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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT AU FOND
DU 11 MAI 2023
N° 2023/158
GM/PR
RG 21/00766
N° Portalis DBVB-V-B7F-BGZO3
[W] [L]
C/
[M] [P]
Copie exécutoire délivrée le 11 Mai 2023 à :
-Me Jean frédéric LE GALLO, avocat au barreau de GRASSE
– Me Lucille ROMERO, avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE en date du 14 Décembre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00693.
APPELANTE
Madame [W] [L], exerçant en entrepreneuse individuelle, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean frédéric LE GALLO, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
Madame [M] [P]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/002963 du 13/08/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Lucille ROMERO, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller
Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Mai 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Mai 2023
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Pascale ROCK, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [M] [P] a été engagée à plusieurs reprises en qualité d’aide-ménagère par Mme [W] [L] dans des logements loués par l’appelante aux touristes :
– par contrat de travail à durée déterminée du 3 juin 2015 au 31 octobre 2015,
-par contrat de travail à durée indéterminée du 22 décembre 2015 auquel Mme [W] [L] a mis un terme le 31 janvier 2016,
-par ‘contrat de travail à temps partiel’ à compter du 22 mars 2016,
-par ‘avenant au contrat de travail à durée indéterminée du 22 mars 2016″, lequel prévoit que la salariée travaillera désormais à temps plein à compter du 1er mai 2016.
Mme [M] [P] a été placée en situation d’activité partielle d’octobre 2016 à mars 2017.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 19 décembre 2017, Mme [W] [L] a notifié à Mme [M] [P] son licenciement pour faute grave.
Par requête enregistrée au greffe le 22 octobre 2018, Mme [M] [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Grasse en contestation de son licenciement et en paiement de diverses sommes au titre de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 14 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Grasse a :
-dit le licenciement de Mme [M] [P] sans cause réelle et sérieuse,
-débouté Mme [M] [P] de sa demande de requalification en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 juin 2015,
-condamné la société [L] à régler à Mme [M] [P] :
2220,46 euros au titre de la mise à pied conservatoire
222,04 euros au titre des congés payés afférents
1480,30 euros au titre d’indemnité compensatrice de préavis
148,03 euros au titre des congés payés afférents
1480,30 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
648,46 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement
1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
-dit que le présent jugement emporte de plein droit, intérêts au taux légal.
-condamné la société [L] aux dépens,
-débouté la société [L] de sa demande reconventionnelle.
Le 12 janvier 2021, Mme [W] [L] a interjeté appel dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
Sa déclaration d’appel est ainsi rédigée : ‘appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués ;
2220,46 euros au titre de la mise à pied conservatoire
222,04 euros au titre des congés payés afférents
1480,30 euros au titre do i’indemnité compensatrice de préavis
148,03 euros au titre des congés payés afférents
1480,30 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
648,46 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement’
Le 13 janvier 2021, Mme [W] [L] a formé une déclaration d’appel rectificative.
Le 17 janvier 2021, Mme [W] [L] a interjeté appel dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués. Elle se référait à sa déclaration rectificative d’appel du 13 janvier 2021.
Le 18 février 2021, la cour d’appel a ordonné la jonction des procédures.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 16 février 2023.
PRETENTIONS ET MOYENS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 avril 2022, Mme [W] [L] demande à la cour de :
-juger Mme [W] [L] recevable en son appel,
-réformer le jugement en ce qu’il n’a pas statué sur l’intégralité des griefs portés par Mme [W] [L] à l’encontre de Mme [M] [P], soit ceux rapportés dans la main courante du 6 novembre 2017 et invoqués dans la convocation à l’entretien préalable du 14 novembre 2017 et dans la lettre de licenciement du 19 décembre 2017,
-juger que le licenciement de Mme [M] [P] intervenu le 19 décembre 2017 pour faute grave était fondé,
-condamner Mme [M] [P] à restituer les sommes indûment perçues soit les sommes de :
– 2 220,46 euros au titre de la mise à pied conservatoire
– 1 480,30 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 1 480,30 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 648,46 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement
– 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
subsidiairement,
-juger que les agissements non prescrits de Mme [M] [P] rendait la relation contractuelle entre l’employeur et la salariée impossible à maintenir,
-que dès lors, le licenciement de Mme [M] [P] comportait une cause réelle et sérieuse.
en tout état de cause,
-condamner Mme [M] [P] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance et de ses suites.
L’employeur fait d’abord valoir que pour écarter la qualification de faute grave exposée dans la lettre de licenciement, le conseil de prud’hommes a retenu que les faits de harcèlement moral exposés dans la plainte du 13 juillet 2017 de Madame [L], n’avaient pas fait l’objet « du moindre avertissement (‘) indiquant seulement dans sa plainte qu’elle lui proposait une rupture conventionnelle, qu’en conséquence, ce grief était prescrit depuis plusieurs semaines lors de l’engagement des poursuites disciplinaires contre Madame [P] ».
L’employeur ajoute qu’en statuant ainsi, c’est-à-dire en ne retenant que la prescription de faits relatifs à la plainte du 13 juillet 2017, le conseil a omis les faits postérieurs non prescrits, soit la main courante du 6 novembre 2017 qui relate la poursuite de harcèlement par SMS et courriels de la part de Madame [M] [P].
Mme [W] [L] avance aussi que la salariée prétendait avoir été bousculée par elle, nécessitant une intervention des pompiers, ce qui est relaté dans l’événement de main courante du 6 novembre 2017 à 09h40.
Suivait une convocation, sous la forme recommandée avec accusé de réception, à l’entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoire du 14 novembre 2017 faisant référence aux événements du 06 novembre 2017.
Non seulement cet événement n’était pas prescrit, mais il servait de fondement à la convocation précitée et à la lettre de licenciement en date du 19 décembre 2017.
Ainsi, le conseil, en ne retenant que la plainte du 13 juillet 2017, à l’exclusion des faits postérieurs rapportés dans la main courante du 6 novembre 2017 et invoqués dans la convocation à l’entretien préalable du 14 novembre 2017 et dans la lettre de licenciement du 19 décembre 2017, n’a pas analyser les faits invoqués dans la lettre de licenciement.
En conséquence, il ne pouvait pas statuer dans les termes de son jugement entrepris, lequel doit être réformé.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 juin 2021, Mme [M] [P] demande à la cour de :
-confirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit que le licenciement de Madame [P] sans cause réelle et sérieuse,
– condamné Mme [W] [L] à régler à Madame [M] [P] les sommes suivantes :
2.220,46 euros brut à titre de rappel de salaire relatif à la mise à pied conservatoire du 6 novembre au 19 décembre 2017,
222,04 euros au titre des congés payés y afférents,
statuant à nouveau,
– déclarer Mme [M] [P] recevable en ses conclusions et bien fondée en ses demandes,
– débouter, en conséquence Mme [W] [L] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
– requalifier la relation de travail en relation à durée indéterminée à compter du 3juin 2015,
– condamner Mme [W] [L] à payer à [M] [P] les sommes de :
2960,60 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis (2 mois),
296,06 euros au titre des congés payés y afférents,
1 480,30 euros à titre d’indemnité de requalification en un contrat de travail à durée indéterminée,
5 181,05 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
956,04 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner, à titre subsidiaire, [W] [L] à payer à [M] [P] la somme de 984,36 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour les demandes à caractère salarial et à compter de la décision à intervenir pour les demandes à caractère intermédiaire, et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil.
– condamner Mme [W] [L] aux dépens.
Sur son appel incident relatif à la requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée dès le 3 juin 2015, la salariée soutient qu’elle a initialement été engagée sous contrat de travail à durée déterminée pour un motif saisonnier. Or, le motif saisonnier de recours au contrat de travail à durée déterminée est erroné. Elle a en effet été affectée à des tâches qui relevaient de l’activité normale de l’entreprise pendant toute l’année.
Sur sa demande de confirmation du jugement en ce qu’il a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, la salariée avance que l’employeur ne démontre aucunement la réalité des fautes graves reprochées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail
1-Sur la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée dès le 3 juin 2015
Aux termes de l’article le L1245-1 du code du travail, dans sa version en vigueur du 1er mai 2008 au 24 septembre 2017 : Est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-4, L. 1242-6 à L. 1242-8, L. 1242-12, alinéa premier, L. 1243-11, alinéa premier, L. 1243-13, L. 1244-3 et L. 1244-4.
Selon l’article L1242-2 3° du code du travail, dans sa version en vigueur du 22 décembre 2014 au 8 août 215 : Sous réserve des dispositions de l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants :
3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
En l’espèce, la salariée soutient que le motif de recours au contrat de travail à durée déterminée conclu le 3 juin 2015 était l’emploi saisonnier.
La cour observe que bien que ce motif de recours n’apparaisse pas sur le contrat de travail à durée déterminée, l’employeur ne s’oppose pas pour autant aux dires de la salariée sur ce point.
La cour considère donc que le contrat de travail à durée déterminée du 3 juin 2015, dont le terme était fixé au 31 octobre 2015, a été conclu pour pouvoir un emploi à caractère saisonnier conformément à ce que soutient la salariée.
Or, la salariée considère que ce motif de recours (emploi à caractère saisonnier) était faux car elle a en réalité été affectée à des tâches relevant de l’activité normale de l’entreprise pendant toute l’année.
Pour déterminer si le contrat de travail à durée déterminée a bien été conclu pour le motif de l’emploi saisonnier, la cour doit donc examiner si les tâches confiées à la salariée variaient en fonction du rythme des saisons ou si elles étaient durables et dépendantes de la volonté de l’employeur.
Tout d’abord, s’agissant de la nature des tâches confiées à la salariée, la cour relève que cette dernière a toujours été engagée sur le même poste de travail, c’est-à-dire en qualité d’aide-ménagère au sein des logements loués par l’employeur aux touristes et ce durant tous les contrats de travail successivement conclus.
Ensuite, s’agissant des périodes durant lesquelles les contrats de travail ont été mis en oeuvre, la cour observe que si le premier contrat de travail était un contrat de travail à durée déterminée couvrant une partie de l’été et de l’automne (3 juin 2015 au 31 octobre 2015), les contrats conclus ensuite étaient deux contrats de travail à durée indéterminée, l’un couvrant l’hiver et l’autre toute l’année.
En effet, suite à la conclusion du premier contrat de travail à durée déterminée litigieux du 3 juin 2015 au 31 octobre 2015, la salariée et l’employeur ont conclu les contrats de travail à durée indéterminée suivants :
-un contrat de travail à durée indéterminée du 22 décembre 2015 auquel Mme [W] [L] a mis un terme au 31 janvier 2016,
-un contrat de travail à durée indéterminée conclu à compter du 22 mars 2016 transformé en un temps complet, lequel a été rompu par le licenciement intervenu le 19 décembre 2017.
Ainsi, quand bien même les différents contrats conclus ont été séparés à chaque fois d’une période de deux mois, la salariée a toujours été affectée sur le même poste de travail d’aide-ménagère et ce sur des saisons à chaque fois différentes (été, automne hiver, puis pendant plus d’une année).
En conséquence, le caractère saisonnier du contrat de travail à durée indéterminée conclu du 3 juin 2015 au 31 octobre 2015 n’est pas établi.
Dès lors, il ne saurait être considéré que la salariée a été affectée sur une tâche saisonnière durant l’exécution de son premier contrat de travail à durée déterminée conclu du 3 juin 2015 au 31 octobre 2015. Au contraire, il est démonté que Mme [M] [P] exerçait des tâches relevant de l’activité normale de l’entreprise pendant toute l’année.
Le motif du recours au contrat de travail à durée déterminée n’étant pas conforme aux cas autorisés par la loi, la cour, infirmant le jugement, la cour requalifie la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 3 juin 2015.
2-Sur l’indemnité de requalification
L’article L1245-2 du code du travail dispose : Lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine.Lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s’applique sans préjudice de l’application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.
En l’espèce, la cour ayant fait droit à la demande de la salariée de requalification de son contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, elle doit accorder à l’appelante une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.
Infirmant le jugement, la cour condamne Mme [W] [L] à payer à Mme [M] [P] une indemnité de requalification de 1480, 30 euros.
Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail
La lettre de licenciement du 19 décembre 2017 est ainsi rédigée : ‘Madame [P], Nous vous avons re¢u le 22 novembre dernier pour l’entretien préalable au licenciement que nous envisagions de prononcer à votre encontre.
Malgré les explications que vous nous avez fournies, nous avons décidé de vous licencier en raison de votre comportement particulièrement déloyal et agressif envers votre employeur.
En effet, vous n’avez cessé de faire pression sur la gérante et l’avez harcelée par sms en formulant des demandes totalement injustifiées.
Déçue de ne pas avoir obtenue la rupture conventionnelle de votre contrat de travail et des sommes exorbitantes vous avez proféré des accusations mensongères dans le seul but de lui nuire et de continuer à faire pression sur lui.
Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans entreprise.
Votre licenciement est donc immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture.
Nous vous signalons a cet égard qu’en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laquelle nous vous avons mis a pied a titre conservatoire ne vous sera pas versé (…)’
1-Sur la demande tendant à dire que le licenciement est dépourvu de faute grave et qu’il est sans cause réelle et sérieuse
L’article L1232-1 du code du travail dispose : Tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre.Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.
La faute grave est entendue comme celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise y compris durant le préavis.
La preuve du comportement du salarié incombe à l’employeur.
La salariée contestant la faute grave reprochée par l’employeur, la cour doit examiner si ce dernier en rapporte la preuve.
La lettre de licenciement reproche tout d’abord à Mme [M] [P] un comportement particulièrement déloyal et agressif contre son employeur, qui s’est matérialisé notamment par le fait de ‘faire pression sur la gérante’ et de l’avoir ‘harcelée par sms en formulant des demandes totalement injustifiées’.
Pour tenter de démontrer l’existence de ces pressions et ce harcèlement par sms, l’employeur produit tout d’abord la copie de son dépôt de plainte du 13 juillet 2017 faite auprès des policiers d'[Localité 3].
Dans son dépôt de plainte, Mme [W] [L] indique notamment :
-‘comme elle m’a demandé de l’argent pour des heures qu’elle n’avait jamais faites, j’ai refusé et elle a prolongé son arrêt maladie de 15 jours, jusqu’au 28 juillet’
-‘j ‘ai reçu mon premier texto menaçant le 3 juillet me demandant de l’argent en menaçant d’aller aux prud’hommes’
-‘le 5 juillet 2017, elle a également débarqué chez ma comptable,’
-‘elle m’appelle régulièrement avec son numéro de téléphone et d’autres en appel masqué mais je ne répondais en général pas et la dernière je lui ai demandé d’arrêter de me harceler,’
-‘en fait Mme [P] me harcèle quotidiennement jour et nuit par des textos menaçants que je vous montre où elle essaie de me racketter et me faire chanter, textos que je vous montre et tiens à votre disposition (…) ‘Bonne nuit repose toi bien essaie de ne pas me rêver sinon tu vas faire des cauchemars’
La cour relève que, sur le PV de dépôt de plainte, les policiers ont apposé la mention ‘vu exact’ à la suite de la déclaration de Mme [W] [L] selon laquelle elle est harcelée ‘quotidiennement jour et nuit par des textos menaçants’.
S’agissant tout d’abord de la prescription des faits reprochés, la salariée cite l’article L1332-4 du code du travail relatif à la prescription des faits fautifs, sans toutefois détailler, en fait, cette fin de non-recevoir tirée de la prescription qu’elle oppose à l’employeur. En particulier, elle ne précise pas les faits qui seraient atteints par la prescription, ni ne donne aucune date concernant cette prescription qu’elle soulève pourtant.
L’employeur, pour sa part, considère que la salariée lui oppose la prescription des faits relatés dans le dépôt de plainte du 13 juillet 2017.
Il y a donc lieu d’examiner l’éventuelle prescription des faits fautifs de la salariée, relatés par l’employeur, au cours de ce dépôt de plainte.
L’article L1332-4 du code du travail dispose : Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
Les faits de harcèlement moral relatés par l’employeur dans son dépôt de plainte datent de juin et juillet 2017. Si ces faits sont antérieurs de plus de deux mois aux convocations de la salariée des 7 et 14 novembre 2017 pour son entretien préalable à son licenciement, Mme [W] [L] produit toutefois des pièces établissant qu’elle a continué à se plaindre de différends avec sa salariée et ce le 6 novembre 2017. En effet, l’employeur produit aux débats la copie détaillée de sa déclaration de main courante du 6 novembre 2017, dans laquelle elle se plaint de la poursuite de disputes avec sa salariée et de nombreux SMS indésirables envoyés par celle-ci.
Or, l’article L. 1332-4 du code du travail ne s’oppose pas à la prise en considération d’un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s’est poursuivi dans ce délai.
Ainsi, les faits de harcèlement moral et de pressions de la part de sa salariée dont Mme [W] [L] s’est plainte dans son dépôt de plainte du 13 juillet 2017 puis dans son courrier de licenciement se seraient poursuivis moins de deux mois avant l’engagement du licenciement disciplinaire.
De tels faits ne sont pas prescrits et peuvent au contraire être pris en considération. La fin de non-recevoir tirée de la prescription des faits fautifs, soulevée par la salariée, doit être rejetée.
Sur le fond, la cour relève, que sur la copie du dépôt de plainte du 13 juillet 2017, les policiers ont apposé la mention ‘vu exact’ à la suite de la déclaration suivante de Mme [W] [L] ‘En fait, Mme [P] me harcèle quotidiennement jours et nuit par des textos menaçants que je vous montre où elle essaie de me racketter et me faire chanter, textos que je vous montre et tiens à votre disposition’.
Si les policiers ont apposé la mention ‘vu exact’, l’employeur ne produit toutefois pas dans le cadre de ces débats, les SMS harcelant dont elle se plaint et qui lui auraient été adressés par sa salariée. Ainsi, rien ne permet de vérifier que ces SMS émanaient bien de Mme [M] [P] ni qu’ils constituaient bien le harcèlement moral dont l’employeur s’est plaint dans la lettre de licenciement.
La copie de ce dépôt de plainte est donc insuffisante, à elle seule, pour faire la preuve du grief tiré de l’existence de pressions et d’un harcèlement par SMS.
Ensuite, l’employeur, pour tenter d’étayer ces griefs de la lettre de licenciement relatifs à un harcèlement moral et à des pressions de la part de sa salariée, verse encore aux débats le récépissé de déclaration de sa main courante du 6 novembre 2017 faite auprès des policiers d'[Localité 3].
Ce récépissé ne démontre toutefois rien, dès lors que les policiers n’ont rien constaté par eux-mêmes. De plus, aucun témoin ne vient corroborer la version des faits relatée par Mme [W] [L].
L’employeur ne rapporte pas suffisamment la preuve qui lui incombe que la salariée aurait exagéré dans ses demandes au titre de son contrat de travail et qu’elle aurait exercé un véritable harcèlement à son encontre allant au delà de légitimes demandes répétées.
L’employeur prétend enfin rapporter la preuve de ces pressions et de ce harcèlement par sms en versant la convocation à l’entretien préalable du 14 novembre 2017 et la lettre de licenciement du 19 décembre 2017. Cependant, ces actes de procédure, requis par la loi, rédigés par l’employeur ne sauraient constituer des preuves des griefs formulés dans la lettre de licenciement.
Ainsi, Mme [W] [L] échoue à rapporter la preuve du grief de la lettre de licenciement relatif aux pressions incessantes sur la gérante et au harcèlement par SMS.
La lettre de licenciement reproche également à la salariée d’avoir proféré des accusations mensongères contre son employeur, dans le seul but de lui nuire et de continuer à faire pression sur lui.
Toutefois, pour ce qui est de ce grief, comme le fait remarquer la salariée, la lettre de licenciement ne détaille pas quelles ont été les accusations mensongères qui auraient été proférées par Mme Marie Theresa [P].
Dans ses conclusions, Mme [W] [L] ne précise pas davantage cet autre motif de la lettre de licenciement, ne donnant aucun détail sur le contenu des accusations mensongères reprochées à l’intimée.
Si ces accusations mensongères tiennent au fait que la salariée s’est plainte d’avoir été insultée puis bousculée par son employeur le 6 novembre 2017, Mme [W] [L] ne présente cependant pas suffisamment d’éléments sérieux et objectifs aux débats permettant de remettre en cause les dires de sa salariée.
Sur ces prétendues accusations mensongères, l’employeur produit aux débats son dépôt de plainte pour dénonciation calomnieuse du 25 février 2019, fait auprès des services de police d'[Localité 3]. Dans cette plainte, Mme [W] [L] prétend que l’attestation de M. [B] est une calomnie. Selon la plaignante, l’auteur de cette attestation aurait dit à l’une de ses amies qu’il avait menti, étant fâché contre Mme [L].
Cependant, cette pièce est insuffisante pour démontrer la fausseté du témoignage produit par la salariée. Ce dépôt de plainte ne fait en effet que reprendre les dires de l’employeur. Aucun témoin n’a été entendu. Enfin, il n’est pas démontré que l’auteur de l’attestation aurait été poursuivi pour avoir délivré un faux témoignage à la salariée.
Toujours concernant les prétendues accusations mensongères de la salariée, Mme [W] [L] communique également sa déclaration de main courante du 6 novembre 2017. Cependant, cet acte ne fait que reprendre ses dires sur le déroulement des faits ce jour là.
Par ailleurs, alors qu’elle n’était pas tenue de le faire, la salariée produit au contraire aux débats des pièces corroborant ses dires concernant l’insulte et la bousculade de son employeur :
-la copie de sa déclaration de main courante du 7 novembre 2017 faite auprès des services de police d'[Localité 3] : ‘Mais elle a refusé, elle m’a alors ensuite insulté d’esclave et de truie. Elle m’a parlé comme à une moins que rien. Elle m’a bousculé légèrement et j’ai été déséquilibré ensuite, elle m’a ensuite laissé comme j’étais et à quitté la pièce en ricanant (…)’
-le certificat initial de constatation de blessures par le service des urgences de l’hôpital d'[Localité 3] du 6 novembre 2017 indiquant que les lésions constatées justifient une incapacité totale inférieure à 8 jours
– une attestation du 14 novembre 2017 de M. [Y] [B] : ‘Aux alentours de 9 heures alors que je buvais un café en terrasse place Nationale, j’atteste avoir assisté à une altercation avec violences verbales : espèce de truie, esclave, va faire ton travail, ainsi qu’une bousculade de la part de Mme [W] [L] employeur à l’encontre de Mme [P] [M] son employée’.
Il résulte de ce qui précède que l’employeur ne démontre pas suffisamment l’existence d’une faute grave commise par la salariée.
Conformément à la demande de la salariée, la cour confirme le jugement en ce qu’il retient que le licenciement est dépourvu d’une cause réelle et sérieuse.
2-Sur la demande de rappel de salaires dus durant la mise pied conservatoire
Selon l’article L1332-3 du code du travail : Lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure prévue à l’article L. 1332-2 ait été respectée.
En l’espèce, la cour considère que la salariée n’a pas commis de faute grave. L’employeur ne pouvait donc pas prononcer une mesure de mise à pied conservatoire contre celle-ci, ni se dispenser de lui régler ses salaires pendant cette période.
Confirmant le jugement et rejetant la demande de l’employeur sur ce point, la cour condamne Mme [W] [L] à payer à Mme [M] [P] la somme de 2220,46 euros au titre du règlement des salaires durant la période de mise à pied conservatoire.
3-Sur la demande d’indemnité compensatrice de préavis
Aux termes de l’article L 1234-1 du code du travail : Lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :
1° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession,
2° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d’un mois,
3° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l’accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d’ancienneté de services plus favorable pour le salarié.
L’article L1234-5 du même code ajoute : Lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.L’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.
L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L. 1235-2.
En l’espèce, la salariée, qui n’a pas commis de faute grave et qui a une ancienneté supérieure à deux années du fait de la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée depuis le 3 juin 2015, avait droit à un préavis d’une durée de deux mois.
La cour infirme le jugement et condamne Mme [W] [L] à payer à l’intimée la somme de 2.960,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 296,06 euros au titre des congés payés afférents.
4-Sur l’indemnité légale de licenciement
Selon l’article L1234-9 du code du travail, dans sa version modifiée par l’ordonnance du 22 septembre 2017, en vigueur depuis le 24 septembre 2017 : Le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.
L’article R1234-2 du même code, applicable depuis le 27 septembre 2017, dispose : L’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :
1° Un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans,
2° Un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.
En l’espèce, au moment de son licenciement du 19 décembre 2017, Mme [M] [P] avait acquis une ancienneté de deux ans et 7 mois, du fait de la requalification de la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 3 juin 2015. La salariée, qui a une ancienneté de plus de 8 mois et qui n’a pas commis de faute grave, peut prétendre au paiement de son indemnité de licenciement.
Le calcul de l’indemnité de licenciement à laquelle elle a droit est le suivant :
1.480,30/4 = 370,08
370,08 x 2 = 740,16
370,08 x 7/12 = 215,88
indemnité de licenciement : 956,04 euros.
Infirmant le jugement, la cour condamne Mme [W] [L] à payer à Mme [M] la somme de 956,04 euros à titre d’indemnité légale de licenciement.
5-Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Selon l’article L1235-3 du code du travail dans sa version applicable du 24 septembre 2017 au 01 avril 2018 : Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.
En l’espèce, la salariée a droit à des dommages-intérêts , le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En outre, le montant de s dommages-intérêts doit être compris entre 0, 5 mois et 3, 5 mois de salaire brut compte tenu de l’ancienneté de la salariée et du fait que l’employeur emploie habituellement moins de 11 salariés.
Concernant son préjudice suite à sa perte d’emploi injustifiée du 19 décembre 2017, l’intimée communique un courrier du Pôle Emploi du 21 mars 2018 dont il résulte qu’elle a droit aux allocations depuis le 17 janvier 2018. Elle démontre être mère d’un enfant majeur souffrant d’invalidité.
La cour réparera le préjudice subi en lui allouant des dommages-intérêts à hauteur de 1300 euros.
Infirmant le jugement, la cour condamne Mme [W] [L] à payer à Mme [M] la somme de 1300 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les autres demandes
Les créances salariales sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation.
Les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Sur les frais du procès
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, Mme [W] [L] sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 2 000 euros.
Mme [W] [L] est déboutée de sa demande d’indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,
-confirme le jugement en ce qu’il retient que le licenciement est dépourvu d’une cause réelle et sérieuse,
-confirme le jugement en ce qu’il condamne Mme [W] [L] à payer à Mme [M] [P] 2220,46 euros au titre du règlement des salaires durant la période de mise à pied conservatoire,
-infirme le jugement pour le surplus,
-statuant à nouveau des seuls chefs de jugement infirmés,
– requalifie la relation de travail en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 juin 2015,
-condamne Mme [W] [L] à payer à Mme [M] [P] :
1480, 30 euros au titre de l’indemnité de requalification
2 960,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
296,06 euros au titre des congés payés afférents
956,04 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
1300 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
y ajoutant,
-dit que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
-dit que les créances salariales sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation,
-ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
-condamne Mme [W] [L] aux dépens de la procédure d’appel,
-condamne Mme [W] [L] à payer à Mme [M] [P] une somme de 2000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-déboute Mme [W] [L] de sa demande d’indemnité de procédure en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-rejette toute autre demande.
LE GREFFIER LE PRESIDENT