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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D’APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2023 DU 16 JANVIER 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00758 – N° Portalis DBVR-V-B7G-E6MY
Décision déférée à la Cour : ordonnance du juge des référés – tribunal judiciaire de NANCY, R.G.n° 21/00534, en date du 01 mars 2022,
APPELANTE :
S.A. AXA France IARD, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 4]
Représentée par Me Nicole VILMIN de la SCP VILMIN CANONICA REMY ROLLET, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉES :
Madame [L] [C]
né le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 5] (88)
domiciliée [Adresse 2]
Représenté par Me Olivier BAUER de la SELEURL CABINET DE MAITRE OLIVIER BAUER, substitué par Me Charlotte MOUTON, avocats au barreau de NANCY
CPAM DES VOSGES, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]
Non représentée, bien que la déclaration d’appel et les conclusions de l’appelante lui aient été signifiées par acte de Me [B] [V], Huissier de justice à [Localité 6], en date du 2 mai 2022, délivré à personne habilitée
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 Octobre 2022, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre, chargée du rapport,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,
Madame Claude OLIVIER-VALLET, magistrat honoraire,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 05 Décembre 2022, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Puis, à cette date, le délibéré a été prorogé au 16 Janvier 2023.
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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ARRÊT : réputé contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 16 Janvier 2023, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame BUQUANT, Conseiller, en remplacement de Madame CUNIN-WEBER, Président, régulièrement empêchée, et par Madame PERRIN, Greffier ;
FAITS ET PROCÉDURE :
Madame [L] [C] a été victime d’un accident de la circulation le 1er mars 2015.
Par jugement du 27 juin 2017, le tribunal correctionnel d’Epinal a déclaré Madame [X] [Y] coupable, notamment, d’avoir causé involontairement le 1er mars 2015 une incapacité totale de travail inférieure à trois mois sur la personne de Madame [L] [C], alors qu’elle se trouvait sous l’empire d’un état alcoolique et qu’elle avait fait usage de substances classées comme stupéfiants.
Par actes d’huissier en date des 1er et 2 décembre 2021, Madame [L] [C] a fait assigner la société anonyme Axa France Iard (ci-après, la société Axa) et la caisse primaire d’assurance maladie (CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE) des Vosges devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nancy afin d’obtenir, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, une mesure d’expertise judiciaire confiée à un chirurgien orthopédique, dans les termes qu’elle détaille. Elle lui demande en outre, de condamner la société Axa au versement d’une provision de 10000 euros en sus de celle de 100000 euros déjà perçue en qualité de victime directe, et de la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance réputée contradictoire du 1er mars 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nancy a :
– ordonné une mesure d’expertise judiciaire de Madame [L] [C] confiée au Docteur [T] [J], lequel s’adjoindra si nécessaire tout technicien dans une spécialité distincte de la sienne ; qui aura pour mission de :
– préalablement à la réunion d’expertise, recueillir dans la mesure du possible, les convenances des parties et de leurs représentants avant de fixer une date pour le déroulement des opérations d’expertise. Rappeler aux parties qu’elles peuvent se faire assister par un médecin-conseil et un avocat,
– convoquer les parties et leurs conseils à une réunion contradictoire en les invitant à adresser à l’expert et aux parties, à l’avance, tous les documents relatifs aux soins donnés. Le cas échéant, se faire communiquer tous documents médicaux détenus par tout tiers avec l’accord des requérants,
– entendre les requérants et si nécessaire les personnes ayant eu une implication dans la survenue et dans les suites de l’accident,
– à partir des déclarations de la victime, au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détails :
les circonstances du fait dommageable initial
les lésions initiales
les modalités de traitements en précisant le cas échéant, les durées exactes d’hospitalisation et, pour chaque période d’hospitalisation, le nom de l’établissement, les services concernés et la nature des soins,
Sur les dommages subis :
– recueillir les doléances de la victime et au besoin de leurs proches et les transcrire fidèlement, ou les annexer, les interroger sur les conditions d’apparition de leurs douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences,
– décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence directe sur les lésions ou leurs séquelles,
– procéder en présence des médecins mandatés par les parties, éventuellement des avocats si la victime le demande et si l’expert y consent, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime,
– à l’issue de cet examen et, au besoin après avoir recueilli l’avis d’un sapiteur d’une autre spécialité, analyser dans un exposé précis et synthétique :
– la réalité des lésions initiales,
– la réalité de l’état séquellaire,
– l’imputabilité certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l’incidence d’un état antérieur,
Apprécier les différents postes de préjudices ainsi qu’il suit :
– consolidation
Fixer la date de consolidation et en l’absence de consolidation dire à quelle date il conviendra de revoir la victime,
– déficit fonctionnel temporaire,
– indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l’incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles,
– en cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée,
– dire s’il a existé au surplus une atteinte temporaire aux activités d’agrément, de loisirs, aux activités sexuelles ou à tout autre activité spécifique personnelle (associative, religieuse, conduite d’un véhicule ou autre),
permanent,
– indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent,
– dans l’affirmative, évaluer les trois composantes :
– l’altération permanente d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales ou psychiques en chiffrant le taux d’incapacité et en indiquant le barème médico-légal utilisé,
– les douleurs subies après la consolidation en précisant leur fréquence et leur intensité,
– l’atteinte à la qualité de vie de la victime en précisant le degré de gravité,
– assistance par tierce personne avant et après consolidation
indiquer le cas échéant si l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est ou a été nécessaire pour accomplir les actes, non seulement élémentaires mais aussi élaborés, de la vie quotidienne, pour sécuriser la victime et assurer sa dignité et sa citoyenneté,
dans l’affirmative, dire pour quels actes, et pendant quelle durée, l’aide d’une tierce personne a été ou est nécessaire,
évaluer le besoin d’assistance par une tierce personne, avant et après consolidation, en précisant en ce cas le nombre d’heures nécessaires, leur répartition sur 24 heures, pour quels actes cette assistance est nécessaire et la qualification de la tierce personne,
– dépenses de santé
décrire les soins et les aides techniques nécessaires à la victime (prothèse, appareillage spécifique, transport…) avant et après consolidation,
préciser pour la période postérieure à la consolidation, leur durée, la fréquence de leur renouvellement,
– frais de logement adapté
dire si l’état de la victime, avant et après consolidation, emporte un besoin temporaire
ou définitif de logement adapté,
le cas échéant, le décrire,
sur demande d’une des parties, l’avis du médecin pourra être complété par une expertise architecturale et/ou ergothérapique,
– frais de véhicule adapté
dire si l’état de la victime, avant ou après consolidation, emporte un besoin temporaire de véhicule adaptés et ou de transport particulier,
le cas échéant, le décrire,
– préjudice professionnel (perte de gains professionnels et incidence professionnelle),
préjudice professionnel avant consolidation,
– indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, avant consolidation, dans l’incapacité d’exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle,
– en cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée,
– préciser la durée des arrêts de travail retenus par l’organisme social au vu des justificatifs produits et dire si ces arrêts de travail sont liés au fait générateur,
– si la victime a repris le travail avant consolidation,
préciser, notamment, si des aménagements ont été nécessaires, s’il a existé une pénibilité accrue ou toute modification liée à l’emploi,
– préjudice professionnel après consolidation
– indiquer si le fait générateur ou les atteintes séquellaires entraînent pour la victime notamment une cessation totale ou partielle de son activité professionnelle ou changement d’activité professionnelle, une impossibilité d’accéder à une activité professionnelle, une restriction dans l’accès à une activité professionnelle,
– indiquer si le fait générateur ou les atteintes séquellaires entraînent d’autres répercussions sur l’activité professionnelle actuelle ou future de la victime, telles que :
une obligation de formation pour un reclassement professionnel,
une pénibilité accrue dans son activité professionnelle,
une dévalorisation sur le marché du travail,
une perte ou réduction d’aptitude ou de compétence,
une perte de chance ou réduction d’opportunités ou de promotion professionnelles,
– dire, notamment, si l’état séquellaire est susceptible de générer des arrêts de travail réguliers et répétés et/ou de limiter la capacité de travail,
– préjudice scolaire, universitaire ou de formation
si la victime est scolarisée ou en cours d’études, dire si, en raison des lésions consécutives au fait traumatique, elle a subi une perte d’une ou plusieurs année(s) scolaire(s), universitaire(s) ou de formation, et/ou si elle est obligée le cas échéant, de se réorienter ou de renoncer à certaines formations,
préciser si, en raison du dommage, la victime n’a jamais pu être scolarisée ou si elle ne l’a été qu’en milieu adapté ou de façon partielle,
préciser si la victime a subi une gêne, des absences, des aménagements, un surcroît de travail, ayant perturbé le cours normal de sa scolarité (AVS, tiers temps, baisse de ses résultats, pénibilité, etc),
– souffrances endurées
décrire les souffrances physiques ou psychiques endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation), du fait des atteintes subies,
évaluer les souffrances endurées sur une échelle de 1 à 7 degrés,
– préjudice esthétique temporaire
décrire les altérations esthétiques de toute nature, leur localisation, leur étendue, leur intensité et leur durée depuis le fait dommageable jusqu’à la consolidation,
permanent
décrire les altérations esthétiques de toute nature, leur localisation, leur étendue et leur intensité après consolidation,
évaluer ce préjudice sur une échelle de 1 à 7,
– préjudice d’agrément
décrire toute impossibilité ou gêne, fonctionnelle ou psychologique, dans l’exercice d’activités de sport ou de loisirs que la victime indique pratiquer,
donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette gêne, sans prendre position sur l’existence ou non d’un préjudice afférent à cette allégation,
donner un avis sur la perte de chance de pouvoir pratiquer de nouvelles activités de sport ou de loisir,
– préjudice sexuel
décrire et donner un avis sur l’existence d’un préjudice sexuel en précisant s’il recouvre l’un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la libido, l’acte sexuel proprement dit (impuissance, frigidité, gêne positionnelle…) et la fertilité (fonction de reproduction),
– préjudice d’établissement
décrire et préciser dans quelle mesure la victime subit dans la réalisation ou la poursuite de son projet de vie familiale :
– une perte d’espoir,
– une perte de chance,
– une perte de toute possibilité,
– préjudice évolutif
indiquer si le fait générateur est à l’origine d’une pathologie susceptible d’évoluer et dont le risque d’évolution est constitutif d’un préjudice distinct,
– préjudices permanents exceptionnels
dire si la victime subit des atteintes permanentes atypiques qui ne sont prises en compte par aucun autre dommage précédemment décrit,
dire si 1’état de la victime est susceptible de modifications en aggravation,
établir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans la mission,
– enjoint aux parties de remettre à l’expert :
– le demandeur, immédiatement toutes pièces médicales ou para-médicales utiles à l’accomplissement de la mission, en particulier les certificats médicaux, certificat de consolidation, documents d’imagerie médicale, compte-rendus opératoires et d’examen, expertises,
– les défendeurs aussitôt que possible et au plus tard huit jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l’exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la demanderesse sauf à établir leur origine et l’accord de la demanderesse sur leur divulgation,
– dit qu’à défaut d’obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires, l’expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l’état, que toutefois il pourra se faire communiquer directement, avec l’accord de la victime ou de ses ayants-droit par tous tiers : médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production qui lui paraîtra nécessaire,
– dit que l’expert s’assurera, à chaque réunion d’expertise, de la communication aux parties des pièces qui lui sont remises, dans un délai permettant leur étude, conformément au principe de la contradiction ; que les documents d’imagerie médicale pertinents seront analysés de façon contradictoire lors des réunions d’expertise ; que les pièces seront numérotées en continu et accompagnées d’un bordereau récapitulatif,
– dit que l’expert devra convoquer toutes les parties par lettre recommandée avec accusé de réception et leur avocat par lettre simple, les avisant de la faculté qu’elles ont de se faire assister par un médecin-conseil de leur choix,
– dit que l’expert procédera à l’examen clinique, en assurant la protection de l’intimité de la vie privée de la personne examinée et du secret médical pour des constatations étrangères à l’expertise ; qu’à l’issue de cet examen, en application du principe du contradictoire, il informera les parties et leurs conseils de façon circonstanciée de ses constatations et de leurs conséquences,
– dit que l’expert pourra recueillir des informations orales, ou écrites, de toutes personnes susceptibles de l’éclairer,
– dit que l’expert ne devra convoquer les parties qu’après réception de l’entier dossier médical du demandeur, et notamment le suivi et les examens dont il a bénéficié après l’intention du 21 août 2018, qui devront être produits dans le respect des dispositions de l’article 1111-7 du code de la santé publique,
– dit que l’expert devra vérifier le caractère contradictoire de cette transmission,
– dit que l’expert dans le délai de six mois à compter de sa saisine effective déposera au greffe et adressera aux parties un document de synthèse comprenant son avis motivé sur l’ensemble des chefs de sa mission,
– dit qu’il laissera aux parties un délai maximum de deux mois à compter du dépôt du document de synthèse pour leur permettre de faire valoir leurs observations,
– dit qu’en cas d’empêchement ou de refus de l’expert, il sera pourvu à son remplacement d’office par ordonnance du juge chargé du contrôle des expertises,
– dit que le contrôle de la présente mesure d’instruction sera assuré par le juge spécialement chargé de contrôler l’exécution des mesures d’instruction conformément aux dispositions de l’article 1554 du code de procédure civile,
– condamné la société Axa à verser à Madame [C] la somme de 2880 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice,
– condamné la société Axa à verser à Madame [C] la somme de 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Axa aux dépens de l’instance.
Pour statuer ainsi, le juge a relevé que Madame [C] pouvait légitimement solliciter une expertise judiciaire sur le fondement des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, afin que soit examinées, sous le contrôle d’un magistrat, les conséquences physiologiques de l’accident du 1er mars 2015 et l’ampleur de son préjudice.
Il a considéré que la mission élaborée par l’ANADOC permet de compléter les différents postes contenus dans la nomenclature Dintilhac et se trouve adaptée au cas d’espèce, raison pour laquelle elle est reprise dans les termes de la mission de l’expert développés dans le dispositif de la décision. Il a précisé que les frais de l’expertise seront avancés par Madame [C] en sa qualité de demanderesse.
Il a par ailleurs reconnu à celle-ci la possibilité de se voir garantir, au titre des frais divers, l’assistance de son médecin-conseil tout au long des frais de la procédure qu’elle subit en qualité de victime, lui accordant à ce titre une provision de 2880 euros sur le fondement des dispositions de l’article 835 du code de procédure civile.
Le 8 mars 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nancy a ordonné la rectification de l’erreur matérielle affectant l’ordonnance du 1er mars 2022, en ce que les dispositions suivantes ont été ajoutées :
– ‘fixons à 950 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert, qui devra être consignée entre les mains du régisseur d’avances et de recettes du tribunal judiciaire de Nancy par Madame [C] avant le 11 mai 2022 à peine de caducité de la désignation de l’expert, étant précisé qu’à l’issue de la première réunion, cette provision pourra être réévaluée en fonction notamment du possible appel à un technicien,
– disons que la consignation sera faite, de préférence, par virement sur le compte bancaire de la régie avec comme référence le nom du/des demandeurs à l’instance et le numéro RG de la procédure,
– disons qu’en cas de consignation par chèque bancaire, ce dernier devra également être accompagné de la mention du/des demandeurs à l’instance et celle du numéro RG ».
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 28 mars 2022, la société Axa a relevé appel de cette ordonnance.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 26 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Axa demande à la cour, au visa de la loi du 5 juillet 1985, des articles 145, 146 et 238 alinéa 3 du code de procédure civile, R. 4127-106 du code de déontologie médicale, de :
– la recevoir en son appel,
– juger que la mission d’expertise confiée au Docteur [J] par l’ordonnance de référé du 1er mars 2022 (RG 21/00534), rectifiée le 8 mars 2022 (RG 22/00102) en ses postes ‘déficit fonctionnel temporaire’, ‘déficit fonctionnel permanent’, ‘assistance tierce personne’, ‘incidence professionnelle’ (préjudice professionnel, perte de gains professionnels et incidence professionnelle), ‘préjudice d’agrément’ et ‘préjudice d’établissement’, est contraire aux principes régissant le droit de l’indemnisation des préjudices corporels, précédé d’une confusion entre les sphères juridique et médicale en violation de l’article 238 alinéa 3 du code de procédure civile, méconnaît l’interdiction de la double indemnisation des préjudices, a réécrit la nomenclature des chefs de préjudices, s’est heurtée au principe de la réparation intégrale du préjudice et a donc introduit un débat de fond qui ne pouvait être tranché au stade du référé,
En conséquence,
– infirmer ladite ordonnance sur les chefs de la mission confiée à l’expert en vue de l’évaluation du déficit fonctionnel temporaire, du déficit fonctionnel permanent, de l’assistance tierce personne, de l’incidence professionnelle, du préjudice d’agrément et du préjudice d’établissement
Statuant à nouveau,
1/ modifier la mission confiée à l’expert et :
Lui donner la mission suivante s’agissant de l’évaluation du déficit fonctionnel temporaire :
Prendre en considération toutes les gênes temporaires subies par la victime dans la réalisation de ses activités habituelles à la suite de l’accident ; en préciser la nature et la durée (notamment hospitalisation, astreinte aux soins, difficultés dans la réalisation des tâches domestiques, privation temporaire des activités privées ou agrément auxquelles se livre habituellement ou spécifiquement la victime, retentissement sur sa vie sexuelle),
– En discuter l’imputabilité à l’accident en fonction des lésions et de leur évolution et en préciser le caractère direct et certain,
– En évaluer le caractère total ou partiel en précisant la durée et la classe pour chaque période retenue.
– Lui donner la mission suivante s’agissant de l’évaluation du déficit fonctionnel permanent :
décrire les séquelles imputables, fixer par référence à la dernière édition du ‘Barème indicatif d’évaluation des taux d’incapacité en droit commun’ publié par le Concours Médical, le taux éventuel résultant d’une ou plusieurs Atteinte(s) permanente(s) à l’Intégrité Physique et Psychique (AIPP) persistant au moment de la consolidation, constitutif d’un déficit fonctionnel permanent,
(Pour rappel, l’AIPP se définit comme ‘la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant d’une atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable donc appréciable par un examen clinique approprié, complété par l’étude des examens complémentaires produits, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours’),
– Lui donner la mission suivante s’agissant de l’évaluation de l’assistance tierce personne :
A partir des déclarations de la victime (et de son entourage si nécessaire) et des documents médicaux fournis,
– Relater les circonstances de l’accident,
– Décrire en détail les lésions initiales, les suites immédiates et leur évolution,
– Décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l’autonomie et, lorsqu’elle a eu recours à une aide temporaire (matérielle ou humaine), imputable à l’accident à l’origine de l’expertise, en préciser la nature, la fréquence et la durée,
– Lui donner la mission suivante s’agissant de réévaluation de l’incidence professionnelle après avoir supprimé au poste ‘préjudice professionnel (perte de gains professionnels et incidence professionnelle)’ les mentions concernant la dévalorisation sur le marché du travail et la possibilité que l’état séquellaire généré des arrêts de travail réguliers et répétés et / ou limite la capacité de travail,
En cas de répercussion dans l’exercice des activités professionnelles de la victime ou d’une modification de la formation prévue ou de son abandon (s’il s’agit d’un écolier, d’un étudiant ou d’un élève en cours de formation professionnelle), émettre un avis motivé en discutant son imputabilité à l’accident, aux lésions et aux séquelles retenues. Se prononcer sur son caractère direct et certain et son aspect définitif,
– Lui donner la mission suivante s’agissant de l’évaluation du préjudice d’agrément :
En cas de répercussion dans l’exercice des activités spécifiques sportives ou de loisirs de la victime effectivement pratiquées antérieurement à l’accident, émettre un avis motivé en discutant son imputabilité à l’accident, aux lésions et aux séquelles retenues. Se prononcer sur l’impossibilité de pratiquer l’activité, sur son caractère direct et certain et son aspect définitif,
2/ Supprimer la mission confiée à l’expert concernant le préjudice d’établissement,
– Confirmer pour le surplus la décision de première instance,
– Condamner Madame [L] [C] aux dépens d’appel.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 12 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [L] [C] demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de Nancy le 1er mars 2022 rectifiée par ordonnance du 8 mars 2022,
– débouter la société Axa de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la société Axa au versement de la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 5 septembre 2022.
L’audience de plaidoirie a été fixée le 10 octobre 2022 et le délibéré au 12 décembre 2022, puis prorogé au 16 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les dernières conclusions déposées par la société Axa le 26 avril 2022 et par Madame [L] [C] le 12 mai 2022 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l’article 455 du code de procédure civile ;
Vu la clôture de l’instruction prononcée par ordonnance du 5 septembre 2022 ;
Sur le bien fondé de l’appel
A l’appui de son recours la société Axa fait valoir que l’ordonnance déférée est contraire aux principes régissant le droit de l’indemnisation des préjudices corporels, procède d’une confusion entre les sphères juridique et médicale en violation de l’article 238 alinéa 3 du code de procédure civile, méconnaît l’interdiction de la double indemnisation des préjudices, a réécrit la nomenclature des chefs de préjudices, se heurte au principe de la réparation intégrale du préjudice et a donc introduit un débat de fond qui ne pouvait être tranché au stade du référé ; elle argumente sur les six postes suivants :
– Sur le déficit fonctionnel temporaire (DFT)
L’appelante fait valoir que la mission ANADOC telle que reprise par le juge des référés, ne correspond ni au barème médical ni à la nomenclature ; elle soutient qu’outre le fait qu’elle mette les médecins dans une position d’appréciation subjective et hors du champ de la médecine, cette appréciation de l’atteinte temporaire aux activités d’agrément, de loisirs, aux activités sexuelles ou à toute autre spécifique personnelle conduit in fine à un éclatement du DFT en plusieurs composantes ;
– Sur le déficit fonctionnel permanent
L’appelante fait valoir que le médecin expert doit prendre en compte dans le taux d’AIPP toutes ses composantes dont la perte de la qualité de vie et les souffrances endurées post consolidation ; elle soutient que les composantes de l’AIPP constituent un ensemble insécable et que la jurisprudence a opté pour une application stricte de ce principe issu de la nomenclature Dintilhac ; elle s’oppose ainsi à ce que la mission d’expertise aille en l’espèce à l’encontre de cette jurisprudence, le médecin devant évaluer le dommage et n’ayant pas pour fonction de créer de nouveau poste de préjudice ;
– Sur l’assistance tierce personne avant et après consolidation
Elle constate d’une part que la mission contestée n’opère pas la distinction entre le besoin en aide humaine passée et future, et d’autre part, qu’elle déconnecte l’évaluation de la perte d’autonomie par le médecin de l’environnement de la victime ; or, la question de l’évaluation de la tierce personne ne peut être dissociée de celle de l’aménagement du logement et des aides techniques ;
– Sur l’incidence professionnelle
L’appelante soutient que la notion de dévalorisation sur le marché du travail, ainsi que la perte de chance ou réduction d’opportunités ou de promotion professionnelle, est juridique et son appréciation n’est pas du ressort du rôle du médecin : il s’agit selon elle d’appréciations d’ordre socio-économiques, que seul l’assureur en charge du règlement est à même d’effectuer sur la base des constatations du médecin expert ;
– Sur le préjudice d’agrément
Elle fait valoir que l’appréciation de la perte de chance ne relève pas du rôle de l’expert dès lors qu’il s’agit d’une notion exclusivement juridique ; par ailleurs, elle affirme que la jurisprudence n’a jamais admis le principe de l’indemnisation de la perte de chance de pouvoir pratiquer de nouvelles activités de sport ou de loisirs non effectuées avant l’accident ;
– Sur le préjudice d’établissement
Elle soutient que ce poste de préjudice échappe totalement à l’avis du médecin expert ;
En réponse Madame [L] [C] fait valoir que le tribunal judiciaire de Paris comme la cour d’appel de Paris ont dernièrement rendu plusieurs décisions ordonnant la mission d’expertise telle que proposée par l’ANADOC ; en réponse à l’argument selon lequel la mission d’expertise opère volontairement une confusion entre les rôles du médecin et du juriste, l’intimée rappelle que les conclusions de l’expert ne s’imposent pas au juge qui reste libre de les suivre ou non ; elle ajoute que la nomenclature Dintilhac n’a aucune valeur normative ;
– Sur le déficit fonctionnel temporaire
Elle explique qu’il ne s’agit pas de procéder à un éclatement du DFT mais au contraire d’évaluer et d’inclure une à une ses différentes composantes pour une meilleure évaluation globale de celui-ci ;
– Sur le déficit fonctionnel permanent
Elle soutient que le DFP est plus large que l’AIPP, qui n’en est qu’une composante et qu’il ne s’agit pas d’indemniser séparément ces sous-postes de préjudice mais de solliciter une indemnisation globale au titre du DFP dans toutes ses composantes, ce qui implique de les évaluer séparément ;
– Sur l’assistance par tierce personne avant et après consolidation
Elle rappelle la jurisprudence de la cour d’appel de Paris conforme à la position de la Cour de Cassation selon laquelle la tierce personne apporte à la victime l’aide lui permettant de suppléer sa perte d’autonomie tout en restaurant sa dignité ; ainsi l’indemnisation de ce poste de préjudice n’est pas limitée à l’impossibilité d’accomplir certains seulement des actes de la vie courante ;
– Sur l’incidence professionnelle
Ici aussi, l’intimée s’appuie sur la jurisprudence de la cour d’appel de Paris qui a exactement répondu au grief formulé par l’appelante, en considérant que ‘la mission ordonnée qui tend à prendre en considération tous les aspects de l’incidence professionnelle relève bien de la compétence des médecins, lesquels connaissent les évolutions prévisibles des préjudices qu’ils constatent y compris s’agissant des arrêts de travail répétés que ces préjudices sont susceptibles de générer ;’
– Sur le préjudice d’agrément
Elle soutient qu’il relève bien du rôle de l’expert de corréler l’impossibilité ou la difficulté invoquée aux séquelles constatées sur les activités de loisirs ;
– Sur le préjudice d’établissement
L’intimée cite à nouveau la cour d’appel de Paris en ce que ‘seul l’expert peut émettre un avis sur les conséquences de certaines séquelles physiques et/ou psychiques de la victime sur sa vie familiale et, dès lors que cet avis se limite à la description d’éléments strictement médicaux, il présente une utilité pour l’évaluation du préjudice subi’ ;
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile ‘s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instructions légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé’ ;
l’article 238 du même code énonce que ‘le technicien doit donner son avis sur les points pour l’examen desquels ils a été commis. Il ne peut répondre à d’autres questions sauf accord écrit des parties. Il ne doit jamais porter d’appréciation d’ordre juridique’ ;
il en résulte cependant que l’appréciation de la portée du rapport d’expertise relève du pouvoir souverain du juge du fond, lequel ne peut déléguer à un expert l’exercice de son pouvoir juridictionnel ;
en revanche il n’en résulte pas l’interdiction pour le juge de solliciter l’expert afin de se prononcer sur des notions juridiques appliquées à la sphère de l’indemnisation du préjudice, couramment appelées médico-légal ; en outre il est admis que le préjudice d’établissement relève de l’appréciation médico-légale et que la présente mission porte bien sur le recours passé, actuel et futur à une tierce-personne ;
en tout état de cause le juge n’est jamais lié par l’appréciation de l’expert ;
enfin il est constant que le juge est libre d’établir les termes de la mission donnée à l’expert et en outre la nomenclature dite ‘Dintilhac’ ne recouvre aucune valeur normative, ce qui permet au juge de l’utiliser ou pas dès lors que les termes de la mission sont clairs, détaillés et complets ce qui est le cas en l’espèce ;
Dès lors il y a lieu de confirmer l’ordonnance déférée qui a été complétée le 8 mars 2022, en ce qu’elle est conforme aux dispositions sus énoncées et de rejeter le recours formée par la société Axa France IARD ;
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
La société Axa France IARD, partie perdante, devra supporter les dépens ; en outre il est équitable qu’elle soit condamnée à verser à Madame [C] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,
Confirme l’ordonnance rendue le 1er mars 2022 par le Président du tribunal judiciaire de Nancy, laquelle a été complétée par ordonnance du 8 mars 2022 ;
Condamne la société Axa France IARD à payer à Madame [L] [C] la somme de 1500 euros (mille cinq cents euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Axa France IARD aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame BUQUANT, Conseiller, en remplacement de Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, régulièrement empêchée, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : M. BUQUANT.-
Minute en treize pages.