Jurisprudence sur l’Article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle : 2 mars 2012 Cour d’appel de Paris RG n° 10/21374

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Jurisprudence sur l’Article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle : 2 mars 2012 Cour d’appel de Paris RG n° 10/21374
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2 mars 2012
Cour d’appel de Paris
RG n°
10/21374

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRET DU 02 MARS 2012

(n° 064, 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 10/21374.

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2010 – Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 4ème Section – RG n° 09/03114.

APPELANTES :

– SARL DESIGN ‘ELLES’

prise en la personne de son gérant,

ayant son siège social [Adresse 1],

– SARL AVANTAGE MODE

prise en la personne de son gérant,

ayant son siège social [Adresse 2],

représentées par Maître Anne-Marie OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque B0653,

assistées de Maître Erick LANDON, avocat au barreau de PARIS, toque : D 786.

INTIMÉE :

SARL NEREIDES DISTRIBUTION

prise en la personne de son gérant,

ayant son siège social [Adresse 4],

représentée par Maître Jeanne BAECHLIN de la SCP ARNAUDY-BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034,

assistée de Maître Muriel ANTOINE-LALANCE, avocat au barreau de PARIS, toque R64.

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 26 janvier 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Eugène LACHACINSKI, président,

Monsieur Benjamin RAJBAUT, président de chambre,

Madame Sylvie NEROT, conseillère.

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Truc Lam NGUYEN.

ARRET :

Contradictoire,

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Eugène LACHACINSKI, président, et par Monsieur Truc Lam NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.

E X P O S É D U L I T I G E

La SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION crée et commercialise des bijoux et accessoires fantaisie et, pour son catalogue printemps-été 2007, a créé une collection ‘Pas de deux’ inspirée des thèmes de la danse classique, dont de nombreux modèles représentant une ballerine.

Disant s’être aperçue au mois de novembre 2008 que dans les deux boutiques de la SARL AVANTAGE MODE et dans celle de la SARL DESIGN ‘ELLES’, des exemplaires contrefaisant son bijou ‘ballerine’ étaient vendus au prix unitaire de 1,90 €, la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION a fait procéder, le 11 décembre 2008, à deux saisies-contrefaçon dans les boutiques des sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ avant de les faire assigner en contrefaçon le 16 février 2009.

Par jugement contradictoire du 08 juillet 2010 partiellement assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Paris a :

– rejeté la fin de non recevoir soulevée par les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’,

– dit qu’en important en France, mettant en vente et vendant des pendentifs en forme de ballerine référencés PM PERLE DE MÉTAL ou AP APPRÊT, les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ se sont rendues coupables d’acte de contrefaçon de l”uvre constituée par le pendentif ‘Ballerine’ dont la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION est titulaire,

En conséquence :

– fait interdiction à la société AVANTAGE MODE de poursuivre de tels agissements et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

– fait interdiction à la société DESIGN ‘ELLES’ de poursuivre de tels agissements et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

– ordonné à la société AVANTAGE MODE de procéder à la destruction des articles en cause sous contrôle d’huissier et à ses frais et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard une fois le jugement devenu définitif,

– ordonné à la société DESIGN ‘ELLES’ de procéder à la destruction des articles en cause sous contrôle d’huissier et à ses frais et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard une fois le jugement devenu définitif,

– dit que le tribunal se réserve la liquidation de l’astreinte,

– condamné les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ à payer, chacune, à la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon commis à son encontre,

– débouté la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION de sa demande de droit à l’information,

– autorisé la publication du dispositif du jugement dans trois journaux ou revues au choix de la demanderesse et aux frais des défenderesses, sans que le coût de chaque publication n’excède, à la charge de celles-ci, la somme de 3.500 € HT,

– condamné les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ à payer, chacune, à la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les frais de saisie-contrefaçon résultant des trois procès-verbaux dressés le 11 décembre 2008 par Me [S], huissier de justice à [Localité 3], dans deux magasins de la société AVANTAGE MODE et par Me [O], huissier de justice à [Localité 3], dans les locaux de la société DESIGN ‘ELLES’,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

– condamné les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ aux dépens.

Les sociétés DESIGN ‘ELLES’ et AVANTAGE MODE ont interjeté appel de ce jugement le 03 novembre 2010.

Vu les dernières conclusions signifiées le 19 janvier 2012 par lesquelles les sociétés DESIGN ‘ELLES’ et AVANTAGE MODE prient la cour de :

– les juger recevables et bien fondées en leur appel,

– infirmer le jugement entrepris et, statuant de nouveau :

Au visa de l’article 6 de la CEDH, de la hiérarchie des normes, de l’article 17 de la directive 98/71, de l’arrêt de la CJUE du 27 janvier 2011, des articles 9, 16 et 31 du code de procédure civile et des articles L 111-1, L 111-2, L 111-3, L 131-2, L 131-3, L 131-4, L 131-7 du code de la propriété intellectuelle :

– juger la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION irrecevable en son action en contrefaçon de droits d’auteur faute de justifier d’un dessin ou modèle enregistré pour être recevable à invoquer la protection du droit d’auteur au travers du cumul autorisé par la norme européenne,

– en conséquence, débouter la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION de son action en contrefaçon de droits d’auteur,

Au visa de l’arrêt de la 3ème chambre de la CJUE du 1er décembre 2011 :

– juger la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION irrecevable en son action en contrefaçon de droits d’auteur faute de justifier d’éléments à date certaine permettant d’établir une création par un auteur personne physique,

– juger la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION irrecevable à agir en contrefaçon de droits d’auteur faute de définir, dès l’assignation, les contours exacts de l’empreinte personnelle de l’auteur susceptibles de qualifier une création d”uvre originale,

– constater à titre subsidiaire, que la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION est toujours dans l’incapacité de définir cette originalité en l’état de ses dernières conclusions récapitulatives par la confusion des caractéristiques d’un produit avec l’empreinte personnelle d’un auteur tout en reconnaissant l’absence des revendications dans le domaine public et la nécessaire adaptation de l’image d’une danseuse classique,

– en conséquence juger la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION irrecevable à agir et la débouter,

– juger la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION irrecevable à agir en qualité d’ayant-droit patrimonial faute de démontrer et de justifier l’origine de la création, à commencer par l’auteur, des produits qu’elle commercialise,

– en conséquence, pour l’un et/ou l’autre de ces motifs, débouter la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION,

– juger que la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION ne démontre et ne justifie pas la reprise par le bijou argué de contrefaçon du caractère original des créations dont elle serait l’ayant-droit patrimonial d’auteur, en conséquence la débouter,

Au visa de l’annexe 1c de l’accord de Marrakech de 1994 et de la directive européenne 2004/48 :

– constater que la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION n’administre pas la preuve que chacune d’elles ait commis des actes de contrefaçon en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir par une démonstration propre au cas d’espèce,

– en conséquence, débouter la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION de toute demande indemnitaire faute de transposition du droit français de la faculté de prévoir le reversement de la marge nette réalisée sur les ventes,

– à titre subsidiaire, juger que la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION ne démontre pas et ne justifie pas, d’une part d’un préjudice certain, réel et personnel et, d’autre part, l’adéquation des mesures de réparation sollicitées pour chacune d’elles, conformément à la réalité des faits de contrefaçon qui leur sont personnellement reprochés,

– juger que la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION ne démontre et ne justifie pas le quantum de la réparation indemnitaire sollicitée conformément à l’état du droit,

– en conséquence la débouter, à tout le moins fixer à titre de maximum, une indemnité de 2.500 €,

Au visa des articles 694 à 706 du code de procédure civile :

– condamner la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION à leur verser la somme de 15.000 €, soit 7.500 € chacune,

– condamner la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions signifiées le 19 janvier 2012 par lesquelles la société NEREIDES DISTRIBUTION prie la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir soulevée par les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’, dit que ces sociétés se sont rendues coupables d’acte de contrefaçon de l”uvre constituée par le pendentif ‘Ballerine’ dont elle est titulaire, en conséquence, prononcé des mesures d’interdiction et de destruction, sous astreinte, à l’encontre des sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’, autorisé la publication du dispositif du jugement et condamné les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ à payer, outre les dépens et les frais de saisie-contrefaçon, la somme de 5.000 €, chacune, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmer le jugement entrepris sur le montant des dommages et intérêts alloués à la société NÉRÉIDES DISTRIBUTION en réparation de son préjudice,

En conséquence, y ajoutant :

– condamner chacune des sociétés DESIGN ‘ELLES’ et AVANTAGE MODE à lui verser la somme de 100.000 € en réparation de son entier préjudice,

– condamner chacune des sociétés DESIGN ‘ELLES’ et AVANTAGE MODE à lui verser la somme de 20.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner les appelantes en tous les dépens.

Vu la révocation de l’ordonnance de clôture initiale du 19 janvier 2012 afin d’admettre lesdites conclusions et la clôture prononcée à l’audience du 26 janvier 2012 pour être plaidée le même jour.

M O T I F S D E L ‘ A R R Ê T

Considérant que la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION fonde son action au titre de la protection du droit d’auteur prévue et réglementée par les livres I et III du code de la propriété intellectuelle.

I : SUR LA QUALITÉ À AGIR DE LA SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION :

Pour absence d’enregistrement préalable du dessin ou modèle :

Considérant que les sociétés appelantes soulèvent une fin de non recevoir en invoquant le défaut de qualité à agir en contrefaçon de droits d’auteur de la part de la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION faute de justifier d’un enregistrement de dessin ou modèle préalable conformément à l’article 17 de la directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles.

Considérant que les appelantes déduisent de cet article et de l’arrêt rendu le 27 janvier 2011 par la CJUE que le demandeur en contrefaçon de droits d’auteur serait tenu de justifier de l’enregistrement de son dessin ou modèle, les règles internationales supérieures devant prévaloir sur la règle de droit interne.

Considérant cependant qu’aux termes de l’article 288 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ; que de ce fait, contrairement au règlement, une directive n’est pas d’application directe dans le droit interne.

Considérant en outre que ni l’article 17 de la directive, ni l’arrêt du 27 janvier 2011 de la CJUE ne subordonnent la recevabilité d’une action en protection du droit d’auteur d’un modèle à son enregistrement préalable ; qu’en effet, l’article 17 dispose seulement qu’un modèle enregistré dans un Etat membre bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur de cet Etat et l’arrêt du 27 janvier 2011 précise seulement que cet article s’oppose à une législation d’un Etat membre qui exclurait de la protection par le droit d’auteur de cet Etat membre, les modèles enregistrés et tombés dans le domaine public avant l’entrée en vigueur de cette législation tout en satisfaisant à toutes les conditions requises pour bénéficier d’une telle protection.

Considérant au surplus que la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION fonde son action au titre de la protection du droit d’auteur prévue et réglementée par les livres I et III du code de la propriété intellectuelle et non pas au titre de la protection des marques, modèles et dessins et que conformément aux dispositions de l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une ‘uvre de l’esprit jouit, sur cette ‘uvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, l’article L 111-2 précisant que l”uvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur.

Pour absence de preuve de la titularité des droits d’auteur revendiqués :

Considérant que les sociétés appelantes soutiennent également qu’en vertu du droit européen unifié des dessins ou modèles le demandeur en contrefaçon de droits d’auteur est tenu de justifier de l’acquisition, auprès du ou des créateurs du dessin ou modèle, des droits d’exploitation dont il se prévaut et que la demande de la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION méconnaît cette condition.

Mais considérant, en vertu des dispositions de l’article L 113-1 du code de la propriété intellectuelle, qu’en l’absence de revendication du ou des auteurs, l’exploitation de l”uvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l”uvre, qu’elle soit collective ou non, du droit de propriété incorporelle de l’auteur ; qu’il s’agit d’une présomption simple pouvant notamment être combattue par la revendication du ou des auteurs de l”uvre et qui ne porte donc pas atteinte au principe de l’égalité des armes entre les parties et de la neutralité du juge posé par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Considérant que cette présomption de titularité suppose, pour être utilement invoquée, que soit rapportée la preuve d’actes d’exploitation à la date des actes de contrefaçon litigieux.

Considérant qu’en l’espèce la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION justifie exploiter et commercialiser, depuis la saison printemps-été 2007 jusqu’en 2011, le modèle ‘Ballerine’ en cause ; qu’elle produit à cet effet ses catalogues successifs depuis cette date et une revue de presse de janvier 2007 à janvier 2009 dans lesquels figure ce modèle, qu’elle produit également l’attestation en date du 1er décembre 2008 de son fournisseur principal, M. [W] [N] (président de la société de droit chinois Qingdao Purgo Jewelry Co.), qui certifie avoir réalisé le premier moule de la ballerine de la collection ‘Pas de deux’le 27 juin 2006 (sa reproduction étant annexée à son attestation) et avoir commencé sa commercialisation le 04 août 2006 selon facture émise le même jour par la société Qingdao Purgo Jewelry Co.

Considérant enfin que la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION justifie de la commercialisation des modèles du bijou ‘ballerine’ par l’intermédiaire de ses distributeurs (facture adressée le 17 octobre 2006 à son distributeur exclusif au Japon, la société Timeless, ticket de caisse du 23 décembre 2006 d’un achat de ce modèle dans une boutique londonienne).

Considérant en conséquence qu’est rapportée la preuve, par la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION, d’actes d’exploitation du modèle ‘Ballerine’ de la collection ‘Pas de deux’ à la date des procès-verbaux de saisie-contrefaçon (11 décembre 2008) et de sa qualité à agir en contrefaçon de ce modèle par cette société.

Considérant que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir soulevée par les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ quant à la recevabilité à agir de la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION.

II : SUR LE DROIT D’AUTEUR REVENDIQUÉ PAR LA SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION :

Considérant que dans son assignation, la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION décrit le modèle argué de contrefaçon comme étant un bijou en métal émaillé représentant une ballerine se tenant sur la pointe des pieds, les jambes croisées, les bras levés au dessus de la tête et se rejoignant au niveau des mains, afin de former l’élément de suspension du bijou ; que cette ballerine porte des chaussons à pointe de couleur blanche lacés sur les chevilles, un tutu bouffant et un bustier stylisés de couleurs blanc, noir ou rose, du rouge à lèvres et un chignon retenu par un bandeau blanc ; que ce bijou existe en deux formats, l’un d’une hauteur de 56 mm et d’une largeur de 25 mm et l’autre d’une hauteur de 41 mm et d’une largeur de 18 mm.

Considérant que la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION précise, dans son assignation, que par ses détails d’exécution, ses proportions, ses formes, sa composition et ses combinaisons de couleurs ce bijou bénéficie de la protection des livres I et III du code de la propriété intellectuelle.

Considérant que les sociétés appelantes contestent que le pendentif en forme de ballerine revendiqué par la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION constituerait une ‘uvre de l’esprit, faute d’originalité dans la mesure où le motif n’est que la description de la cinquième position de danse classique (bras et pieds relevés) que l’on retrouve dans la plupart des ballets classiques et qui relève d’un genre chorégraphique technique inappropriable relevant de façon notoire du domaine public.

Considérant toutefois que la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION ne revendique nullement un droit sur un genre chorégraphique ou une position de danse classique et qu’il ne saurait être dénié toute créativité intellectuelle au modèle en cause du seul fait qu’il reproduirait une danseuse classique dans une position de danse relevant du domaine public ; qu’en effet une ‘uvre de l’esprit est protégeable à la seule condition qu’elle présente, indépendamment de son modèle, un caractère créatif portant la marque de la personnalité de son créateur, révélateur de son imagination et de son effort créateur dans un genre imposé tel que, en l’espèce, la danse classique.

Considérant que le modèle de ballerine revendiqué a été créé dans le cadre d’une collection de bijoux fantaisie exploitant le thème de la danse classique sous la référence ‘Pas de deux’ ; que la ballerine reproduite est d’une forme particulièrement longiligne ne reprenant pas à l’identique les proportions du corps humain, ses jambes représentant près des deux tiers de sa taille.

Considérant par ailleurs que la position adoptée par la ballerine ne reproduit pas à l’identique celle de la cinquième position de danse classique (pieds croisés, bras en corolle au-dessus de la tête), qu’en effet les postures du corps ne sont pas naturelles dans la mesure où les jambes se croisent au niveau des genoux et où les bras placés au-dessus de la tête ne forment pas une corolle mais présentent un angle de 90° au niveau des coudes et se rejoignent par le dos des mains pour supporter une boucle d’accroche.

Considérant encore que le tutu bouffant est stylisé, ne reproduisant pas à l’identique un tutu de danse classique de forme plate tel que présenté dans les documents produits par les appelantes.

Considérant enfin que la figurine, peinte avec une particulière finesse de détails (lacets des chaussons, visage, ruban du chignon) se décline, quant aux vêtements, en plusieurs couleurs (blanc pailleté, crème, rose, noir) s’harmonisant avec les autres accessoires du bijou sur lequel elle est montée (boucles d’oreilles, pendentif).

Considérant que l’aspect d’ensemble produit par l’agencement de ces différents éléments propres au modèle lui confère une physionomie particulière, résultat d’un acte de création intellectuelle portant l’empreinte de la personnalité de ses auteurs, et que de ce fait ce modèle de ballerine est bien une ‘uvre de l’esprit bénéficiant de la protection au titre du droit d’auteur.

Considérant que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a dit que le modèle ‘ballerine’ revendiqué par la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION est le résultat d’un effort créatif particulier et est éligible à la protection au titre du droit d’auteur.

III : SUR LA CONTREFAÇON :

Considérant que la contrefaçon est caractérisée par la reproduction, la représentation ou l’exploitation d’une ‘uvre de l’esprit en violation des droits de son auteur ; qu’elle existe indépendamment de toute faute, ou mauvaise foi, du contrefacteur.

Considérant que les sociétés appelantes contestent l’existence d’une contrefaçon en arguant de différences substantielles entre les modèles, une fois écarté tout ce qui relèverait des ‘antériorités’ et du domaine public, notamment de la danse classique, et des aspects fonctionnels non appropriables, leur seul point commun étant d’avoir choisi la représentation d’une danseuse en tenue classique dans la position numéro cinq notoirement connue notamment grâce au ballet ‘Le lac des cygnes’.

Mais considérant qu’il ressort des procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 11 décembre 2008 que le modèle importé et vendu par les sociétés appelantes représente une ballerine de mêmes dimensions, proportions et formes que celle créée par la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION, qu’elle est du même matériau (métal émaillé), dans une posture identique (jambes croisées au niveau des genoux, bras repliés au-dessus de la tête) dont il a été indiqué précédemment qu’elle ne reproduisait pas exactement la position de danse classique numéro cinq et relevait d’une conception originale du créateur du modèle, avec un tutu stylisé parfaitement similaire, que ces modèles sont en outre déclinés dans des coloris identiques.

Considérant que les seules différences qui tiennent à la qualité de l’exécution du produit contrefaisant de moindre finesse au niveau des traits du visage, des chaussons et de la coiffure de la ballerine ne sont que de détail.

Considérant que la comparaison des modèles permet donc à la cour de dire que le produit commercialisé par les sociétés appelantes reprend, dans la même combinaison, les caractéristiques du fondement de l’originalité du modèle ‘ballerine’ revendiqué par la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION.

Considérant que le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu’il a dit qu’en important en France, mettant en vente et vendant des pendentifs en forme de ballerine sous les dénominations PM PERLE DE MÉTAL ou AP APPRÊT, les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ ont commis des actes de contrefaçon de l”uvre constituée par le modèle ‘ballerine’ dont la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION est titulaire.

IV : SUR LES MESURES RÉPARATRICES DE LA CONTREFAÇON :

Considérant que si la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION, en ce qui concerne les mesures réparatrices de la contrefaçon, ne reprend plus en cause d’appel sa demande de droit à l’information (le jugement entrepris étant donc confirmé en ce qu’il l’a déboutée de ce chef de demande), elle conclut, sur ce point, à l’infirmation partielle du jugement entrepris en ce qu’il a condamné chacune des deux sociétés appelantes à lui verser la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon.

Considérant que la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION réclame de ce chef la somme de 100.000 € à chacune des deux sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ en faisant valoir que ces sociétés sont spécialisées dans la vente en gros de bijoux fantaisie et ne pouvaient ignorer l’existence de son modèle ‘ballerine’ et que dans le cadre de la procédure de saisie-contrefaçon, elle n’a pu obtenir d’informations pertinentes quant à l’origine et à l’importance de la contrefaçon, ces sociétés ayant tout mis en ‘uvre pour en dissimuler l’étendue.

Considérant que, pour leur part, les sociétés appelantes estiment que la demande indemnitaire forfaitaire de la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION ne repose sur aucune démonstration conforme à l’état du droit uniforme en Europe, affirmant avoir acheté à leur fournisseur en avril 2008 seulement cent exemplaires du bijou contrefaisant, au prix unitaire de 0,90 €, et que le prix de vente de 1,90 € n’était donc nullement dérisoire puisqu’appliquant un coefficient de 2,2 ; que dès lors l’indemnité ne saurait excéder la somme de 2.500 €, à hauteur des ventes réelles et des bénéfices tirés de celles-ci.

Considérant que l’article L 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle (transposant en droit interne la directive européenne du 29 avril 2004 invoquée par les sociétés appelantes) dispose que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte ; qu’à la demande de la partie lésée, la juridiction peut, à titre d’alternative, allouer une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte.

Considérant que pour limiter le nombre d’exemplaires commercialisés du bijou contrefaisant à cent unités, les sociétés appelantes arguent d’une facture n° FRZ8215 (intitulée ‘INVOICE 2’) adressée en septembre 2008 par la société de droit chinois Shenzhen Taikaili Holding Development Co., Ltd à la société DESIGN ‘ELLES’, mentionnant l’envoi de cent pièces d’un bijou portant la référence HY60 au prix unitaire de 0,90 € (et non pas au mois d’avril 2008, la facture intitulée ‘INVOICE 1’ émise à cette date ne mentionnant pas la référence HY60).

Mais considérant qu’aucun document comptable ou autre ne permet d’établir avec certitude que le modèle référencé HY60 par le fournisseur chinois des sociétés appelantes correspondrait au modèle contrefaisant ; qu’en effet, lors des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société DESIGN ‘ELLES’, l’huissier a constaté qu’aucun article n’était référencé par modèle.

Considérant que l’huissier avait relevé le 11 décembre 2008 la présence dans la boutique de la société DESIGN ‘ELLES’ de 93 produits contrefaisants alors que, par ailleurs, la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION avait pu acheter 23 exemplaires contrefaisants auprès de la société AVANTAGE MODE les 3 et 13 novembre 2008 et 23 exemplaires auprès de la société DESIGN ‘ELLES’ le 21 novembre 2008 ; qu’ainsi le nombre d’exemplaires contrefaisants importés et commercialisés par les sociétés appelantes est nécessairement supérieur à cent comme elles le soutiennent.

Considérant enfin que les sociétés appelantes se sont abstenues, tout au long de la procédure, de fournir le moindre document comptable permettant d’apprécier l’étendue de la contrefaçon, qu’ainsi lors des procès-verbaux de saisie contrefaçon du 11 décembre 2008 l’huissier n’a pu obtenir des responsables de la société DESIGN ‘ELLES’ aucune indication sur le référencement de ses stocks et sa comptabilité et que, pour sa part, la gérante de la société AVANTAGE MODE, Mme [L] [X], a

déclaré à l’huissier qu’elle ne se souvenait pas de la date précise de commercialisation du modèle contrefaisant, qu’elle ne connaissait pas les quantités achetées et vendues, qu’elle n’avait aucune référence pour ces bijoux dont elle ne connaissait ni le prix de vente ni le prix d’achat, qu’elle soutenait encore ne pas détenir la comptabilité dans les locaux de sa société.

Considérant que par ordonnance du juge de la mise en état du 25 juin 2009 confirmée par arrêt de la cour de céans du 25 mai 2010, il a été ordonné aux sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ de communiquer les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs des marchandises litigieuses ainsi que des grossistes destinataires et détaillants ainsi que les quantités produites, commercialisées, livrées ou commandées et le chiffre d’affaires généré par la vente de ces marchandises ; que les sociétés appelantes n’ont jamais déféré à cette injonction.

Considérant qu’il ressort des pièces produites qu’au mois de mai 2011, il avait été vendu par la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION 40.885 pièces de la collection ‘Pas de deux’ depuis sa création en 2006 ; que selon l’attestation rédigée le 12 février 2009 par M. [A] [T], gérant de la SARL RGG, expert-comptable de la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION, à la date du 06 février 2009 le chiffre d’affaires réalisé par la commercialisation de cette collection depuis sa création était d’environ 631.000 €.

Considérant que selon les documents produits, il apparaît que la commercialisation de la collection ‘Pas de deux’ a représenté jusqu’à 16,74 % des ventes de la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION.

Considérant qu’en important et en proposant à la vente un modèle de ballerine contrefaisant celui commercialisé par la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION à un prix unitaire de 1,90 € très largement inférieur à ceux pratiqués par la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION (jusqu’à vingt à trente fois moins selon le modèle de bijou sur lequel la figurine est montée) et d’une qualité moindre dans sa finition, les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ ont contribué à la dépréciation et à l’avilissement de l”uvre contrefaite par son extrême banalisation, portant ainsi atteinte à la renommée de la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION.

Considérant qu’il en résulte que le préjudice, également moral, ainsi subi par la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION a été insuffisamment apprécié par les premiers juges ; que le jugement entrepris sera partiellement infirmé de ce chef et que, statuant à nouveau, la cour condamne chacune des sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ à payer à la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Considérant que le jugement entrepris sera confirmé sur les autres mesures réparatrices en ce qu’il a, à juste titre, fait interdiction sous astreinte aux sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ de poursuivre leurs agissements de contrefaçon du modèle ‘ballerine’, en ce qu’il a ordonné à ces deux sociétés de procéder, sous astreinte, à la destruction des articles contrefaisants sous contrôle d’huissier et à leurs frais en se réservant la liquidation de ces astreintes et en ce qu’il a autorisé la publication de son dispositif dans trois journaux ou revues au choix de la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION aux frais des sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ sans que le coût de chaque publication n’excède, à leur charge, la somme de 3.500 € HT.

V : SUR LES AUTRES DEMANDES :

Considérant qu’il est équitable, compte tenu au surplus de la situation économique des parties condamnées, de condamner les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ à payer à la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION la somme de 10.000 € chacune au titre des frais par elle exposés en cause d’appel et non compris dans les dépens, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu’il a, en équité, statué sur les frais irrépétibles de première instance et les frais de saisies-contrefaçon.

Considérant que les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’, parties perdantes en leur appel, ne pourront qu’être déboutées de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Considérant que, pour le même motif, les sociétés AVANTAGE MODE et DESIGN ‘ELLES’ seront solidairement condamnées au paiement des dépens d’appel, le jugement déféré étant par ailleurs confirmé en ce qu’il a statué sur la charge des dépens de première instance.

P A R C E S M O T I F S

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement.

Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION en réparation de son préjudice consécutif aux actes de contrefaçon dont elle a été victime et, infirmant de ce chef et statuant à nouveau :

Condamne la SARL AVANTAGE MODE et la SARL DESIGN ‘ELLES’ à payer à la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION la somme de CINQUANTE MILLE EUROS (50.000 €) chacune à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Condamne la SARL AVANTAGE MODE et la SARL DESIGN ‘ELLES’ à payer à la SARL NÉRÉIDES DISTRIBUTION la somme de DIX MILLE EUROS (10.000 €) chacune au titre des frais exposés en cause d’appel et non compris dans les dépens.

Déboute la SARL AVANTAGE MODE et la SARL DESIGN ‘ELLES’ de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne solidairement la SARL AVANTAGE MODE et la SARL DESIGN ‘ELLES’ aux dépens de la procédure d’appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier,Le Président,

 


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