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AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 19/04225 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MNVU
Société IGOL PICARDIE ILE DE FRANCE
C/
[X]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de LYON
du 28 Mai 2019
RG : 15/00705
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 15 JUIN 2022
APPELANTE :
Société IGOL PICARDIE ILE DE FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Valentine HOLLIER-ROUX de la SELAS BREMENS AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
[P] [X]
né le 04 Avril 1958 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Sophie LE GAILLARD de l’AARPI ONLY, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Avril 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Nathalie ROCCI, Conseiller
Françoise CARRIER, Magistrat honoraire
Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller
Assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 Juin 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie ROCCI, Conseiller, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M.[P][X] a été recruté en qualité d’agent technico-commercial par la société Igol Rhone Alpes, spécialisée dans la fabrication et la vente de produits de graissage et de lubrifiant automobile, à compter du 19 juillet 1993. Sa rémunération était exclusivement constituée de commissions.
L’Accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 était applicable aux relations contractuelles.
Le contrat de travail prévoyait que l’employeur mettait à la disposition du salarié un véhicule et que les frais de déplacement seraient remboursés conformément à un tableau joint en annexe.
L’annexe jointe prévoyait un forfait journalier incluant frais de voiture, autoroute, téléphone, divers, une indemnité fixe pour frais de repas et une indemnité pour ‘soirée étape’ sur justificatifs.
La clause du contrat de travail prévoyant la mise à disposition d’un véhicule par l’employeur n’a jamais été appliquée.
En dernier lieu, il était prévu une indemnité forfaitaire journalière pour les kilomètres en fonction des spécificités du territoire confié au VRP et un forfait repas de 12,40 euros sans justificatif.
À compter du 1er juillet 2014, la société Igol a mis en place un système de remboursement des frais professionnels au réel et non plus au forfait.
M. [X] a refusé de se soumettre aux nouvelles règles en vigueur, faisant valoir qu’il s’agissait d’une modification de son contrat de travail, et de fournir les justificatifs demandés pour obtenir le remboursement des frais exposés.
L’employeur a alors cessé tout remboursement de ses frais professionnels. Il a néanmoins versé à M. [X] au mois de décembre 2014 une avance de 50 euros par jour de travail des mois de septembre à novembre en indiquant au salarié que le remboursement des notes de frais sans justificatifs serait impossible à compter du 1er mars 2015 de sorte que, par courrier du 20 février 2015, M. [X] a transmis les justificatifs demandés pour la période de juillet à décembre 2014.
Par requête enregistrée au greffe le 23 février 2015, M. [P][X] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins d’obtenir le remboursement de ses frais professionnels et des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Lors de l’audience de conciliation du 7 mai 2015, l’employeur s’est acquitté des frais professionnels de la période de décembre 2014 à avril 2015.
Le 24 juin 2015, M. [X] a fait l’objet d’un avertissement lui reprochant :
– le non-respect de la note de service pour les frais exposés depuis le 1er janvier 2015,
– d’avoir demandé, au titre de frais professionnels, le remboursement de ses frais de trajet pour se rendre à l’audience de conciliation du conseil de prud’hommes depuis son domicile ainsi que de ses frais de parking pour le temps de l’audience,
– des propos particulièrement agressifs et irrespectueux à l’égard de son supérieur hiérarchique, M. [E] [H], dans un fax du12 juin 2015.
Par courrier recommandé en date du 25 septembre 2015, M. [P] [X] a été convoqué par son employeur à un entretien préalable en vue de son licenciement prévu le 7 octobre 2015.
Par lettre recommandée en date du 13 octobre 2015, M. [P] [X] a été licencié pour faute grave dans les termes suivants :
« Votre attitude lors de cet entretien ne nous a pas permis d’obtenir d’explications concernant vos agissements et nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.
Comme nous vous l’avons exposé lors de cet entretien, les motifs de ce licenciement sont les suivants :
Dans le cadre de la politique de remboursement des frais professionnels, il vous est demandé d’une part d’indiquer le nombre de kilomètres parcourus chaque jour travaillé et d’autre part de produire un justificatif des dépenses exposées pour vos frais de repas, le remboursement étant plafonné à 13,5 euros par jour.
Cependant, après rapprochement de vos feuilles de remboursement de frais, des justificatifs et de vos rapports d’activité, nous avons eu des doutes concernant la sincérité de vos déclarations et des justificatifs produits s’agissant de vos frais professionnels.
Ces doutes ont été confirmés à l’analyse de vos demandes de remboursement de frais pour le mois de juillet 2015, qui sont parvenues à l’entreprise le 9 septembre.
A titre d’exemple, nous vous avons demandé au cours de l’entretien préalable, de nous donner des explications pour les journées des 10 et 24 juillet 2015 pour lesquelles les kilomètres déclarés, la localisation de la clientèle que vousprétendez avoir visitée et les justificatifs de repas que vous nous avez remis à l’appui d’une demande de remboursement de frais, sont totalement incompatibles.
À l’appui, nous vous avonsprésenté votre rapport d’activité, vos justificatifs de frais et la cartographie des clients prétendument visités.
Vous avez refusé de nous donner la moindre explication concernant le déroulement de ces tournées~ci et de vos tournées en général.
Au-delà de la déloyauté caractérisée par votre comportement, ces incohérences que vous n’avez pas pu justifier nous font courir un risque de redressement URSSAF important.
Par ailleurs, nous vous avons demandé comment vous pouviez vous faire délivrer des notes de frais de repas pour des jours où l’établissement dans lequel vous prétendez vous être restauré, est fermé.
A titre d’exemple, vous n’hésitez pas à nous adresser des justificatifs de repas émis sur entête d’un établissement de restauration dénommée « O DIX D’lS ” localisé à IS-SUR-TILL (à quelques kilomètres de votre domicile) pour des dates auxquelles cet établissement est fermé.
Nous vous avons demandé comment vous pouviez expliquer cela, mais vous n’avez pas souhaité vous exprimer, répondant que vous verriez avec votre Avocat. Vous n’avez même pas tenté de justifier les incohérences que nous avons relevées.
Nous avons acquis la certitude que vous falsifiez vos notes de frais. Ce fait, en lui-même, justifie largement un licenciement pour faute grave.
Parallèlement, nous assimilons ces falsifications à des actes d’insubordination puisqu’elles interviennent peu de temps après un avertissement que vous avez reçu le 24 juin 2015, au sujet notamment de vos frais professionnels.
En outre, compte tenu de la large autonomie dont vous disposez dans le cadre de vos fonctions de représentant de commerce et de la confiance que cela implique, votre maintien même temporaire dans l’entreprise est absolument impossible.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous nous voyons dans l’obligation de vous notifier votre licenciement pour faute grave. En conséquence, votre licenciement est immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture.”
Par jugement en date du 28 mai 2019, le conseil de prud’hommes, statuant en formation de départage, a :
– dit que le licenciement de M. [P] [X] était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Igol Rhône Alpes à verser à M. [P] [X] les sommes suivantes :
‘ 15 311,72 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 531,17 euros au titre des congés payés afférents,
‘ 57 409,27 euros à titre d’indemnité de clientèle,
sommes assorties des intérêts au taux légal sur ces deux sommes à compter du 9 mars 2015,
‘ 16 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
‘ 82 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
– ordonné la délivrance par la société Igol Rhône Alpes à M. [P] [X] de l’ensemble des documents de travail et de rupture rectifiés conformément à la décision,
– condamné la Société Igol Rhône Alpes à verser à M.[P][X] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté la demande de la Société Igol Rhône Alpes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 5 103,91 euros,
– débouté les parties de plus amples demandes contraires,
– condamné la société Igol Rhône Alpes aux dépens.
La société Igol Picardie Ile de France venant aux droits de la société Igol Rhône Alpes a interjeté appel le 18 juin 2019.
Aux termes de conclusions notifiées le 18 février 2022, elle demande en substance à la cour d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de :
– débouter M. [X] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture de son contrat de travail,
– subsidiairement, limiter le montant de l’indemnité de clientèle au regard du préjudice subi par M. [X], calculer le montant de l’indemnité compensatrice de préavis en application des règles légales, limiter le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au regard du préjudice subi par M. [X],
– débouter M. [X] de sa demande de remboursement de frais et en paiement des « points challenge », subsidiairement dire que la somme versée au titre des « points challenge» n’ouvre pas droit à congés payés et qu’elle consiste en un montant brut employeur,
– débouter M. [X] de toutes ses demandes,
– condamner M. [X] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Aux termes de conclusions notifiées le 21 février 2022, M. [P] [X] demande à la cour de :
– infirmer le jugement sur le montant :
‘ des dommages et intérêts alloués à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
‘ de l’indemnité de clientèle,
‘ des dommages et intérêts pour licenciement sans cause sans cause réelle et sérieuse,
et en ce qu’il l’a débouté de sa demande en paiement de la somme de 4 000 euros à titre de rappel de salaire sur prime ‘challenge’ et de celle de 400 euros au titre des congés payés afférents,
– confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions,
– condamner la société Igol à lui payer les sommes suivantes :
‘ 4 000 euros à titre de rappel de salaire sur prime ‘challenge’ outre 400 euros au titre des congés payés afférents,
‘ 32 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
‘ 172 227,81 euros à titre d’indemnité de clientèle,
‘ 130 000 euros nets à titre de dommages et intérêts ‘en réparation du préjudice subi’,
– subsidiairement, confirmer le jugement,
– condamner la société Igol Picardie Ile de France à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail
Selon l’article L.1222-1 du code du travail le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. L’exécution loyale du contrat implique, pour l’employeur, notamment le respect de ses engagements et la mise à disposition des moyens permettant l’exécution de la prestation de travail.
Le salarié reproche à l’employeur :
– la modification unilatérale de son contrat de travail par la remise en cause des modalités de remboursement de frais,
– son inertie et son absence de soutien face au non respect de son secteur géographique par l’usine Igol Centre de [Localité 10] et aux difficultés quotidiennes de suivi et d’exécution des commandes de sa clientèle,
– la notification d’une sanction abusive,
– la dégradation de ses conditions de travail ayant eu des répercussions sur sa santé.
La société Igol fait valoir en réponse :
– que les nouvelles modalités de remboursement des frais n’ont pas été préjudiciables au salarié, qu’elle n’a pas sanctionné financièrement le salarié mais bloqué la procédure dans l’attente de la régularisation par celui-ci de ses demandes de remboursement de frais,
– que pendant 10 ans, M. [X] ne s’est pas plaint d’incursions de son collègue d’Igor Centre sur son territoire, que lorsque M. [X] a demandé en 2015 de mettre fin à la tolérance qui avait cours, elle a fait le nécessaire pour trouver une solution convenable qui a été refusée par M. [X] sans que celui-ci propose d’alternative, qu’en tout état de cause, le salarié n’a subi aucun préjudice,
– que tous les VRP ont rencontré les mêmes problèmes de livraison qui ne sauraient caractériser une exécution déloyale du contrat de travail, que le salarié aurait dû les anticiper par un travail mieux planifié ; que ce dernier n’a jamais sollicité la direction pour proposer à ses clients mécontents des solutions commerciales, que les difficultés ont été résorbées, que les dysfonctionnements invoqués n’étaient pas importants et n’ont pas eu de conséquences sur les relations avec la clientèle ainsi qu’en atteste le niveau de rémunération constant de M. [X],
– qu’elle n’a pas abusé de son pouvoir disciplinaire, l’avertissement du 24 juin 2015 étant justifié et proportionné dès lors qu’il a été précédé de nombreux échanges et demandes à M. [X] de régulariser ses notes de frais, que son refus de prendre en charge les frais de déplacement au conseil de prud’hommes est justifié comme ne constituant pas des frais de tournée commerciale mais constituant des frais personnels, que M. [X] s’est montré agressif envers son supérieur M. [H], ce qui en soi justifiait la sanction,
– que M. [X] ne justifie pas avoir été victime d’une dégradation de ses conditions de travail, que l’existence d’une situation conflictuelle est insuffisante à démontrer la faute de l’employeur ni que le salarié en serait victime,
– que la médiation engagée par M. [T] n’a pas donné lieu à un rapport écrit à la direction, le cabinet de médiation ne souhaitant pas qu’il soit utilisé par l’une ou l’autre des parties,
– qu’il n’est pas établi que M. [T] ait recouru à des méthodes injustes, brutales, excessives ou délétères, que ce sont les VRP qui ont entretenu un climat de tension,
– que le salarié a été régulièrement suivi par le médecin du travail, qu’il n’est pas prouvé que son état de santé se soit dégradé du fait du travail, que le salarié n’a jamais fait l’objet d’un arrêt de travail, qu’elle justifie des démarches faites pour favoriser les conditions de travail des salariés.
Sur la modification unilatérale de remboursement des frais professionnels
L’employeur fait valoir :
– que le contrat de travail de M. [X] ne mentionne pas les modalités de remboursement des frais professionnels,
– que les modalités de remboursement résultaient d’un document intitulé ‘frais de route’ élaboré unilatéralement par l’employeur, qui n’est ni daté ni signé,
– que les parties n’ont jamais entendu contractualiser les modalités de remboursement des frais,
– qu’il a modifié unilatéralement régulièrement à de nombreuses reprises au cours de la relation contractuelle les modalités de remboursement des frais, par le biais de notes de service,
– que les modalités de remboursement des frais relèvent des conditions de travail que l’employeur peut modifier dans le cadre de son pouvoir de direction,
– qu’il lui était loisible de supprimer unilatéralement ce qui constituait un usage dès lors qu’il en a informé les institutions représentatives du personnel et chaque salarié concerné de manière individuelle en respectant un délai de préavis,
– que les contrôles mis en place sont légitimes, compte tenu des risques de redressement encourus en cas de contrôle de l’URSSAF en l’absence des justificatifs des kilomètres parcourus et des frais supplémentaires de repas, ainsi que cela ressort de la réponse de l’URSSAF à sa demande de rescrit,
Le salarié fait valoir :
– que l’employeur a modifié unilatéralement le système contractuel de remboursement de frais,
– que cette modification constitue une modification du contrat de travail qu’il était en droit de refuser,
– qu’il n’y avait pas matière à dénonciation d’un usage, les modalités de remboursement forfaitaires convenues étant contractuelles,
– que les dispositions du droit social ne faisaient courir aucun risque à l’employeur dès lors que les indemnités appliquées étaient inférieures au barème de l’URSSAF.
Si l’employeur peut, dans le cadre de son pouvoir de direction, changer les conditions de travail d’un salarié, la mesure qui affecte un ou plusieurs éléments essentiels ou déterminants du contrat de travail s’analyse en une modification du contrat nécessitant l’accord du salarié.
Les frais qu’un salarié expose pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur doivent être supportés par ce dernier.
Si l’employeur peut, dans l’exercice de son pouvoir de direction, modifier les conditions de la prise en charge des frais professionnels, c’est à la condition qu’elles ne soient pas contractuellement prévues.
En l’espèce, le remboursement des frais professionnels constituait un élément essentiel du contrat de travail, s’agissant d’un salarié dont les fonctions consistaient en déplacements pour visiter la clientèle et dont la rémunération était exclusivement composée des commissions sur les ventes.
Il en résulte que l’annexe relative au remboursement des frais de déplacement, jointe au contrat de travail et expressément visée par celui-ci dont elle était un complément nécessaire, constituait un élément du contrat, peu important qu’elle n’ait pas été signée. Il en ressort que le remboursement des frais professionnels du salarié était forfaitaire à l’exception des ‘soirées étapes’. Les modifications ultérieures invoquées par l’employeur n’ont consisté qu’en une réévaluation du barème de remboursement sans remise en cause de son caractère forfaitaire.
Dès lors, le remboursement au réel mis en place par l’employeur à compter du 1er juillet 2014 constituait une modification du contrat de travail que l’employeur ne pouvait imposer unilatéralement au salarié.
S’agissant d’une disposition contractuelle, il n’y avait pas matière à dénonciation d’un usage.
L’argument d’un risque de redressement URSSAF n’est pas sérieux dès lors qu’aucune modification de la réglementation en matière d’exonération de charges sociales des frais professionnels n’est intervenue, que les barèmes appliqués par l’employeur restaient inférieurs aux seuils fixés par les arrêtés en vigueur et que, s’agissant d’un VRP, la matérialité des déplacements professionnels était incontestable.
Le rescrit obtenu postérieurement à la mise en place du remboursement des frais au réel ne saurait faire la preuve d’une modification de la politique de l’URSSAF en matière d’exonération des frais professionnels des VRP.
Sur l’inertie de l’employeur quant au secteur d’affectation du salarié
Par courrier du 02 août 2004 réceptionné le 05 août 2004, M. [X] s’était plaint de ce que la société Igol Centre avait pris des clients sur son secteur ([Localité 3], [Localité 6] et [Localité 12]) ‘sans concertation préalable’. Il a réitéré ces griefs au mois de juin 2014 soit près de dix ans plus tard. Il ne justifie d’aucune réclamation dans l’intervalle, ce qui laisse présumer qu’un ‘modus vivendi’ avait été trouvé entre les secteurs limitrophes.
Il résulte des échanges de courriers versés aux débats que l’employeur a, dès le mois de juillet 2014, entamé des démarches afin de rechercher des solutions d’ajustement des périmètres territoriaux dans le cadre de négociations avec la société Igol Centre et que des solutions transactionnelles ont été proposées au salarié au mois de mai 2016 au terme desquelles il lui était essentiellement demandé de renoncer à deux clients ‘historiques’, SES Pneus et Morisot, situés hors de son secteur.
L’inertie imputée à l’employeur n’est pas caractérisée, s’agissant d’une situation ancienne et complexe créée au fil des années par des empiétements réciproques de secteurs à laquelle il était opportun de tenter de remédier dans le cadre d’un accord et de concessions réciproques avec Igol Centre. En outre, le salarié ne démontre pas que la proposition de l’employeur lui ait été défavorable. En effet, il reconnaît dans son courrier du 15 juin 2015 que les clients SES Pneus et Morisot, clients auxquels il ne voulait pas renoncer pour des motifs historiques, étaient des amis qui lui achetaient ‘quelques litres pour garder le contact’, ayant par ailleurs chacun un fournisseur d’huile référent en lien avec leur marque.
Sur les difficultés de suivi et d’exécution des commandes
Le salarié produit une série de ‘bons d’intervention’ , datés pour la plupart de l’année 2015, faisant état d’erreurs d’exécution ou de conditionnement des commandes et de respect des délais de livraison. Il justifie avoir alerté l’employeur sur cette situation par un courrier du 13 juillet 2015, se plaignant de n’être informé des ruptures de stock et des délais de livraison que par les réclamations des clients.
S’agissant des problèmes d’avaries de transport, il ressort des procès-verbaux de réunion des délégués du personnel du 12 mars 2015, du 13 mai 2015, du 17 septembre 2015 qu’il s’agissait de problèmes ponctuels auxquels l’employeur a cherché à remédier de façon diligente par un recadrage des transporteurs puis par la recherche d’un transporteur fiable et la mise en place d’un logiciel de planification des tournées.
S’agissant des problèmes de rupture de stock et de délais de livraison, il ressort du courrier de l’employeur en date du 27 juillet 2015 et des procès-verbaux de réunion des délégués du personnel produits par les parties que ceux-ci étaient consécutifs à des pénuries de matière première et de changement de réglementation en matière d’étiquetage et qu’une note de service du 31 mars 2015 avait rappelé la nécessité d’anticiper les commandes de stock et les délais de livraison selon le type de commande, qu’un tableau recensant les articles en stock, ceux nécessitant un délai de production et ceux qui n’étaient plus commercialisés avait été diffusé, que des procédures avaient été mises en place permettant d’anticiper les stocks et de prévenir plus rapidement les vendeurs en cas de rupture et de contrôler les commandes afin de réduire les erreurs.
Ainsi, l’inertie reprochée à l’employeur n’est pas caractérisée. Il convient de relever de surcroît que M. [X] ne justifie de la perte d’aucun client en relation avec les incidents de livraison rencontrés au cours de la période considérée ni d’aucune perte de chiffre d’affaires, sa rémunération moyenne ayant été plus élevée en 2015 qu’en 2014.
Sur la notification d’une sanction abusive
La cour n’est pas saisie de la nullité de l’avertissement du 24 juin 2015 en l’absence de demande en ce sens dans le dispositif des conclusions du salarié. Celui-ci est toutefois recevable à se prévaloir des circonstances dans lesquelles cet avertissement est intervenu pour en soutenir le caractère infondé.
Ainsi que l’a justement retenu le premier juge, le refus de M. [X] de justifier de ses frais de déplacement était justifié, s’agissant d’une modification de son contrat de travail qu’il était légitime à refuser, et ne caractérisait pas un acte d’insubordination de sorte qu’aucun manquement susceptible de fonder une sanction ne lui était imputable de ce chef. De même, la demande de remboursement des frais de déplacement et de stationnement pour se rendre à la conciliation devant le conseil de prud’hommes, frais rendus nécessaires par la carence de l’employeur à assurer ses obligations, n’était pas illégitime même si ces frais ont été improprement inclus dans une demande de remboursement de frais professionnels.
S’agissant du fax adressé à M [H], le 12 juin 2015, celui-ci comportait les propos suivants : ‘les délais sont inacceptables’, ‘ne m’envoyez plus de relevés sur mes objectifs’, ‘les retards sur les chiffres vous incombent vous n’êtes pas en capacité de répondre à des délais acceptables de livraison (…)’, ‘A votre habitude, je sais que je n’aurai aucune réponse de votre part (…)’.
Compte tenu de l’agressivité et du manque de respect manifestés par ces propos à l’égard d’un supérieur hiérarchique, l’envoi d’un avertissement n’est pas manifestement abusif.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
Selon l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L’obligation de l’employeur est une obligation de moyen renforcée. L’employeur peut donc s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il a mis en ‘uvre les mesures de prévention.
En l’espèce, il ressort des procès-verbaux de réunion des délégués du personnel que la modification de la prise en charge des frais professionnels des VRP a été source de tensions avec la direction.
L’employeur justifie que, suite à une alerte émise par les délégués du personnel, il a saisi la médecine du travail relativement à l’état de santé de M. [X] par un courrier du 24 juillet 2014.
Suite à une visite du 3 septembre 2014, faite à sa demande, le médecin du travail a confirmé l’aptitude du salarié ‘avec réorganisation des liens avec la Direction régionale, en termes organisationnels’. Il a précisé dans un courrier du 7 octobre 2014 que les plaintes du salarié portaient sur des ‘changements organisationnels’ en lien avec le changement de direction régionale, un ’empêchement de bien faire son travail’ par manque de réactivité de l’entreprise en terme de délais de livraison des produits commandés, une baisse de ses ventes et une problématique collective d’acquis sociaux remis en question.
L’employeur a répondu point par point à ces remarques dans un courrier du 15 octobre 2014 :
– les délais contractuels de livraison étaient respectés à 96% et une rencontre était prévue avec M. [X] le 16 octobre 2014 à ce sujet,
– la baisse des ventes était fréquente, l’activité n’étant pas linéaire, plus précisément, le volume des ventes de M. [X] avait varié de façon non négligeable tant à la hausse qu’à la baisse au cours des années antérieures,
– la remise en cause des acquis sociaux devait se comprendre comme la prise en charge des frais professionnels sur justificatifs, précisant qu’elle avait généré une forte crispation de la force commerciale.
Il indiquait avoir, au titre de la réorganisation, recruté un nouveau responsable commercial régional ayant une mission élargie d’assistance et d’encadrement de l’équipe commerciale afin de faciliter l’exercice au quotidien des missions des commerciaux itinérants de l’entreprise et sollicitait l’avis du médecin du travail sur cette nouvelle organisation ainsi que ‘toute suggestion concrète’.
Le médecin du travail après avoir revu M. [X] le 1er décembre 2014 à sa demande a émis l’avis suivant : ‘il est impératif de régler le problème déjà évoqué par le salarié concernant les clients de son secteur 04, vis à vis des secteurs mitoyens = suggestion concrète telle que demandée par le courrier du 15/10 par M. [T]’.
Ainsi que cela a été précédemment retenu, l’employeur a fait les diligences nécessaires pour trouver des solutions aux problèmes de secteur du salarié.
Après un ultime entretien du 17 décembre 2014 avec l’employeur à la demande de celui-ci, le médecin du travail n’a plus émis ni alerte ni recommandation concernant M. [X].
Ainsi, il apparaît que les réponses et actions mises en place étaient adaptées et suffisantes pour préserver la santé de ce dernier.
En tout état de cause, le salarié ne produit aucun élément démontrant que son état de santé se serait dégradé en relation avec ses conditions de travail. Il n’a fait l’objet d’aucun arrêt de travail au cours des deux dernières années de la relation de travail. Il produit pour tout élément médical une attestation du docteur [J] [F] en date du 28 janvier 2016 évoquant dans des termes généraux ‘un syndrome anxiodépressif majeur d’épuisement physique et psychique’ que ce médecin met en lien avec le contexte professionnel dégradé invoqué par le patient. Cette seule attestation, postérieure de près de trois mois au licenciement, sans qu’il soit justifié de la mise en place d’un suivi médical qu’aurait commandé l’état d’épuisement constaté et alors qu’il est établi que le salarié a repris un emploi un mois plus tard, ne saurait faire la preuve d’une dégradation de l’état de santé de M. [X] en relation avec ses conditions de travail au sein de la société Igol.
Il convient de relever à cet égard que M. [X] a produit une attestation de son médecin traitant en date du 9 octobre 2015 afin de justifier de ce qu’un régime alimentaire lui avait été prescrit et que ce médecin n’évoque aucunement la dégradation de l’état de santé de son patient en relation avec ses conditions de travail pas plus que l’existence d’un syndrome anxiodépressif majeur alors que cette attestation est contemporaine de la procédure de licenciement pour avoir été établie deux jours après l’entretien préalable.
Sur le préjudice
Le préjudice moral subi par le salarié pour avoir été privé pendant plusieurs mois du remboursement de ses frais professionnels et subi une sanction financière injuste et illégale, qui a pesé sur ses conditions de travail, sera justement réparé par une indemnité de 5 000 euros.
Sur le licenciement
L’employeur fait valoir :
– que la présentation de notes de frais frauduleuses constitue une faute grave,
– que la convocation à l’entretien préalable était régulière, que le salarié n’a pas donné d’explication ni écrit pour s’expliquer,
– que le salarié a déclaré des tournées qu’il n’a pas effectuées ce qui caractérise un manquement à la probité justifiant le licenciement,
– que les faits constituent à tout le moins une cause réelle et sérieuse de licenciement s’agissant de manquements à l’obligation de sincérité et à l’exécution loyale du contrat de travail.
Le salarié répond :
– qu’il n’a jamais été destinataire d’une observation ou d’une sanction entre 1993 et 2014,
– que sa rémunération atteste de la qualité de son travail,
– que l’employeur n’a fait aucune démarche pour lui demander au préalable des précision et solliciter une rectification de ses notes de frais,
– qu’il n’a pas refusé de s’expliquer lors de l’entretien préalable mais qu’on ne lui en a pas laissé le temps, qu’il a néanmoins contesté les griefs après s’être vu notifier le licenciement,
– qu’il n’a jamais falsifié de note de frais,
– que les griefs relatifs à la journée du 10 juillet 2015 ne sont pas fondés, qu’il achetait des plateaux repas auprès du restaurant O Dix d’Is dont il anticipait la fermeture, étant astreint à un régime alimentaire, que le nombre de kilomètres parcourus importe peu puisque le forfait était applicable,
– que les griefs relatifs à la journée du 24 juillet 2015 ne sont pas plus fondés, qu’il a dû retourner à son domicile entre midi et deux pour chercher des cartons d’huile et que son épouse lui a commandé une pizza.
La faute grave est la faute qui résulte d’un fait, ou d’un ensemble de faits, imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige. L’employeur a la charge de la preuve de la faute grave et ce n’est pas au salarié de démontrer qu’il n’a pas commis les fautes reprochées.
Le fait pour le salarié de ne pas s’être expliqué au cours de l’entretien préalable ne saurait valoir reconnaissance des griefs qui lui sont imputés ni laisser présumer que ceux-ci sont fondés.
En l’espèce, il est reproché au salarié d’avoir mentionné de fausses informations sur ses rapports d’activité et ses notes de remboursement de frais, notamment s’agissant des kilomètres parcourus qui ne correspondent pas aux tournée prétendument effectuées.
L’employeur produit, pour justifier de ces griefs, les rapports d’activité de M. [X] du vendredi 10 juillet 2015 et du vendredi 24 juillet 2015, sa demande de remboursement de frais de déplacement du mois de juillet 2015 mentionnant 130 kilomètres à la date du 10 juillet et 241 kilomètres le 24 juillet ainsi qu’un relevé des trajets correspondant aux clients figurant sur les rapports d’activité faisant apparaître un parcours de 280 kilomètres et non pas de 130 kilomètres le 10 juillet et de 330 kilomètres et non de 241 kilomètres le 24 juillet.
L’employeur, qui a la charge de la preuve, ne produit aucun élément démontrant que le salarié n’aurait pas effectué les tournées qu’il a déclaré avoir effectuées le 10 et le 24 juillet. Les seules incohérences quant au nombre de kilomètres parcourus au regard des tournées déclarées, outre qu’elles ne sont pas au détriment de l’employeur puisque le nombre de kilomètres a été minoré, ne sauraient faire la preuve de la falsification et de la déloyauté imputées au salarié, faute de démontrer l’intention du salarié de tromper son employeur.
A supposer que l’employeur ait été fondé à imposer au salarié de justifier de ses frais de repas, le caractère frauduleux des justificatifs produits ne saurait résulter du seul fait qu’ils émanent d’une société O Dix d’Is, située à 5 kilomètres du domicile de M. [X], et qu’ils sont datés pour certains de périodes de fermeture de ce restaurant. Le salarié justifie en effet que cet établissement n’est pas seulement un restaurant mais également un traiteur et qu’il s’y fournissait en plateaux repas, avec demande de menus allégés en matière grasse conformément aux prescriptions de son médecin traitant, qu’il conservait en les congelant pour les consommer au jour le jour sur son lieu de déplacement. L’employeur ne démontre pas la fausseté des justificatifs produits par le salarié confortés par une attestation de l’exploitant du dit établissement indiquant que le salarié passait commande de plusieurs plateaux repas par semaine et qu’il avait passé une commande le 17 juillet 2015 en anticipant la fermeture annuelle des congés d’été.
Faute pour l’employeur de démontrer la faute grave imputée au salarié, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes financières
Sur les indemnités de rupture
Le jugement est confirmé en ce qu’il a fait droit à la demande d’indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois de salaire outre les congés payés afférents.
S’agissant de l’indemnité légale de licenciement, l’article L.7313-13 du code du travail dispose qu’en cas de rupture et en l’absence de faute grave ou lourde, le VRP a droit a une indemnité « pour la part qui lui revient personnellement dans l’importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui ». Le montant de cette indemnité de clientèle tient compte des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet ainsi que des diminutions constatées dans la clientèle préexistante et imputables au salarié.
Il incombe au salarié qui forme une demande relative à l’indemnité de clientèle de prouver qu`il a apporté, créé ou développé une clientèle en nombre et en valeur.
C’est à l’empIoyeur qu’il appartient de rapporter la preuve de l’éventuelle incidence d’éléments pondérateurs sur les résultats du VRP ou que le VRP a conservé sa clientèle à l’issue du contrat de travail.
M. [X], pour prétendre à une indemnité correspondant à trois années de commissions, fait valoir :
– qu’il a développé la clientèle ayant augmenté le litrage de 443%, le chiffre d’affaires de 708% et le nombre de clients de 1761%,
– que la société Igol ne rapporte pas la preuve des retombées liées à la notoriété de la marque ni qu’elle lui aurait donné des clients ou qu’elle aurait eu un rôle dans la modification du secteur,
– qu’il n’a pas conservé la clientèle et que l’employeur ne rapporte pas la preuve de ses allégations, que 2 clients l’ont suivi sur 577, que 12 autres ont quitté Igol sans que cela soit de son fait,
– qu’Igol n’a pas pourvu à son remplacement de sorte que les clients sont partis à la concurrence,
– que les transferts de clientèle au profit de Igol Centre expliquent également la diminution du chiffre d’affaires, ce qui rend toute comparaison impossible, qu’il n’a tiré aucun bénéfice de la clientèle précédemment apportée ,créée développée.
La société Igol fait valoir :
– que le salarié ne démontre pas le préjudice subi du fait de la perte de sa clientèle, qu’il a travaillé pour un concurrent après son licenciement et qu’il a pris sa retraite moins de trois ans plus tard,
– que M. [X] a bénéficié d’apports de clientèle en 1994, 1995 et 2004,
– que le développement de la clientèle a été facilité par la notoriété de la marque et par les frais engagés par la société pour la promouvoir de sorte qu’une décote de 30% doit être appliquée,
– que M. [X] a conservé une partie de la clientèle ainsi qu’en atteste la chute drastique du chiffre d’affaires après son départ,
– que M. [X] a perçu des primes nouveau client tout au long de la relation contractuelle pour un montant de 32 734,64 euros qu’il y a lieu de déduire de sa créance.
M. [X] justifie que lors de son embauche en 1993, il s’est vu confier 31 clients (clientèles [N] [L] et [Z] [L]) avec un tonnage de 56 400 litres. En 2014, dernière année complète d’activité, il a réalisé un tonnage de 306 773 litres avec 577 clients.
Dans l’intervalle, la société Igol justifie qu’il a bénéficié de la clientèle CHAT en 1995 soit 19 clients pour un tonnage de 12 311 litres et d’une extension de son secteur à [Localité 11] et [Localité 7] en 2004.
Il résulte de ces éléments que le salarié a augmenté le litrage de l’ordre de 400% et le nombre des clients de l’ordre de 1 000% et qu’ainsi la preuve de sa contribution au développement de la clientèle en nombre et en valeur est rapportée.
L’employeur justifie avoir contribué à la notoriété de la marque Igol par des actions de sponsoring de sports mécaniques (autos et motos), notamment championnat de France des rallyes, 24 heures du Mans moto et Bol d’Or, par des invitations de ses clients au rallye de [Localité 8]-[Localité 4] ou de [Localité 9] et par la participation à des salons professionnels.
Pour preuve de ce que M. [X] aurait conservé une partie de la clientèle après son départ et avant de prendre sa retraite, la société Igol se prévaut d’une baisse de 57% du chiffre d’affaires du secteur en 2016 et de 68% en 2017 et d’un rapport de visite du secteur de M. [X] du 20 mai 2016 faisant apparaître que M. [X] avait prospecté le secteur pour le compte de son nouvel employeur et que deux clients l’avaient suivi.
Toutefois, ces seuls éléments sont insuffisants à établir que M. [X] aurait conservé une partie de sa clientèle. Il ressort en outre d’un courrier de l’employeur en date du 3 novembre 2015 et d’une série d’attestations d’anciens clients produites par le salarié que la société Igol n’a pas pourvu au remplacement de M. [X] et laissé la clientèle partir à la concurrence, étant relevé que deux des trois anciens secteurs de l’intéressé, la [Localité 5] et la [Localité 13], ont finalement été transférés à la société Igol Centre en 2018, ce qui peut être la cause de la baisse de chiffre d’affaires invoquée par l’employeur.
Au vu de ces éléments, M. [X] est fondé à voir fixer l’indemnité de clientèle à deux années de commissions soit 114 818,54 euros.
La rémunération en cours de contrat de l’apport de clientèle ou de l’accroissement de la valeur de la clientèle est déductible.
En l’espèce, l’employeur justifie avoir versé au salarié des primes pour apport de nouveaux clients d’un montant de 32 734,64 euros qu’il convient de déduire de l’indemnité de clientèle.
Il est en conséquence alloué à M. [X] la somme de 114 818,54 euros – 32 734,64 euros = 82 083,90 euros.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le salarié fait valoir qu’il a été licencié après 22 ans de présence dans l’entreprise, à l’âge de 57 ans et qu’il a subi un préjudice psychologique et financier, n’ayant pas retrouvé le même niveau de revenu dans son nouvel emploi.
L’employeur fait valoir que le salarié a retrouvé un emploi dès février 2016 et fait valoir ses droits à la retraite en août 2018 de sorte que son préjudice a été limité.
Au regard de l’âge du salarié à la date du licenciement à savoir 57 ans, des circonstances ayant entouré la rupture des relations contractuelles et des difficultés de réinsertion professionnelle prévisibles, le conseil de prud’hommes a fait une juste appréciation du préjudice subi par M. [X] du fait de son licenciement et le jugement déféré est confirmé en ce qu’il lui a alloué la somme de 82 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur le point ‘challenge’
Il ressort du compte rendu de la réunion des délégués du personnel du 13 novembre 2014 qu’il a été décidé de transformer les points ‘challenge’, initialement conçus pour permettre aux VRP d’accompagner les clients en voyages promotionnels, en attribution de voyage d’une valeur correspondant aux points arrêtés, chaque VRP ayant la possibilité de choisir un séjour de son choix en soldant la totalité de son compte en 2015, le montant de ce séjour apparaissant comme avantage en nature sur la feuille de paye du mois au cours duquel le voyage serait effectué et devant être soldé au 31 décembre 2015.
Par courrier du 22 juillet 2015, la société Igol a notifié à M. [X] qu’il bénéficiait d’un financement de voyage de 4 000 euros suite à la conversion de ses points ‘challenge’ acquis, cette opportunité étant ouverte jusqu’au 31 décembre 2015, les points non utilisés à cette date étant perdus.
Il a été demandé par courriel du 29 octobre 2015 à M. [X] qui souhaitait bénéficier de sa prime ‘challenge’ de justifier d’une dépense de voyage pour une date antérieure à la rupture de son contrat de travail. Celui-ci a adressé le 12 novembre 2015 une facture datée du 28 septembre 2015 relative à un voyage prévu du 6 au 14 mars 2016 aux Etats Unis.
Par courrier du 6 janvier 2016, l’employeur a indiqué à M. [X] qu’il ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de la prime aux motifs qu’il ne justifiait pas s’être acquitté de la dépense et qu’il s’agissait d’un voyage prévu en mars 2016, postérieurement à la rupture du contrat de travail.
Il résulte des dispositions prises par l’employeur que les points ‘challenge’ devaient être utilisés avant la fin de l’année 2015, ce qui impliquait que le voyage financé soit effectué avant le 31 décembre 2015 de sorte que c’est à bon droit que le premier juge a débouté le salarié de ce chef de demande et que le jugement doit être confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
La société Igol Picardie Ile de France qui succombe à titre principal supporte les dépens et une indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
RÉFORME le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société Igol Rhône Alpes à verser à M. [P] [X] la somme de 57 409,27 euros à titre d’indemnité de clientèle et celle de 16 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la société Igol Picardie Ile de France à verser à M. [P] [X] :
– la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ce outre intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2015,
– la somme de 82 083,90 euros à titre d’indemnité de clientèle, ce outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Igol Picardie Ile de France à payer à M. [P] [X] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamne aux dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE