Your cart is currently empty!
21 septembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/02407
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 21 SEPTEMBRE 2022
(n° 134/2022 , 17 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 20/02407 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBM6U
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Janvier 2020 ‘ Tribunal Judiciaire de PARIS 3ème chambre – 3ème section – RG n° 18/08540
APPELANTES
SASU LUNETTES POUR TOUS
Société au capital de 10 000 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 798 706 453
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Me Emilie DUMUR de la SELAS WILHELM & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0024
SARL LPT SUPPLY CHAIN
Société au capital de 10 000 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 817 708 167
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 3]
[Localité 7]
Exploitant un établissement au [Adresse 1],
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Me Emilie DUMUR de la SELAS WILHELM & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0024
INTIMEE
SAS JIMMY FAIRLY
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 530 422 427
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU – CICUREL – MEYNARD – GAUTHIER – MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240
Assistée de Me Philippe BESSIS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0804
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Déborah BOHÉE, conseillère, et Mme Isabelle DOUILLET, présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société JIMMY FAIRLY se présente comme exerçant, depuis le 15 avril 2011, une activité de conception et de vente d’articles d’optique, lunetterie, qui représente 66 % de son chiffre d’affaires. Elle indique qu’elle offre à sa clientèle des montures de qualité à des prix raisonnables, fabriquées et montées en France, qu’elle commercialise dans son réseau de 26 boutiques en France et de deux boutiques en Angleterre.
Elle revendique des droits d’auteur et la protection des dessins et modèles non enregistrés, sur les lunettes référencées MOONSTONE et TERRACOTA
et commercialise une large gamme de lunettes, dont les montures ROCHDALE, DUMBO et STEVEN :
La société JIMMY FAIRLY expose avoir été informée de la commercialisation par la société LUNETTES POUR TOUS, de montures de lunettes référencées MYLA et JANE fabriquées par la société LPT SUPPLY CHAIN, reproduisant, selon elle, les caractéristiques originales, respectivement, de ses modèles MOONSTONE et TERRACOTA.
Elle indique s’être également aperçue de la commercialisation par les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN de trois autres montures de lunettes référencées ANDREA, MIGUEL et HEDDY reproduisant, selon elle à l’identique, les caractéristiques, respectivement, des lunettes ROCHDALE, DUMBO et STEVEN, ce qu’elle a fait établir par constat d’achat du 27 juin 2018.
Modèle ANDREA Modèle MIGUEL Modèle HEDDY
Autorisée, par ordonnances sur requête des 12 et 18 juin 2018, la société JIMMY FAIRLY a fait réaliser des saisies-contrefaçons, suivant procès-verbaux du 22 juin 2018, au siège de la société LUNETTES POUR TOUS à [Localité 8] et au sein d’un de ses établissements secondaires à [Localité 7], puis a adressé aux sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN (ci-après, les sociétés LPT), une lettre de mise en demeure le 22 juin 2018.
Par acte du 16 juillet 2018, elle a fait assigner les deux sociétés devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et de dessins et modèles non enregistrés et en concurrence déloyale.
Par jugement du 10 janvier 2020, le tribunal, devenu tribunal judiciaire de Paris, a :
– rejeté les prétentions de la société JIMMY FAIRLY au titre de la contrefaçon des droits d’auteur sur les montures de lunettes MOONSTONE et TERRACOTA,
– dit que la société JIMMY FAIRLY bénéficie de la protection des dessins et modèles communautaires non enregistrés, concernant les montures de lunettes MOONSTONE et TERRACOTA, pour la période du 24 mars 2017 au 24 mars 2020,
– dit qu’en commercialisant les lunettes MYLA et JANE, les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN ont commis des actes de contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés MOONSTONE et TERRACOTA au préjudice de la société JIMMY FAIRLY,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés,
– dit sans objet les demandes formées à titre subsidiaire au titre de la concurrence déloyale du fait de la commercialisation des lunettes MOONSTONE et TERRACOTA,
– dit qu’en commercialisant les lunettes ANDREA, MIGUEL et HEDDY, qui constituent la copie servile des lunettes ROCHDALE, DUMBO et STEVEN, les sociétés défenderesses ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– ordonné aux sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN de cesser la commercialisation et la fabrication des lunettes MYLA, JANE, ANDREA, MIGUEL et HEDDY, sous astreinte de 150 euros par paire, passé le délai de 30 jours après la signification de la décision,
– ordonné aux sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN de procéder à la destruction du stock des lunettes MYLA, JANE, ANDREA, MIGUEL et HEDDY, sous astreinte de 150 euros par paire, passé le délai de 30 jours après la signification de la présente décision,
– dit n’y avoir lieu à publication judiciaire de la décision,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN aux dépens, y incluant les frais de saisie-contrefaçon, à l’exclusion des autres frais de constat qui demeureront à la charge de la société JIMMY FAIRLY,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme globale de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire.
Le 7 février 2020, les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN ont interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du magistrat délégataire du premier président de la cour d’appel de Paris en date du 11 février 2020, elles n’ont pas été autorisées à assigner la société JIMMY FAIRLY à jour fixe à la suite de l’appel interjeté.
Les parties ayant fait connaître leur accord, par ordonnance du 5 janvier 2021, la conseillère de la mise en état a ordonné une médiation afin de permettre aux parties de trouver une solution amiable à leur litige. La médiation n’a cependant pas abouti.
Dans leurs dernières conclusions numérotées 4 transmises le 28 février 2022, les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN demandent à la cour :
– de juger que l’appel interjeté par les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN est recevable,
– d’infirmer le jugement en ce que le tribunal a :
– dit que la société JIMMY FAIRLY bénéficie de la protection des dessins et modèles communautaires non enregistrés, concernant les montures de lunettes MOONSTONE et TERRACOTA, pour la période du 24 mars 2017 au 24 mars 2020,
– dit qu’en commercialisant les lunettes MYLA et JANE, les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN ont commis des actes de contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés MOONSTONE et TERRACOTA au préjudice de la société JIMMY FAIRLY,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés,
– dit qu’en commercialisant les lunettes ANDREA, MIGUEL et HEDDY, qui constituent la copie servile des lunettes ROCHDALE, DUMBO et STEVEN, les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– ordonné aux sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN de cesser la commercialisation et la fabrication des lunettes MYLA, JANE, ANDREA, MIGUEL et HEDDY, sous astreinte de 150 euros par paire, passé le délai de 30 jours après la signification de la présente décision,
– ordonné aux sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN de procéder à la destruction du stock des lunettes MYLA, JANE, ANDREA, MIGUEL et HEDDY, sous astreinte de 150 euros par paire, passé le délai de 30 jours après la signification de la présente décision,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY, la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN aux dépens, y incluant les frais de saisie-contrefaçon,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme globale de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– de confirmer le jugement pour le surplus, en ce que le tribunal a :
– rejeté les prétentions de la société JIMMY FAIRLY au titre de la contrefaçon des droits d’auteur sur les montures de lunettes MOONSTONE et TERRACOTA,
– rejeté les demandes formées au titre de la concurrence déloyale du fait de la commercialisation des lunettes MOONSTONE et TERRACOTA,
– dit n’y avoir lieu à la publication judiciaire de la décision,
– dit qu’en dehors des frais de saisie-contrefaçon, les autres frais de constat demeureront à la charge de la société JIMMY FAIRLY,
– statuant à nouveau :
– de rejeter l’ensemble des demandes de la société JIMMY FAIRLY,
– de juger que les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN n’ont commis aucune faute au titre du droit d’auteur, des dessins et modèles communautaires non enregistrés et de la concurrence déloyale et parasitaire à l’encontre des modèles MOONSTONE, TERRACOTA, ROCHDALE, DUMBO et STEVEN,
– de condamner la société JIMMY FAIRLY, outre à la restitution des sommes versées au titre du jugement de première instance, à verser à chacune des sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la société JIMMY FAIRLY aux entiers dépens de première instance et d’appel dans les termes de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions numérotées 3 transmises le 17 février 2022, la société JIMMY FAIRLY demande à la cour :
– de rejeter l’ensemble des moyens, fins et conclusions des appelantes et de les en débouter ;
– de confirmer le jugement en ce qu’il a :
– jugé que la société JIMMY FAIRLY bénéficie de la protection des dessins et modèles communautaires non enregistrés, concernant les montures de lunettes MOONSTONE et TERRACOTA, pour la période du 24 mars 2017 au 24 mars 2020,
– jugé qu’en commercialisant les lunettes MYLA et JANE, les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN ont commis des actes de contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés « MOONSTONE » et « TERRACOTA » au préjudice de la société JIMMY FAIRLY,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés,
– jugé qu’en commercialisant les lunettes « ANDREA », « MIGUEL » et « HEDDY », qui constituent la copie servile des lunettes « ROCHDALE », « DUMBO » et « STEVEN », les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– ordonné aux sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN de cesser la commercialisation et la fabrication des lunettes « MYLA », « JANE », « ANDREA », « MIGUEL » et « HEDDY », sous astreinte de 150 euros par paire, passé le délai de 30 jours après la signification de la présente décision,
– ordonné aux sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN de procéder à la destruction du stock des lunettes « MYLA », « JANE », « ANDREA, MIGUEL et HEDDY, sous astreinte de 150 euros par paire, passé le délai de 30 jours après la signification de la présente décision,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN aux dépens, y incluant les frais de saisie-contrefaçon,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme globale de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire,
– pour le surplus, d’infirmer le jugement,
– de juger recevable et bien fondé l’appel incident de la société JIMMY FAIRLY,
– de juger que la société JIMMY FAIRLY bénéficie de la protection des droits d’auteur concernant les montures de lunettes « MOONSTONE » et « TERRACOTA »,
– en conséquence, de condamner in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY aux sommes et mesures d’interdiction ci-dessous mentionnées soit :
– une somme globale supplémentaire de 145 000 euros à titre de dommages et intérêts sur les fondements des DMCNE et du droit d’auteur, en sus de la somme de 50 000 euros déjà accordée par le tribunal en réparation du préjudice relatif aux DMCNE à la société JIMMY FAIRLY,
– à titre subsidiaire, au cas où la cour estimerait que les faits ci-dessus ne constituent pas des actes de contrefaçon des droits de la société JIMMY FAIRLY, de juger qu’à tout le moins, ces actes constituent des agissements de concurrence déloyale sur le fondement de l’article 1240 du code civil, compte tenu de l’imitation des modèles précités, du risque de confusion, de l’effet de gamme recherché et du détournement de « savoir-faire de conception » ; en conséquence, de condamner in solidum les appelantes à une somme de 195 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaires,
– au titre des actes distincts de concurrence déloyale, de condamner in solidum les appelantes à une somme complémentaire de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts, en sus de la somme de 30 000 euros déjà accordée par le tribunal, compte tenu de l’imitation des 3 modèles invoqués (ROCHDALE, DUMBO et STEVEN) et des faits distincts invoqués,
– d’ordonner à titre de supplément de dommages et intérêts, la parution de l’arrêt à intervenir dans 5 journaux au choix de la société JIMMY FAIRLY et aux frais des sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN dans une limite de 5 000 € HT maximum par insertion,
– en tout état de cause, de condamner les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de la SCP BRODU CICUREL MEYNARD, en plus des frais de constat et de saisie-contrefaçon de la SCP JOURDAIN DUBOIS, des frais de saisie-contrefaçon de la SCP FRADIN-TRONEL, en ce compris les honoraires des huissiers, frais de constat du 27 juin 2018 et frais de constat des 4 et 6 mars 2020, ainsi qu’au paiement de la somme de 50 000 euros en application article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est du 22 mars 2022.
MOTIFS DE L’ARRET
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur les demandes concernant les montures MOONSTONE et TERRACOTA
Sur les demandes en contrefaçon
Sur l’originalité des montures MOONSTONE et TERRACOTA et les demandes en contrefaçon de droits d’auteur
La société JIMMY FAIRLY expose que la monture MOONSTONE présente la combinaison originale des éléments caractéristiques suivants : verres arrondis, cerclés de métal doré sur tout leur pourtour ; monture bi-matière, dont la façade très papillonnante en acétate encadre les verres en formant un angle aigu au niveau des extrémités remontantes, laissant apparaître deux espaces vides triangulaires disposés symétriquement de part et d’autre de la monture ; pont de largeur équivalente à l’encadrement des verres ; branches fines, fuselées et de forme arrondie en métal doré, s’affinant de la façade vers leur extrémité, pour se terminer par un manchon en acétate de même couleur que la façade. Elle fait valoir que l’originalité de cette création résulte du double contraste existant entre (i) l’emploi de deux matières visuellement antagonistes, l’acétate plus ‘rétro’ et le métal doré plus élégant, et (ii) la douceur des verres arrondis et la monture de forme géométrique et saillante ; qu’il est en effet totalement arbitraire de choisir de créer des verres ronds alors que la monture elle-même n’est nullement ronde mais de forme papillonnante, ce qui crée un contraste original démontrant un effort créatif ; que l’aspect papillonnant, renforcé par la présence d’espaces vides dans la façade à chaque extrémité au niveau des branches des lunettes, évoque un regard félin, d’allure à la fois enfantine et sophistiquée ; que de plus, cette monture est dépourvue de pas de vis, ce qui en complique le montage et constitue un choix inattendu, inhabituel et totalement unique de son concepteur.
Elle expose par ailleurs que la monture TERRACOTA présente la combinaison originale des éléments caractéristiques suivants : verres ovales allongés ; monture bi-matière dont la façade légèrement papillonnante en acétate est surmontée d’une armature en métal doré venant s’insérer dans l’acétate au-dessus de chaque verre, renforçant l’aspect papillonnant, cette armature en métal doré ne se prolongeant pas sur le pont ; pont de largeur équivalente à l’encadrement des verres ; épaississement de la monture sur la façade au niveau de la jonction avec les branches ; branches en acétate de même couleur et de même largeur que la façade. Elle fait valoir que l’originalité de cette création résulte du contraste existant entre l’emploi de deux matières visuellement antagonistes, l’acétate plus « rétro » et le métal plus élégant ; que les empiècements en métal doré incrustés au sommet de la monture donnent un effet de superposition venant ‘ouvrir et illuminer le regard’ en accentuant la forme papillonnante de la monture, soulignant ainsi son aspect ‘rétro’ ; que cette forme n’est nullement nécessaire et qu’elle ne résulte nullement de la mise en ‘uvre d’une logique automatique et contraignante.
Elle argue que toutes ces caractéristiques esthétiques procèdent d’autant de choix arbitraires créatifs constitutifs de l’originalité des deux modèles et qu’il n’est nullement nécessaire de les combiner pour une monture de lunettes, ce qui démontre l’empreinte de la personnalité de l’auteur.
Les sociétés LPT répondent que la société JIMMY FAIRLY échoue à démontrer l’originalité des montures invoquées qui appartiennent au fonds commun de la lunetterie, en l’absence de tout effort créatif et d’une quelconque empreinte de la personnalité d’un auteur.
Ceci étant exposé, l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une ‘uvre de l’esprit jouit sur cette ‘uvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. En application de l’article L.112-l du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une ‘uvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale. Néanmoins, lorsque l’originalité d’une ‘uvre de l’esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d’auteur d’identifier ce qui caractérise cette originalité.
La combinaison d’éléments qui en eux-mêmes ne présentent pas d’originalité ne peut manifester un effort créatif que si elle confère à l’oeuvre revendiquée une physionomie propre la distinguant de celles appartenant au même genre et traduisant un parti pris esthétique du créateur.
Par ailleurs, si la notion d’antériorité est indifférente en droit d’auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l’oeuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur, l’originalité doit cependant être appréciée au regard d’oeuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s’en dégage d’une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d’un effort de création, marquant l’oeuvre revendiquée de l’empreinte de la personnalité de son auteur.
En l’espèce, comme le tribunal l’a retenu, la monture MOONSTONE, mise sur le marché en mars 2017, reproduit des éléments anciens, banals et répandus sur le marché de la lunetterie, comme la forme papillonnante (pièces des appelantes 10, 11 : lunettes portées par Marilyn Monroe et Grace Kelly) ; les verres qui ne s’étendent pas jusqu’au cerclage (pièces des appelantes 10, 14 et 30 : lunettes FENDI de 2016 comportant des verres ronds qui ne s’étendent pas jusqu’à la monture de forme papillonnante, exactement comme la monture revendiquée) ; les branches fines en métal s’affinant vers les extrémités et se terminant par un manchon en acétate (pièces des appelantes 4, 10, 24) et la bi-matière contrastante (métal/acétate) (pièce des appelantes 10), la combinaison de ces éléments révélant certes un savoir-faire de conception, mais, alors que la monture en cause appartient à un fonds commun de la lunetterie, étant insuffisante à établir la réalité d’un effort créatif reflétant l’empreinte de la personnalité d’un créateur. De plus, les appelantes justifient que l’absence de pas de vis sur une monture de lunettes était déjà connue depuis les années 2000 (marques RODENSTOCK en 2000, MYKITA en 2004, OXIBIS en 2007).
Il en est de même de la monture TERRACOTA, également mise sur le marché en mars 2017, dont les éléments revendiqués se retrouvent de façon habituelle sur des modèles plus anciens, comme les verres ovales allongés (pièce des appelants 10 (notamment, modèles EYEWORKS de 1999 et 1996) ; la forme légèrement papillonnante (pièce des appelants 4) ; l’armature en métal doré au-dessus de l’acétate entourant les verres (pièces des appelants 4 : monture PRADA de 2016, 10 : modèle MATAVISIA des années 1950) ; l’épaississement de la monture sur la façade au niveau de la jonction avec les branches (pièce des appelants 21 : modèles GUTLER AND CROSS des années 1990 et LAFONT des années 1980) ; la bi-matière acétate/métal (pièces des appelants 4, notamment monture PRADA de 2016 ; 10, notamment modèle MILAPPE des années 1950), sans que la combinaison spécifique de ces éléments suffise à traduire un effort créatif révélant l’empreinte de la personnalité d’un créateur, alors que la monture en cause ressortit à un fonds commun de la lunetterie.
Faute d’originalité, les montures revendiquées ne peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu’il a rejeté l’ensemble des demandes de la société JIMMY FAIRLY au titre de la contrefaçon des droits d’auteur sur les montures de lunettes MOONSTONE et TERRACOTA.
Sur les demandes en contrefaçon de dessins et modèles non enregistrés
Sur la validité des modèles : la nouveauté et le caractère individuel
Les sociétés appelantes contestent la validité des deux modèles non enregistrés qui leur sont opposés, faisant valoir que les antériorités qu’elles communiquent démontrent (i) l’absence de nouveauté des modèles de lunette MOONSTONE et TERRACOTA, les deux modèles ayant été divulgués au public le 24 mars 2017 alors qu’il existait déjà de nombreux autres modèles semblables et même identiques, et (ii) l’absence de caractère individuel de ces mêmes modèles qui ne produisent pas chez le consommateur averti une impression globale différente de celle produite par les montures plus anciennes versées aux débats, d’autant que la liberté du créateur est importante dans le domaine de la lunetterie. Elles arguent que le tribunal n’a pu, sans contradiction, retenir que les montures ne traduisent pas ‘un effort personnalisé matérialisé dans une structure individualisée’ ou que la combinaison de leurs éléments ne leur confère pas ‘un caractère individualisé et original’ et considérer en même temps qu’ils ne sont pas dépourvus de caractère individuel.
La société JIMMY FAIRLY soutient que ses deux modèles sont nouveaux et présentent un caractère individuel dès lors d’une part que les appelantes ne versent aucune antériorité de toutes pièces privant ces modèles de leur nouveauté et que les différences existant entre les antériorités produites et les modèles ne sont pas minimes, et d’autre part que ses deux modèles produisent sur l’utilisateur averti une impression globale différente de celle procurée par des modèles antérieurement divulgués.
Ceci étant exposé, l’article 4 § 1 du règlement communautaire n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires dispose que la protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel.
A cet égard, l’article 5 prévoit que ‘ 1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public :
a) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois (…) 2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants’.
Et, aux termes de l’article 6 : ‘1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public : a) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois (…) 2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle’.
En application de l’article 11 du même règlement, un dessin ou modèle communautaire non enregistré est réputé avoir été divulgué au public au sein de la Communauté s’il a été publié, exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière de telle sorte que, dans la pratique normale des affaires, ces faits pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté.
L’appréciation du caractère individuel d’un modèle doit s’effectuer au regard de la combinaison de ses caractéristiques et non au regard de ces caractéristiques prises isolément.
En l’espèce, aucune des antériorités opposées par les sociétés LPT ne présente une combinaison de caractéristiques identique à celle des modèles revendiqués ou ne différant que par des détails insignifiants pour l’utilisateur averti, en l’espèce une utilisatrice (s’agissant de lunettes pour femme) sensible au design des montures qu’elle essaie ou acquiert : les lunettes de la pièce 4 présentent un contraste de matières mais se différencient par les autres caractéristiques ; les lunettes MIKLI de 2016 de la pièce 8 ont des verres ronds dans une monture de forme papillonnante qu’ils n’atteignent pas dans les coins supérieurs externes, à l’instar de la monture MOONSTONE, mais prise dans son ensemble, la forme de la monture est significativement différente (la partie supérieure de la monture revendiquée et son pont sont droits alors qu’ils sont arrondis sur la monture MIKLI) ; la pièce 10 montre des lunettes papillonnantes ou présentant des vides entre verres et monture mais pas ces deux caractéristiques ensemble et pas les autres caractéristiques revendiquées de la monture MOONSTONE (bi-matière, branches fines en métal s’affinant vers les extrémités et se terminant par un manchon en acétate…) ; cette même pièce 10 affiche des lunettes bi-matière avec du métal doré en partie supérieure mais cette partie métallique est très ostensible et/ou se prolonge sur le pont, ce qui n’est pas le cas de la monture TERRACOTA et ne constitue pas une différence de détail ; les lunettes papillonnantes portées par Marilyn Monroe, Audrey Hepburn et Grace Kelly (pièce 11) se différencient nettement des deux modèles (pas de vide entre verres et monture comme sur MOONSTONE ; façade, pont et branches de la monture portée par A. Hepburn significativement plus épais que sur la monture TERRACOTA) ; les lunettes MIKLI (RAYCE CRYSTAL) papillonnantes avec un vide entre les verres et la monture de la pièce 18 présentent des différences qui ne sont pas minimes par rapport au modèle MOONSTONE (le dessus de la monture et son pont arrondis, forme papillonnante beaucoup plus marquée, branches larges en acétate et non fines et en métal) ; les montures MERRY’S de la pièce 18 sont papillonnantes avec un vide entre les verres et la monture mais se distinguent nettement de la monture MOONSTONE par une forme sensiblement plus pointue sur les extrémités hautes, un pont très incurvé, des branches implantées plus bas ; le DM 845179-001 présenté en pièce 20 se distingue du modèle MOONSTONE par sa forme arrondie sur le dessus, l’absence de vide entre verres et monture, la forme et l’emplacement du pont, l’absence de cerclage doré autour des verres ; les autres dessins et modèles de la pièce 20 (001317036-0001, 002778431-0010, 002778431-0003, 003062744-0001 et 20162150-013) se distinguent nettement de la monture TERRACOTA du fait notamment de l’absence d’armature en métal doré sur le dessus de la monture venant s’insérer dans l’acétate au-dessus de chaque verre ; pour cette même raison, les montures GUTLER AND CROSS et LAFONT de la pièce 21 ne sont pas pertinemment invoquées ; la lunette de la pièce 30 enfin ne comporte pas de date certaine et comporte plusieurs différences significatives par rapport à la lunette MOONSTONE (forme papillonnante globalement beaucoup plus marquée, verres de forme papillonnante et non ronde, absence de cerclage doré autour des verres, branche large en acétate).
En raison des différences qui viennent d’être relevées, aucun des modèles antérieurs invoqués par les appelantes ne produit sur l’utilisateur averti précédemment défini la même impression globale que les modèles MOONSTONE et TERRACOTA de la société JIMMY FAIRLY qui bénéficient, par conséquent, de la protection au titre des dessins et modèles communautaires non enregistrés pour la période du 24 mars 2017 au 24 mars 2020.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur la matérialité de la contrefaçon
Les sociétés appelantes soutiennent que les modèles contestés MYLA et JANE ne constituent pas des copies des modèles de la société JIMMY FLAIRLY et ne produisent pas même une impression d’ensemble identique à celle procurée par ces modèles, eu égard aux différences non négligeables existantes. Elles arguent par ailleurs de l’absence de toute mauvaise foi de leur part, faisant valoir que la société LUNETTES POUR TOUS, avec plus de 400 modèles, offre aux consommateurs une gamme large et variée de produits qu’elle renouvelle chaque semaine et des modèles innovants, en édition limitée, démontrant ainsi un travail de création indépendant et important.
La société JIMMY FAIRLY répond que les sociétés LPT ont reproduit et commercialisé de copies serviles de ses modèles postérieurement au 24 mars 2017, date de leur première divulgation au public, et que les prétendues dissemblances existantes entre les modèles revendiqués et les montures litigieuses constituent en tout état de cause des détails infimes n’altérant en rien l’impression d’ensemble commune qui s’en dégage.
L’article 10 du règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001 dispose que la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.
L’article 19 du même règlement prévoit, s’agissant des droits conférés par le dessin ou modèle communautaire, que ‘1. Le dessin ou modèle communautaires enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage de ces produits à ces mêmes fins.
2. Le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère cependant à son titulaire le droit d’interdire les actes visés au paragraphe 1 que si l’utilisation contesté résulte d’une copie du dessin ou modèle protégé.
L’utilisation contestée n’est pas considérée comme résultant d’une copie du dessin ou modèle protégé si elle résulte d’un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu’il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire (…)’.
En l’espèce, le tribunal a justement jugé que les lunettes JANE des sociétés LPT, qui comportent des verres ovales allongés, une monture bi-matière, dont la façade légèrement papillonnante en acétate, est surmontée d’une armature en métal doré venant s’insérer dans l’acétate au-dessus de chaque verre, renforçant l’aspect papillonnant, cette armature en métal doré ne se prolongeant pas sur le pont, un pont de largeur équivalente à l’encadrement des verres, un épaississement de la monture sur la façade au niveau de la jonction avec les branches et des branches en acétate de même couleur et de même largeur que la façade, constituent la reproduction quasi-servile des caractéristiques des lunettes TERRACOTA. Les différences, qui se limitent sur la lunette contestée à une moindre longueur de l’armature en métal sur le dessus de la monture, cette armature métal décrochant avant l’extrémité périphérique de face, et à une épaisseur globale très légèrement supérieure (pièce 6 des appelantes) sont des détails insignifiants qui n’entraînent pas une impression visuelle globale différente. La contrefaçon est ainsi caractérisée pour ce modèle. Le jugement est confirmé sur ce point.
En revanche, la cour observe que sur les lunettes MYLA, l’insert métallique doré n’est pas visible sur le bord intérieur ajouré de la monture en acétate ni sur l’entièreté du contour des verres mais seulement sur le contour des verres apparaissant dans le jour de la monture alors que sur le modèle MOONSTONE, l’insert métallique doré cercle les verres sur tout leur pourtour et est également visible sur tout le bord de la monture en acétate dans le jour triangulaire laissé par l’espace entre les verres et la monture.
Il en résulte une différence visuelle significative, le contraste des matières (métal/acétate) étant bien moindre sur la monture litigieuse qui apparaît de ce fait plus discrète alors que la société JIMMY FAIRLY revendique pour son modèle MOONSTONE le cerclage en métal doré de ses verres ‘sur tout leur pourtour’ et une ‘monture bi-matière’, ce qui révèle l’importance de ces éléments qui ne se retrouvent donc pas dans la monture contestée laquelle ne constitue pas une copie du modèle. Pour ces motifs, il sera retenu que la contrefaçon n’est ici pas caractérisée. Le jugement sera infirmé sur ce point.
En conséquence, la société JIMMY FAIRLY sera déboutée de toutes ses demandes en contrefaçon relatives au modèle MOONSTONE et le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur la demande subsidiaire en concurrence déloyale
La société JIMMY FAIRLY obtenant partiellement gain de cause en ses demandes en contrefaçon, au titre des dessins et modèles non enregistrés, il n’y a lieu d’examiner sa demande subsidiaire en concurrence déloyale au titre des montures MOONSTONE et TERRACOTA.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes relatives à des faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire concernant les montures ROCHDALE, DUMBO et STEVEN
Les sociétés LPT contestent avoir commis des faits de concurrence déloyale et parasitaire du fait de la commercialisation de leurs modèles ROCHDALE, DUMBO et STEVEN. Au titre de la concurrence déloyale, elles font valoir qu’au travers de ces modèles, elles n’ont fait que reprendre des éléments communs, usuels et particulièrement présents dans la tendance actuelle de la lunetterie, qu’il n’existe aucun risque de confusion en raison des différences entre les modèles, les concepts des deux marques, la démarche commerciale des deux entreprises et leurs circuits de distribution et contestent tout fait relevant de l’espionnage commercial. Au titre du parasitisme, elles font valoir que le tribunal ne pouvait retenir cumulativement la concurrence déloyale et le parasitisme ‘s’agissant de faits non distincts’ et que contrairement ce qui a été jugé, aucun effet de gamme n’est caractérisé du seul fait de la déclinaison de montures de lunettes dans plusieurs coloris relevant au surplus d’une tendance de la mode.
La société JIMMY FAIRLY demande la confirmation du jugement en ce qu’il a retenu à la fois la concurrence déloyale et le parasitisme. Elle fait valoir que le dirigeant des appelantes a procédé à deux reprises, le 21 novembre 2012, puis le 10 septembre 2015, à des achats de lunettes au sein d’un magasin JIMMY FAIRLY, notamment d’un modèle DUMBO, lequel s’est trouvé copié peu après par les appelantes par le modèle MIGUEL ; que la clientèle des deux entreprises est identique, essentiellement jeune et active, de sorte que la différence de prix – les lunettes JIMMY FAIRLY étant plus chères – peut être considérée comme un facteur de détournement de clientèle, que les appelantes ont copié sa démarche commerciale caractérisée par un service rapide comprenant un examen de la vue et des prix bon marché et que la proximité géographique des boutiques des deux enseignes à [Localité 8] et dans plusieurs villes de province démontre la volonté de LPT de capter la même clientèle et de s’inscrire dans le sillage de sa concurrente ; que le risque de confusion provient en tout état de cause de l’imitation volontaire et servile de ses trois modèles ; que les appelantes ont en outre recherché un effet de gamme en reprenant simultanément 5 de ses modèles, s’agissant de plus de modèles phares, en persistant à commercialiser au moins 4 modèle litigieux malgré l’interdiction assortie de l’exécution provisoire prononcée par le tribunal, en déclinant en plusieurs coloris chacun de ces cinq modèles.
Ceci étant exposé, la cour rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.
Ces deux notions sont appréciées à l’aune du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d`un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou par l’existence d’une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l’exercice paisible et loyal du commerce.
L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété du produit copié.
En l’espèce, les trois modèles ROCHDALE, DUMBO et STEVEN, respectivement commercialisés depuis le 10 juin 2016, le 11 septembre 2014 et le 2 décembre 2016, invoqués par la société JIMMY FAIRLY au titre d’actes de concurrence déloyale et parasitaire, sont d’une grande banalité, présentant des formes très classiques (pièce 10 et 17 des appelantes) appartenant au fonds commun de la lunetterie, ce qui ressort au demeurant des exemples de montures d’autres marques figurant dans les conclusions des appelantes, commercialisées pour certaines avant les modèles JIMMY FAIRLY (pages 43 à 46). S’agissant de formes non protégées par des droits de propriété intellectuelle et appartenant au fonds commun de la lunetterie, leur reproduction et leur commercialisation ne peuvent être fautives en l’absence d’une recherche d’un risque de confusion par les sociétés LPT ou d’une appropriation indue d’une valeur économique individualisée résultant d’efforts de création et d’investissement.
A cet égard, aucun indice d’un espionnage commercial condamnable, distinct d’une simple veille concurrentielle admise entre concurrents, ne peut être tiré du fait que le dirigeant des sociétés appelantes a fait l’acquisition d’un modèle DUMBO au sein d’une boutique JIMMY FAIRLY et ensuite envoyé un message ‘Done ;)’ au dirigeant et fondateur de cette dernière société. Comme le tribunal l’a relevé, la recherche fautive d’un risque de confusion ne peut non plus résulter de l’implantation de la société LUNETTES POUR TOUS dans les secteurs centraux et commerçants des villes. Aucune tentative de détournement de clientèle ne peut non plus se déduire du fait que la société LUNETTES POUR TOUS a fait le choix d’une clientèle jeune et active, à l’instar de sa concurrente, et d’un modèle économique basé sur un service rapide incluant l’examen de la vue, désormais autorisé à tous les opticiens, et des prix bon marché, ce qui relève d’un concept non appropriable. Enfin, le fait de décliner des montures de lunettes en plusieurs coloris est habituel comme le démontrent, s’il en était besoin, les pièces au dossier (notamment la pièce 29 des appelantes), et les coloris en cause (champagne, noir, blanc, bleu, écaille foncé ou clair) sont couramment utilisés dans le secteur considéré, aucun effet de gamme susceptible de caractériser des actes de concurrence déloyale distincts de ceux retenus au titre de la contrefaçon de la lunette TERRACOTA n’étant ainsi caractérisé.
Par ailleurs, la société JIMMY FAIRLY affirme mais sans le démontrer que les modèles invoqués constituent des ‘modèles phare’ et ne justifie d’aucun investissement de création ou de promotion propre auxdits modèles.
Pour ces raisons, la société JIMMY FAIRLY sera déboutée de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire et le jugement infirmé en ce sens.
Sur les mesures réparatrices
Sur les demandes indemnitaires
Au titre de son préjudice, la société JIMMY FAIRLY invoque une perte de marge liée à son dessin et modèle TERRACOTA contrefait de 33 061 €, chiffre qui doit être selon elle réévalué en tenant compte du fait que la masse contrefaisante n’est pas connue avec précision ; elle invoque également un préjudice moral résultant de la vulgarisation et de la banalisation de ses montures. Elle ajoute que les faits ont persisté au moins jusqu’au mois de mai 2020 malgré les termes du jugement assorti de l’exécution provisoire et qu’il convient de cumuler les différents critères prévus à l’article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle.
Les sociétés appelantes arguent que plus aucun des modèles litigieux n’est encore en vente, que la banalité des modèles doit être prise en compte pour l’appréciation du manque à gagner, outre le fait que les lunettes sont de produits de consommation courante et que l’offre est très importante, qu’aucune dévalorisation des modèles de la société JIMMY FAIRLY n’a pu résulter de leur seule reprise, les modèles litigieux n’étant pas de médiocre qualité ni vendus à vil prix, que le tribunal n’a pu se baser sur les bénéfices réalisés par le contrefacteur sur lesquels il ne disposait d’aucun élément, que les différents chefs de préjudice ne peuvent être cumulés.
Ceci étant exposé, l’article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle, applicable aux atteintes portées aux droits du propriétaire d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, prévoit que ‘Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; 2° Le préjudice moral causé à cette dernière ; 3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon (…)’.
En l’espèce, l’étendue du préjudice subi par la société JIMMY FAIRLY doit être appréciée en tenant compte du fait que seule la contrefaçon du modèle TERRACOTA par la monture JANE des sociétés LPT a été reconnue.
Il convient, afin d’apprécier l’entier préjudice subi par la société JIMMY FAIRLY, de prendre en compte distinctement les éléments énoncés à l’article susvisé sans pour autant en faire le cumul.
Il est justifié que la marge moyenne unitaire pratiquée par la société JIMMY FAIRLY sur le modèle TERRACOTA est de 65,08 euros HT et que les deux saisies-contrefaçons ont révélé au total 508 modèles JANE vendus et en stock.
Comme le tribunal l’a retenu, les ventes manquées du fait des actes de contrefaçon du modèle TERRACOTA ne peuvent être reportées intégralement, les lunettes étant des produits de consommation courante et l’offre sur le marché étant très importante.
Les sociétés LPT ont nécessairement réalisé un bénéfice sur les ventes réalisées des lunettes JANE (490 paires au prix de 30 euros TTC) et ne sauraient se prévaloir du fait qu’elles n’ont pas communiqué d’élément à ce titre.
Enfin, un préjudice moral s’inférant nécessairement des actes de contrefaçon, il résulte en l’espèce pour la société JIMMY FAIRLY de la dévalorisation d’un de ses modèles du fait de sa reprise illicite.
Il n’est pas justifié de la persistance des faits relativement au modèle TERRACOTA.
La cour dispose ainsi des éléments suffisants lui permettant de fixer les préjudices subis par la société JIMMY FAIRLY du fait des actes de contrefaçon du modèle TERRACOTA à hauteur de 20 000 € pour son préjudice matériel et de 10 000 € pour son préjudice moral.
Le jugement sera réformé en ce sens.
Il sera ordonné, en tant que de besoin, aux sociétés LPT de cesser la fabrication et la commercialisation des lunettes JANE et de procéder à la destruction des stocks éventuels, sans qu’il y ait lieu de prévoir d’astreinte à ces titres.
Le préjudice subi par la société JIMMY FAIRLY étant ainsi suffisamment réparé, il n’y a lieu de prononcer la mesure de publication demandée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les parties succombant l’une et l’autre sur une partie de leurs prétentions en appel, chacune supportera la charge de ses dépens et conservera celle de ses frais irrépétibles, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a :
– dit qu’en commercialisant les lunettes MYLA, les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN ont commis des actes de contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés MOONSTONE au préjudice de la société JIMMY FAIRLY,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés,
– dit qu’en commercialisant les lunettes ANDREA, MIGUEL et HEDDY, qui constituent la copie servile des lunettes ROCHDALE, DUMBO et STEVEN, les sociétés défenderesses ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– ordonné aux sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN de cesser la commercialisation et la fabrication des lunettes MYLA, JANE, ANDREA, MIGUEL et HEDDY, sous astreinte de 150 euros par paire, passé le délai de 30 jours après la signification de la décision,
– ordonné aux sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN de procéder à la destruction du stock des lunettes MYLA, JANE, ANDREA, MIGUEL et HEDDY, sous astreinte de 150 euros par paire, passé le délai de 30 jours après la signification de la présente décision,
– condamné in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice résultant des
actes de concurrence déloyale et parasitaire,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déboute la société JIMMY FAIRLY de ses demandes en contrefaçon de son modèle communautaire non enregistrée MOONSTONE,
Condamne in solidum les sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN à payer à la société JIMMY FAIRLY la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon du modèle communautaire non enregistré TERRACOTA,
Déboute la société JIMMY FAIRLY de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire au titre des lunettes ANDREA, MIGUEL et HEDDY commercialisées par les sociétés LPT,
Ordonne aux sociétés LUNETTES POUR TOUS et LPT SUPPLY CHAIN, en tant que de besoin, de cesser la commercialisation et la fabrication des lunettes JANE et de procéder à la destruction des modèles restant éventuellement en stock,
Dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens d’appel et conservera celle de ses frais irrépétibles exposées au cours de la présente instance.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE