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COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 05 JANVIER 2023
N° RG 21/02050 – N° Portalis DBVY-V-B7F-G2LN
[W] [P]
C/ S.A.R.L. LE RESTAURANT D YVOIRE
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 13 Septembre 2021, RG F 19/00169
APPELANT :
Monsieur [W] [P]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Virginie VABOIS, avocat au barreau d’ANNECY
INTIMEE :
S.A.R.L. LE RESTAURANT D YVOIRE
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Christophe GRIPON de la SAS ARCANE JURIS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue en audience publique le 11 Octobre 2022, devant Madame Isabelle CHUILON, Conseiller désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s’est chargée du rapport, les parties ne s’y étant pas opposées, avec l’assistance de Madame Sylvie LAVAL, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Copies délivrées le : ********
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [W] [P] a été engagé par la Sarl Restaurant d’Yvoire, en qualité de ‘commis de cuisine’, en vertu, initialement, d’un ‘contrat de travail conclu pour la saison d’été’, du 30 janvier 2006 au 31 octobre 2006 inclus.
Deux autres contrats du même type ont été conclus pour la période du 2 février 2007 au 25 novembre 2007 inclus, puis du 16 mai 2008 au 28 septembre 2008 inclus, correspondant à un poste de ‘demi chef de partie’.
Le 1er février 2010, M. [W] [P] a signé un contrat à durée indéterminée à temps complet avec la Sarl Restaurant d’Yvoire en qualité de ‘chef de partie’, moyennant une rémunération brute mensuelle de 1.847,97 euros pour 186,33 heures.
La convention collective applicable est celle des hôtels/cafés/restaurants.
L’effectif de l’entreprise est inférieur à 11 salariés.
Le 1er avril 2017, M. [W] [P] a été placé en arrêt de travail, prolongé jusqu’au 11 juin 2017, suite à une opération de la vésicule biliaire le 21 avril 2017.
Le 12 juin 2017, M. [W] [P] a repris son poste jusqu’au 27 novembre 2017, avant d’être placé en congés payés pour cause de fermeture annuelle du restaurant jusqu’au 29 janvier 2018.
Le 29 janvier 2018, M. [W] [P] était, à nouveau, placé en arrêt maladie.
Par courrier du 19 juin 2018, M. [W] [P] était mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 29 juin 2018, auquel il ne s’est pas rendu.
Par courrier recommandé avec avis de réception daté du 3 juillet 2018, M. [W] [P] s’est vu notifier un licenciement pour faute grave pour violation de son obligation de loyauté.
Par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 3 juillet 2019, reçue au greffe le 5 juillet 2019, M. [W] [P] a saisi le conseil de prud’hommes d’Annemasse afin de contester son licenciement et obtenir le versement de diverses sommes et indemnités.
Après ‘dépaysement’ de l’affaire, justifié par le fait que Mme [G], épouse du gérant de la Sarl Restaurant d’Yvoire, siégeait au conseil de prud’hommes d’Annemasse, le conseil de prud’hommes de Bonneville, par jugement en date du 13 septembre 2021 a :
– dit que le licenciement de M. [W] [P] est un licenciement pour faute grave,
– débouté M. [W] [P] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné M. [W] [P] à payer à la Sarl Restaurant d’Yvoire les sommes suivantes :
* 500 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
* 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [W] [P] aux dépens,
– ordonné la transmission de la présente décision à la CPAM de la Haute-Savoie.
Par déclaration reçue au greffe le 13 octobre 2021 par RPVA, M. [W] [P] a interjeté appel de la décision dans son intégralité.
‘
Dans ses conclusions notifiées le 12 janvier 2022, auxquelles la cour se réfère pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, M. [W] [P] demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bonneville le 13 septembre 2021dans toutes ses dispositions,
– fixer la moyenne des salaires bruts de M. [P] à la somme de 2.861,66 euros,
– dire et juger que l’action de M. [P] est pleinement recevable,
– dire et juger que le licenciement pour faute grave de M. [P] est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse,
– dire et juger que la Sarl Restaurant d’Yvoire a violé son obligation de sécurité en faisant retravailler M.[P] pendant plus de 6 mois sans le soumettre à une visite de reprise après un arrêt de travail de plus d’un mois,
– dire et juger que la Sarl Restaurant d’Yvoire n’a pas versé de complément de salaire à M. [P] pour son arrêt de travail débutant le 29 janvier 2018,
– condamner la Sarl Restaurant d’Yvoire à payer à M. [P] les sommes suivantes:
* 22.893,28 euros nets de CSG CRDS à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5.723,32 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
* 572,33 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
* 5.842,46 euros nets de CSG CRDS au titre de l’indemnité légale de licenciement,
* 12.000 euros nets de CSG CRDS à titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité,
* 1.954,16 euros bruts à titre de rappel sur complément de salaire,
* 195,41 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– ordonner la remise d’une attestation Pôle emploi rectifiée, ainsi que d’un bulletin de paie récapitulatif mentionnant l’ensemble des rappels de complément de salaire, le tout sous astreinte journalière de 200 euros, dans un délai de 10 jours à compter de la notification de la décision à intervenir,
-infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bonneville en ce qu’il a condamné M. [P] à payer à la Sarl Restaurant d’Yvoire la somme de 500 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
-infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bonneville en ce qu’il a condamné M. [P] à payer à la Sarl Restaurant d’Yvoire la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bonneville en ce qu’il a ordonné, sans aucun fondement juridique, la transmission du jugement à la CPA M de Haute-Savoie,
– condamner la Sarl Restaurant d’Yvoire à payer à M. [P] la somme de 3.000 euros nets au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la même aux entiers dépens de procédure,
– dire et juger que les sommes allouées à M. [P] porteront intérêt au taux légal en application des articles 1153-1 et 1154 du code civil,
– rejeter la demande reconventionnelle formulée par la Sarl Restaurant d’Yvoire de voir condamner M. [P] pour procédure abusive à hauteur de 5.000 euros, ainsi que sa demande reconventionnelle formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, M. [W] [P] fait valoir que :
Il a réceptionné sa lettre de licenciement le 10 juillet 2018. Le délai de prescription de 12 mois, prévu à l’article L.1471-1 alinéa 2 du code du travail, a commencé à courir à compter de cette date. Or, sa requête saisissant le conseil de prud’hommes a été expédiée le 3 juillet 2019 et réceptionnée le 5 juillet 2019. Son action en contestation du licenciement est donc recevable.
L’employeur n’a pas organisé de visite de reprise auprès du médecin du travail à l’issue de son 1er arrêt de travail, alors même que celui-ci avait duré plus d’un mois. Il a, ainsi, été maintenu en activité pendant près de 6 mois, en totale méconnaissance des dispositions du code du travail, de sorte que l’employeur a gravement manqué à son obligation de sécurité de résultat. Cela lui a nécessairement causé un préjudice, indépendamment du licenciement qui a pu suivre.
Durant son 2ème arrêt de travail, il n’a perçu que les indemnités journalières de la CPAM, alors que l’employeur aurait dû lui verser un complément de rémunération, ainsi que prévu par la convention collective.
Il n’a jamais travaillé en Suisse pendant son arrêt de travail, qui a débuté le 29 janvier 2018. Il a uniquement fait un ‘extra’ du 14 au 19 janvier 2018, à l’occasion du salon de Genève, alors qu’il était en période de congés payés pour cause de fermeture annuelle du restaurant, de sorte qu’il n’a commis aucune fraude à la sécurité sociale.
Le salarié peut produire, dans le cadre d’un litige l’opposant à son employeur, des documents de l’entreprise, sans se voir reprocher un vol ou une violation du secret des correspondances, dès lors qu’ils sont nécessaires à l’exercice des droits de sa défense. Par ailleurs, des éléments étrangers à la relation de travail peuvent également être communiqués, dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnés au but recherché.
Dans ces conditions, sa pièce n°15, correspondant aux échanges entre Mme [G] et son comptable, est recevable, étant précisé que, contrairement à ce qui est soutenu par l’employeur, il n’a dérobé aucun document de l’entreprise.
La lettre de licenciement contient des affirmations mensongères. L’employeur ne peut se prévaloir de son absence lors de la contre-visite qu’il a initiée le 6 mars 2018, puisqu’il bénéficiait d’une autorisation de sortie de son domicile sans restriction horaire. Par ailleurs, l’employeur ment lorsqu’il y affirme qu’il a récemment pris connaissance du fait qu’il travaillait en Suisse.
Le seul grief de licenciement invoqué est prescrit, ce qui rend nécessairement son licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse.
Il résulte des échanges de mails entre Mme [G] et le comptable de sa société que dès le 31 janvier 2018, elle savait qu’il avait travaillé en Suisse dans le courant du mois de janvier. Pour autant, la procédure de licenciement n’a été initiée que le 19 juin 2018.
En tout état de cause, le grief de licenciement reproché n’est pas établi.
Sauf s’il est lié par une clause d’exclusivité, un salarié, y compris à temps complet, est libre de cumuler plusieurs emplois auprès de différents employeurs.
Il n’a jamais fait l’objet de la moindre sanction disciplinaire, ni même du moindre reproche,alors qu’il disposait d’une ancienneté de près de 10 années, au cours desquelles il a connu une importante évolution professionnelle.
Le conseil de prud’hommes l’a condamné pour procédure abusive alors que l’employeur n’a pas respecté ses obligations, à plusieurs égards, et a tenu des propos diffamatoires.
‘
Dans ses conclusions notifiées le 15 février 2022, auxquelles la cour se réfère pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la Sarl Restaurant d’Yvoire demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bonneville le 13 septembre 2021,
– déclarer M. [W] [P] irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes et l’en débouter,
– condamner M. [W] [P] à payer les sommes de :
* 5.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,
* 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [W] [P] aux entiers dépens.
La Sarl Restaurant d’Yvoire fait valoir que :
L’action engagée par le salarié est prescrite du fait du dépassement du délai de 12 mois, entre la notification de la rupture, intervenue le 3 juillet 2018, et la saisine du conseil de prud’hommes d’Annemasse, en date du 5 juillet 2019.
Le délai de prescription court à compter de l’envoi de la lettre de licenciement et non pas de sa présentation.
Dans plusieurs arrêts récents, la cour de cassation, qui considérait, jusqu’en 2016, que ‘le non-respect par l’employeur de ses obligations relatives à la visite médicale de reprise cause nécessairement au salarié un préjudice’, a opéré un revirement, en affirmant que ‘l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond’.
M. [P] ne justifie pas d’un préjudice causé par l’absence d’une visite de reprise.
Il a repris son poste de travail de juin 2017 à novembre 2017 sans difficulté, malgré une activité professionnelle intense à cette période de l’année.
Une visite médicale était programmée mais le salarié ne s’y est pas rendu.
Durant son arrêt de travail, M. [W] [P] a eu une activité professionnelle, identique à celle exercée pour son compte, auprès d’une autre entreprise située en Suisse.
Le salarié ne pouvait, dès lors, prétendre à un complément de salaire puisqu’il n’était pas en arrêt de travail, mais bien en activité professionnelle en Suisse. Il s’est, dès lors, rendu coupable de fraude aux indemnités journalières de sécurité sociale.
Elle a initié une contre-visite médicale, qui n’a pu être réalisée, du fait de l’absence injustifiée du salarié de son domicile, lequel travaillait, en réalité, en Suisse, et ne l’a pas informée des horaire et adresse où la contre-visite pouvait se tenir, de sorte qu’il doit perdre le bénéfice de ses indemnités complémentaires.
La pièce adverse n°15 a été obtenue de façon irrégulière et doit être écartée. Il s’agit d’une conversation privée entre la société et son expert comptable. Le salarié a commis une infraction pénale en dévoilant ces échanges soumis au secret professionnel.
Si elle savait, effectivement, en date du 31 janvier 2018, que M. [P] avait travaillé quelques jours en Suisse dans le courant du mois de janvier 2018, soit pendant sa période de congés payés, cette situation est notoirement différente de ce qui est finalement reproché à cet employé dans la lettre de licenciement, à savoir une activité salariée continue et permanente auprès d’un autre employeur, pendant un arrêt maladie ayant fait suite à ses congés payés.
Une attestation d’emploi d’une société suisse, datée du 19 juin 2018, indique que M. [W] [P] y travaille depuis le 14 janvier 2018 en qualité de cuisinier.
M. [W] [P] a exécuté son contrat de travail de manière déloyale et a initié une procédure abusive.
L’attitude de M.[P] a totalement désorganisé l’entreprise. Alors qu’il devait reprendre le travail le 29 janvier 2018, lors de la réouverture du restaurant après fermeture annuelle, il n’a donné aucune nouvelle, se contentant d’adresser un arrêt maladie début février. Elle n’est parvenue à recruter un responsable chef de partie pour le remplacer qu’à compter de mai 2018, soit plusieurs mois après son absence, sans savoir quand il allait pouvoir reprendre ses fonctions.
Subsidiairement, le salarié, dans le calcul de l’indemnité de licenciement, n’a pas déduit, de son ancienneté, ses périodes d’absence pour maladie.
‘
L’instruction de l’affaire a été clôturée le 1er avril 2022.
La date des plaidoiries a été fixée à l’audience du 11 octobre 2022.
L’affaire a été mise en délibéré au 13 décembre 2022, prorogé au 05 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
I. Sur la prescription de l’action introduite par le salarié
L’article L.1471-1 alinéa 2 du code du travail dispose que ‘toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture’.
La chambre sociale de la cour de cassation considère que la date de saisine du conseil de prud’hommes, interromptant la prescription, faite au moyen d’une lettre recommandée avec avis de réception, est la date d’envoi, et non de réception de ladite lettre (Cass. Soc.19 novembre 2014 n° 13-22.360).
En l’espèce, la lettre de licenciement a été envoyée le 3 juillet 2018 (pièce n°17). Le salarié avait, donc, une année, à compter de cette date, pour saisir le conseil des prud’hommes d’une action en contestation de son licenciement.
En adressant sa requête le 3 juillet 2019, par lettre recommandée avec avis de réception, au conseil de prud’hommes d’Annemasse (pièce n°18), il convient de constater que l’action ainsi introduite par M. [P] [W] n’était pas prescrite, le conseil de prud’hommes de Bonneville ayant omis de statuer sur ce moyen soulevé par la Sarl Restaurant d’Yvoire.
II. Sur le licenciement
L’article L.1232-1 du code du travail rappelle que tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Celle-ci s’entend d’une cause objective, reposant sur des griefs suffisamment précis, vérifiables et établis, qui constituent la véritable raison du licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits, imputable au salarié, constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’il rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis.
La charge de la preuve d’une faute repose exclusivement sur l’employeur qui l’invoque.
Selon les dispositions de l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige sur le licenciement, le juge auquel il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Il doit, notamment, apprécier si la sanction prononcée est proportionnée à la nature et à la gravité des faits reprochés. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Si elle ne retient pas l’existence d’une faute grave, la juridiction saisie doit, alors, rechercher si les faits reprochés au salarié sont constitutifs d’une faute simple de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement.
En cas de litige, la faute est appréciée souverainement par les juges du fond en fonction des circonstances propres à chaque espèce et des éléments de preuve qui leur sont soumis.
En l’espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, datée du 3 juillet 2018, est rédigée comme suit :
« Par courrier du 26 juin 2018 vous nous avez indiqué que, « compte tenu de votre état de santé » vous n’assisteriez pas à l’entretien auquel nous vous avons convoqué pour le 29 juin.
Cette absence n’ayant pas d’incidence sur le déroulement de la procédure engagée, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave motivé par les faits suivants :
Alors que vous êtes embauché en contrat à durée indéterminée à temps plein par notre société, vous êtes absent de l’entreprise depuis le 29 janvier 2018 au motif d’arrêts maladie, qui ont fait notamment l’objet d’un contrôle le 6 mars 2018 à 15h05 au cours duquel votre absence a pu être relevée, alors que votre arrêt ne prévoyait pas de sorties autorisées à cette heure.
Qui plus est, votre absence a créé des difficultés à l’entreprise du fait de l’importance de vos fonctions.
En réalité, nous avons appris très récemment que vous étiez employé en Suisse, depuis le 14 janvier 2018 en qualité de cuisinier.
Vous avez donc indûment prétendu à une incapacité temporaire de travail, vous ouvrant droit au maintien de salaire de notre part et suspendant votre contrat de travail alors que vous exerciez pendant ce temps une activité professionnelle salariée.
Si nous ne vous reprochons pas votre absence justifiée par des arrêts maladie, vous avez néanmoins, à l’évidence manqué gravement à une obligation de loyauté à notre égard.
L’ensemble de ces faits, ne nous permet pas d’envisager la poursuite de votre contrat de travail, même pendant un préavis.
En conséquence, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave qui prendra effet immédiatement à la date du présent courrier. »
Ainsi, en définitive, la Sarl Restaurant d’Yvoire reproche à M. [P] un unique grief de licenciement, à savoir le fait d’avoir failli à son obligation de loyauté en travaillant pour le compte d’un autre employeur, localisé en Suisse, depuis le 14 janvier 2018, alors même qu’il était en arrêt maladie.
M. [P] [W] considère que le grief de licenciement invoqué est prescrit dans la mesure où la Sarl Restaurant d’Yvoire avait connaissance, dès le 31 janvier 2018, de ce qu’il avait travaillé en Suisse dans le courant du mois de janvier.
L’article L.1332-4 du code du travail dispose : ‘Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales’.
M. [P] [W] produit, au soutien de ce moyen tiré de la prescription, deux mails échangés entre Mme [G] (femme du gérant) et la comptable de la Sarl Restaurant d’Yvoire (pièce n°15), laquelle demande à ce que ces documents, relatifs à de la correspondance privée, soumis au secret professionnel et obtenus de manière irrégulière par le salarié, soient écartés des débats.
La chambre sociale de la cour de cassation admet la possibilité pour un salarié de produire en justice, dans le cadre d’un litige prud’homal, des documents appartenant à l’entreprise, à condition d’en avoir eu connaissance dans le cadre de l’exercice de ses fonctions et qu’ils soient strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense (Cass.Soc. 21 décembre 2006 n°05-41180, Cass.Soc.31 mars 2015 n°13-24.410).
Il sera constaté que M. [P] ne fournit aucune explication quant au moyen par lequel il est parvenu à obtenir de tels documents, sauf à dire qu’il ne les a pas dérobés.
Par ailleurs, il convient de remarquer que la Sarl Restaurant d’Yvoire reconnait, elle-même, dans ses conclusions, avoir été informée, dès le 31 janvier 2018, de ce que son salarié avait travaillé pendant ses congés payés en Suisse, de sorte que cet élément factuel n’est pas contesté.
Dès lors, cette pièce n°15 doit être écartée des débats, s’agissant de documents confidentiels appartenant à l’entreprise, dont la production n’est pas essentielle à l’exercice des droits de la défense, incluant le droit à la preuve, du salarié, lequel, au surplus, n’expose pas en avoir eu connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.
La Sarl Restaurant d’Yvoire explique, qu’en date du 31 janvier 2018, elle n’avait pas entièrement connaissance des agissements fautifs de son salarié. Elle ne disposait, à ce stade, que de premières informations faisant état de ce que celui-ci avait travaillé quelques jours en Suisse comme cuisinier dans le courant du mois de janvier 2018, soit pendant ses congés payés. Elle expose n’avoir eu confirmation du caractère, en réalité, permanent de l’activité professionnelle exercée par son salarié, alors en situation d’arrêt de travail, qu’avec la fourniture d’une attestation de son employeur suisse (Hotelis), établie le 19 juin 2018 (pièce n°4), date à laquelle elle a initié une procédure de licenciement à l’encontre de M. [P] [W].
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les faits reprochés à M.[P] [W] dans la lettre de licenciement du 3 juillet 2018 n’étaient pas prescrits, puisque visant la période continue du 14 janvier au 19 juin 2018.
Pour démontrer le comportement fautif de son salarié, la Sarl Restaurant d’Yvoire se contente de produire une seule pièce, en l’espèce une attestation d’emploi d’Hotelis, datée du 19 juin 2018, certifiant que ‘Monsieur [W] [P], né le 29 octobre 1984 de nationalité française, travaille au sein de notre société depuis le 14 janvier 2018 en qualité de cuisinier’ (pièce n°4).
M. [P] [W] prétend qu’il n’était pas employé en Suisse depuis le 14 janvier 2018 pour le compte d’une autre société alors qu’il se trouvait en arrêt maladie. Il n’y a travaillé que du 14 au 19 janvier 2018, soit sur une courte période, pendant ses congés payés, pour un ‘extra’ dans le cadre du salon de Genève.
Il produit une attestation d’emploi d’Hotelis, datée du 12 juin 2018, rédigée en ces termes :«Par la présente nous certifions que Monsieur [W] [P], né le 29 octobre 1984 de nationalité française, a travaillé au sein de notre société du 14 janvier 2018 au 19 janvier 2018 en qualité de cuisinier lors de l’évènement SIHH à Palexpo » (pièce n°13).
Il convient d’observer que ces deux attestations produites par les parties ont été rédigées par la même agence de travail temporaire, spécialisée dans les métiers de l’hôtellerie et de la restauration, à savoir Hotelis Genève Palexpo, à quelques jours d’intervalle, à la demande de M.[W] [P] ‘pour faire valoir à qui de droit’.
Dès lors, il ne peut être soutenu que le contenu de ces deux documents justificatifs est nécessairement contradictoire, puisque, s’agissant du premier, il est uniquement fait référence à la date de début d’emploi, soit le 14 janvier 2018, et, pour le second, à une période précise d’emploi, à savoir du 14 au 19 janvier 2018.
En tout état de cause, en cas de doute subsistant à l’issue de l’examen des pièces produites par les parties, celui-ci doit profiter au salarié, de sorte qu’il convient de considérer que la Sarl Restaurant d’Yvoire ne rapporte pas la preuve que son salarié ait travaillé pour le compte d’une autre société au delà de la période du 14 au 19 janvier 2018.
M. [P] [W] démontre que du 14 au 19 janvier 2018 il était en congés payés pour cause de fermeture annuelle de son employeur, la Sarl Restaurant d’Yvoire, et non en arrêt de travail (pièces n°5 et 14).
Reste, donc, à déterminer si le fait d’avoir travaillé 6 jours pour un autre employeur en Suisse pendant une période de congés payés est constitutif d’une faute, qui plus est grave, justifiant un licenciement.
Même en l’absence de stipulation spécifique du contrat de travail, le salarié est tenu pendant l’exécution de celui-ci d’une obligation de loyauté et de fidélité. Cette obligation lui impose une règle de discrétion et lui interdit de s’adonner à des agissements qui constitueraient une concurrence à l’égard de l’employeur.
Pour autant, le salarié bénéficiant, aussi, d’une liberté de travail, le fait d’exercer plusieurs activités professionnelles au service d’employeurs différents, de manière occasionnelle ou régulière, y compris dans le même secteur d’activité, n’est pas nécessairement constitutif d’un comportement fautif, sous réserve, toutefois, que ce cumul d’emplois n’entraîne pas un dépassement de la durée maximale de travail.
L’employeur peut interdire à son salarié d’exercer une activité professionnelle rémunérée pour le compte d’un autre, pendant l’exécution du contrat de travail et, ainsi, exiger qu’il lui consacre la totalité de ‘sa force de travail’, en prévoyant une clause contractuelle d’exclusivité. Pour être licite, cette clause doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, justifiée par la nature de la tâche à accomplir, et proportionnée au but recherché.
En l’espèce, il convient de constater qu’aucune clause d’exclusivité ne figurait dans le contrat de travail de M.[P] [W].
Par ailleurs, la Sarl Restaurant d’Yvoire n’expose pas, en quoi, le fait que son salarié ait travaillé 6 jours, sur le ‘salon de Genève’ en suisse, pour une agence d’intérim, pendant ses congés payés, constitue un manquement à son obligation de loyauté.
Même si M. [P] [W] a exercé la même activité professionnelle, c’est-à-dire celle de cuisinier, pour l’agence Hotelis, la Sarl Restaurant d’Yvoire ne démontre, aucunement, qu’il ait violé son devoir de discrétion/confidentialité et de non-concurrence à son égard, ni qu’il ait porté atteinte à ses intérêts économiques ou moraux, étant rappelé que du 14 au 19 janvier 2018, son établissement, situé sur un secteur géographique bien distinct, à de nombreux égards, de celui de Genève, était en période de fermeture annuelle (du 27 novembre 2017 au 29 janvier 2018).
Par ailleurs, M. [P] [W] ne saurait être tenu pour responsable de la désorganisation de l’entreprise et des difficultés de recrutement rencontrées par son employeur durant son absence régulièrement justifiée par un arrêt maladie.
Dès lors, il convient de considérer que les faits reprochés à M.[P] [W], dans la lettre de licenciement du 3 juillet 2018, ne sont que très partiellement démontrés, et qu’ils ne constituent pas, à eux seuls, une faute grave, ni même une cause réelle et sérieuse, justifiant un licenciement, étant précisé que ce salarié, en plus de 8 ans d’ancienneté, n’a jamais fait l’objet de la moindre sanction disciplinaire.
Dans ces conditions, le licenciement prononcé à l’encontre de M. [P] [W] étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le jugement du conseil de prud’hommes sera infirmé.
III. Sur les conséquences liées à la rupture du contrat de travail
Les parties s’accordent sur le fait que la moyenne des salaires bruts de M. [P] [W] était de 2.861,66 euros.
Sur l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
Les barèmes d’indemnisation de l’article L.1235-3 du code du travail fixent pour un salarié ayant 8 ans d’ancienneté dans l’entreprise, l’indemnité minimale due par l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire brut, et l’indemnité maximale à 8 mois de salaire brut.
Compte tenu des données de l’espèce, il convient d’allouer à M.[P] [W] une indemnité égale à 6 mois de salaire, soit la somme de 17.170 euros nets de CSG CRDS.
Sur l’indemnité compensatrice de préavis
L’article L.1234-5 alinéa 1du code du travail dispose: « Lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice».
Dans la mesure où son licenciement est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse, et où aucune faute grave n’est établie, M. [P] [W], comptabilisant plus de 2 années d’ancienneté, peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de 2 mois de salaire (article L.1234-1 du code du travail).
Il lui sera, dès lors, octroyé, conformément à sa demande, une somme de 5.723,32 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 572, 33 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Sur l’indemnité légale de licenciement
L’article L.1234-9 du code du travail prévoit que : « Le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement ».
L’article R.1234-2 du code du travail fixe les modalités de calcul de cette indemnité, qui ne peut être inférieure à :
-1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans d’ancienneté,
-1/3 de mois de salaire par année d’ancienneté à partir de 10 ans d’ancienneté.
Dès lors, il sera alloué à M. [P] [W] la somme de 5.842,46 euros nets de CSG CRDS au titre de l’indemnité légale de licenciement, conformément à sa demande, ayant déduit, du calcul de son ancienneté, les périodes durant lesquelles il a été absent du fait de ses arrêts de travail.
Sur la remise d’une attestation Pôle Emploi rectifiée
Lors de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, l’employeur doit délivrer au salarié les attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits aux prestations mentionnées à l’article L.5421-2 et transmet sans délai ces mêmes documents à pôle emploi (article R.1234-9 du code du travail).
Au regard des données de l’espèce, il y a lieu d’ordonner à la Sarl Restaurant d’Yvoire de remettre à M.[P] [W] une attestation pôle emploi rectifiée, tenant compte du dispositif du présent arrêt, sans qu’il ne soit besoin, pour autant, de l’assortir d’une astreinte journalière.
IV. Sur la demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de l’employeur
En vertu de l’article L.4121-1 alinéa 1 du code du travail ‘l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs’.
La violation par l’employeur de son obligation de sécurité ouvre droit pour le salarié à une indemnisation en fonction du préjudice subi, indépendamment de l’existence d’une procédure de licenciement.
La visite de reprise par le médecin du travail est obligatoire après une absence d’au moins 30 jours pour cause d’accident du travail, de maladie ou d’accident non professionnel (C.’trav., art.’R.4624-31).
Dès que l’employeur a connaissance de la date de fin de l’arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise cette visite le jour de la reprise effective du travail, et au plus tard dans un délai de huit’jours suivant cette reprise (C.’trav., art.’R.4624-31).
Cette visite a pour objet (C.’trav., art.’R.4624-32)’:
– de vérifier si le poste de travail ou le poste de reclassement auquel il doit être affecté est compatible avec son état de santé,
– de préconiser l’aménagement, l’adaptation du poste ou le reclassement du salarié,
– d’examiner les propositions d’aménagement, d’adaptation du poste ou de reclassement faites par l’employeur à la suite des préconisations émises par le médecin du travail lors de la visite de préreprise,
– d’émettre le cas échéant un avis d’inaptitude.
C’est à l’employeur de prendre l’initiative de cette visite et il ne peut faire grief au salarié de ne pas s’y soumettre spontanément (Cass. soc., 12’mars’1987, n° 84-43.003).
En l’espèce, M.[P] [W] expose avoir repris son poste le 12 juin 2017 et avoir travaillé jusqu’au 27 novembre 2017, sans que son employeur ne se préoccupe, à aucun moment, de lui faire passer la visite médicale de reprise, de sorte qu’il aurait gravement méconnu son obligation de sécurité.
La Sarl Restaurant d’Yvoire prétend, quant à elle, que M.[P] [W] ne se serait pas rendu à la visite médicale prévue auprès du médecin du travail et produit, à cette fin, une capture d’écran (pièce n°7).
Or, s’il est fait état, sur un tel document, d’une absence non excusée de M.[P] [W], il sera constaté que celle-ci est relative à un rendez-vous qui avait été fixé pour le 16 avril 2018, soit bien postérieurement à la période concernée (juin à décembre 2017), dans le cadre d’une ‘visite occasionnelle’ faite ‘à la demande du salarié’, et aucunement d’une visite de reprise initiée par l’employeur.
Force est de constater, dès lors, que la Sarl Restaurant d’Yvoire ne démontre pas avoir satisfait à l’obligation mise à sa charge d’organiser la visite médicale de reprise de son salarié.
Elle prétend que M. [P] [W] ne justifie pas avoir subi un préjudice du fait de cette absence de visite médicale de reprise.
Or, M. [P] [W] explique qu’il a, à nouveau, été contraint d’être placé en arrêt maladie à compter du 29 janvier 2018 pour de violentes douleurs au ventre, ce qu’une visite médicale de reprise, programmée à l’issue de son 1er arrêt maladie, au cours duquel il a été opéré de la vésicule biliaire (pièce n°6), aurait, d’après lui, permis d’éviter.
Il convient, en effet, d’admettre que le médecin du travail aurait pu, lors d’une visite de reprise, en considération des informations portées à sa connaissance et de l’examen du salarié, vérifier si son poste de travail était toujours compatible avec son état de santé, et, le cas échéant, préconiser l’aménagement de celui-ci, notamment en posant des restrictions sur l’accomplissement de certaines tâches, de manière à éviter et prévenir la survenue de nouvelles difficultés.
Or, M.[P] [W] a été privé d’une telle chance, du fait du manquement de son employeur à son obligation et force est de constater qu’il a, par la suite, encore présenté de sérieux problèmes de santé ayant justifié un nouvel arrêt de travail sur une longue période.
M.[P] [W] a, dès lors, nécessairement, dans un tel contexte, pâti de l’absence d’une visite médicale de reprise.
Dans ces conditions, il convient de lui accorder une somme de 2.500 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de l’employeur, le conseil de prud’hommes ayant omis de statuer sur ce point, en rejetant l’intégralité des prétentions du salarié, sans aucune motivation quant à cette demande spéciale.
V. Sur la demande au titre du complément de salaire
La convention collective des hôtels/cafés/restaurants prévoit en son article 29 qu’un complément de rémunération est garanti au salarié en arrêt de travail, s’il remplit certaines conditions, à savoir:
– avoir 3 ans d’ancienneté dans l’entreprise,
– avoir envoyé à l’employeur dans les 48 heures un certificat médical constatant que l’absence au travail est justifiée par l’incapacité résultant de la maladie ou accident,
– être soigné sur le territoire français ou dans l’un des autres pays de la CEE,
– être pris en charge par la sécurité sociale.
Lors de chaque arrêt de travail, l’indemnisation court :
– à compter du 1er jour d’absence en cas d’accident du travail (à l’exclusion des accidents de trajet) ou de maladie professionnelle ;
– à compter du 11ème jour d’absence dans tous les autres cas (maladie, accidents de trajet, accidents de droit commun).
La garantie de rémunération varie suivant l’ancienneté du salarié et la durée de l’absence.
Pendant une première période de 30 jours, les salariés perçoivent 90 % de leur rémunération brute, puis les 30 jours suivants, ils perçoivent les 2/3 (66,66 %) de cette rémunération.
M. [P] [W] démontre, par la production de ses bulletins de salaire (pièce n°5), que son employeur ne lui a pas versé son complément de rémunération pendant son arrêt de travail qui a débuté le 29 janvier 2018.
La Sarl restaurant d’Yvoire ne le conteste pas, expliquant l’absence de paiement du complément de salaire par le fait que M. [P] [W] n’était pas, véritablement, en arrêt de travail, puisqu’il exerçait une activité professionnelle rémunérée en Suisse depuis le 14 janvier 2018 et se trouvait, donc, en fraude, vis-à-vis de la Sécurité sociale lui ayant versé des indemnités journalières.
Or, il découle des développements précédents que la cour a considéré, contrairement à ce qui est allégué par l’employeur, que M.[P] [W] n’avait pas travaillé auprès d’une autre entreprise en Suisse durant son arrêt maladie.
Et, même si cela avait été le cas, l’employeur ne pouvait aucunement, de lui-même, s’octroyer le droit d’être dispensé du versement de la garantie de rémunération.
Il lui appartient, le cas échéant, en cas de doute sur la régularité de la situation de son salarié au regard de son arrêt de travail, de saisir les autorités ou instances compétentes,
pour faire part, notamment, d’éventuelles difficultés s’opposant au maintien du versement du complément de salaire.
Ce qu’a fait la Sarl Restaurant d’Yvoire en diligentant une contre-visite médicale, en date du 6 mars 2018 à 15h05, laquelle n’a pu se tenir en raison de l’absence du salarié de son domicile (pièce n°8).
En principe, l’absence du salarié de son domicile en dehors des heures de sorties autorisées par la Sécurité sociale peut entraîner la perte de son droit à l’indemnisation complémentaire, sauf si l’intéressé peut justifier d’un motif valable d’absence.
Par dérogation, pour les patients dont l’état de santé le nécessite, les sorties libres peuvent être autorisées par le médecin.
Dans ce cas, les indemnités complémentaires ne peuvent être supprimées au motif de l’absence du salarié de son domicile sans justification, à condition que l’employeur ait bien été informé des horaires et adresse où les contre-visites peuvent s’effectuer (Cass. soc., 4’févr. 2009, n° 07-43.430).
Lorsque le salarié refuse le contrôle ou lorsqu’il est absent de son domicile, l’employeur est fondé à cesser le versement de la garantie de salaire à compter, seulement, de la date de la visite (Cass. soc., 3’mai’1979, n° 77-41.312).
Par ailleurs, l’avis du médecin-contrôleur n’est valable qu’à la date où il est émis et ne peut préjuger pour l’avenir. Il en résulte que si, à l’issue d’une première contre-visite demeurée sans effet, en raison de l’absence du salarié, ou ayant conduit le médecin-contrôleur à constater l’inopportunité de l’arrêt de travail ou de sa continuation, le médecin traitant prolonge l’arrêt de travail, le salarié est totalement rétabli dans ses droits. L’employeur ne peut alors que faire procéder à une nouvelle contre-visite.
En l’espèce, à l’examen des éléments figurant à la procédure, il apparait qu’à la date du 6 mars 2018, M.[P] [W], suivant son arrêt de travail, était tenu d’être présent à son domicile entre 09 et 11h et entre 14 et 16h, sauf pour raison médicale dûment justifiée, et qu’en dehors de ces restrictions les sorties étaient autorisées (pièce n°7-2).
Celui-ci n’ayant pas démontré, ni même allégué, d’une raison médicale pour expliquer l’absence de son domicile lors de la contre-visite du 6 mars 2018 à 15h05, il convient, dès lors, de considérer que l’employeur était fondé à cesser le versement de la garantie de salaire à compter de cette date.
En revanche, s’agissant de la période antérieure, soit du 29 janvier 2018 au 5 mars 2018, rien n’autorisait la Sarl Restaurant d’Yvoire à ne pas procéder au versement du complément de salaire, et elle en est, donc, redevable à l’égard de M. [P] [W].
Par ailleurs, il convient d’observer que l’arrêt de travail concerné par la contre-visite diligentée à la demande de l’employeur visait la période du 12 février 2018 au 09 mars 2018, date où il a fait l’objet d’une prolongation (pièce n°7-3), et à partir de laquelle le salarié a donc été totalement rétabli dans ses droits, à défaut pour l’employeur d’avoir fait procéder à une nouvelle contre-visite.
Dès lors, seule la période du 6 au 9 mars 2018 pouvait donner lieu à une dispense pour l’employeur de maintenir le versement de la garantie de rémunération.
La Sarl Restaurant d’Yvoire ayant sciemment refusé, sans même attendre le retour de la contre-visite médicale, de verser le complément de rémunération à son salarié, auquel celui-ci pouvait prétendre, il convient de la condamner, en considération des demandes et pièces de M. [P] [W], déduction faite des 4 jours correspondant à la période du 6 au 9 mars 2018, à lui payer une somme de 1.823,88 euros bruts à titre de rappel de salaire, outre la somme de 182,39 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Dès lors, le jugement du 13 septembre 2021 du conseil de prud’hommes de Bonneville sera infirmé sur ce point, y compris en ce qu’il a ordonné sa transmission à la CPAM de Haute-Savoie sans aucun fondement.
VI. Sur la demande reconventionnelle de l’employeur pour procédure abusive
Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la procédure initiée par M. [P] [W] qui, au stade de l’appel, obtient satisfaction pour la quasi-intégralité de ses demandes, ne revêt aucun caractère abusif.
Dès lors, le jugement du conseil de prud’hommes devra également être infirmé de ce chef.
VII. Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La Sarl Restaurant d’Yvoire succombant, elle devra assumer la charge des entiers dépens de l’instance et verser à M. [P] [W] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
VIII. Sur les intérêts
Il sera rappelé qu’en application de l’article 1231-7 du code civil (ancien article 1153-1), en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.
En cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel.
Aucun élément ne justifie, en l’espèce, qu’il soit dérogé à ces dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
INFIRME le jugement rendu le 13 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Bonneville en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
CONSTATE que l’action introduite par M. [P] [W] n’est pas prescrite.
DIT que le licenciement de M. [P] [W] est sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence,
CONDAMNE la Sarl Restaurant d’Yvoire à payer à M. [P] [W] les sommes suivantes :
‘ 17.170 euros nets de CSG CRDS à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ 5.723,32 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
‘ 572,33 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
‘ 5.842,46 euros nets de CSG CRDS au titre de l’indemnité légale de licenciement.
CONDAMNE la Sarl Restaurant d’Yvoire à payer à M. [P] [W] la somme de 2.500 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de son obligation de sécurité.
CONDAMNE la Sarl Restaurant d’Yvoire à payer à M. [P] [W] la somme de 1.823,88 euros bruts à titre de rappel de salaire, outre la somme de 182,39 euros bruts au titre des congés payés afférents.
ORDONNE à la Sarl Restaurant d’Yvoire de remettre à M. [P] [W] un bulletin de paie récapitulatif ainsi qu’une attestation pôle emploi rectifiée, tenant compte de la présente décision.
DÉBOUTE la Sarl Restaurant d’Yvoire de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive.
CONDAMNE la Sarl Restaurant d’Yvoire à payer à M. [P] [W] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la Sarl Restaurant d’Yvoire à supporter les entiers dépens, tant en première instance qu’en cause d’appel.
DIT que les sommes allouées à M. [P] [W] porteront intérêt au taux légal à compter de la décision d’appel en application de l’article 1231-7 du code civil.
DIT n’y avoir lieu à transmission du jugement du 13 septembre 2021 du conseil de prud’hommes de Bonneville à la CPAM de Haute-Savoie.
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi prononcé publiquement le 05 Janvier 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président