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Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRÊT DU 11 JUIN 2014
(n° 14/138 , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 13/01862
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Janvier 2013 -Tribunal de Grande Instance de paris – RG n° 11/15443
APPELANTE
EPIC INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL
Prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté et assisté de Me Christophe CARON de l’AARPI Cabinet Christophe CARON, avocat au barreau de PARIS, toque : C0500
INTIMES
Monsieur [B] [M]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté et assisté de Me Vincent LOIR, avocat au barreau de PARIS, toque : E0874
Monsieur [L] [Q]
[Adresse 2]
[Localité 2] USA
Représenté et assisté de Me Vincent LOIR, avocat au barreau de PARIS, toque : E0874
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 29 Avril 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Benjamin RAJBAUT, Président de chambre
Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère
Madame Anne-Marie GABER, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Marie-Claude HOUDIN
ARRÊT :
contradictoire
rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Monsieur Benjamin RAJBAUT, président, et par Mme Karine ABELKALON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
Vu l’appel interjeté le 30 janvier 2013 par l’Institut national de l’audiovisuel (Etablissement public à caractère industriel et commercial), ci-après l’INA, du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 24 janvier 2013 (n° RG: 11/ 15 443) ;
Vu les dernières conclusions de l’INA, appelant, signifiées le 28 juin 2013 ;
Vu les dernières conclusions de [B] [M] et [L] [Q], intimés, signifiées le 14 janvier 2014 ;
Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 14 janvier 2014 ;
SUR CE, LA COUR :
Considérant qu’il est expressément référé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures, précédemment visées, des parties ;
Qu’il suffit de rappeler que le batteur de jazz de renommée internationale [J] [R] est décédé à [Localité 3] (93) le [Date décès 1] 1985, laissant pour recueillir sa succession ses deux fils, [B] [M] et [L] [Q] ;
Que ces derniers, ayant fait établir par huissier de justice, suivant procès-verbal de constat et d’achat en ligne des 14 et 15 décembre 2009, que l’INA offrait à la vente sur le site Internet accessible à l’adresse http://boutique.ina.fr 26 vidéogrammes et 1 phonogramme reproduisant, selon eux sans autorisation, des captations de concerts auxquels avait participé leur père, l’ont fait assigner le 28 décembre 2009 devant le tribunal de grande instance de Créteil au fins d’obtenir, au fondement des dispositions des articles L.211-4 et L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle, des dommages-intérêts à hauteur de 108.000 euros ainsi qu’une mesure d’interdiction ;
Que le juge de la mise en état, par ordonnance du 17 novembre 2010, a retenu l’incompétence du tribunal de grande instance de Créteil et renvoyé la cause devant le tribunal de grande instance de Paris qui a, aux termes du jugement dont appel :
déclaré partiellement nul le procès-verbal d’huissier de justice des 14 et 15 décembre 2009 et écarté des débats les téléchargements réalisés dans le cadre de ce procès-verbal,
dit recevables à agir les demandeurs en leur qualité de titulaires des droits sur les interprétations de [J] [R],
jugé irrecevable la demande tendant à voir interdire l’exploitation des enregistrements litigieux,
condamné l’INA à payer 15.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l’exploitation non autorisée des interprétations visées dans les dernières écritures des demandeurs à l’exception de celle intitulée Jay Jay Johnson Bags Grooves,
rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de l’INA,
dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Que les parties maintiennent en cause d’appel leurs prétentions telles que précédemment soutenues devant le tribunal ;
Sur la demande en nullité du procès-verbal d’huissier de justice des 14 et 15 décembre 2009,
Considérant que pour déclarer partiellement nul le procès-verbal d’huissier de justice versé aux débats par les demandeurs, le tribunal a relevé que l’huissier de justice n’avait pas fait préalablement connaître au propriétaire du site Internet sa qualité d’huissier de justice et a, en conséquence, validé les opérations de constat dans le cadre desquelles l’huissier de justice s’est limité à décrire des éléments accessibles à tous, annulé en revanche, les opérations d’achat en ligne et écarté des débats les téléchargements effectués dans le cadre de ces opérations ;
Considérant que pour demander la nullité du procès-verbal en son entier, l’INA se prévaut d’une atteinte à la loyauté qui doit présider à la recherche des preuves, fait valoir à cet égard que l’huissier de justice a usé d’un subterfuge en dissimulant son identité et sa qualité, que les opérations forment un tout qu’il n’y a pas lieu de diviser entre opérations de constat et opérations d’achat, qu’en toute hypothèse, l’acte doit être écarté pour défaut de fiabilité la norme AFNOR n’ayant pas été respectée ;
Considérant que pour conclure à l’inverse à la validité du procès-verbal, les intimés font valoir que l’accès à la boutique en ligne de l’INA est libre et ouvert à tous, que l’huissier a décliné son adresse électronique pour télécharger contre paiement les vidéogrammes et phonogramme incriminés et qu’il n’a ainsi usé d’aucun subterfuge ni pratiqué une saisie-contrefaçon déguisée, le constat d’achat constituant un mode de preuve distinct de la saisie-contrefaçon, qu’enfin, la norme AFNOR publiée le 11 septembre 2010, soit postérieurement à la date de réalisation du procès-verbal contesté, ne saurait être pertinemment invoquée ;
Considérant, ceci étant posé, que le procès-verbal établi par Me [E] [N], huissier de justice à [Localité 4] les 14 et 15 décembre 2009 comprend en effet deux parties portant, d’une part, sur des opérations de constat consistant à capturer les pages d’écran, ouvertes à la requête du nom ‘[J] [R]’, du site de vente en ligne de l’INA, d’autre part, à des opérations de téléchargement et d’achat de produits proposés à la vente en ligne ;
Considérant qu’il ressort du procès-verbal attaqué que, s’agissant des opérations de constat, l’huissier instrumentaire s’est limité à décrire, au moyen d’impressions d’écran, des pages du site de vente en ligne accessibles à tous et consultables sans restriction aucune car destinées à présenter au public les produits offerts à la vente en ligne ;
Qu’en revanche, s’agissant des opérations de téléchargement et d’achat des 27 éléments sélectionnés (les 26 vidéogrammes et 1 phonogramme litigieux), l’huissier instrumentaire n’a pu les effectuer qu’après avoir procédé, à la demande du propriétaire du site, à l’ouverture d’un compte client renseignant notamment son identité, sa date de naissance, son adresse électronique ;
Or considérant que s’il apparaît que Me [E] [N] a décliné ses nom et prénom, il n’a pas indiqué sa qualité d’huissier de justice ni précisé qu’il agissait en cette qualité en vue de faire dresser procès-verbal de ses opérations ;
Considérant que la déloyauté dans la recherche de la preuve est caractérisée dès lors que l’huissier de justice a dissimulé sa qualité et laissé croire au propriétaire et/ou exploitant du site de vente en ligne qu’il opérait en tant que client titulaire d’un compte utilisateur ;
Considérant que c’est dès lors à raison et par de justes motifs, adoptés par la cour, que les premiers juges ont retenu que si l’huissier instrumentaire n’est pas critiquable en ce qu’il se borne à décrire le site de vente en ligne de l’INA et les produits qui y sont offerts à la vente, il ne saurait être approuvé en ce qu’il se livre, sans avoir au préalable décliné sa qualité, à l’ouverture d’un compte client et à l’achat des 26 vidéogrammes et 1 phonogramme incriminés de contrefaçon ;
Considérant enfin qu’il appartient au juge d’apprécier la valeur probatoire des pièces qui lui sont soumises à titre de preuve ;
Que force est à cet égard de relever que la norme AFNOR applicable en matière de procès-verbal de constat sur Internet effectué par huissier de justice n’était pas publiée à la date à laquelle le procès-verbal attaqué a été réalisé et qu’elle présente en toute hypothèse un caractère indicatif ;
Qu’en l’espèce, les vérifications essentielles garantissant conformément à l’état de l’art la fiabilité des opérations de constat sur Internet ont été respectées, l’huissier de justice ayant indiqué les références de ses équipements informatiques et ayant précisé avoir supprimé les cookies, les fichiers temporis, les historiques de saisies-automatiques, vidé la corbeille, paramétré l’écran, décoché l’option ‘utiliser un serveur proxy’ ;
Considérant que le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il valide les opérations de constat mais écarte du procès-verbal des 14 et 15 décembre 2009 les opérations de téléchargement et d’achat ;
Considérant qu’il n’est pas contesté et qu’il est en toute hypothèse établi au vu des opérations de constat de l’huissier de justice Me [N], que l’INA présente à la vente sur sa boutique en ligne accessible à l’adresse http://boutique.ina.fr les 26 vidéogrammes et phonogramme visés par la présente procédure et énoncés en pages 16 et 17 des écritures des intimés ;
Qu’il n’est pas davantage discuté que ces vidéogrammes et phonogrammes reproduisent des interprétations de l’artiste-interprète musicien [J] [R], réalisées entre 1959 et 1978 ;
Que la preuve des faits invoqués au fondement de la présente procédure est dès lors
rapportée ;
Sur le mérite de la demande,
Considérant qu’il est constant que les vidéogrammes et phonogramme litigieux sont des enregistrements de prestations musicales qui ont été effectuées en studio ou lors de concerts publics et qui ont été télédiffusés par les chaînes publiques de télédiffusion ;
Considérant que l’INA fait valoir en premier lieu que s’agissant de prestations diffusées avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985 instituant les droits voisins, les héritiers de [J] [R] ne seraient pas recevables à fonder leur action sur les articles L.211-4 et L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais considérant que le principe d’une autorisation de l’artiste-interprète à la fixation de sa prestation et à l’exploitation de cette fixation était reconnu avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985 laquelle a assuré la consécration légale des droits des artistes-interprètes ;
Qu’au surplus, si cette loi, entrée en vigueur au 1er janvier 1986, n’est pas rétroactive, elle est d’application immédiate et trouve ainsi à s’appliquer aux utilisations, faites après le 1er janvier 1986, de prestations fixées et communiquées au public antérieurement au 1er janvier 1986 ;
Considérant que l’INA, exposant venir aux droits de l’ORTF et autres sociétés nationales de radiodiffusion et de télédiffusion ayant produit les enregistrements litigieux, invoque en deuxième lieu la présomption de cession des droits d’artiste-interprète posée par l’article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel La signature d’un contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d’une oeuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l’artiste-interprète et observe que ces dispositions sont expressément applicables, aux termes de l’article L.212-7 du même Code, aux contrats passés antérieurement au 1er janvier 1986 ;
Mais considérant que le moyen est inopérant dès lors qu’il n’est produit en la cause aucun contrat signé entre l’artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d’une oeuvre audiovisuelle et que la présomption de cession instituée au bénéfice du producteur par les dispositions légales précitées ne saurait en conséquence trouver application en la cause ;
Considérant que l’INA excipe en troisième lieu de sa mission de service public de conservation et d’exploitation des archives audiovisuelles de l’ORTF et des sociétés nationales de radiodiffusion sonore et de télévision, pour l’exécution de laquelle le législateur a institué un régime dérogatoire au droit exclusif des artistes-interprètes en habilitant les syndicats représentant les artistes-interprètes à conclure des accords fixant les conditions d’exploitation de ces archives en contrepartie d’une rémunération équitable ;
Considérant que l’article 49 de la loi du 30 septembre 1986 tel que modifié par l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dispose :
Toutefois, par dérogation aux articles L.212-3 et L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle, les conditions d’exploitation des prestations des artistes-interprètes des archives mentionnées au présent article et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes et l’Institut. Ces accords doivent notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations ;
Mais considérant que les dispositions sus-visées sont précédées du rappel du principe selon lequel L’Institut exerce les droits d’exploitation mentionnés au présent paragraphe dans le respect des droits moraux et patrimoniaux des titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins du droit d’auteur, et de leurs ayants-droits ;
Considérant qu’il suit de ces éléments que la mission de conservation et d’exploitation des archives audiovisuelles provenant de l’ORTF et des sociétés nationales de programmes qui lui est conférée par le législateur n’exonère pas l’INA du respect des droits d’artistes-interprètes et que la dérogation instituée à l’article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 ne trouve à s’appliquer que pour autant que l’artiste-interprète a autorisé la fixation et la première destination de son interprétation, auquel cas l’INA peut s’affranchir de solliciter son autorisation ou celle de ses ayants-droits pour une nouvelle utilisation de sa prestation ;
Considérant qu’il incombe dès lors à l’INA, qui tient les droits sur les enregistrements litigieux de l’ORTF et des sociétés nationales de programmes et qui ne saurait avoir plus de droits que ces derniers, de justifier, au regard des dispositions de l’article L.212-3 ou de celles de l’article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle, de l’autorisation consentie par [J] [R] à la captation et à la diffusion de sa prestation ;
Or considérant que l’INA ne produit aucun contrat écrit ni un quelconque élément de nature à établir un accord de [J] [R] à l’enregistrement de sa prestation et à son exploitation dans le cadre d’un programme télévisuel ;
Que par voie de conséquence, l’exploitation faite par l’INA, sous forme de vidéogramme et de phonogramme, d’enregistrements reproduisant des prestations de [J] [R], est attentatoire aux droits de l’artiste-interprète et ouvre droit à réparation ;
Sur les mesures réparatrices,
Considérant que sont en cause 26 vidéogrammes et 1 phonogramme qui reproduisent des émissions télévisuelles diffusées postérieurement au 1er janvier 1959 ;
Considérant que selon l’article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle la durée de protection des droits patrimoniaux de l’artiste-interprète est de cinquante années à compter du 1er janvier de l’année civile suivant l’interprétation ou sa première communication au public ;
Considérant, en conséquence, qu’à la date de l’assignation introductive d’instance, soit le 28 décembre 2009, le délai de cinquante ans, calculé à compter du 1er janvier 1959, n’était pas écoulé pour les 27 exploitations litigieuses ;
Considérant que les premiers juges ont pertinemment relevé que ces exploitations avaient été réalisées dans le cadre de la mission de service public dévolue à l’INA de conservation et d’exploitation des archives audiovisuelles nationales et que les vidéogrammes et phonogramme incriminés étaient offerts à la vente au prix unitaire de 1,50 euros ;
Considérant que les intimés n’établissent pas un préjudice à hauteur de 108.000 euros alors qu’ils ne produisent aucun élément d’appréciation sur la valeur marchande des enregistrements de [J] [R] dont ils se bornent à invoquer la notoriété passée ;
Qu’ils ne justifient pas davantage des exploitations auxquelles ils auraient consenti alors que faute de voir ses oeuvres exploitées, l’artiste-interprète risque de tomber dans l’oubli ;
Considérant qu’au regard de ces éléments l’indemnité de 15.000 euros fixée par les premiers juges est excessive et le préjudice des ayants-droits sera suffisamment réparé par l’allocation de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Considérant que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a écarté comme irrecevable la demande d’interdiction des enregistrements litigieux faute de mise en cause des auteurs et autres artistes-interprètes concernés ;
Considérant que l’équité ne commande pas de faire droit aux demandes respectivement formées au titre des frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement dont appel sauf en ce qu’il écarte le droit à réparation au titre de l’interprétation intitulée JAY JAY JOHNSON BAGS GROOVES et sur le montant des dommages-intérêts,
Statuant à nouveau des chefs réformés,
Condamne l’INA à payer à [L] [Q] et [B] [M] la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice subi des suites de l’exploitation non autorisée des 27 vidéogrammes et phonogramme visés dans les écritures des intimés,
Y ajoutant,
Déboute des demandes contraires aux motifs de l’arrêt,
Condamne l’INA de la procédure d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile .
LE PRÉSIDENTLE GREFFIER