétés ProbaYes et Sintégra au titre de la rupture des contrats de sous-traitance,
– en conséquence :
– condamner la société «Innovation, Conseil international en imagerie & information – IC3i» à payer à la société ProbaYes la somme de 331 000 euros au titre du préjudice subi par elle,
– condamner la société Innovation, Conseil international en imagerie & information – IC3i à payer à la société Sintégra la somme de 336.000 euros au titre du préjudice subi ,
– condamner la même à payer à la société ProbaYes et à la société Sintégra la somme de 4000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la même aux entiers dépens d’appel.
Les intimées rappellent que la qualité de sous-traitant de la société IC3i a résulté du refus d’agrément de cette dernière par la DGA en qualité de partenaire du projet pour des raisons financières et font valoir que les contrats de sous-traitance assuraient la protection de sa propriété intellectuelle sur les technologies de modélisation et de simulation de l’incertitude du terrain.
Elles contestent avoir eu pour objectif de priver la société IC3i de ses droits de propriété intellectuelle dans l’accord de consortium et avoir violé les stipulations contractuelles à ce sujet par la présentation du projet à un tiers, soulignant que la société IC3i n’a déposé aucune demande de brevet et qu’elle a participé au comité de pilotage qui a validé collectivement les planches de présentation.
Elles soutiennent que la rupture du contrat cadre de sous-traitance est imputable à la société IC3i qui a tenté par des manoeuvres et des menaces d’obtenir une modification des conventions à son seul profit, dans le but de se réserver les développements militaires du projet.
Les sociétés ProbaYes et Sintégra considèrent que la résiliation des contrats de sous-traitance leur a causé un manque à gagner et se prévalent chacune d’une perte de chance de 30 % de réaliser la marge espérée.
Elles contestent les postes d’indemnisation sollicités par la société IC3i aux motifs que le préjudice est seulement constitué d’une perte de chance de réaliser sa marge commerciale, qu’il n’est pas justifié de celle-ci, que la société IC3i réclame l’intégralité du chiffre d’affaires prévisionnel sur la commercialisation du progiciel alors qu’il ne peut s’agir que d’une perte de chance et qu’elle ne rapporte pas la preuve de son préjudice d’image.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 23 février 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°) sur la rupture du contrat :
Les contrats cadres de sous traitance du 1er septembre 2013, ont été conclus pour une durée de trois ans. Leur réalisation a été organisée en phases successives d’une durée de six mois à un an, donnant lieu chacune à un contrat de sous traitance spécifique décrivant les tâches confiées à la société IC3i.
Selon les termes de leur article 8, leur résiliation unilatérale par chacun des cocontractants a été prévue en cas de force majeure, d’arrêt du projet ModTer quelqu’en soit la raison, ainsi qu’en cas de manquement caractérisé aux obligations des parties.
Il n’est pas discuté que les trois premières phases d’exécution du programme ont été intégralement réalisées, livrées, facturées par la société IC3i et payées sans réserves par les sociétés ProbaYes et Sintégra.
Néanmoins, par courriers du 24 avril 2015, ces dernières ont notifié à leur sous traitante qu’elles n’étaient pas en mesure de lui commander de nouveaux travaux et qu’elles suspendaient leur relation de sous traitance : «dans l’attente des résultats des discussions entre les partenaires et la DGA» et promettant de reprendre contact «une fois la décision prise quant aux suites qui seront données au projet»
Les donneurs d’ordre ne font état dans ces courriers d’aucun grief à l’encontre de leur sous traitante et ne fournissent aucune indication sur la nature des discussions avec la DGA.
Il n’est pas établi qu’ils ont repris contact avec leur sous traitant avant les notifications, adressées le 29 janvier 2016 par leur conseil, de la résiliation des contrats de sous traitance aux torts exclusifs de la société IC3i en se prévalant de l’intention exprimée par cette dernière de ne pas poursuivre le projet ModTer aux conditions contractuelles initiales, en lui reprochant un courrier de réponse à la suspension du contrat leur intimant de choisir entre la résiliation du contrat-cadre et son exécution avec régularisation d’un avenant modificatif relatif à la propriété industrielle de ses travaux.
La cour relèvera dans un premier temps que le courrier de réponse adressé le 7 mai 2015 par la société IC3i contestait la validité de la suspension comme n’étant pas une option contractuellement prévue et considérait que ses donneurs d’ordre ne pouvaient que résilier le contrat de sous traitance, ou la contacter pour définir les travaux de la phase IV.
Ce courrier de réponse sur lequel se fondent les sociétés ProbaYes et Sintégra pour caractériser la volonté de la société IC3i de remettre en cause les conditions contractuelles, ne contient en réalité aucune exigence de signature d’avenants.
C’est par lettres recommandées du 22 avril 2015, adressées à chacune des sociétés ProbaYes et Sintégra que la société IC3i a sommé ses cocontractantes sous un délai de 10 jours de choisir entre d’une part, la décision d’interrompre leur collaboration et de rompre leurs relations commerciales, d’autre part, la définition des travaux de la phase IV du programme Modter, précisant alors que dans cette hypothèse : «je crois qu’il sera nécessaire de rédiger un avenant à la convention de sous traitance(‘) pour éviter que ne se reproduisent à l’avenir de telles difficultés»
Si la société IC3i a bien sommé les destinataires de ces courriers de prendre position sur la poursuite ou non des contrats, il ne peut être considéré qu’elle l’a conditionnée à une modification des conditions contractuelles.
Par ailleurs, il doit être relevé que ces courriers font suite à deux précédents en date du 3 avril 2015, par lesquels la société IC3i a rappelé à ses donneurs d’ordre la livraison et le règlement sans réserves de la phase III du projet Modter et leur a expressément demandé de procéder à la définition du contenu des travaux de la phase IV.
Or, cette demande est demeurée sans autre réponse que la notification de la suspension de la relation de sous traitance par les sociétés ProbaYes et Sintégra.
Les pièces versées aux débats, et particulièrement des échanges de courriels entre les cocontractantes d’une part et entre elles et leurs interlocuteurs au sein de la DGA d’autre part, montrent en outre que malgré les stipulations des contrats cadres de sous traitance à ce sujet, les désaccords entre les sociétés IC3I et ProbaYes sur la propriété intellectuelle des travaux, la contribution de chaque contractant aux résultats et leur exploitation commerciale, ainsi que le dépôt de brevets se sont manifestés dès la rédaction de l’accord de consortium et qu’ils ont été exacerbés en fin d’année 2014 par la perspective de la présentation du projet ModTer à une société MBDA, dans le cadre du dispositif RAPID.
A cette occasion, la société IC3i s’est opposée à cette présentation, avant de demander que les planches de présentation soient complétées de mentions précisant qu’elle est à l’origine du projet et lui réservant le développement des applications militaires, cette dernière requête étant rejetée par ProbaYes dans sa réponse du 6 janvier 2015 au motif que la convention de sous traitance n’opérait pas de distinction entre les domaines civil et militaire pour l’exploitation des résultats.
Selon les articles 10, 11 et 12 des conventions de sous-traitance, la société IC3i conserve l’entière propriété intellectuelle des technologies apportées et existantes au 1er septembre 2013, ainsi que de celles qu’elle devra développer durant le projet, concédant à ses partenaires un droit d’utilisation permettant à la société Probayes de développer le progiciel ModTer.
Les parties ont également défini entre elles la répartition de la valorisation et de la commercialisation du projet et ont attribué à la société IC3i le commerce des études pour permettre d’intégrer les technologies développées dans le projet ModTer à d’autres systèmes d’information opérationnels, notamment dans le domaine militaire.
Enfin, les conventions précisent que jusqu’au dépôt d’un brevet par IC3i sur les technologies ModTer, «les partenaires du consortium s’interdisent de faire toute communication dans la littérature technique et scientifique sans une approbation écrite» de sa part.
Si par courriel du 6 janvier 2015, M.[M], dirigeant de la société IC3i, a conditionné sa participation au comité de pilotage du projet ModTer, prévue le 8 janvier suivant, à la signature par le dirigeant de la société ProbaYes d’une
reconnaissance à IC3i de sa propriété intellectuelle sur deux documents, il y a finalement participé et selon le compte rendu de cette réunion, il a déclaré s’interroger sur la livraison ou non d’une partie des travaux de la phase III, que lui a réclamée la société ProbaYes par courrier recommandé du 23 janvier 2015 avec avis de réception du 27 janvier suivant, mais dont il n’est pas discuté qu’ils ont bien été livrés quoiqu’avec retard et intégralement payés.
Il est ainsi établi que des dissensions sérieuses sont apparues entre les parties, et principalement entre les sociétés ProbaYes et IC3i, quant à l’interprétation et le respect des stipulations de leurs conventions. Il ne peut cependant être tiré ni des termes des courriers de la société IC3i en date des 3, 22 avril et 7 mai 2015, ni de ses réticences et requêtes, une volonté claire et univoque de mettre un terme à sa participation au projet ModTer et de rompre ses relations contractuelles avec ses donneurs d’ordre.
A l’inverse, les échanges de courriels entre les interlocuteurs du projet au sein de la DGA et le gérant de la société IC3i révèlent que dès les mois de février et mars 2015, cette dernière a cessé d’être conviée aux réunions du consortium et que la société ProbaYes a présenté à la DGA un nouveau dossier technique de poursuite du projet ModTer sans elle.
Ces éléments permettent d’une part de comprendre quelle était la nature des discussions en cours justifiant, pour les sociétés Probayes et Sintégra, que la relation de sous traitance soit suspendue, d’autre part de constater qu’elles n’avaient déjà plus l’intention de confier les travaux de la phase IV à la société IC3i, ni de poursuivre leur collaboration.
En conséquence, la résiliation du contrat ne peut être imputée à la société IC3i, mais résulte de la seule volonté des sociétés Probayes et Sintégra exprimée par leurs courriers recommandés des 24 avril 2015 et 29 janvier 2016.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a dit que la rupture des conventions de sous-traitance du 1er septembre 2013 est exclusivement imputable à la société IC3i.
2°) sur l’indemnisation :
La société IC3i réclame paiement des sommes qu’elle aurait perçues si le projet était parvenu à son terme, ainsi que l’indemnisation de sa perte de chance de percevoir des redevances sur la commercialisation par la société Probayes du progiciel ModTer.
Les conventions prévoyaient que les travaux confiés à la société IC3i seraient rémunérés sur un tarif forfaitaire de 910 euros par jour et sur la base d’une estimation du temps de travail réalisée lors de leur définition et ce, dans la limite d’un budget forfaitaire de 170.000 euros ht concernant la société ProbaYes et de 280.000 euros concernant la société Sintégra.
Les conventions renvoyaient leur exécution à la régularisation de contrats spécifiques à chaque phase de travaux pour leur description et la détermination de leur prix.
Dans ces conditions, la rupture des relations contractuelles n’a pu générer pour le sous traitant qu’une perte de chance de se voir confier les phases de travaux restantes jusqu’au terme du projet à concurrence du budget prévu.
Or, ainsi que l’a relevé l’un des responsables du projet au sein de la DGA dans son courriel du 24 juin 2015, la possibilité de continuer le projet dans sa forme initiale sans grosse difficulté paraissait douteuse compte tenu des divergences apparues entre les partenaires.
L’ensemble des éléments précédemment examinés démontrent que si la rupture n’avait pas été consommée par la notification délivrée par les sociétés ProbaYes et Sintégra, la détérioration de leurs relations avec la société IC3i aurait
constituée un obstacle important à la poursuite du projet ModTer et permettent à la cour d’évaluer à 45 % le pourcentage de probabilité d’exécution des conventions de sous traitance jusqu’à leur terme.
De plus, le préjudice économique ne peut correspondre qu’à la perte de marge et non à celle du chiffre d’affaires, alors que, s’agissant de travaux non réalisés, les coûts de production n’ont pas été engagés et la société IC3i ne fournit aucun élément comptable de nature à justifier de son taux de marge.
Concernant la perte de chance de percevoir des redevances sur la commercialisation du progiciel, la demande est fondée sur un simple prévisionnel de chiffre d’affaires.
Il résulte du document de description du projet ModTer présenté dans le cadre du dispositif RAPID que les perspectives d’applications civiles et militaires dépendent de la démonstration de la validité du concept et des résultats obtenus. Il existe donc un aléa dans la réalisation de ce prévisionnel qui s’ajoute à celui tenant à l’exécution complète du projet ce qui conduira la cour à fixer à 30% le pourcentage de la perte de chance subie par la société IC3i de percevoir des redevances sur la commercialisation du produit final.
En conséquence, l’indemnisation du préjudice économique de la société IC3i sera fixée à 46.476,72 euros à l’encontre de la société ProbaYes et de 75.600 euros à l’encontre de la société Sintégra, au titre de la perte d’une chance de poursuivre l’exécution des contrats et à la somme de 54.000 euros au titre de la perte d’une chance de percevoir des redevances de la part de la société ProbaYes.
Enfin, la société IC3i ne rapporte aucune preuve d’une atteinte à son image causée par la rupture des relations contractuelles alors qu’il ressort de plusieurs courriels versés aux débats que son éviction du projet ModTer n’a pas remis en cause la qualité et le sérieux de ses travaux, que ceux-ci ont continué à intéresser ses interlocuteurs au sein de la DGA et qu’elle a participé à d’autres projets (ODIN, GAMBIT) au bénéfice de cette dernière.
Sa demande d’indemnisation au titre du préjudice d’image sera rejetée.
Compte tenu des circonstances, empruntes de déloyauté, de la résiliation des conventions de sous traitance, notamment de l’absence de griefs énoncés à son encontre et de négociations entamées avec la DGA à l’insu de la société IC3i dans le but de l’évincer de la poursuite du projet, le préjudice moral de cette dernière sera indemnisé par l’allocation d’une somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté la société IC3i de ses demandes indemnitaires et les sociétés ProbaYes et Sintégra seront condamnées au paiement des indemnités fixées.
3°) sur les demandes reconventionnelles :
Il résulte des développements qui précèdent que la résiliation des conventions de sous traitance leur étant imputable, les sociétés ProbaYes et Sintégra ne peuvent prétendre en être indemnisées. Elles seront déboutées de leurs prétentions.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Grenoble en date du 28 juin 2021 en toutes ses dispositions soumises à la cour,
statuant à nouveau,
DIT que la résiliation des deux conventions de sous traitance est imputable à la SAS ProbaYes et à la SAS Sintégra,
CONDAMNE la SAS ProbaYes à payer à la SARL Innovation, Conseil international en imagerie & information-IC3i les sommes de 46.476,72 euros et de 54.000 euros à titre de dommages-intérêts,
CONDAMNE la SAS Sintégra à payer à la SARL Innovation, Conseil international en imagerie & information-IC3i la somme de 75.600 euros à titre de dommages-intérêts,
CONDAMNE in solidum la SAS ProbaYes et la SAS Sintégra à payer à la SARL Innovation, Conseil international en imagerie & information-IC3i la somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts,
DEBOUTE la SARL Innovation, Conseil international en imagerie & information-IC3i du surplus de sa demande indemnitaire,
DEBOUTE la SAS ProbaYes et la SAS Sintégra de leurs demandes de dommages-intérêts,
CONDAMNE in solidum la SAS ProbaYes et la SAS Sintégra à payer à la SARL Innovation, Conseil international en imagerie & information-IC3i la somme de 5000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE in solidum la SAS ProbaYes et la SAS Sintégra aux dépens de première instance et d’appel.
SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente