Clause de non-sollicitation : 15 juillet 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00599

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Clause de non-sollicitation : 15 juillet 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00599
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 59B

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 JUILLET 2022

N° RG 22/00599 – N° Portalis DBV3-V-B7G-U7GA

AFFAIRE :

S.A.S. RAZEL-BEC

C/

S.A.S. DELTA AUSCULTATION

Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 14 octobre 2021 par la 12ème chambre de la cour d’appel de Versailles

Sur appel d’un jugement rendu le 05 Mai 2021 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES

N° Chambre : 2

N° RG : 2019F00160

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Bertrand LISSARRAGUE

Me Julie GOURION

Me Stéphanie TERIITEHAU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.S.U. RAZEL-BEC

RCS Evry n° 562 136 036

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentant : Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625

Représentant : Me Philippe LAYE de la SCP PDGB, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

DEMANDERESSE A LA TIERCE OPPOSITION

****************

S.A.S.U. DELTA AUSCULTATION

RCS Nanterre n° 531 227 148

[Adresse 5]

[Localité 8]

S.A.S. GEXPERTISE

RCS Paris n° 508 008 984

[Adresse 4]

[Localité 10]

S.C.P. BTSG² mission conduite par Maître [J] [K], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DELTA AUSCULTATION, désigné à cette fonction par Jugement rendu le 10 Mars 2020 par le Tribunal de commerce de Nanterre

RCS Nanterre n° 434 122 511

[Adresse 1]

[Localité 9]

Représentées par Me Julie GOURION, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51 – N° du dossier 2221173 et Me BIJAYE substituant à l’audience Me Cyril CHABERT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

S.A.S.U. EIFFAGE GENIE CIVIL

RCS Versailles n° 352 745 749

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELARL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire: 619 – N° du dossier 20220127

Représentant : Me Matthias PUJOS du cabinet SPARTANS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0288

DEFENDERESSES A LA TIERCE OPPOSITION

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Mai 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Véronique MULLER, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

La société Razel-Bec est une entreprise de travaux publics, réalisant notamment des travaux de génie civil, de terrassements et d’infrastructures pour de grands ouvrages. Elle est membre de groupements, constitués notamment avec la société Eiffage Génie Civil (ci-après société Eiffage), qui se sont vus confier la réalisation de travaux de génie civil portant en particulier sur le prolongement de la ligne 14 du métro parisien et la construction de la ligne 15, dans le cadre du projet ‘Grand [Localité 11]’.

Le 29 février 2016, les sociétés Eiffage et Gexpertise ont signé un contrat de partenariat, dont l’objectif visait d’une part à répondre à des appels d’offres de travaux publics souterrains, d’autre part à envisager la possibilité de créer une structure commune dédiée. Ce contrat, d’une durée de 3 années, contenait des clauses d’exclusivité, de non-sollicitation et de non-concurrence, outre une clause de confidentialité.

Parallèlement à ce projet, les sociétés Eiffage et Razel Bec ont confié à la société Delta Auscultation, filiale de la société Gexpertise, un contrat de sous-traitance (22 juin 2017) dans le cadre du projet ‘Grand [Localité 11]’ permettant la prolongation de lignes de transport public souterraines (ligne 15 sud) impliquant le creusement de nouveaux tunnels. Dans le cadre de ce chantier, les relations entre les sociétés Razel-Bec et Delta Ausculation se sont dégradées.

Les contrats de partenariat et de sous-traitance ont pris fin en 2018. La société Gexpertise et sa filiale Delta Auscultation – qui a fait l’objet d’un redressement judiciaire en mars 2019, puis d’une liquidation judiciaire prononcée le 10 mars 2020 – estiment avoir subi, du fait de la rupture des contrats, de nombreux préjudices, reprochant notamment à la société Eiffage le débauchage de plusieurs salariés afin de développer un pôle « auscultation » en interne.

Les sociétés Gexpertise et Delta Auscultation ont ensuite fait assigner, d’une part la société Eiffage devant le tribunal de commerce de Versailles, d’autre part les sociétés Eiffage et Razel Bec devant le tribunal de commerce de Paris, comme précisé ci-après :

* Par acte du 22 février 2019, les sociétés Gexpertise et Delta Ausculation ont assigné la société Eiffage devant le tribunal de commerce de Versailles aux fins de la voir condamner à leur verser la somme de 140.292 euros, correspondant à la violation de la clause de non sollicitation du contrat de partenariat, ainsi que 3.200.000 euros correspondant au préjudice commercial, et 200.000 euros correspondant au préjudice moral, outre des frais irrépétibles.

* Par acte du 3 septembre 2019, les sociétés Gexpertise et Delta Auscultation ont assigné la société Eiffage Génie Civil ainsi que la société Razel -Bec devant le tribunal de commerce de Paris (en présence de la RATP et de la société du Grand Paris), aux fins d’obtenir paiement d’une somme globale de plus de 9 millions d’euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement d’un abus de situation de dépendance économique, dans le cadre des contrats de sous-traitance signés avec ces sociétés sur les chantiers des lignes 14 et 15 du métro parisien.

Devant le tribunal de commerce de Versailles, les sociétés Gexpertise et Delta Auscultation ont soulevé une exception de connexité au profit du tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 5 mai 2021, le tribunal de commerce de Versailles a :

– Pris acte de l’intervention volontaire de la société BTSG liquidateur judiciaire de la société Delta Auscultation ;

– Renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Paris en application des dispositions de l’article 101 du code de procédure civile ;

– Dit qu’il sera fait application des dispositions de l’article 82 du code de procédure civile ;

– Réservé l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné chaque partie pour ses dépens.

Par déclaration du 20 mai 2021, la société Eiffage a interjeté appel du jugement.

Par arrêt du 14 octobre 2021, la cour d’appel de Versailles a :

– Confirmé, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 5 mai 2021 ;

– Condamné la société Eiffage Génie Civil à payer aux sociétés Gexpertise et Delta Auscultation, cette dernière représentée par son liquidateur judiciaire la société BTSG, la somme globale de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné la société Eiffage Génie Civil aux dépens de la procédure d’appel qui pourront être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par actes des 4, 8, 9 et 10 février 2022, la société Razel Bec a assigné les sociétés Eiffage, Delta Auscultation et Gexpertise devant la cour d’appel de Versailles en tierce opposition contre l’arrêt du 14 octobre 2021.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 17 mai 2022, la société Razel-Bec demande à la cour de :

– Déclarer la société Razel-Bec recevable et bien fondée en sa tierce opposition ;

Y faisant droit,

– Rétracter l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles en date du 14 octobre 2021 (RG n°21/03272), en ce qu’il a confirmé les dispositions du jugement du tribunal de commerce de Versailles du 5 mai 2021 relatives au renvoi de la cause et des parties devant le tribunal de commerce de Paris ;

Et statuant à nouveau,

– Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 5 mai 2021 en ce qu’il a renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Paris ;

– Débouter la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Delta Auscultation et la société Gexpertise de leur exception de connexité ;

– Ordonner le dessaisissement du tribunal de commerce de Paris et renvoyer la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Delta Auscultation, la société Gexpertise et la société Eiffage devant le tribunal de commerce de Versailles pour qu’il soit statué sur les demandes relatives au contrat de partenariat du 29 février 2016 ;

– Condamner la société Gexpertise et la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Delta Auscultation, à verser la somme de 15.000 euros à la société Razel-Bec au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société Gexpertise et la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Delta Auscultation, aux entiers dépens ;

– Rappeler que la chose jugée sur tierce opposition l’est à l’égard de toutes les parties appelées à l’instance en application des articles 584 et 591 du code de procédure civile ;

En tout état de cause,

– Débouter la société Gexpertise et la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Delta Auscultation, de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.

Par dernières conclusions notifiées le 17 mai 2022, la société Eiffage demande à la cour de:

– déclarer recevables les demandes formulées par la société Eiffage,

– Prendre acte de ce que la société Eiffage s’associe aux demandes, fins et conclusions de la société Razel-Bec ;

Et, en conséquence,

– Rétracter l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 14 octobre 2021;

Puis, statuant à nouveau,

– Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Versailles le 5 mai 2021;

En tout état de cause,

– Condamner solidairement la société Gexpertise et la société BTSG à verser, chacune, à Eiffage la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la société Minault Teriitehau agissant par Me Stéphanie Teriitehau, avocat et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 16 mai 2022, les sociétés Gexpertise, Delta Auscultation et BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Delta Auscultation, demandent à la cour de :

– Déclarer la société Razel-Bec irrecevable et mal-fondée en sa tierce opposition ;

– Déclarer la société Eiffage irrecevable en sa demande de rétractation de l’arrêt du 14 octobre 2021 et d’infirmation du jugement du 5 mai 2021 ;

En conséquence,

– Débouter les sociétés Eiffage et Razel-Bec de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

– Confirmer l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 14 octobre 2021 en toutes ses dispositions ;

– Condamner la société Razel-Bec à payer à la société Gexpertise, la société Delta Auscultation et la société BTSG en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Delta Auscultation, la somme de 10.000 euros au titre de l’amende civile de l’article 581 du code de procédure civile ;

– Condamner la société Razel-Bec à payer à la société Gexpertise, la société Delta Auscultation et la société BTSG en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Delta Auscultation, la somme de 10.000 euros au titre du préjudice moral subi du fait du caractère dilatoire et abusif de sa procédure de tierce opposition ;

– Condamner les sociétés Razel-Bec et Eiffage à payer chacune à la société Gexpertise, la société Delta Auscultation et la société BTSG en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Delta Auscultation, la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner les sociétés Razel-Bec et Eiffage aux entiers dépens d’appel ;

– Dire qu’ils pourront être directement recouvrés par Me Julie Gourion, avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur la recevabilité de la tierce opposition

* sur la recevabilité de la demande formée par la société Razel Bec

Les sociétés Gexpertise et Delta Auscultation soutiennent que la société Razel Bec est irrecevable à former tierce opposition contre l’arrêt de cette cour du 14 octobre 2021 en ce qu’elle ne justifie d’aucun intérêt pour ce faire, cet arrêt ne lui causant aucun préjudice, rappelant que l’arrêt ne prononce aucune condamnation à son encontre, et ne leur confère aucun droit à l’encontre de la société Razel Bec. Elles soutiennent en outre que la cour d’appel, dans sa précédente décision, n’a pas violé le principe du contradictoire dès lors que la société Razel Bec n’était pas jugée dans cette instance.

La société Razel Bec soutient au contraire que sa tierce opposition est parfaitement recevable. Elle fait notamment valoir que le cours de l’instance pendante devant le tribunal de commerce de Paris s’est trouvé modifié du fait du renvoi de l’instance pendante devant le tribunal de Versailles devant le tribunal de Paris. Elle fait valoir que l’exception de connexité accueillie par la cour entraîne sa participation contrainte au litige relatif au contrat de partenariat auquel elle n’est pourtant pas partie, faisant peser sur elle un risque de condamnation aux côtés de la société Eiffage.

****

Il résulte de l’article 583 du code de procédure civile qu’est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque.

Il est constant que la société Razel Bec, qui n’était pas partie à l’arrêt attaqué, est partie à l’instance pendante devant le tribunal de commerce de Paris, devant laquelle l’affaire a été renvoyée, et dont la cour a déclaré qu’elle était connexe à l’instance pendante devant le tribunal de commerce de Versailles, ce qui suffit à établir l’existence pour la société Razel Bec d’un intérêt à former tierce opposition. Celle-ci sera donc déclarée recevable.

* sur la recevabilité de la demande formée par la société Eiffage

Les sociétés Delta Auscultation et Gexpertise soulèvent l’irrecevabilité de la demande de rétractation formée par la société Eiffage, celle-ci étant dépourvue du droit d’agir en ce sens, dès lors que l’arrêt de cette cour du 14 octobre 2021 a autorité de chose jugée à son encontre.

La société Eiffage soutient que l’arrêt rendu le 14 octobre 2021 est une décision indivisible, de sorte que ses demandes sont recevables.

En application des dispositions de l’article 583 précité, la société Eiffage qui était partie à la décision attaquée (cour d’appel de Versailles), n’est pas recevable à former opposition à cette décision, ni par conséquent à former une demande en rétractation de cette décision.

2 – sur l’existence d’un éventuel lien de connexité, et la demande de rétractation de l’arrêt du 14 octobre 2021

La société Razel Bec reproche à la cour – dans son arrêt confirmant le bien-fondé de l’exception de connexité – d’une part de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire dès lors que l’affaire a été renvoyée pour être jointe à une instance dans laquelle elle était partie (tribunal de commerce de Paris) sans qu’elle soit appelée dans l’instance statuant sur la connexité, d’autre part de s’être trouvée privée du double degré de juridiction. La société Razel Bec soutient qu’il n’existe pas de lien de connexité entre les deux instances pendantes, l’une devant le tribunal de Versailles, l’autre devant le tribunal de Paris, précisant qu’elles ont des objets distincts et n’opposent pas les mêmes parties. Elle rappelle notamment que :

– l’instance introduite devant le tribunal de Versailles est uniquement dirigée contre la société Eiffage, seul contractant de Gexpertise au titre d’un contrat de partenariat, mettant en cause la responsabilité contractuelle d’Eiffage,

– l’instance introduite devant le tribunal de Paris est dirigée contre elle-même et la société Eiffage, porte sur une rupture brutale de relations et un abus de dépendance économique.

La société Razel Bec soutient donc que les deux actions engagées par les sociétés Delta Auscultation et Gexpertise n’ont aucun élément de rattachement justifiant leur examen au sein d’une seule et même ‘instance’. Elle ajoute n’avoir jamais participé au partenariat entre les sociétés Eiffage et Gexpertise, de sorte qu’il n’existe aucun intérêt de juger les deux litiges ensemble. Elle indique que les sociétés Delta et Gexpertise ne peuvent lui opposer de prétendus manquements au contrat uniquement conclu avec la société Eiffage. Elle soutient qu’il n’existe aucun risque de contradiction entre les décisions qui viendraient à être prononcées, dès lors que les questions posées aux deux juridictions sont différentes et indépendantes. Elle estime au contraire qu’il existe, à son préjudice, un risque de confusion si les deux litiges devaient être réunis, le tribunal de commerce risquant de s’appuyer sur son appréciation de la bonne ou mauvaise exécution du contrat Gexpertise/Eiffage pour statuer sur les demandes formées à son encontre dans l’autre instance.

Les sociétés Delta Auscultation et Gexpertise affirment au contraire que les deux instances entretiennent des liens étroits de connexité rendant nécessaire leur examen par le même juge, précisant que les contrats souscrits, d’une part avec la société Razel Bec, d’autre part avec la société Eiffage, sont entremêlés. Elles font valoir que :

– dans ses conclusions devant le tribunal de commerce de Paris, la société Eiffage consacre des développements au contrat de partenariat, objet de l’instance devant le tribunal de Versailles,

– les deux sociétés Eiffage et Razel Bec invoquent, devant le tribunal de Paris, de prétendus manquements de la société Delta Auscultation pour justifier son éviction du chantier de la ligne 15, alors que la société Eiffage est à l’origine de la désorganisation de la société Delta du fait d’un débauchage de salariés dans le cadre du contrat de partenariat, dont l’appréciation est soumise au tribunal de commerce de Versailles,

– l’état de dépendance économique invoqué devant le tribunal de Paris suppose une appréciation globale du marché et des contrats, en ce compris le contrat de partenariat invoqué devant le tribunal de commerce de Versailles,

– certaines pièces essentielles sont identiques dans les deux instances.

*****

Il résulte de l’article 101 du code de procédure civile que, s’il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l’une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l’état la connaissance de l’affaire à l’autre juridiction.

Il ressort des documents produits aux débats, notamment les assignations et conclusions des parties devant les tribunaux de commerce de Paris et de Versailles que l’instance pendante devant le tribunal de commerce de Paris a pour objet principal de statuer sur la rupture brutale du contrat de sous-traitance (de juin 2017 entre le groupement Razel Bec/Eiffage et la société Delta Auscultation), et l’abus de dépendance économique invoqué par la société Delta Auscultation, et sa société mère, la société Gexpertise.

Force est toutefois de constater que, dans le cadre de cette instance pendante devant le tribunal de commerce de Paris, la société Razel Bec a notamment formé une demande reconventionnelle à l’encontre de la société Delta Auscultation tendant à démontrer que celle-ci aurait manqué à ses obligations contractuelles découlant du contrat de sous-traitance, ce qu’elle conteste, notamment en invoquant le propre manquement de la société Eiffage à ses obligations contractuelles dans le contrat de partenariat de février 2016 (ayant entraîné sa désorganisation du fait du débauchage allégué), la bonne ou mauvaise exécution de ce contrat étant soumise à l’appréciation du tribunal de commerce de Versailles.

La cour observe que la société Eiffage est signataire des deux contrats passés, le premier de partenariat soumis à l’examen du tribunal de Versailles, le second de sous-traitance soumis à l’examen du tribunal de Paris. S’il est certain que la société Razel Bec n’est pas signataire du contrat de partenariat, il n’en reste pas moins que la société Delta Auscultation répond au grief qui lui est adressé par les sociétés Razel Bec et Eiffage d’un manquement à ses obligations contractuelles dans le contrat de sous-traitance, par le propre manquement de la société Eiffage dans le contrat de partenariat, ce qui démontre le lien étroit entre les différents contrats passés entre les parties.

Ainsi que le fait observer la société Delta Auscultation, les deux contrats principaux – même s’ils n’opposent pas exactement les mêmes parties dès lors que la société Razel Bec n’est pas partie au contrat de partenariat de février 2016 – sont étroitement liés, de sorte que les deux procédures pendantes, l’une devant le tribunal de commerce de Versailles, l’autre devant le tribunal de commerce de Paris, ont un lien de connexité certain.

S’il n’est évidemment pas question que les sociétés Delta Ausculation et Gexpertise puissent opposer à la société Razel Bec les éventuels manquements au contrat de partenariat uniquement conclu avec la société Eiffage, il n’en reste pas moins qu’il apparaît d’une bonne justice que les deux instances soient rassemblées devant une même juridiction qui connaîtra ainsi du contexte général opposant l’ensemble des parties, étant rappelé que la société Eiffage est partie dans les deux instances.

Le fait que les deux instances soient réunies devant une même juridiction n’implique pas leur jonction en un seule et même instance, les deux instances pouvant se poursuivre en parallèle, l’essentiel étant que, du fait de la connexité rappelée plus avant, les deux instances soient soumises aux mêmes juges qui auront ainsi une vision globale du litige, sans que cela crée un quelconque risque de confusion entre les deux litiges.

Il n’y a donc pas lieu à infirmation du jugement du tribunal de commerce de Versailles qui a accueilli l’exception de connexité, et renvoyé l’affaire devant le tribunal de commerce de Paris.

La demande en rétractation de l’arrêt rendu par la présente cour d’appel le 14 octobre 2021 sera donc rejetée.

3 – sur les demandes reconventionnelles en paiement d’une amende civile et de dommages et intérêts pour procédure abusive

Les sociétés Delta et Gexpertise forment une demande reconventionnelle à l’encontre de la société Razel Bec en paiement, d’une part d’une amende civile, d’autre part de dommages et intérêts pour procédure abusive. Elles soutiennent que la procédure de tierce opposition engagée par la société Razel Bec avait pour unique motif de leur nuire, rappelant ici que la société Razel Bec est dépourvue de tout intérêt à agir et qu’elle ne subit aucun préjudice du fait du renvoi du litige devant le tribunal de commerce de Paris.

La société Razel Bec conclut au rejet de ces demandes, au motif qu’aucun abus n’est caractérisé.

****

Il résulte des articles 580 et 581 du code de procédure civile que les voies extraordinaires de recours ne sont ouvertes que dans les cas spécifiés par la loi. En cas de recours dilatoire ou abusif, son auteur peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés à la juridiction saisie du recours.

S’agissant de l’amende civile, celle-ci ne peut être mise en oeuvre que de la propre initiative de la juridiction saisie, la société Delta n’ayant aucun intérêt à ce qu’elle soit prononcée, de sorte que sa demande à ce titre sera rejetée.

L’exercice d’une action en justice, y compris d’une voie extraordinaire de recours, est un droit qui ne dégénère en abus qu’à condition, pour celui qui l’invoque de caractériser cet abus. Il a été démontré que la société Razel Bec disposait bien d’un intérêt à agir de sorte qu’aucun abus n’est caractérisé. Le seul fait que la société Razel Bec ne subisse aucun préjudice du fait du renvoi du litige devant le tribunal parisien ne permet pas de caractériser un abus. La demande indemnitaire formée par la société Delta sera donc rejetée.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

La société Razel Bec qui succombe, sera condamnée aux dépens.

Il est équitable d’allouer à chacune des sociétés Delta Auscultation et Gexpertise une indemnité de procédure de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Dit la société Razel Bec recevable, mais mal fondée en sa tierce opposition,

Dit n’y avoir lieu à rétractation de l’arrêt de cette cour du 14 octobre 2021,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Razel Bec à payer aux sociétés Gexpertise et Delta Auscultation, cette dernière représentée par son liquidateur judiciaire, la somme de 2.000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Razel Bec aux dépens de la présente instance qui pourront être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,

 


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