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21 octobre 2011
Cour d’appel de Paris
RG n°
10/15594
Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2011
(n° 274, 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 10/15594.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Novembre 2009 – Tribunal de Commerce de PARIS 15ème Chambre – RG n° 2007056119.
APPELANTE :
S.A. LA REDOUTE
prise en la personne de son Président directeur général,
ayant son siège social [Adresse 2],
représentée par Maître Francois TEYTAUD, avoué à la Cour,
assistée de Maître André BERTRAND, avocat au barreau de PARIS, toque L 207.
INTIMÉES :
– Société de droit italien TOD’S SpA
prise en la personne de son représentant légal,
ayant son siège social [Adresse 4] (ITALIE),
– SAS TOD’S FRANCE
prise en la personne de son représentant légal,
ayant son siège social [Adresse 1],
représentées par la SCP BAUFUME GALLAND VIGNES, avoué à la Cour,
assistées de Maître Alexia DE MAULDE substituant Maître Jean-Mathieu BERTHO, avocat au barreau de PARIS, toque B 260.
INTIMÉE :
Société de droit italien AMBROSI SpA
prise en la personne de son représentant légal,
ayant son siège social [Adresse 5] (ITALIE),
représentée par Maître Bruno NUT, avoué à la Cour,
assistée de Maître Yadhira STOYANOVITCH, avocat au barreau de PARIS, toque C 483.
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 16 septembre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Eugène LACHACINSKI, président,
Madame Marie-Claude APELLE, présidente de chambre,
Madame Sylvie NEROT, conseillère.
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur TL NGUYEN.
ARRET :
Contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Eugène LACHACINSKI, président, et par Monsieur TL NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
La société anonyme La Redoute est appelante d’un jugement rendu le 27 novembre 2009 par le tribunal de commerce de Paris qui : a dit la société de droit italien Ambrosi SpA. recevable et bien fondée en son exception d’incompétence ; s’est déclaré incompétent pour connaître des demandes de la société de droit italien Ambrosi au profit du Tribunal de grande instance de Paris, a dit qu’à défaut de contredit dans le délai légal il sera fait application de l’article 97 du Code de procédure civile, a dit qu’il n’y a pas lieu de joindre les causes et s’est déclaré compétent pour connaître de la procédure engagée par les sociétés Tod’s à l’encontre de la société La Redoute, a dit que la société La Redoute, en offrant à la vente un modèle de tong contrefaisant le modèle de tong «’Fiji’» appartenant à la société Tod’s SpA, s’est rendue coupable de contrefaçon à l’encontre de cette société ; a dit que la société La Redoute, en offrant à la vente ledit modèle, s’est rendue coupable de parasitisme à l’encontre de la société Tod’s France ; a interdit à la société La Redoute la détention, la distribution, l’offre à la vente et la vente de chaussures reproduisant ou imitant le modèle de tong «’Fiji’» de la société Tod’s SpA., ce sous astreinte de mille euros (1.000 €) par infraction constatée passé le délai de quarante-huit heures à compter de la signification de la décision ; a condamné la société La Redoute à payer à la société Tod’s SpA., à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon, la somme de vingt-cinq mille euros (25.000 €) et à la société Tod’s France, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la concurrence déloyale et du parasitisme, la somme de dix mille euros (10.000 €) ; a ordonné la publication de l’intégralité du dispositif de la décision dans cinq journaux ou revues au choix des sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France, aux frais de la société La Redoute et sans que le coût par insertion puisse excéder la somme de cinq mille euros (5.000 €) hors taxes ; a ordonné l’exécution provisoire de la décision, hormis les dispositions relatives aux mesures de publication ; a condamné la société La Redoute à payer à chacune des sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France la somme de dix mille euros (10.000 €) par application de l’article 700 du Code de procédure civile ; a condamné la société La Redoute aux dépens.
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La société de droit italien Tod’s SpA. (ci-après, la société Tod’s SpA.) invoque être propriétaire des droits patrimoniaux sur les chaussures distribuées sous la marque Tod’s et avoir créé un modèle de tongs dénommé «’Fiji’», commercialisé en France depuis 2003.
En France, les chaussures Tod’s sont distribuées par la société Tod’s France, qui gère également le réseau de distribution sélective de la marque.
Ayant appris que la société La Redoute offrait à la vente des chaussures qu’elle estimait reproduire ou imiter le modèle «’Fiji’», les sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France ont fait dresser par un huissier de justice un constat d’achat, puis l’ont assignée devant le tribunal de commerce de Paris en contrefaçon et concurrence déloyale.
La société La Redoute a appelé en garantie son fournisseur, la société de droit italien Ambrosi S.R.L. (ci-après la société Ambrosi S.R.L.).
Cette procédure a abouti au jugement entrepris.
Vu les dernières écritures, signifiées le 12 septembre 2011, de la société La Redoute qui demande à la Cour :
– de la déclarer recevable et bien fondée en l’ensemble de ses moyens,
en ce qui concerne le modèle de sandales objet du litige acheté licitement par la société La Redoute en Italie,
vu l’article 5, § 2, de la Convention de Berne,
– de dire que la loi applicable au litige est celle du lieu du fait générateur de la contrefaçon, et non celle du lieu où le dommage est subi ; que, dès lors que le modèle litigieux a été acheté licitement par la société La Redoute à la société Ambrosi S.r.l. en Italie, où la société Tod’s SpA. a également son siège, la loi applicable au litige est la loi italienne ; que la société Tod’s SpA, à qui incombe la charge de la preuve, ne démontre pas que ses modèles seraient jugés protégeables et contrefaits au regard de la loi italienne,
– en conséquence, de débouter les sociétés Tod’s. de l’ensemble de leurs demandes au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale,
dans l’hypothèse où la Cour s’estimerait insuffisamment informée, d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne par l’intermédiaire de questions préjudicielles,
à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour appliquerait la loi française au modèle litigieux, vu l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle,
– de constater que le modèle «’Fiji’» de la société Tod’s SpA. ne constitue pas une création susceptible de bénéficier de la protection du droit d’auteur et qu’en tout état, ce modèle ne peut pas bénéficier de la protection légale réservée aux ‘uvres de création,
– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la société La Redoute a commis des actes de contrefaçon,
à titre encore plus subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour jugerait que le modèle Fiji de Tod’s est protégeable au titre du droit d’auteur,
vu les articles L 121-1et L L 122-3 du Code de propriété intellectuelle,
– de dire que le modèle de sandales litigieux commercialisé par la Redoute ne constitue pas la reproduction illicite du modèle Fiji de la société Tod’s SpA,
– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la société La Redoute a commis des actes de contrefaçon,
– de constater que les sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France n’établissent l’existence d’aucun acte distinct des actes allégués de contrefaçon, ni l’existence d’une faute commise par la société La Redoute, qui n’a fait que revendre en France des sandales achetées licitement en Italie,
– de constater que le modèle «’Fiji’», qui n’a, semble-t-il, été vendu que durant la saison 2003-2004, ne bénéficie d’aucune notoriété particulière,
– en conséquence, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la société La Redoute avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Tod’s France,
– de débouter les sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France de l’ensemble de leurs demandes en contrefaçon artistique et en concurrence déloyale,
en tout état, dans l’hypothèse où la Cour jugerait que le modèle «’Fiji’» est protégeable et contrefait, ou que la société La Redoute aurait commis des actes de concurrence déloyale,
– de constater que le modèle «’Fiji’» n’est plus commercialisé depuis 2004,
– de dire que les sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France, qui ne commercialisent plus le modèle «’Fiji’» depuis 2004, n’ont subi aucun dommage à la suite de la vente du modèle litigieux de la société La Redoute,
– en conséquence, de limiter à la somme de mille euros (1.000 €) les dommages-intérêts alloués aux sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France, à quelque titre que ce soit,
– compte tenu du fait que le modèle «’Fiji’» n’est plus commercialisé depuis 2004, de la bonne foi de la société La Redoute, qui ne pouvait savoir que le modèle de sandale acheté en Italie, où il est publiquement commercialisé, pouvait être contrefaisant et de l’ancienneté des faits allégués de contrefaçon, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné des publications judiciaires,
subsidiairement,
– de condamner la société Ambrosi S.r.l. à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre, tant au regard des conditions générales de référencement d’achat du 27 juillet 2006 qu’au titre de la garantie d’éviction au sens de l’article 1626 du Code civil,
en tout état,
– de condamner les sociétés intimées, solidairement, à lui payer la somme de dix mille euros
(10.000 €) à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
– de condamner les sociétés intimées, solidairement, à lui payer la somme de dix mille euros
(10.000 €) au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Vu les dernières écritures, signifiées le 19 août 2011, des sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France, qui demandent à la Cour :
– de les déclarer recevables et bien fondées dans leurs demandes,
confirmant le jugement entrepris,
– de dire qu’en offrant à la vente un modèle contrefaisant le modèle de tong «’Fiji’» appartenant à la société Tod’s SpA., la société La Redoute s’est rendue coupable de contrefaçon à l’encontre de cette société,
– d’interdire à la société La Redoute la détention, la distribution, l’offre à la vente et la vente de chaussures reproduisant ou imitant le modèle de chaussures «’Fiji’» de la société Tod’s SpA, ce sous astreinte de mille euros (1.000 €) par infraction constatée passé le délai de quarante-huit heures à compter de la signification de la décision,
– de dire qu’en offrant à la vente ledit modèle, la société La Redoute s’est rendue coupable d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l’encontre de la société Tod’s France,
– d’ordonner la publication de l’intégralité de la décision dans cinq journaux ou revues au choix des sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France, sans que le coût par insertion puisse excéder la somme de cinq mille euros (5.000 €) hors taxes,
– de condamner la société La Redoute à payer à chacune des sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France la somme de cinq mille euros (5.000 €) par application de l’article 700 du Code de procédure civile,
infirmant le jugement entrepris et statuant à nouveau,
– de dire que la société La Redoute a commis des actes, distincts des actes de contrefaçon, constitutifs de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de la société Tod’s SpA.,
– de dire qu’en offrant à la vente un modèle de tong contrefaisant le modèle de tong «’Fiji’», la société Ambrosi S.r.l. s’est rendue coupable de contrefaçon à l’encontre de la société Tod’s SpA.,
– d’interdire à la société Ambrosi S.r.l. l’exportation, la distribution, l’offre à la vente et la vente sur le territoire français de chaussures reproduisant ou imitant le modèle de chaussures «’Fiji’» de la société Tod’s SpA., ce sous astreinte de mille euros (1.000 €) par infraction constatée passé le délai de quarante-huit heures à compter de la signification du jugement,
– de dire que les faits de contrefaçon commis par la société Ambrosi S.r.l. constituent des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Tod’s France,
– de dire que la société Ambrosi a commis des actes, distincts des actes de contrefaçon, constitutifs de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de la société Tod’s SpA.,
en conséquence,
– de condamner les sociétés La Redoute et Ambrosi S.r.l., in solidum, en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaires distincts qu’elle ont commis en France à son encontre, à payer à la société Tod’s Spa. une indemnité provisionnelle de cent mille euros (100.000 €), à parfaire après communication des pièces comptables relatives à la commercialisation du modèle en cause,
– de condamner les sociétés La Redoute et Ambrosi S.r.l., in solidum, en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire qu’elles ont commis en France à son encontre, à payer à la société Tod’s France une indemnité provisionnelle de cent mille euros (100.000 €), à parfaire après communication des pièces comptables relatives à la commercialisation du modèle en cause,
– d’ordonner à la société Ambrosi S.r.l. de communiquer à la société Tod’s SpA. les noms et adresses de ses fournisseurs et distributeurs, ainsi que des destinataires et détaillants du modèle litigieux, tous documents comptables établissant le nombre d’exemplaires du modèle litigieux commercialisé en France, certifiés conformes par son commissaire aux comptes ou son expert comptable, le chiffre d’affaires généré par la vente en France du modèle litigieux et le prix de vente dudit modèle, certifiés conformes par son commissaire aux comptes ou son expert comptable, ce depuis le lancement du modèle litigieux en France et sous astreinte de mille euros (1.000 €) par jour de retard à compter de l’arrêt à intervenir,
– d’ordonner à la société La Redoute de communiquer à la société Tod’s SpA. tous documents comptables établissant le nombre d’exemplaires du modèle litigieux commercialisés en France, certifiés conformes par son commissaire aux comptes ou son expert comptable, le chiffre d’affaires généré par la vente en France du modèle litigieux et le prix de vente dudit modèle, certifiés conformes par son commissaire aux comptes ou son expert comptable, ce depuis le lancement du modèle litigieux en France et sous astreinte de mille euros (1.000 €) par jour de retard à compter de l’arrêt à intervenir,
– de réserver le droit des sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France de parfaire leurs demandes indemnitaires lorsque les sociétés La Redoute et Ambrosi S.r.l. auront produit ces documents comptables certifiés,
à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour n’ordonnerait pas la production desdits documents,
– de condamner les sociétés La Redoute et Ambrosi S.r.l., in solidum, à payer à la société Tod’s Spa., en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon dont elles se sont rendues coupables à son égard, la somme de quatre-vingt mille euros (80.000 €) à titre de dommages-intérêts,
– de condamner les sociétés La Redoute et Ambrosi S.r.l., in solidum, à payer à la société Tod’ s Spa., en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire, distincts des actes de contrefaçon, dont elles se sont rendues coupables à son égard, la somme de vingt mille euros (20.000 €) à titre de dommages-intérêts,
– de condamner les sociétés La Redoute et Ambrosi S.r.l., in solidum, à payer à la société Tod’s’ France, en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale dont elles se sont rendues coupables à son égard, la somme de cinquante mille euros (50.000 €) à titre de dommages-intérêts,
en tout état,
– de condamner les sociétés La Redoute et Ambrosi S.p.A., in solidum, à payer à chacune des sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France la somme complémentaire de vingt mille euros (20.000 €) par application de l’article 700 du Code de procédure civile,
– de condamner les sociétés La Redoute et Ambrosi S.p.A., in solidum, aux dépens.
Vu les dernières écritures, signifiées le 7 septembre 2011, de la société Ambrosi S.R.L., qui demande à la Cour :
à titre principal,
– de dire que le modèle de sandale revendiqué ne présente pas d’éléments caractéristiques au regard des modèles antérieurs,
– de dire que ce modèle ne constitue pas la contrefaçon d’un modèle commercialisé par les sociétés Tod’s S.p.A. et Tod’s France au regard des différences entre les produits,
– en conséquence, de réformer le jugement entrepris et de débouter les sociétés Tod’s S.p.A. et Tod’s France de toutes leurs demandes,
à titre subsidiaire,
– de dire que les sociétés Tod’s S.p.A. et Tod’s France, ne bénéficiant pas de protection particulière en Italie, lieu de fabrication et de protection des chaussures, sont mal fondées en leur action,
– à défaut, faisant droit à la demande de la société La Redoute, de poser les questions préjudicielles qu’elle énonce,
à titre très subsidiaire,
– de dire mal fondé l’appel en garantie formé par la société La Redoute à son encontre,
– de la mettre hors de cause,
– réformant le jugement entrepris, de débouter les sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France de toutes leurs demandes,
à titre infiniment subsidiaire,
– de dire que, le modèle litigieux n’étant plus commercialisé depuis 2004, les sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France ne rapportent pas la preuve des préjudices allégués,
– de ramener les dommages-intérêts au titre d’un éventuel préjudice à la somme de mille euros(1.000 €),
en tout état,
– de condamner les sociétés Tod’s SpA. et Tod’s France, solidairement, à lui payer la somme de vingt-cinq mille euros (25.000 €) au titre de leurs frais irrépétibles et la société La Redoute à lui payer la somme de cinq mille euros (5.000 €) au même titre,
– de condamner ces sociétés aux dépens.
SUR CE,
I.- Sur la demande de la société La Redoute tendant à voir poser deux questions préjudicielles :
Considérant que la société La Redoute demande à la Cour de poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
«’Au regard du principe fondamental de libre circulation des produits à l’intérieur de l’Union européenne, et compte tenu de la disparité qui existe dans la protection accordée aux ‘uvres des arts appliqués par les différents pays de l’Union européenne et de l’article 5 de la Convention de Berne de 1886, afin d’éviter qu’un produit licitement mis dans le commerce dans un pays de l’Union européenne (pays A) soit jugé contrefaisant d’un modèle créé dans ce même pays (pays A) par une juridiction d’un pays tiers (pays B), alors qu’il n’est pas établi qu’il en soit ainsi dans son pays d’origine (pays B), la juridiction dudit pays tiers (pays B) ne doit-elle pas apprécier à la fois la validité des droits invoqués et l’existence des actes de contrefaçon en appliquant le droit du pays d’origine tant du produit authentique (pays A) ‘
En matière de dessins et modèles, la législation des pays de l’Union européenne a été harmonisée par la directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 relative à la protection juridique de dessins ou modèles.
Néanmoins, l’article 17 de ladite directive qui a maintenu la théorie dite ‘de l’unité de l’art’ et qui permet également aux dessins et modèles de bénéficier de la protection du droit d’auteur et dispose que ‘ la portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminés par chaque État membre’. En conséquence, cet article qui a en quelque sorte dé-harmonisé la protection des ‘uvres des arts appliqués au sein de l’Union européenne en permettant à chaque État membre de déterminer objectivement les conditions de la protection desdits dessins et modèles, n’est-il pas contraire aux principes de prévisibilité et de sécurité juridique, qui est un des objectifs fondamentaux de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, et de nature à porter atteinte à la libre circulation des produits au sein de l’Union européenne, puisqu’un modèle fabriqué licitement en Italie est susceptible de devenir contrefaisant au seul motif qu’il a franchi les Alpes”»
Considérant que la directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles, qui, consacrant le principe de l’unité de l’art, assure à l’article 17 la protection par le droit d’auteur des modèles présentant une originalité certaine, a été transposée en droit italien par le décret législatif n° 95 du 2 février 2001 (G.U., 4 aprile 2001, Suppl. Ord.), qui a modifié les articles 2575 à 2583 du Code civil et la loi n° 633 du 22 avril 1941 sur la protection du droit d’auteur et des droits connexes à son exercice ; que la société La Redoute peut d’autant moins le contester qu’elle fait expressément référence au décret législatif italien à la cote 6 de son dossier de plaidoirie ;
Considérant que l’argument de la société La Redoute , selon lequel aucune décision de justice italienne n’a jamais statué sur la question des chaussures Tod’s, est inopérant, l’intervention d’une décision de justice ne relevant que d’initiatives individuelles, de sorte que l’absence de décision en la matière, à la supposer établie, ne serait pas pertinente ;
Considérant qu’il ne peut donc être soutenu que le modèle de la société Tod’s SpA. ne peut relever du droit d’auteur en vertu de la loi italienne, ce qui entraînerait une différence fondamentale de protection entre le pays de production et du siège de la société productrice et celui de commercialisation et déterminerait un obstacle substantiel à la libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne ;
Considérant que le droit à l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi a été consacré comme un principe de valeur constitutionnelle par les décisions du Conseil constitutionnel n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 et n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 ; que, pour citer la définition classique du Conseil d’État dans son rapport public 2006, ce principe «’implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable ; pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles » ;
Considérant qu’il n’est pas soutenu que la législation française prête à confusion s’agissant de la protection du produit tant par le droit des dessins et modèles que par le droit d’auteur, d’où il suit que l’intelligibilité de la norme n’est pas contestée ;
Considérant que la protection cumulative des arts appliqués par le droit des dessins et modèles et le droit d’auteur a été consacrée législativement, de manière générale, en France et en Italie par le décret législatif n° 95 du 2 février 2001 ; qu’il n’est pas argué que, dans l’un ou l’autre de ces pays, la protection légale fluctuerait de manière telle que la norme deviendrait effectivement imprévisible, au point de porter atteinte à l’objectif fondamental de libre circulation des produits entre États membres de l’Union européenne ;
Considérant, enfin, que des différences de protection au niveau du droit d’auteur, qui est consacré dans le principe dans chacun des pays, relèvent du droit de chaque État de légiférer souverainement dans ce domaine, rappelé au considérant 8 de la directive 98/71/CE, et ne peuvent porter atteinte au droit à l’intelligibilité et à la prévisibilité normales de la règle de droit, alors qu’il n’est pas soutenu que le droit national en la matière ne soit normalement accessible ;
Considérant qu’en l’état de ces énonciations, il n’y a pas lieu à question préjudicielle ;
II) Sur la loi applicable :
Considérant que la question de la détermination de la loi applicable est régie par l’article 5.2 de la Convention de Berne du 9 septembre 1886, qui énonce, d’une part, que la jouissance et l’exercice des droits de l’auteur sont indépendants de l’existence de la protection dans le pays d’origine, d’autre part, que l’étendue de la protection est réglée par la législation du pays où la protection est réclamée ;
Considérant qu’en l’espèce, la loi française correspond à la loi de la juridiction saisie comme à celle du pays où la protection est demandée ; qu’elle est également celle qui gouverne l’incrimination des actes en cause, puisque le juge français est saisi d’actes d’importation sur le territoire national de modèles argués de contrefaçon ;
Considérant que la référence au fait générateur, défini comme étant celui du lieu de fabrication du modèle litigieux, est en conséquence inopérante ;
Considérant qu’il se déduit de ces constatations que la loi française est applicable au litige ;
III) Sur l’action à l’encontre de la société Ambrosi
Considérant que la société La Redoute sollicite la garantie de la société Ambrosi, son fournisseur , la société Tod’s SpA et la société Tod’s France demandant ,de leur côté, la condamnation solidaire des sociétés La Redoute et Ambrosi ;
Considérant que la Société Ambrosi conclue au débouté de ces demandes et à la condamnation de ses contradicteurs à lui payer une indemnité au titre des frais irrépétibles ;
Considérant que l’appel de la société La Redoute tend au vu de la déclaration d’appel à l’annulation ou à la réformation de la décision entreprise ;
Or considérant que le tribunal de commerce s’est déclaré incompétent sur la mise en cause de la société Ambrosi SpA ; qu’une procédure concernant cette mise en cause est pendante devant le tribunal de grande instance de Paris ,
Considérant qu’il s’ensuit que la Cour ne peut évoquer sur ces demandes ;
IV) Sur l’originalité du modèle Fiji :
Considérant que la société Tod’s Spa présente les caractéristiques essentielles de son modèle de tong en cuir ainsi qu’il suit :
– un empiècement principal en forme de T, délimité par des doubles surpiqûres: la barre horizontale du T part du côté intérieur de la chaussure pour rejoindre l’empiècement extérieur de la chaussure,
– un empiècement extérieur qui comporte une boucle argentée ovale et un ardillon délimité par des doubles surpiqûres,
– la barre verticale du T qui se termine par un oeillet argenté ovale,
– une boucle en cuir qui sort de l’avant de la semelle intérieure de la chaussure au niveau du gros orteil et qui passe dans l’oeillet de la partie verticale du T,
– une semelle intérieure en cuir avec une surpiqûre apparente suivant le contour de la semelle et constituant un arc de cercle au niveau de la plante du pied,
– une semelle de forme particulière en gomme qui se rétrécit au niveau de la voûte plantaire, des picots figurant sur l’arrière de la chaussure ainsi que sur le dessous du pied,
– des picots figurant également au niveau du talon ;
Considérant qu’il est constant que ce modèle a été divulgué en France sous la marque Tod’s SpA ; que cette dernière est donc présumée titulaire des droits sur le modèle Fiji; qu’en effet, en l’absence de revendication de la part d’un auteur, l’exploitation d’une oeuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l”uvre, qu’elle soit collective ou non, du droit de propriété incorporelle de l’auteur ;
Considérant que la société La Redoute soutient que l’ensemble des éléments revendiqués est parfaitement ‘antériorisé’ comme faisant partie du domaine public ;
Qu’elle produit un dépôt du 17 juillet 1971 de M. [G] [P] domicilié à [Localité 3] en Belgique d’un modèle, reprenant selon elle des caractéristiques de la chaussure en cause et des photos des modèles Kickers, Gizeh, Ramses, Kairo, Medina et Scholl, dont la création n’est pas datée ;
Considérant ceci rappelé qu’il est inopérant de relever, comme le font les intimées, que les modèles antérieurs produisent une impression d’ensemble différente puisque l’originalité d’un modèle ne se déduit pas de l’impression différente que peuvent produire les modèles qui sont antérieurs ;
Qu’il importe en revanche de dégager au regard des créations existantes en 2003 si la combinaison des caractéristiques revendiquées est ou non porteuse de l’empreinte personnelle de son auteur ;
Considérant qu’il est indéniable que la société Tod’s SpA a conçu son modèle à partir d’un type de chaussure connu de tous de longue date et communément appelé tong ; que la présence d’ un empiècement extérieur qui comporte une boucle est une caractéristique déjà divulguée dans le modèle déposé en 1971 ;
Considérant que cependant les autres caractéristiques comme la barre verticale du T qui se termine par un ‘illet argenté ovale, et la boucle en cuir qui sort de l’avant de la semelle intérieure de la chaussure au niveau du gros orteil et qui passe dans l”illet de la partie verticale du T, sont absentes, hormis sur les modèles dont la date de création est inconnue ;
Considérant que, par la combinaison des caractéristiques revendiquées, le modèle créé se singularise des modèles existants et porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, ce qui détermine sa protection par le Livre I du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a déclaré original ledit modèle ;
V) Sur la contrefaçon alléguée
Considérant que la société Tod’s SpA, titulaire des droits patrimoniaux sur le modèle Fiji, est bien fondée à agir en réparation de l’atteinte portée à ses droits ;
Considérant que le modèle commercialisé par la société La Redoute reprend, dans la même combinaison, les caractéristiques du modèle de la société Tod’s SpA ;
Qu’il importe peu que l’aspect des boucles et les semelles soit différent dès lors que ces différences ne sont que de détail ;
Considérant que la société Tod’s SpA est par conséquent fondée à se prévaloir du risque de confusion et à soutenir que son modèle a été contrefait ;
VI) Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire :
Considérant que la société Tod’s France fait valoir que le modèle contrefait était un modèle connu de la collection, que le modèle contrefaisant en est la reprise, et que son prix de vente inférieur en renforce le caractère attractif servi par un vaste réseau de distribution qui s’étend sur l’ensemble du territoire national, pour en conclure que l’appelante a commis une faute constitutive de concurrence déloyale ;
Considérant toutefois que la prétention selon laquelle le modèle Fiji aurait été un modèle notoire de la collection Tod’s n’est pas démontrée ;
Considérant par contre que les faits de contrefaçon commis au préjudice de la société Tod’s SpA constituent pour la société Tod’s France ,qui distribue et commercialise le modèle original, des actes de concurrence déloyale et non des actes parasitaires , les deux sociétés étant concurrentes sur le marché ;
Que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a reconnu des actes de concurrence déloyale et infirmé en ce qu’il a reconnu des actes parasitaires ;
VII) Sur les mesures réparatrices
Considérant qu’il sera fait droit dans les termes du dispositif ci-après aux mesures d’interdiction sollicitées, suffisantes pour prévenir tout renouvellement des actes de contrefaçon, sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter des mesures de publication, les chaussures n’étant plus commercialisées ;
Considérant que l’atteinte à la propriété de la société Tod’s Spa a été exactement réparée par les premiers juges par l’allocation de la somme de vingt cinq mille euros, au vu des pièces produites au débat ;
Considérant qu’outre le gain manqué par la société Tod’ France, il convient de prendre en considération les investissements de promotion dont, certes, la société Tod’s France ne produit qu’une approche d’ensemble, mais qui démontre l’importance de ses investissements pour la promotion de son modèle ;
Qu’au vu de l’ensemble de ces données, il convient de confirmer le montant alloué par les premiers juges à la société Tod’s France au titre de la concurrence déloyale et ce sans qu’il soit nécessaire d’ordonner la communication de pièces supplémentaires par la société La Redoute ;
VIII) Sur les frais irrépétibles
Considérant qu’il apparaît inéquitable de laisser à la charge des sociétés intimées les frais irrépétibles qu’elles ont exposés en la présente instance ;
Que la société La Redoute sera condamnée à leur payer à chacune la somme de quatre mille euros – 4.000 € – à ce titre, les frais irrépétibles exposés en première instance étant par ailleurs confirmés ;
Considérant que la société appelante, partie succombante, doit être déboutée de sa demande formée au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
IV) Sur les dépens
Considérant que la société La Redoute, partie succumbante, doit les dépens de la présente instance, la décision des premiers juges concernant les dépens de première instance étant par ailleurs confirmée.
PAR CES MOTIFS,
Dit n’y avoir lieu à questions préjudicielles.
Déboute la société La Redoute de sa demande tendant à voir appliquer la loi italienne.
Dit n’y avoir lieu à évocation des demandes formées à l’encontre de la société Ambrosi et par la société Ambrosi.
Confirme le jugement entrepris en ses dispositions à l’exception de celles relatives à la date de départ de l’astreinte, au parasitisme et aux mesures de publication.
.
Statuant de nouveau de ces chefs,
Dit que l’astreinte commencera à courir à compter de l’expiration d’un délai de quinze jours de la signification du présent arrêt.
.Déboute la société Tod’s France de sa demande tendant à voir retenir des actes de parasitisme et de sa demande de publication.
Y ajoutant
Condamne la société La Redoute à payer à chacune des sociétés Tod’s France et Tod’s SpA la somme de quatre mille euros – 4.000 € – au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
Condamne la société La Redoute aux dépens de la présente instance dont distraction au profit la SCP Baufume-Galland-Vignes conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT