Licenciement économique du directeur de production
Licenciement économique du directeur de production
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Le licenciement pour motif économique d’un directeur de production est sans cause réelle et sérieuse si l’employeur n’établit ni difficultés économiques, ni même la moindre menace sur sa compétitivité.


 

Selon l’article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en vigueur du 24 septembre 2017 au 22 décembre 2017, ‘Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national.

Pour l’application du présent article, le groupe est défini, lorsque le siège social de l’entreprise dominante est situé sur le territoire français, conformément au I de l’article L. 2331-1 et, dans le cas contraire, comme constitué par l’ensemble des entreprises implantées sur le territoire français.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.’

Lorsque la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige auquel peut ensuite donner lieu cette mesure, fait état d’une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité , le juge doit rechercher si la décision de l’employeur était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe dont elle relève.

La réorganisation destinée à sauvegarder la compétitivité n’implique pas l’existence de difficultés économiques actuelles mais celle d’une menace sur la compétitivité de l’entreprise ou le secteur d’activité du groupe nécessitant une anticipation des risques et le cas échéant, des difficultés à venir.

La constatation de l’existence ou non d’une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise ou de difficultés économiques relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, qui, pour cette appréciation, peuvent tenir compte d’éléments postérieurs à la date du licenciement.

Il appartient à l’employeur de justifier en cas de contestation, soit d’une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise, soit, a fortiori, de difficultés économiques ou d’une évolution technologique en rapport avec cette réorganisation. Il appartient ensuite au juge de vérifier l’existence de difficultés économiques résultant d’une baisse d’activité invoquée par l’employeur dans la lettre de licenciement (Soc., 16 février 2011, pourvoi n° 10-10.110, Bull. 2011, V, n° 49)


 

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80B

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 JANVIER 2023

N° RG 20/02815

N° Portalis DBV3-V-B7E-UGMW

AFFAIRE :

[J] [E]

C/

Société R&G PRODUCTIONS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 3 décembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de BOULOGNE-

BILLANCOURT

Section : E

N° RG : F18/00471

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Olivier LIGETI

Me Arnaud STAMM

Copie numérique adressée à :

Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE 11 JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dont la mise à disposition a été fixée au 4 janvier 2023, puis prorogée au 11 janvier 2023, dans l’affaire entre :

Monsieur [J] [E]

né le 6 octobre 1969 à [Localité 3]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Olivier LIGETI de l’AARPI ALMATIS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0560

APPELANT

****************

Société R&G PRODUCTIONS

N° SIRET : 414 532 390

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Arnaud STAMM, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1545

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 9 novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [E] a été engagé en qualité de chargé de production par contrat de travail à durée déterminée, à compter du 22 août 2000, puis par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er octobre 2003, par la société R&G Productions.

Cette société est spécialisée dans la production de films et de programmes pour la télévision et applique la convention collective de la production audiovisuelle.

Par avenant du 1er janvier 2012, le salarié est devenu directeur de production, et percevait en dernier lieu une rémunération à brute mensuelle de 7 500 euros pour 169 heures de travail, outre une prime annuelle portant la rémunération moyenne à 7 812,65 euros bruts.

Par lettre du 27 novembre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 7 décembre 2017.

Il a été licencié par lettre du 19 décembre 2017 pour motif économique, dans les termes suivants:

« Comme nous avons déjà eu l’occasion de vous l’exposer au cours de cet entretien, notre société est contrainte de mettre en place des mesures urgentes pour tenter de sauvegarder son existence dans un contexte de crise de la télévision et de concurrence exacerbée entre les grands groupes de médias.

Notre société qui exerce une activité de production audiovisuelle de flux dans un secteur extrêmement concurrentiel, est l’une des dernières sociétés indépendantes et doit faire face à une conjoncture extrêmement défavorable, qui bloque, depuis plusieurs années maintenant, la création de nouveaux projets, faute de financement et de recettes publicitaires suffisantes.

Notre principal client, France Télévisions étant particulièrement dans la tourmente et cible de nombreuses critiques, est en proie à d’importantes difficultés de positionnement.

Ainsi, nous constatons depuis plusieurs années, le déclin régulier des projets et la diminution croissante du nombre d’émissions produites, faute de commandes.

Nous avons ainsi connu un net recul des commandes entre 2015 et 2016. [NdR : souligné dans la lettre]

Arrêt de l’émission « les Carnets de voyages » sur France 2.

Arrêt de l’émission « Hélène et les animaux » sur France 3.

Arrêt de l’émission « Mon envoyé spécial ».

Arrêt de la cérémonie du Ballon d’or que nous produisions depuis 5 ans.

Au printemps 2017, France Télévisions, nous a confirmé le renouvellement de notre programme « Midi en France » pour une saison supplémentaire mais dans des conditions financières fortement dégradées, en nous imposant une réduction du chiffre d’affaire de 26%.

Ces événements représentent une perte globale de chiffre d’affaire de 6 200 000 d’euros.

Nous avons décidé dans un premier temps de maintenir tous nos employés en CDI.

Malheureusement d’autres mauvaises nouvelles pour la société sont intervenues depuis la rentrée audiovisuelle 2017.

‘ Mi septembre 2017, le contrat signé avec W9 pour la production du programme OFNI, n’a pas été renouvelé, après trois mois d’âpres négociations.

‘ Le 29 septembre 2017, notre client la Française des jeux, nous a informé par courrier qu’elle ne souhaitait plus poursuivre la production des émissions « Affiche de la semaine » au-delà de juillet 2018 et nous a par ailleurs indiqué que les émissions « Affiches du jour » ne seraient pas renouvelées pour une saison supplémentaire. L’impact sur le chiffre d’affaire de notre société est énorme. A elles seules, ces 2 émissions représentent 41% de notre chiffre d’affaire sur l’exercice en cours.

‘ Par ailleurs, les derniers arbitrages gouvernementaux en faveur d’une économie drastique du secteur audiovisuel public a entraîné pour notre principal client France Télévisions une succession de décisions liées au coût de leur antenne.

Nos contrats de commande sont signés pour une seule saison audiovisuelle avec une clause de sortie contractuelle qui correspond à une clause d’audience fixée par France Télévisions.

En date du 2 novembre 2017, France TV nous a notifié par écrit sa volonté de supprimer l’émission Midi en France, à effet au printemps 2018.

Cette suppression, non compensée par la commande d’une émission équivalente, fait donc perdre à la société R&G 35% de son chiffre d’affaires annuel.

La société, composée de 13 salariés permanents en cdi qui représentent une masse salariale totale de 1 200 000 euros, se retrouve dans une situation de péril économique, et ne pourra plus faire face à ses échéances financières avec la perspective d’une mise en redressement si elle n’adopte pas en urgence des mesures de sauvegarde.

A ce jour, aucune perspective d’amélioration du chiffre d’affaires ne permet d’être optimiste et la société va rencontrer un important déficit avec un déséquilibre entre les coûts de fonctionnement et le chiffre d’affaire généré.

La survie de l’entreprise passe donc malheureusement par un licenciement économique collectif.

Cette mesure entraîne la suppression de deux postes dans un délai de 30 jours :

1 poste Directeur de production, soit le vôtre en application des critères d’ordres, et 1 poste de Chargée de mission.

Nous avons essayé de vous reclasser en interne mais aucune opportunité ne nous a permis d’y parvenir.

Nous avons donc tout mis en ‘uvre pour tenter de vous reclasser à l’extérieur : après d’intenses recherches, nous avons identifié un poste de directeur de production correspondant à votre profil à pourvoir au sein de l’Equipe TV. Nous vous avons d’ailleurs fortement recommandé auprès de la direction de l’Equipe TV, comme nous vous en avons fait part le 5 décembre 2017.

Dans ce cadre et en l’absence de reclassement possible en interne, nous n’avons d’autres choix que de vous notifier par la présente, votre licenciement pour motif économique, à titre conservatoire »

Le 28 décembre 2017, le salarié a accepté le CSP.

Par lettre recommandée du 29 décembre 2017, le salarié a demandé à son employeur de connaître les critères d’ordre de licenciement, que la société lui a transmis par lettre du 4 janvier 2018. Par lettre du 8 janvier 2018, le salarié a contesté son licenciement et demandé des explications sur l’absence de RTT.

Le 10 avril 2018, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de contestation de son licenciement économique et en paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.

Par jugement du 3 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :

– dit que la société R&G Productions n’a pas été au-delà de son droit de réorganisation, que la procédure de reclassement a été suivie et que le licenciement économique de M. [E] est fondé,

– dit que la société R&G Productions aurait dû attribuer des RTT à M. [E],

– dit que la société R&G Productions n’a pas dissimulé intentionnellement les heures supplémentaires,

– dit que M. [E] ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour non-respect du temps de repos hebdomadaire,

– dit que M. [E] ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre,

en conséquence,

– condamné la société R&G Productions à payer à M. [E] la somme de 14 389,45 euros au titre d’indemnité compensatrice des jours RTT soit 3/5 de 22 jours valorisés à 363,37 euros sur 3 ans,

– condamné la société R&G Productions à payer à M. [E] la somme de 9 188,37 euros au titre des heures supplémentaires,

– condamné la société R&G Productions au paiement de 1000 euros au bénéfice de M. [E] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [E] de ses autres demandes,

– reçu la société R&G Productions en sa demande reconventionnelle et l’en a débouté,

– mis les dépens à charge de la société R&G Productions.

Par déclaration adressée au greffe le 10 décembre 2020, M. [E] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 27 septembre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [E] demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

. dit que la société R&G Productions n’a pas été au-delà de son droit de réorganisation, que la procédure de reclassement a été suivie et que le licenciement économique à est fondé,

. dit que la société R&G Productions n’a pas dissimulé intentionnellement les heures supplémentaires,

. dit que qu’il ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour non-respect du temps de repos hebdomadaire,

. dit que qu’il ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre, . condamné la société R&G Productions à ne lui payer que la somme de 14 389,45 euros au titre d’indemnité compensatrice des jours RTT, soit que 3/5 de 22 jours valorisés à 363,37 euros sur 3 ans,

. l’a débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. l’a débouté de ses demandes d’indemnisation pour travail dissimulé,

. l’a débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour non-respect du temps de repos hebdomadaire,

. l’a débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre,

et, statuant à nouveau,

– le déclarer recevable en ses demandes l’y déclarant bien fondé,

-juger que les motifs économiques de son licenciement ne sont ni réels, ni sérieux,

– juger que la société R&G Productions a manqué à son obligation de reclassement

– juger le licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamner la société R&G Productions à lui verser les sommes suivantes :

* 109 377 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 23 982,42 au titre de l’indemnité compensatrice des jours de réduction du temps de travail (RTT), soit 66 jours,

* 46 875 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé,

* 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect du temps de repos hebdomadaire,

* 9 118, 37 euros au titre des heures supplémentaires,

– ordonner la remise de l’attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision à venir sera devenue définitive,

– débouter la société R&G Productions de ses demandes,

à titre subsidiaire,

– condamner la société R&G Productions à lui verser la somme de 109 377 euros à titre de dommages et intérêts pour perte injustifiée de son emploi,

en tout état de cause,

– condamner la société R&G Productions à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

– ordonner l’application des articles 1231-6 et 1343-2 du code civil.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société R&G Productions demande à la cour de:

– confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a dit :

. qu’elle n’a pas été au-delà de son droit de réorganisation, que la procédure de reclassement a été suivie et que le licenciement économique de M. [E] est fondé,

. dit qu’elle n’avait pas dissimulé intentionnellement les heures supplémentaires,

. dit que M. [E] ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour non respect du temps de repos hebdomadaire,

. ne peut prétendre à des dommages pour non respect des critères d’ordre,

en revanche,

– infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a :

. dit qu’elle aurait dû attribuer des RTT à M. [E] et a l’a condamnée à verser à M. [E] la somme de 14 389,45 euros au titre d’indemnité compensatrice des jours RTT,

. dit qu’elle aurait dû payer des heures supplémentaires et l’a condamnée à verser à M. [E] la somme de 9 188,37 euros au titre des heures supplémentaires,

. l’a condamnée au paiement de 1 000 euros au bénéfice de M. [E] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. l’a condamnée aux dépens,

et, statuant à nouveau,

– déclarer M. [E] mal fondé dans ses demandes,

– dire que le licenciement économique de M. [E] est fondé,

– dire qu’elle n’a pas manqué à son obligation de reclassement,

– dire que M. [E] ne peut prétendre à une indemnité au titre des heures supplémentaires,

– dire que M. [E] ne peut prétendre à une indemnité au titre de l’indemnité compensatrice des jours de réduction du temps de travail (RTT),

– dire qu’elle n’a pas dissimulé d’heures supplémentaires,

– dire que M. [E] ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour non respect du temps de repos hebdomadaire,

– dire que M. [E] ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour non respect des critères d’ordre,

en conséquence,

– débouter M. [E] de ses demandes :

. de dommages et intérêts à hauteur de 109 377 euros,

. au titre des jours RTT,

. au titre des heures supplémentaires,

. au titre du travail dissimulé,

. au titre du non-respect du temps de repos hebdomadaire,

à titre subsidiaire,

– débouter M. [E] de ses demandes :

. de dommages et intérêts au titre de la perte injustifiée de son emploi,

. au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

en tout état de cause,

– condamner M. [E] au paiement de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur le licenciement

Selon une jurisprudence constante, le licenciement économique est fondé lorsqu’il est justifié à la fois par l’employeur du caractère réel et sérieux du motif économique invoqué en application de l’article L.1233-3 du code du travail et du respect de son obligation de reclassement qui lui incombe en application de l’article L.1233-4 du même code.

– Sur le motif économique du licenciement

Le salarié expose que la lettre de licenciement est très confuse, la société semblant se placer dans le cadre du litige sur le terrain de la réorganisation pour sauvegarder la compétitivité, mais n’apporte aucun élément probant, évoquant en réalité des difficultés économiques, lesquelles doivent s’apprécier au regard de l’effectif au moment de la rupture du contrat de travail supérieur à 50 salariés, puisqu’il est passé de 59 salariés six mois avant le licenciement à 46 salariés après le licenciement, que la situation financière de la société était excellente, avec une importante trésorerie, des versements de dividendes en hausse, la société étant évaluée à 26 millions d’euros lors d’une cession de parts sociales, en juillet 2017.

Il fait également valoir que la société ne démontre pas une perte de chiffre d’affaires et de commandes sur trois trimestres consécutifs, que les pertes d’émission visées dans la lettre de licenciement ne sont intervenues que plus de six mois après le licenciement, la société ayant entre-temps obtenu de nouveaux contrats, pour lesquels elle a dû embaucher. Subsidiairement, il invoque une faute de la société, qui a rémunéré des intervenants sans contrepartie d’un travail pour son compte, cette faute à l’origine des difficultés économiques disqualifiant le motif économique du licenciement.

L’employeur objecte qu’il s’est placé sur le terrain de la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, la lettre de licenciement rappelant le contexte du marché, les difficultés financières de la société, la perte annoncée d’émissions induisant une baisse substantielle d’activité et l’absence de perspectives à court et moyen-terme au jour de la notification du licenciement, les nouveaux contrats n’intervenant que bien plus tard. Il ajoute que depuis la société a dû licencier 5 autres salariés, restituer ses bureaux et procéder à une nouvelle cession de parts sociales, qu’il s’agit d’élucubrations de M. [E] s’agissant de l’emploi des trois personnes citées dans ses conclusions, l’URSSAF n’ayant procédé à aucun contrôle ni redressement de ces situations.

**

Selon l’article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en vigueur du 24 septembre 2017 au 22 décembre 2017, ‘Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national.

Pour l’application du présent article, le groupe est défini, lorsque le siège social de l’entreprise dominante est situé sur le territoire français, conformément au I de l’article L. 2331-1 et, dans le cas contraire, comme constitué par l’ensemble des entreprises implantées sur le territoire français.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.’

Lorsque la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige auquel peut ensuite donner lieu cette mesure, fait état d’une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité , le juge doit rechercher si la décision de l’employeur était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe dont elle relève.

La réorganisation destinée à sauvegarder la compétitivité n’implique pas l’existence de difficultés économiques actuelles mais celle d’une menace sur la compétitivité de l’entreprise ou le secteur d’activité du groupe nécessitant une anticipation des risques et le cas échéant, des difficultés à venir.

La constatation de l’existence ou non d’une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise ou de difficultés économiques relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, qui, pour cette appréciation, peuvent tenir compte d’éléments postérieurs à la date du licenciement.

Il appartient à l’employeur de justifier en cas de contestation, soit d’une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise, soit, a fortiori, de difficultés économiques ou d’une évolution technologique en rapport avec cette réorganisation. Il appartient ensuite au juge de vérifier l’existence de difficultés économiques résultant d’une baisse d’activité invoquée par l’employeur dans la lettre de licenciement (Soc., 16 février 2011, pourvoi n° 10-10.110, Bull. 2011, V, n° 49)

Au cas d’espèce,

contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige et dont il appartient à la cour d’interpréter les termes et leur portée, se place sur le terrain des difficultés économiques de la société, et non de la réorganisation nécessaire à la sauvegarde sa compétitivité.

En effet, l’employeur y invoque la ‘sauvegarde de son existence’, le ‘péril économique’ l’empêchant de ‘faire face à ses échéances financières avec la perspective d’une mise en redressement si elle n’adopte pas en urgence des mesures de sauvegarde’, ce terme renvoyant à l’engagement redouté d’une procédure collective de la société et non à la sauvegarde de sa compétititivé. Elle fait en outre état d’un ‘net recul des commandes’ et d’une ‘perte globale de chiffre d’affaires’, sans mentionner aucune mesure de réorganisation de l’entreprise, à laquelle ne peut être assimilée la seule suppression de deux postes.

Il appartient donc à la cour d’appel de rechercher si la baisse des indicateurs évoqués dans la lettre de licenciement, ou tout autre élément de nature à les justifier, caractérise des difficultés économiques proprement dites.

Il lui appartient ainsi, au vu de l’ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par l’article L. 1233-3 1°, a) à d), du code du travail, tel que des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés, tels que des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social et un niveau élevé d’endettement (Soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 20-18.511, publié).

En l’espèce, si la société R&G Productions est détenue à 94% par la société R&G GROUP, et appartient donc à un groupe, il n’est pas contesté que la société R&G GROUP, dont le K Bis n’est toutefois pas produit, est une holding, sans activité de production de films et de programmes pour la télévision.

Cependant, si le périmètre d’appréciation du motif économique n’est pas contesté par le salarié, la cour constate qu’il ressort des comptes déposés au greffe, produits par le seul salarié, que la société R&G GROUP détient également 50 % des parts de la société Octobre Rouge Productions constituée le 11 octobre 2017, dont le siège social est domicilié à la même adresse que la société R&G Productions, et pour les 50 % restants par MM. [I] et [H], dirigeants de R&G Productions. Les données économiques de la société Octobre Rouge Production, qui relève du même secteur d’activité de production d’oeuvres audiovisuelles que la société R&G Productions, ne sont pas produites par l’intimée.

S’agissant de l’effectif de la société R&G Productions, il résulte d’une lettre de la société à la Direccte le 29 décembre 2017 que l’effectif total de la société est, à cette date, qui correspond donc à la rupture du contrat de travail de M. [E], de 32 salariés, dont 13 salariés engagés en contrat à durée indéterminée. L’effectif de 48 salariés indiqué sur le bilan au 30 juin 2018 ne permet pas davantage de retenir que l’effectif était d’au moins 50 salariés lors de la rupture du contrat de travail de M. [E].

Compte tenu de l’effectif précité, inférieur à 50 salariés, la société R&G Productions doit, pour justifier des difficultés économiques invoquées dans la lettre de licenciement, établir une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à deux trimestres consécutifs.

La société produit à ce titre :

– un tableau de synthèse des résultats (pièce 14), indiquant un chiffre d’affaires au 30 juin 2017 de 21 893 763 € et un chiffre d’affaires au 30 juin 2018 de 17 391 030 € soit une baisse de 4 502 733 euros entre les deux exercices (-20,6 %).

– une synthèse économique, établie au 30 juin 2018 (pièce 29) pour la société R&G Productions par un cabinet d’expert-comptable, dont la cour relève que l’un des responsables, M. [L], a adressé un courriel le 10 septembre 2019, à M. [R], un des gérants de la société R&G Productions indiquant que M. [E] est directeur de la production chez Patrick Spica Productions depuis février ou mars 2018. Cette synthèse reprend les chiffres indiqués précédemment s’agissant de la baisse du chiffre d’affaires. Elle mentionne en outre un actif en hausse entre juin 2017 et juin 2018, dont une augmentation de la trésorerie de 2 423 K€ à 4 943 K€, le total de l’actif passant de 10 560 K€ fin juin 2017 à 11 859 K€ fin juin 2018, avec un résultat net en légère baisse, de 2 519 242 € à 2 098 238 €.

Il ne peut être retenue une baisse significative du chiffre d’affaires de la société R&G Productions, alors que les données économiques produites par l’employeur, pour la seule société R&G Productions établissent seulement une baisse entre les deux exercices annuels clos respectivement fin 2017 et fin juin 2018, mais non une baisse, en comparaison avec la même période de l’année précédente, de deux trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail, le 27 décembre 2017.

Ces seuls éléments ne mettent pas en mesure la cour d’appel de vérifier si la baisse du chiffre d’affaires invoquée dans la lettre de licenciement est intervenue avant ou après cette date.

Le salarié produit quant à lui un document non comparable (pièces 58 et 59 du salarié) constitué des comptes annuels de la SAS R&G Productions, établi par le cabinet d’expert-comptable [O] & Associés, dont il ressort les mêmes chiffres s’agissant de l’actif en hausse, mais également un résultat financier qui reste positif en 2018, bien qu’en légère baisse par rapport à 2017, un résultat courant avant impôt également en légère baisse (de 3 860 K€ à 3 213 K€), de même que le bénéfice, en légère baisse, de 2 519 K€ à 2 098 K€. Ce document indique également que le versement de dividendes a augmenté de près de 100 000 euros entre l’exercice clos fin juin 2017 et l’exercice clos fin juin 2018.

Le salarié produit le même document comptable (pièces 56 et 57 du salarié) constitué des comptes annuels de la SAS R&G GROUP, également établi par la société [O] & Associés, dont il ressort :

– un actif au 30 juin 2017 de 15 702 374 € qui baisse à 14 811 007 € au 30 juin 2018

– un chiffre d’affaires net au 30 juin 2017 de 1 039 988 € qui augmente à 1 071 988 € au 30 juin 2018 avec un résultat financier et un résultat courant avant impôts en hausse également en hausse entre 2017 et 2018.

Il établit également que les 31 janvier 2017 et 7 juillet 2017, la société R&G GROUP a acquis de MM [I] et [H] des parts sociales de la société R&G Productions pour un montant de plus de deux millions d’euros.

Ces éléments ne caractérisent pas le péril économique invoqué dans la lettre de licenciement, la baisse du chiffre d’affaires de près de 4 502 733 euros entre les deux exercices clos les 30 juin 2017 et 30 juin 2018 ne suffisant pas à caractériser les difficultés économiques d’une société dont l’actif a connu une importante hausse entre juin 2017 et juin 2018, avec une trésorerie passant de 2 423 K€ à 4 943 K€, soit une évolution de + 2 520 000 euros.

Le niveau des commandes et leur baisse au cours des deux trimestres précédant la rupture, n’est pas davantage établie par la société qui se borne à produire :

– une lettre de la Française des jeux (pièce 12) du 29 septembre 2017 indiquant souhaiter résilier partiellement les prestations ‘l’Affiche de la semaine’ à compter du 31 juillet 2018

– une lettre FDJ du 12 décembre 2017 : fin de deux contrats à leur échéance, au 31 décembre 2018

– une lettre du 2 novembre 2017 de France Télévision indiquant une fin de l’émission ‘Midi en France’ au terme du contrat, ce terme n’étant pas précisé dans la lettre,

– une pièce 45 indiquant un arrêt de l’émission ‘Dimanche en France’ de France 3 à partir de septembre 2019 .

Ces mêmes éléments sont invoqués dans ses conclusions par la société pour justifier des menaces pesant sur sa compétitivité. Elle produit également une pièce indiquant une reprise de l’émission [S] [Y] en avril 2018. Toutefois, le salarié établit avoir travaillé dès octobre 2017 sur la reprise de cette émission, qui était donc connue de l’employeur lors du licenciement du salarié.

La société produit enfin une lettre adressée à la Direccte le 11 juillet 2019 indiquant avoir dû procéder au licenciement économique de cinq salariés, dont 3 cadres, parmi lesquels Mme [K], également directrice de production, dont le licenciement avait été envisagé en même temps que celui de M. [E] et bénéficiant alors de davantage de points sur les critères d’ordre. Toutefois, cet élément n’est pas contemporain de la notification du licenciement de M. [E].

Les allégations de la société selon lesquels elle a dû restituer une partie des bureaux en juillet 2018 et le départ de M. [H] de la société avec cession de ses parts sont dépourvues d’offre de preuve.

Il résulte de l’ensemble de ces constatations que l’employeur n’établit ni difficultés économiques, ni même la moindre menace sur sa compétitivité, de sorte que le licenciement pour motif économique de M. [E] est sans cause réelle et sérieuse, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le respect par l’employeur de son obligation de reclassement. Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef ainsi qu’en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l’article L. 1235-3, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié, M. [E] ayant acquis une ancienneté de 17 années complètes au moment de la rupture dans la société employant habituellement au moins onze salariés, le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre 3 mois et 14 mois de salaire.

Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant non contesté de la rémunération mensuelle versée au salarié (7 812,65 euros bruts), de son âge ( 48 ans), de son ancienneté, des indemnités chômage qui lui ont été versées de décembre 2017 à janvier 2019, puis en août 2019, et enfin l’aide au retour à l’emploi d’octobre 2020 à juin 2021, date à laquelle il indique s’être trouvé en fin de droits, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi, de l’absence de production de son dernier avis d’imposition, il y a lieu de condamner la société R&G Productions à lui payer la somme de 78 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail qui l’imposent et sont donc dans le débat, d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d’indemnités.

Le licenciement étant jugé sans cause réelle et sérieuse, la demande subsidiaire au titre des critères d’ordre est sans objet.

Sur l’indemnité compensatrice des jours de réduction du temps de travail (RTT), soit 66 jours

Le salarié expose qu’il travaillait 39 heures par semaine sans avoir jamais bénéficié des jours de RTT auxquels la convention collective applicable lui donne droit, qu’il n’a pas le statut de cadre dirigeant ni celui de cadre autonome, n’étant pas soumis contractuellement à une convention de forfait.

L’employeur soutient qu’en sa qualité de cadre dirigeant, associé aux décisions stratégiques, M. [E] ne pouvait bénéficier de jours de RTT, qu’il n’avait, en sa qualité de cadre autonome, pas de comptes à rendre sur ses horaires.

**

Les premiers juges ont retenu à juste titre qu’il n’était pas établi que M. [E] participait aux décisions stratégiques de la société ni aux instances dirigeantes, de sorte qu’il ne relevait pas du statut de cadre dirigeant, ses bulletins de paie mentionnant d’ailleurs le paiement d’heures supplémentaires pour les 36e à 39e heures hebdomadaires. De même l’avenant à son contrat de travail ne le soumet à aucune convention de forfait mais à un horaire de travail de 39 heures hebdomadaires.

Or, l’article VI.6.1 de la convention collective de la production audiovisuelle dispose que « la durée collective hebdomadaire de travail pourra être maintenue à un niveau supérieur à la durée légale du travail dans la limite de 4 heures supplémentaires, par l’attribution de jours de réduction du temps de travail (JRTT), celle-ci s’effectuera sous forme de journées, ou de demi-journées de repos, sur un cycle de 4 semaines ou sur une base annuelle conformément au tableau ci-après : – 35 heures : 0 jours,

– 36 heures : 6 jours,

– 37 heures : 11 jours,

– 38 heures : 18 jours,

– 39 heures : 22 jours,

Ils pourront se cumuler dans la limite de 10 jours ouvrés, et pourront s’accoler aux congés payés légaux, dans la limite totale cumulée de 25 jours ouvrés, sauf accord entre les parties.

Leurs dates seront fixées :

– Pour trois cinquièmes au choix de l’employeur ;

– Pour deux cinquièmes au choix du salarié, en fonction de ses choix personnels

Un délai de prévenance d’au moins 7 jours calendaires sera respecté avant la prise des jours des RTT.

Les jours de RTT laissés au choix du salarié devront être pris avant le 31 décembre de l’année de leur acquisition. S’ils ne sont pas pris au terme de cette période annuelle, ils seront perdus. Au cas où l’employeur n’aurait pas pu le fixer la totalité des jours de RTT laissés à son choix avant 31 décembre, le solde de ces jours RTT devra être pris avant le 31 mars de l’année suivante.

Ne seront notamment pas pris en compte, pour le calcul des jours RTT, les jours de congé payé, les jours RTT, les jours de repos hebdomadaire, les jours fériés chômés, les éventuels jours de pont, les absences pour maladie, les jours de congé pour évènements familiaux, les absences sans solde, les périodes de formation effectuées hors du temps de travail

Les périodes d’absence ci-dessus ont pour conséquences la réduction du nombre de jours RTT, à hauteur du nombre de jours de RTT qu’auraient généré ces périodes, si elles avaient été travaillées ».

L’employeur n’établit pas que le salarié a bénéficié de ces 22 jours de RTT pendant les trois dernières années de la relation contractuelle, et ne conteste d’ailleurs pas qu’aucune indemnité compensatrice ne lui a été versée à ce titre. Il ne ressort en effet pas des bulletins de paie produits que le salarié ait bénéficié de jours de RTT pendant la période revendiquée, mais seulement de jours de congés payés, qu’il posait dans le cadre d’un formulaire contre signé par le ‘responsable’ (cf pièce 25 de l’employeur), ce qui, en tout état de cause, ne correspond pas à un statut de cadre dirigeant.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a retenu que la société R&G Productions aurait dû attribuer des RTT à M. [E], mais infirmé dans le quantum de la condamnation, qu’il convient de fixer à la somme de 23 982,42 selon le calcul figurant dans les écritures du salarié, non contesté par l’employeur dans ses modalités et son quantum. En effet, il n’y a pas lieu de réduire, comme l’ont fait les premiers juges, le droit à RTT du salarié aux seuls 3/5ème des jours au choix de l’employeur.

Sur les heures supplémentaires

Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

A l’appui de sa demande, le salarié soutient avoir effectué des heures supplémentaires non rémunérées lors du tournage de deux émissions (OFNI et Ballon d’Or). Il indique qu’il travaillait de 9 h à 20h les samedi et dimanche, avec une heure de pause déjeuner pour le Ballon d’Or en 2015 et 2016. Il produit des plannings indiquant les horaires d’intervenants qu’il devait gérer dont il ressort un horaire de 9h à 19h avec 45 mns de pause déjeuner, et un tableau récapitulant les semaines pendant lesquelles l’horaire contractuel de 39 heures a été dépassé, sans être rémunéré. Il produit enfin des attestations indiquant qu’il travaillait sur les émissions jusque vers minuit trente / une heure du matin, ce qui n’est pas incompatible avec l’attestation de Mme [P], responsable de l’accueil, indiquant que M. [E] arrivait rarement avant 10h30 et s’absentait chaque jour deux heures minimum entre 12h30 et 14h45.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.

L’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, ne produit pas davantage que devant le conseil de prud’hommes d’éléments de nature à établir les horaires effectivement réalisés, mais se borne à énoncer que ‘M. [E] se place sur le même plan qu’un salarié lambda’, alors qu’il ‘n’était pas astreint aux horaires de l’entreprise’ et qu’en ‘sa qualité de cadre autonome de direction il n’était pas soumis à une obligation de moyen mais de résultat.’

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société R&G Productions à payer à M. [E] la somme de 9 188,37 euros au titre des heures supplémentaires sur la période non prescrite, de janvier 2015 à décembre 2017.

Sur l’indemnité pour travail dissimulé

La dissimulation d’emploi salarié prévue par l’article L. 8221-5 2°du code du travail n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué. Le caractère intentionnel ne peut pas se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

En l’occurrence, le salarié, engagé en qualité de directeur de production, disposait, ainsi qu’il a été rappelé précédemment, d’une grande autonomie dans l’exercice de ses fonctions. Aucune pièce ne permet d’établir que l’employeur avait connaissance de l’importance des heures de travail effectuées par le salarié et qu’il ait eu l’intention de se soustraire à ses obligations déclaratives en ne faisant pas figurer sur les bulletins de paie des heures de travail qu’il savait avoir été été accomplies.

En conséquence, l’élément intentionnel n’étant pas caractérisé, il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de débouter le salarié de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé.

Sur les dommages-intérêts pour non-respect du temps de repos hebdomadaire,

Selon l’article 3132-1 du code du travail, il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine.

L’article L. 3132-2 du Code du travail ajoute que : « Le repos hebdomadaire a une durée minimale de 24 heures consécutives auxquelles s’ajoutent les heures consécutives de repos quotidien »

En outre, aux termes de l’article VI 1.3 de la convention collective applicable :

‘On appelle voyage tout déplacement pendant une période où aucun travail n’est effectué et lorsque le salarié ne retourne pas à son domicile habituel à la fin de la journée.

Les heures de voyage ne sont pas du temps de travail effectif, et elles ne sont pas décomptées comme telles. Elles peuvent intervenir un samedi et/ou un dimanche. Toutefois, les voyages effectués dans le cadre du présent article ne peuvent avoir pour effet de priver le salarié du jour de repos hebdomadaire obligatoire.’

En l’espèce, le salarié allègue avoir été en ‘voyage’ pendant 6 jours pour l’émission Ballon d’Or à Zurich du 7 janvier au 12 janvier 2016, et pendant 6 jours du 8 janvier au 13 janvier 2015, ce dont il résulte qu’il n’a pas travaillé plus de six jours consécutifs, et qu’il n’a pas été privé de son jour de repos hebdomadaire.

Il sera en conséquence débouté de cette demande, le jugement étant confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Les intérêts au taux légal courront sur les créances de nature salariale à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation à comparaître à l’audience de conciliation.

Les intérêts au taux légal courront sur les créances de nature indemnitaire à compter du prononcé du présent arrêt.

Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu’ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.

Il convient d’ordonner la remise par la société R&G Productions à M. [E] de l’attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur l’article 700 et les dépens

Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Il y a lieu de condamner la société R&G Productions aux dépens de l’instance d’appel.

Il y a lieu de condamner la société R&G Productions à payer au salarié la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de rejeter sa demande fondée sur ce texte.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement entrepris mais seulement en ce qu’il dit que la société R&G Productions aurait du attribuer des RTT à M. [E], que la société R&G Productions n’a pas dissimulé intentionnellement les heures supplémentaires, que M. [E] ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour non-respect du temps de repos hebdomadaire, en ce qu’il le déboute de sa demande dommages-intérêts à ce titre, en ce qu’il condamne la société R&G Productions à payer à M.[E] la somme de 9 188,37 euros au titre des heures supplémentaires et la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

en ce qu’il reçoit la société R&G Productions en sa demande reconventionnelle et l’en déboute, et en ce qu’il met les dépens à charge de la société R&G Productions.

L’INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement pour motif économique de M. [E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société R&G Productions à payer à M. [E] les sommes suivantes :

– 78 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 23 982,42 euros à titre d’indemnité compensatrice des jours de RTT non pris pour la période non prescrite de janvier 2015 à décembre 2017,

DIT que les intérêts au taux légal sur les créances indemnitaires courront à compter du prononcé de la présente décision, et à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation à comparaître à l’audience de conciliation pour les créances salariales,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,

ORDONNE le remboursement par la société R&G Productions des indemnités de chômage versées par Pôle emploi à M. [E] dans la limite de six mois de salaire,

ORDONNE la remise par la société R&G Productions à M. [E] de l’attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes,

REJETTE la demande d’astreinte,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société R&G Productions à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et déboute l’employeur de sa demande fondée sur ce texte,

CONDAMNE la société R&G Productions aux dépens d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président

 


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