Contrat de Saisonnier : 10 mai 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/00331

·

·

Contrat de Saisonnier : 10 mai 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/00331
Ce point juridique est utile ?

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/00331 – N° Portalis DBVX-V-B7E-MZVS

[W]

C/

Société COMPAGNIE D’AFFRETEMENT ET DE TRANSPORT

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de LYON

du 17 Décembre 2019

RG : 18/02884

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 10 MAI 2023

APPELANT :

[Y] [W]

né le 21 Mars 1991 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par Me Marie-Elodie JOUANIN, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société COMPAGNIE D’AFFRETEMENT ET DE TRANSPORT

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Nicolas PAU de la SELARL LEXAEQUO, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Cédric GUYADER de la SELARL INTERVISTA, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Chloé TRONEL, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 28 Février 2023

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Joëlle DOAT, présidente

– Nathalie ROCCI, conseiller

– Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 10 Mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société Compagnie d’affrètement et de transport (CAT) a pour activité l’affrètement et l’organisation des transports de marchandises, notamment de véhicules, motocycles et équipements automobiles.

La société CAT applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transport et occupe habituellement au moins onze salariés.

A compter du 10 septembre 2014 jusqu’au 12 janvier 2018, M. [W] a été mis à disposition de la SAS Compagnie d’affrètement et de transport (CAT) pour effectuer des missions d’intérim, en qualité de chauffeur puis d’agent d’exploitation, par le biais de la société de travail temporaire Proman. Le dernier de ces contrats en date du 1er janvier 2018, a débuté le 1er janvier 2018 et s’est achevé le 12 janvier 2018.

Le 11 janvier 2018, M. [W] a été informé par la société CAT qu’il n’y aurait pas de renouvellement de contrat.

Par requête en date du 26 septembre 2018, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon en lui demandant de requalifier ses contrats d’intérim en un contrat à durée indéterminée, de constater que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société CAT à lui verser diverses sommes à caractère indemnitaire et salarial.

Le 11 mars 2019, le conseil de prud’hommes s’est déclaré en partage de voix.

Par jugement en date du 17 décembre 2019, le conseil de prud’hommes, statuant en sa formation de départage, a :

– déclaré la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale soulevée par la société Compagnie d’affrètement et de transport non fondée,

– débouté M. [W] de l’ensemble de ses demandes,

– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [W] aux dépens.

M. [W] a interjeté appel de ce jugement, le 14 janvier 2020.

Par conclusions notifiées le 26 août 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, M. [W] demande à la cour de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 17 décembre 2019 en ce qu’il a déclaré la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale soulevée par la société Compagnie d’affrètement et de transport non fondée,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 17 décembre 2019 en ce qu’il :

– l’a débouté de l’ensemble de ses demandes,

– a dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

– l’a condamné aux dépens.

Et statuant à nouveau :

– le dire et juger recevable et bien-fondé en ses demandes,

En conséquence,

– requalifier l’ensemble des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de la société CAT à compter du 10 septembre 2014,

– condamner la société CAT à lui payer la somme de 2 284,51 euros au titre de l’indemnité de requalification,

– dire qu’il était à la dispositionpermanente de la société CAT pendant les périodes intercalaires et condamner la société à lui payer la somme de 4 569,02 euros au titre du rappel de salaire,

– constater que la rupture de la relation contractuelle n’est ni régulière en la forme, ni fondée,

– débouter la société CAT de ses demandes,

– condamner en conséquence la société CAT à lui payer :

– 2 284,51 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 228 euros au titre de l’indemnité de congés payés sur préavis,

– 1 903,37 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 9 138,04 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 2 284,51 euros au titre des dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,

– condamner la société CAT à régulariser ses documents de fin de contrat et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

– condamner la société CAT à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

– condamner la société CAT à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,

– condamner la société CAT aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Par conclusions notifiées le 22 septembre 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la société CAT demande à la cour de :

A titre principal :

– infirmer le jugement du 17 décembre 2019 en ce qu’il a déclaré la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale non fondée,

Et statuant à nouveau :

– juger que l’action en requalification des contrats de mission de M. [W] en contrat à durée indéterminée sur la période du 10 septembre 2014 au 12 janvier 2018 est prescrite,

– déclarer irrecevables l’intégralité des demandes d’indemnisation de M. [W],

– débouter M. [W] de sa demande de requalification de ses contrats de mission en un contrat à durée indéterminée,

A titre subsidiaire :

– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré que les recours temporaires à M. [W], en qualité de travailleur temporaire, sont justifiés,

En conséquence,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [W] de sa demande de requalification de ses contrats de mission en un contrat à durée indéterminée,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [W] de toutes ses demandes d’indemnisation ;

En tout état de cause :

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [W] de sa demande de rappels de salaire à hauteur de 4 569,02 euros,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [W] de sa demande au titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,

– condamner M. [W] à lui verser la somme de 4 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. [W] aux dépens de première instance et le condamner aux entiers dépens de l’appel.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.

SUR CE :

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

La société CAT fait valoir que l’action en requalification est soumise à la prescription de deux ans prévue par l’article L. 1471-1 du code du travail et que le délai de prescription court à compter de la date de connaissance par le salarié du motif de requalification.

La société CAT fait valoir qu’en l’espèce, M. [W] a introduit son action en requalification le 26 septembre 2018, plus de deux ans à compter des faits qu’il lui reproche, dès lors que :

– le salarié avait connaissance, dès le 10 septembre 2014, du motif qu’il invoque aujourd’hui pour solliciter la requalification de ses contrats (la prétendue absence de réalité des motifs de recours mentionnés dans ses contrats de mission) et que le délai de prescription de l’action en requalification a commencé à courir à compter de cette date,

– en outre, il avait connaissance du non-respect du délai de carence qu’il invoque dès le 11 décembre 2014, date de son premier contrat de mission ne respectant pas le délai de carence,

– enfin, s’agissant de sa mise à disposition permanente auprès de la CAT, M. [W] pouvait s’en rendre compte, soit dès la signature de son second contrat de mise à disposition le 17 novembre 2014, soit a minima, à la date à laquelle sa mise à disposition aurait prétendument dépassé 18 mois sur un même poste, soit le 10 mars 2016.

M. [W] soutient d’une part que sous couvert d’une activité prétendument cyclique, la société CAT emploie des salariés sous contrat d’interim avec de faux motifs pour pourvoir des postes s’inscrivant dans l’activité normale et permanente de l’entreprise. Il soutient d’autre part que les délais de carence entre les contrats n’ont pas été respectés.

****

Selon l’article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Aux termes de l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

Selon l’article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

Il résulte de la combinaison de ces textes que le délai de prescription d’une action en requalification d’une succession de contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise utilisatrice, fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, a pour point de départ le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière.

La requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d’inactivité, ces dernières n’ont pas d’effet sur le point de départ du délai de prescription.

L’action de M. [W] tendant à la requalification à l’égard de l’entreprise utilisatrice des 39 contrats de mission qu’il a signés entre le 10 septembre 2014 et le 12 janvier 2018, introduite le 26 septembre 2018, est fondée sur la réalité des motifs de recours à ces contrats, de sorte que le point de départ du délai de prescription doit être fixé à la date du terme du dernier des contrats, à savoir le 12 janvier 2018, et que l’action dirigée contre la société CAT dans le délai de deux ans à compter du 12 janvier 2018 n’est pas prescrite.

Le jugement déféré est par conséquent confirmé en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l’application de la prescription biennale.

Sur la demande de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée :

M. [W] soutient que :

– l’argument d’accroissement temporaire d’activité n’est pas justifié, et que sa preuve ne peut résulter d’un tableau établi par la société CAT elle-même, sans le visa d’un tiers vérificateur,

– il a occupé d’avril 2016 à janvier 2018 le même poste lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise,

– les délais de carence entre les contrats intérimaires prévus à l’article L. 1251-36 du code du travail n’ont pas été respectés,

– la société CAT a cessé brutalement leurs relations contractuelles alors qu’elle lui avait affirmé qu’elles se transformeraient en un contrat à durée indéterminée et qu’il a été à sa disposition permanente pendant près de quatre ans,

– s’agissant de la demande de rappel de salaires, les périodes intercalaires entre chaque mission sont soit inexistantes, soit de très courtes durées, ce qui l’empêchait de travailler pour une autre entreprise utilisatrice,

– s’agissant des indemnités liées au licenciement sans cause réelle et sérieuse, son contrat devant être requalifié en un contrat à durée indéterminée, la rupture de la relation contractuelle est irrégulière puisqu’il n’a pas été convoqué à entretien préalable de licenciement et n’a pas reçu de lettre de licenciement, l’empêchant de pouvoir s’expliquer sur les griefs,

– il est chargé de famille et subit un préjudice financier d’autant plus important qu’il est en recherche d’emploi.

La société CAT fait valoir que :

– le non-respect des délais de carence entre les contrats de mission n’est pas démontré, et en tout état de cause, il ne peut constituer un motif de requalification desdits contrats en contrat à durée indéterminée dans la mesure où ils avaient pour objectif de remplacer des salariés absents,

– elle a eu recours au travail temporaire de M. [W], dans des cas prévus par l’article L.1251-6 du code du travail, à savoir pour le remplacement de salariés absents ou pour faire face à des accroissements temporaires de son activité, dus notamment à la spécificité de son activité et justifiés par des tableaux versés aux débats provenant de ses logiciels d’exploitation et dont la sincérité a été confirmée par son responsable d’exploitation,

– le salarié n’était pas mis à sa disposition de manière permanente dès lors qu’il l’était de manière interrompue et qu’il n’a pas été sollicité par PROMAN pendant de nombreuses périodes interstitielles,

– s’agissant de la demande indemnitaire au titre du non-respect de la procédure de licenciement, en vertu de l’article 1235-2, alinéa 5 du code du travail, M. [W] ne peut solliciter une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement puisque celle-ci ne peut se cumuler avec les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; en outre, il ne justifie pas de son préjudice,

– s’agissant de la demande de rappel de salaires, les périodes concernées ne sont pas précisées par le salarié, de sorte qu’elle ne peut pas répondre aux affirmations du salarié et vérifier que ses demandes ne sont pas prescrites; en outre, il n’apporte pas la preuve qu’il serait resté à sa disposition constante pendant ces prétendues périodes.

****

L’article L. 1251-5 du code du travail énonce que « le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice. »

L’article L. 1251-6 du code du travail énonce que : « sous réserves des dispositions de l’article L 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission » et seulement dans les cas suivants :

1° remplacement d’un salarié, en cas,

D’absence

De passage provisoire à temps partiel, conclu par un avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur

De suspension de son contrat de travail

De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité social et économique s’il existe

D’attente de l’entrée en service effective d’un salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer 

2° accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise

3° Emplois à caractère saisonnier (‘)

4° Remplacement d’un chef d’entreprise artisanale, industrielle ou commerciale (‘)

5° Remplacement du chef d’une exploitation agricole ou (‘) »

En l’espèce, les contrats de mise à disposition conclus entre M. [W] et la société CAT mentionnent différents motifs de recours suivant les périodes, dans les termes suivants :

– pour la période du 10 septembre 2014 au 15 avril 2016 :

« accroissement temporaire d’activité » avec la précision suivante : « 110, 120, 140, 150 ou 200 VEH Réseau ou VN/J à préparer, nécessitant un renfort de personnel ».

– pour la période du 18 avril 2016 au 28 juillet 2017 :

« Remplacement en cas d’absence d’un salarié. Remplacement partiel de Mme [L] [H], chargée de clientèle, en congés évènement familiaux ».

– pour la période du 10 juillet 2017 au 25 août 2017 :

« Remplacement en cas d’absence d’un salarié.

Remplacement partiel de Monsieur [U] [S], exploitant, absent de l’entreprise. »

– pour la période du 28 août 2017 au 3 novembre 2017 :

« Accroissement temporaire d’activité

Organisation des flux ou du transport nécessitant un renfort de personnel ».

– pour la période du 20 novembre 2017 au 15 décembre 2017 :

Accroissement temporaire d’activité dû à l’augmentation des volumes de véhicules à livrer aux clients nécessitant un renfort de personnel. »

– pour la période du 18 décembre 2017 au 22 décembre 2017 :

« Remplacement en cas d’absence d’un salarié

Remplacement partiel de Mme [R] [V], chargée de clientèle en congés payés »

– pour la période du 25 décembre 2017 au 29 décembre 2017 :

« Remplacement en cas d’absence d’un salarié

Remplacement partiel de Monsieur [F] [Z], chargé de clientèle en congés payés »

– pour la période du 1er janvier 2018 au 12 janvier 2018 :

« Remplacement en cas d’absence d’un salarié

Remplacement partiel de Monsieur [U] [S], exploitant bureau route, en congés payés. »

La société CAT invoque des pics temporaires d’activité, imprévus et limités dans le temps, et donne à titre d’exemple l’accroissement important du nombre de véhicules à traiter pour l’établissement de [Localité 6] entre 2014 et 2016. La société CAT verse aux débats des tableaux de volume d’activité, ainsi que l’attestation de M. [I] [E], responsable de site logistique véhicules attestant que les dits tableaux de suivi d’activité correspondent aux volumes d’exploitation du site de [Localité 6].

Le premier juge a constaté que le tableau produit comporte une colonne « entrées centre » dont le total est quasiment identique pour les années 2013 et 2014, passant de 63 585 à 63 955, en augmentation pour les années 2015 et 2016 passant de 66 741 à 73 187 et en baisse significative pour les années 2017 et 2018, passant de 70 754 à 52 223.

Si ces éléments chiffrés ne sont pas corroborés par des pièces comptables certifiées et si la société CAT ne produit aucun document objectif relatif aux commandes exceptionnelles et urgentes qu’elle invoque, il apparait cependant que M. [W] n’apporte aucun élément contraire dans le débat et que les accroissements temporaires d’activité au cours de la période, correspondent à des fluctuations inhérentes à la nature de l’activité de l’entreprise.

S’agissant du remplacement des salariés absents, ce motif est expressément prévu par l’article L. 1251-6 du code du travail. Il apparaît qu’au cours de la période du 18 avril 2016 au 12 janvier 2018, les contrats de mise à disposition portaient sur le remplacement de quatre salariés distincts dont l’exploitant M. [U] [S], et que les qualifications visées par le contrat étaient différentes, de chauffeur navette ou chauffeur entrée/chaine à agent d’exploitation en passant par agent bureau/route.

Si M. [W] soutient qu’il a occupé le même poste de 2016 à 2018, soit celui de Mme [H] et qu’il n’avait aucune compétence pour remplacer le chargé d’exploitation M. [S], ni les chargés de clientèle Mme [V] et M. [Z], il apparaît que :

– le remplacement de Mme [H] pendant son congé de maternité, puis à l’occasion de son congé parental d’éducation est conforme aux dispositions de l’article L 1251-6 du code du travail ;

– le remplacement de M. [S] pendant de courtes périodes correspondant vraisemblablement à ses congés payés, au cours de l’été 2017 et du début de l’année 2018 est régulier ;

– la seule affirmation de M. [W] selon laquelle il n’était pas compétent pour remplacer les chargés de clientèle, étant précisé qu’il s’agit, pour ces deux remplacements de très courtes périodes correspondant aux congés de fin d’année, ne suffit pas à établir que le motif du recours ne correspondait pas à la réalité du remplacement.

Dans ces conditions, il ne résulte pas des débats que M. [W] a occupé le même emploi et ce quel que soit le motif de recours au travail temporaire, de sorte qu’il n’est pas démontré que la société CAT aurait eu recours à des contrats de mission pour faire face en réalité à un besoin structurel de main-d”uvre, ni que l’emploi qu’il occupait était lié durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Le jugement déféré est par conséquent confirmé en ce qu’il a débouté M. [W] de sa demande de requalification des contrats de mise à disposition signés avec la société CAT en un contrat de travail à durée indéterminée, ainsi que de ses demandes subséquentes.

Sur le non- respect du délai de carence :

L’article L.1251-36 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2015-994 du 17 août 2015, dispose :

« A l’expiration d’un contrat de mission, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de mission, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission, renouvellement inclus. Ce délai de carence est égal :

1° Au tiers de la durée du contrat de mission venu à expiration si la durée du contrat, renouvellement inclus, est de quatorze jours ou plus ;

2° A la moitié de la durée du contrat de mission venu à expiration si la durée du contrat, renouvellement inclus, est inférieure à quatorze jours.

Les jours pris en compte pour apprécier le délai devant séparer les deux contrats sont les jours d’ouverture de l’entreprise ou de l’établissement utilisateurs. »

L’article L.1251-37 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, dispose :

« Le délai de carence n’est pas applicable :

1° Lorsque le contrat de mission est conclu pour assurer le remplacement d’un salarié

temporairement absent ou dont le contrat de travail est suspendu, en cas de nouvelle absence du salarié remplacé ;

2° Lorsque le contrat de mission est conclu pour l’exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité ;

3° Lorsque le contrat de travail à durée déterminée est conclu pour pourvoir un emploi à caractère saisonnier ou pour lequel, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de cet emploi ;

4° Lorsque le contrat est conclu pour assurer le remplacement de l’une des personnes mentionnées aux 4° et 5° de l’article L. 1251-6 ;

5° (Abrogé) ;

6°Lorsque le salarié est à l’initiative d’une rupture anticipée du contrat ;

7° Lorsque le salarié refuse le renouvellement de son contrat de mission, pour la durée du contrat non renouvelé. »

L’action fondée sur le non- respect du délai de carence entre deux contrats de mission se prescrivant à compter du premier jour d’exécution du second contrat, et M. [W] ayant introduit son action le 26 septembre 2018, celle-ci est, sur ce fondement, prescrite pour la période antérieure au 26 septembre 2016.

Pour la période postérieure au 26 septembre 2016, la cour observe que le motif du recours aux contrats de mission a été le remplacement de salarié absent jusqu’au 25 août 2017, de sorte qu’aucun délai de carence ne peut être invoqué jusqu’au 25 août 2017 , conformément aux dispositions de l’article L.1251-37 du code du travail sus-visé.

En revanche, le contrat de mise à disposition qui a débuté le 28 août 2017 avait pour motif un accroissement temporaire d’activité et ce motif n’est pas prévu par l’article L. 1251-37 au titre des exceptions à l’application du délai de carence. Il en résulte une première violation du délai de carence entre le contrat de mission pour remplacement d’un salarié absent du 29 juillet 2017 au 25 août 2017 et le contrat qui a débuté le 28 août et s’est terminé le 29 septembre 2017, pour un accroissement temporaire d’activité.

Deux autres contrats ont suivi sans respect du délai de carence :

– celui du 30 septembre 2017 au 27 octobre 2017 pour accroissement temporaire d’activité ;

– celui du 28 octobre 2017 au 3 novembre 2017 pour accroissement temporaire d’activité

Il en résulte que la relation de travail doit être requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 28 août 2017.

La rupture du contrat de travail consécutive à la seule survenance du terme du contrat temporaire, le contrat étant requalifié, s’analyse en un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, puisque la procédure n’a pas été respectée et qu’aucun motif n’a été notifié.

M. [W] peut prétendre en conséquence à une indemnité de préavis de 1 707,58 euros (correspondant à la moyenne des salaires perçues sur la période), outre les congés payés afférents.

La requalification portant sur une période inférieure à huit mois, le salarié ne peut prétendre à une indemnité de licenciement.

Conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, il ne peut prétendre à une indemnité supérieure à un mois de salaire brut au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société CAT est par conséquent condamnée à payer à M. [W] la somme de 1 707,58 euros à titre de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour irrégularité de procédure ne se cumulant pas, M. [W] est débouté de sa demande d’indemnité au titre de l’irrégularité de la procédure de licenciement.

M. [W] sollicite par ailleurs un rappel de salaires d’un montant de 4 569,02 euros au motif que les périodes intercalaires entre chaque mission sont soit inexistantes, ce qui démontre un problème de délai de carence, soit de très courtes durée, trois ou quatre jours, de sorte qu’il se trouvait à la disposition permanente de l’entreprise et dans l’impossibilité de travailler pour une autre entreprise.

Mais faute pour le salarié de préciser et d’établir les périodes au cours desquelles il se serait tenu à la disposition de l’entreprise pour effectuer un travail, M. [W] ne justifie pas sa demande de rappel de salaire.

Sur les demandes accessoires :

Les dépens de première instance et d’appel, suivant le principal, seront supportés par la société CAT.

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale et sur l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

INFIRME le jugement déféré pour le surplus

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

REQUALIFIE le contrat de mission du 28 août 2017 en un contrat de travail à durée indéterminée

CONDAMNE la société CAT à payer à M. [W] les sommes suivantes :

*1 707,58 euros à titre d’indemnité de requalification

*1 707,58 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

*1 707,58 euros de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse

DÉBOUTE M. [W] de ses demandes pour le surplus

CONDAMNE la société CAT à payer à M. [W] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,

CONDAMNE la société CAT aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x