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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 59E
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 03 NOVEMBRE 2022
N° RG 21/01465 – N° Portalis DBV3-V-B7F-ULOM
AFFAIRE :
S.A.S. ARESIA- [Localité 2]
C/
SAS [Y] QUALITAIRE
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Février 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 6
N° RG : 2019F00692
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Dan ZERHAT
Me Claire RICARD
TC NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TROIS NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. ARESIA-[Localité 2] anciennement dénommée ‘AEds PRECISION’
RCS Nancy n° 403 429 830
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731
Représentants : Me Jean-Emmanuel KUNTZ et Me Chloé GOTZORIDES de l’ASSOCIATION KUNTZ & ASSOCIES, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : D0214
APPELANTE
****************
SAS [Y] QUALITAIRE
RCS Nanterre n° 410 790 448
[Adresse 1]
[Localité 3]
SAS [Y] FRANCE
RCS Nanterre n° 799 687 454
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentées par Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 et Me Christine LUSSAULT et Me Clémentine FAGES de la SELARL CL AVOCATS, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : A0637
INTIMEES
***************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 04 Octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSE DU LITIGE
La société AEds Précision, nouvellement dénommée Aresia-[Localité 2], exerce ses activités dans le domaine de l’aéronautique, produisant des pièces techniques à destination de l’aviation civile et militaire.
La société [Y] Qualitaire et la société [Y] France, ci-après dénommées les sociétés [Y], ont pour activité la réalisation de prestations de contrôle qualité.
Le 3 octobre 2018, les sociétés [Y] Qualitaire et Aresia-[Localité 2] ont signé un contrat de prestation de services, pour une durée déterminée allant jusqu’au 21 décembre 2018 et complété par une seconde mission suivant accord des parties du 30 octobre 2018. Le contrat prévoyait également une clause de non-débauchage du personnel stipulée à l’article 5.2.
La prestation a été effectuée au sein de la société Aresia-[Localité 2] par M. [R], spécialement délégué sur ce site par la société [Y] Qualitaire.
Le 4 novembre 2018, M. [U], salarié de la société Aresia-[Localité 2] depuis le 24 septembre 2018, a rompu sa période d’essai et a été embauché, le 6 novembre 2018, par la société [Y] France. La société Aresia-[Localité 2] a alors considéré que les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France s’étaient concertées afin de débaucher, de façon illicite, l’un de ses salariés.
Le président du tribunal de grande instance de Nanterre, saisi sur requête de la société Aresia-[Localité 2], a, par ordonnance du 14 décembre 2018, autorisé un huissier de justice à se rendre au siège de la société [Y] France, afin de se faire communiquer tout élément relatif à l’embauche de M. [U].
A la suite de l’assignation de la société Aresia-[Localité 2] par la société [Y] Qualitaire, le tribunal de grande instance de Nanterre a rejeté la demande de rétractation de ladite ordonnance.
Par arrêt du 5 mars 2020, la cour d’appel de Versailles a confirmé cette décision.
Par acte du 27 mars 2019, la société Aresia-[Localité 2] a fait assigner les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France devant le tribunal de commerce de Nanterre afin de les voir condamner à payer diverses sommes en réparation de ses préjudices.
Par jugement du 10 février 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a :
– Déclaré recevables les demandes de la société AEds vis-à-vis des sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France ;
– Débouté la société AEds de sa demande de paiement par la société [Y] Qualitaire de la somme de 24.000 € en application de la clause de non-débauchage figurant dans le contrat signé entre ces deux parties ;
– Condamné la société AEds à payer à la société [Y] Qualitaire la somme de 29.700 € au titre des factures impayées, assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 30 décembre 2018 sur la somme de 11.340 €, à compter du 30 janvier 2019 sur la somme de 10.800 € et à compter du 27 avril 2019 sur la somme de 7.560 € ;
– Débouté la société AEds de toutes ses demandes de dommages et intérêts;
– Débouté les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– Débouté la société AEds de ses demandes de publication et de communication du jugement ;
– Condamné la société AEds à verser la somme de 1.000 € à chacune des sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Ordonné l’exécution provisoire du jugement sans constitution de garantie ;
– Condamné la société AEds à supporter les dépens.
Par déclaration du 4 mars 2021, la société Aresia-[Localité 2] a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 29 juillet 2022, la société Aresia-[Localité 2], anciennement dénommée AEds Précision, demande à la cour de :
– Infirmer les chefs déférés du jugement critiqué ;
– Débouter les intimés de leurs demandes, fins et conclusions ;
Statuant à nouveau,
– Déclarer et juger la société Aresia-[Localité 2] (anciennement dénommée AEds Précision) bien fondée en son appel ;
– Déclarer et juger la société AEds Précision recevable et bien fondée en ses demandes ;
– Reconnaître et juger qu’il est établi que les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France ont usé de man’uvres déloyales aux fins de débaucher M. [C] [U] au détriment de la société Aresia-[Localité 2] (anciennement dénommée AEds Précision) ;
– Reconnaître et juger qu’il est établi que le débauchage de M. [C] [U] a eu pour effet de désorganiser la société Aresia-[Localité 2] (anciennement dénommée AEds Précision) et cela pendant plusieurs mois ;
– Reconnaître et juger que les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France se sont rendues coupables, ensemble, de débauchage illicite ;
– Reconnaître et juger que les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France engagent leur responsabilité civile délictuelle à l’égard de la société Aresia-[Localité 2] (anciennement dénommée AEds Précision) ;
– Reconnaître et juger que la société [Y] Qualitaire s’est, au surplus, rendue coupable de fautes contractuelles revêtant le caractère de fautes lourdes ;
– Reconnaître et juger que la société [Y] Qualitaire a manqué à ses obligations de bonne foi, de loyauté et de confidentialité ;
– Reconnaître et juger que la société [Y] Qualitaire, en plus d’engager sa responsabilité délictuelle, engage par ailleurs sa responsabilité contractuelle à l’égard de la société Aresia-[Localité 2] (anciennement dénommée AEds Précision) ;
En conséquence,
– Déclarer fautif le débauchage de M. [C] [U] auquel se sont livrées les intimées ;
– Déclarer le débauchage fautif de M. [C] [U] préjudiciable à la société Aresia-[Localité 2] (anciennement dénommée AEds Précision) ;
– Débouter les intimées de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions;
– Condamner in solidum les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France à indemniser la société Aresia-[Localité 2] (anciennement dénommée AEds Précision) des préjudices découlant du débauchage illicite qui leur est imputable dans les proportions suivantes, sauf à parfaire :
– Prestations de la société Controreupe : 3.050,10 € hors taxes,
– Prestations de la société Hydro-Méca : 4.635 € hors taxes,
– Coût du nouveau salarié aux compétences inférieures : 7.662,36 € bruts,
– Coût de la réaffectation des équipes en interne pour pallier le départ : 12.558,30 € bruts,
– Prestation de la société Hays : 5.566 € hors taxes,
– Coût du temps imparti à la gestion de crise (économique et judiciaire) : 10.000 €,
– Préjudice moral : 10.000 €,
– Préjudice d’atteinte à la réputation : 5.000 €,
– Total (sauf à parfaire) : 58.471,76 €,
– Condamner in solidum les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France à payer à la société Aresia-[Localité 2] (anciennement dénommée AEds Précision) la somme de 58.471,76 €, outre TVA et charges patronales ;
– Condamner en outre la société [Y] Qualitaire à indemniser la société Aresia-[Localité 2] (anciennement dénommée AEds Précision) des gains de productivité manqués du fait de ses fautes contractuelles correspondant à la somme de 24.000 € ;
– Déclarer et juger qu’au regard des fautes contractuelles imputables à la société [Y] Qualitaire, il n’y a pas lieu d’appliquer le taux d’intérêt de retard contractuel s’agissant des trois dernières factures établies par la société [Y] Qualitaire d’un montant total de 29.700 € toutes taxes comprises ;
– Ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans deux journaux professionnels choisis par la société Aresia-[Localité 2] (anciennement dénommée AEds Précision) aux frais des sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France, ainsi que sa communication au Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (GIFAS) ;
– Condamner in solidum les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France à payer à la société AEds Précision nouvellement dénommée Aresia-[Localité 2] la somme de 20.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et d’appel ;
– Condamner in solidum les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Par dernières conclusions notifiées le 23 juin 2022, les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France demandent à la cour de :
– Recevoir les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France en leurs présentes écritures et y faisant droit ;
A titre principal,
– Dire et juger irrecevable les demandes de condamnation in solidum formées par la société AEds à l’endroit de la société [Y] France ;
– Vu la rédaction de la clause 5.2 des contrats liant la société [Y] Qualitaire et la société AEds, dire et juger irrecevables les demandes formées par la société AEds à l’endroit de la société [Y] Qualitaire faute d’applicabilité aux faits de l’espèce de ladite clause ;
En conséquence,
– Dire la société AEds mal fondée en son appel en l’en débouter ;
– Confirmer le jugement rendu le 10 février 2021 par le tribunal de Nanterre en ce qu’il a relevé indemnes les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France de toutes condamnations et ce par substitution de motif au visa des irrecevabilités soulevées par les sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France ;
A titre subsidiaire,
– Confirmer le jugement entrepris sur le fondement de la motivation retenue par les premiers juges ;
– Confirmer également le chef de condamnation relatif au cours des intérêts de retard appliqués sur les factures dues à la société [Y] Qualitaire et que la société AEds a laissées impayées sans motif légitime ;
Statuant sur l’appel incident des sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France,
– Infirmer le jugement en ce qu’il a débouté le société [Y] Qualitaire de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et y faisant droit;
– Condamner la société AEds à verser à la société [Y] Qualitaire la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts ;
– La condamner à payer à la société [Y] Qualitaire la somme de 20.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Infirmer le jugement en ce qu’il a débouté le société [Y] France de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et y faisant droit;
– Condamner la société AEds à verser à la société [Y] France la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts ;
– La condamner à payer à la société [Y] France la somme de 20.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société AEds aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 septembre 2022.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
La société Aresia-[Localité 2] soutient que les sociétés [Y] ont entrepris, en violation de la clause de non-débauchage stipulée à l’article 5.2 du contrat, le débauchage illicite de M. [U], salarié clé qui était son référent de la réalisation et du suivi du contrôle qualité. L’appelante considère que cette action concertée des intimées, qui a entraîné la désorganisation de son contrôle qualité au regard de la pénurie de salariés et de candidatures dans ce domaine de compétence, constitue un acte de concurrence déloyale et engage la responsabilité délictuelle’et contractuelle des sociétés [Y] à son égard.
Elle se prévaut d’une attestation et d’un échange de sms établissant selon elle les man’uvres déloyales auxquelles s’est livré M. [R], salarié de la société [Y] Qualitaire, afin de débaucher M. [U], ainsi que du contrat de travail signé entre la société [Y] France et M. [U] le 6 novembre 2018, soit à une date concomitante à sa démission remise le 4 novembre 2018, alors que les sociétés [Y] ne justifient pas que M. [U] a répondu à une offre d’emploi publiée.
Elle considère que la proximité des sociétés du groupe [Y] et la gestion unitaire des filiales permet d’exclure toute possibilité que les agissements de l’une puissent être méconnues de l’autre et réciproquement.
Elle explique encore que’pour le groupe [Y], le détournement d’un contrôleur métrologue permet de proposer et réaliser davantage de missions de contrôle qualité au profit de tiers.
Elle fait valoir qu’elle s’est efforcée de mettre en place des mesures palliatives aux fins de minimiser ses dommages, notamment en demandant en vain à la société [Y] Qualitaire de proroger ses missions, mais que la désorganisation a été telle qu’aucune solution adaptée aux besoins n’a pu être trouvée avant de nombreux mois compte tenu de la rareté d’un tel profil et la difficulté reconnue par tous les acteurs du marché d’identifier des contrôleurs métrologues à l’échelle nationale et encore plus particulièrement en région Lorraine, justifiant le quantum de son préjudice.
Les sociétés [Y] répondent que la responsabilité de la société [Y] France ne peut être recherchée sur le fondement contractuel puisque les contrats des 3 et 30 octobre 2018 n’ont été conclus qu’avec la société [Y] Qualitaire. Elles considèrent que l’appelante ne peut solliciter de condamnation in solidum avec la société [Y] France, en faisant état d’un contrat à laquelle cette dernière n’était pas partie. Elles concluent à la confirmation du jugement en ce qu’il a estimé que M. [U] a été embauché par la société [Y] France en dehors de la période d’application de la clause de non-sollicitation du personnel qui n’a débuté qu’à l’issue du contrat, soit à compter du 22 décembre 2018, alors que M. [U] a été engagé le 8 novembre 2018.
Les intimées contestent par ailleurs tout comportement déloyal de débauchage, soutenant que l’embauche d’un seul salarié n’est pas fautive. Elles expliquent qu’une offre d’emploi a été publiée sur le site du groupe [Y], que M. [U] n’a été engagé que dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, à des conditions juridiques et financières habituelles, alors qu’il était encore en période d’essai au sein de la société Aresia-[Localité 2]. Elles considèrent que les man’uvres déloyales reprochées ne sont pas démontrées. Elles relèvent qu’au regard de la faible ancienneté de M. [U], il ne pouvait avoir acquis un savoir-faire dont elles auraient voulu s’emparer et que la société Aresia-[Localité 2] ne justifie pas de la désorganisation alléguée et donc de son préjudice.
*****
Sur le débauchage fautif imputé aux sociétés [Y] Qualitaire et [Y] France
Il est constant que M. [U], occupant le poste de contrôleur métrologue au sein de la société Aresia-[Localité 2] depuis le 24 septembre 2018, a rompu sa période d’essai en démissionnant le 4 novembre 2018 pour rejoindre la société [Y] France avec laquelle il a signé un contrat de travail le 6 novembre 2018.
L’article 5.2 des contrats conclus les 3 et 30 octobre 2018 entre les parties et intitulé «’Clause de non-débauchage’» stipule que’: « Chacune des Parties s’engage à renoncer, sauf accord écrit préalable de l’autre Partie, à faire directement ou indirectement des offres d’engagement à un collaborateur de l’autre Partie, affecté à l’exécution du présent contrat. Cette renonciation est valable pendant une période de 12 mois à compter de la fin du présent contrat en ce compris les tacites reconductions.
Tout manquement de l’une des Parties à cette obligation l’expose au paiement d’une indemnité à l’autre Partie, étant précisé que cette indemnité ne saurait être inférieure à un an (1) de salaire brut du salarié concerné. Pourtant, cette obligation n’empêche pas les Parties d’engager un collaborateur d’une partie qui a donné son offre d’emploi à l’autre Partie suite à une offre publique faite par cette Partie ».
Comme l’ont à juste titre retenu les premiers juges, il ressort des termes clairs de cette clause que l’obligation de non-débauchage ne s’imposait aux parties qu’à compter du terme du contrat, soit à partir du 21 décembre 2018. M. [U] ayant démissionné en cours d’exécution de la prestation, soit le 4 novembre 2018, la clause ne peut s’appliquer
L’article 1240 du code civil dispose que : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Si le débauchage, s’entendant également de la démission provoquée, n’est pas en lui-même fautif, il devient déloyal si une faute peut être caractérisée à l’égard du nouvel employeur, consistant notamment en des man’uvres pour détourner le salarié vers soi, dans un but déterminé tel que l’utilisation des connaissances acquises par le salarié, le détournement d’une clientèle ou la connaissance du savoir-faire de l’entreprise et ayant pour objet ou pour effet de désorganiser l’entreprise victime.
Pour caractériser les man’uvres déloyales de la société [Y] Qualitaire, la société Aresia-[Localité 2] se prévaut de l’attestation de M. [E], à l’époque salarié d’une société prestataire, qui relate ceci’: « Le mercredi 31 octobre alors que nous travaillons sur le programme de contrôle 3D d’une pièce fabriquée, M. [U], technicien qualité en CDI chez AEds Précision, m’annonce qu’il a décidé de quitter la société AEds Précision. Il m’en avertit en premier en me disant qu’il souhaite rapidement rencontrer M. [T], directeur du site, pour l’en informer également. Je commence une discussion pour connaître les motivations qui l’ont poussé à démissionner et je le questionne pour savoir s’il avait trouvé un poste dans une autre entreprise. M. [U] est gêné dans sa réponse « Je ne souhaite pas trop en parler car la situation est délicate. J’ai trouvé un poste chez [Y] pour aller travailler chez Garett à [Localité 5]. Comme il y a quelqu’un de chez [Y] (M. [B] [R]) en mission ici (chez AEds Précision).
Je rebondis et lui demande comment il a trouvé le poste ‘ Il m’a indiqué qu’il s’est entretenu à ce sujet avec M. [R], prestataire [Y] en poste chez nous ».
Il ajoute que’: « Lors d’une réunion « mur qualité » qui a eu lieu le 9 novembre en présence de M. [R] et Mme [D], nous discutions du fonctionnement du service qualité et dans la conversation, j’ai dit « la situation est d’autant plus compliquée que [Y] débauche notre personnel ». M. [R] n’a pas démenti l’information ».
S’il ressort de cette attestation que M. [U] a manifestement évoqué avec M.[R], salarié de la société [Y] Qualitaire, le poste sur lequel il a candidaté au sein de la société [Y] France, il ne ressort pas de ce témoignage que c’est M. [R] qui a pris l’initiative de prendre contact avec M. [U] pour l’inciter à démissionner afin de rejoindre la société [Y] France.
La société Aresia-[Localité 2] invoque également un échange de sms daté du 11 décembre 2018 entre M. [F], salarié de la société Aresia-[Localité 2], et M.[N], directeur de la production de la société Garett à [Localité 5]. Dans ce cadre, M. [F] demande à M. [N] s’il peut lui transmettre un bon d’intervention «’sur lequel figurerait le nom de [C] [U] pour sa mission à TLV [[Localité 5]]”’», ce à quoi ce dernier répond’: « Nous travaillons étroitement avec [Y] et je ne souhaite pas mettre en porte à faux Garrett sur ce dossier afin de ne pas altérer nos relations futures. Désolé mais je ne vous transmettrai donc pas d’écrit sur ce sujet ».
Cet échange de messages ne permet pas d’apporter la preuve de démarches actives initiées par les sociétés [Y] afin d’inciter M. [U] à quitter son poste au sein de la société Aresia-[Localité 2].
Il ressort au surplus du contrat de travail conclu entre M. [U] et la société [Y] France le 6 novembre 2018 qu’il ne s’agit pas d’un contrat à durée indéterminée, mais d’un simple contrat à durée déterminée et que le salaire convenu de 2.100 €, équivaut à celui de 2.000 € que M. [U] percevait au sein de la société Aresia-[Localité 2], correspondant aux conditions économiques habituellement pratiquées pour le poste de contrôleur métrologue. Enfin, comme l’ont pertinemment relevé les premiers juges, M. [U] bénéficiait d’une ancienneté limitée à 1 mois au sein de la société Aresia-[Localité 2], de sorte qu’il ne peut être prétendu que la société [Y] France a agi afin de bénéficier des connaissances acquises par le salarié, d’un détournement de clientèle ou de la connaissance du savoir-faire de l’entreprise. L’appelante se contente d’affirmer que la société [Y] France a pu proposer davantage de prestations grâce au recrutement de M. [U], sans toutefois justifier ses dires.
Il doit être souligné à ce stade que les sociétés [Y] et la société Aresia-[Localité 2] n’ont pas d’activités concurrentes, dès lors qu’elles n’interviennent pas sur le même marché. En effet, la société Aresia-[Localité 2], acteur majeur du marché de l’aéronautique, produit des pièces techniques à destination de l’aviation civile et militaire, tandis que le groupe [Y] est spécialisé dans le domaine du contrôle qualité. Si la société Aresia-[Localité 2], dans le cadre de son activité de production de pièces est amenée à assurer un contrôle qualité, il s’agit tout au plus d’une activité annexe à son activité principale de fabrication et vente de pièces techniques destinées à l’aéronautique, de sorte qu’aucune situation de concurrence n’est caractérisée. Dans ces conditions, la société Aresia-[Localité 2] ne saurait prétendre avoir subi une concurrence déloyale.
S’agissant de la désorganisation invoquée par l’appelante, cette dernière communique des courriels émanant de sociétés d’intérim ou de cabinets de recrutement courant mars 2019, ainsi qu’un dossier de presse de la Semaine de l’industrie de mars 2019 dont il ressort que le recrutement de salariés dans le domaine du contrôle qualité et plus spécifiquement de la métrologie est difficile en raison de la pénurie de candidatures. Toutefois, la cour constate que la société Aresia-[Localité 2] a engagé dès le mois de janvier 2019, soit à peine deux mois après la démission de M. [U], M. [S] en qualité de technicien contrôle qualité. Si l’appelante soutient que les qualifications de ce dernier étaient inférieures à celles de M. [U], elle ne produit aucun élément probant permettant de corroborer cette affirmation, alors que les bulletins de paie de ces deux salariés mentionnent la même fonction et une classification’équivalente : contrôleur, catégorie I, coefficient 255 et que les salaires étaient similaires’: 2.000,53 € pour M. [U] et 1.915,59 € pour M. [S]. En outre, l’attestation de M. [K], directeur administratif et financier de la société Aresia-[Localité 2], datée du 18 mars 2019, établit que M. [V], technicien qualité salarié de la société Aresia-[Localité 2] a été affecté au suivi du mur qualité imposé par le client Safran sous la responsabilité de M. [E], directeur qualité de la société Aresia-[Localité 2]. Si l’appelante soutient que cette réaffectation de M. [V] a été faite au détriment de l’activité de l’entreprise, à nouveau, aucune pièce probante ne permet de justifier ces dires. Enfin, la désorganisation alléguée n’apparaît pas plus démontrée par la facture émise par la société Controreupe, l’email de la société AEds Hydroméca ou encore les mails des cabinets de recrutement ou des sociétés d’interim, dès lors que ces pièces sont datées des mois de février, mars et octobre 2019, soit plusieurs mois après la démission de M.[U], ne caractérisant ainsi pas la recherche urgente de solutions palliatives dans un contexte de désorganisation d’entreprise. Il doit être rappelé qu’à la date de sa démission, M. [U] n’avait été engagé qu’un mois auparavant et qu’il était encore en période d’essai, de sorte que la désorganisation de l’entreprise invoquée par la société Aresia-[Localité 2], qui demeurait exposée à l’éventualité d’une rupture de son contrat de travail, n’apparaît pas vraisemblable.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a considéré que le débauchage fautif de M. [U] par les sociétés [Y] n’est pas caractérisé.
Sur les fautes contractuelles de la société [Y] Qualitaire
La société Aresia-[Localité 2] invoque un manquement de la société [Y] Qualitaire à son obligation contractuelle de bonne foi, de loyauté et de confidentialité, expliquant que cette dernière a profité des contacts privilégiés offerts par la mission avec M. [U] pour se rendre coupable d’actes de concurrence déloyale en incitant ce salarié à rejoindre les effectifs du groupe [Y]. L’appelante ajoute que la société [Y] Qualitaire a méconnu la clause de confidentialité, ainsi que la clause de non-débauchage, quand bien même cette clause précise n’être applicable que dans les 12 mois suivant la fin du contrat. Elle estime qu’il est difficile de se convaincre qu’aucune obligation implicite de non-débauchage n’existait en cours d’exécution du contrat.
La société [Y] Qualitaire conteste les manquements contractuels reprochés, en soutenant n’avoir procédé à aucun débauchage illicite. Elle rappelle que la clause de non-débauchage n’était applicable qu’à l’issue de la prestation.
******
Pour les motifs développés supra, la clause de non-débauchage ne peut s’appliquer. Néanmoins, comme le soutient la société Aresia-[Localité 2], il peut être raisonnablement considéré que les parties étaient implicitement tenues d’une interdiction de débauchage au cours du contrat, au titre de l’obligation de bonne foi dans les relations contractuelles.
Toutefois, pour les motifs précités, il n’est pas démontré que la société [Y] Qualitaire a incité M. [U] à démissionner. Les pièces communiquées par l’appelante et notamment l’attestation de M. [E] évoquant une simple discussion entre M. [R] et M. [U], sont insuffisantes à établir que le salarié de la société [Y], profitant de sa mission, a incité le salarié de la société Aresia-[Localité 2] à démissionner au profit de son entreprise. Il doit être rappelé que la société [Y] avait dès le 16 octobre 2018, soit près de trois semaines avant la démission de M. [U], publié une offre d’emploi relative à un poste de contrôleur qualité sur son site. En outre, comme indiqué précédemment, il est établi que M. [U] n’a pas bénéficié d’un contrat plus avantageux au sein de la société [Y], puisqu’il a signé un contrat de travail précaire, moyennant une rémunération à peine plus élevée que celle perçue au sein de la société Aresia-[Localité 2] et correspondant au niveau de salaire appliqué au poste de métrologue/contrôleur qualité.
Au regard de ces éléments, la déloyauté et le manquement de la société [Y] Qualitaire à son obligation de bonne foi n’apparaissent pas caractérisés.
Enfin, l’article 5.1 des contrats conclus les 3 et 30 octobre 2018 entre les parties et intitulé ‘Clause de confidentialité’ stipule que : ‘[Y] Qualitaire s’engage à tenir pour strictement confidentielles les informations techniques, commerciales, financières ou autres qui lui seront communiquées sous quelque forme que ce soit ou dont il (sic) aurait connaissance lors de l’exécution de la prestation, et à ne pas les divulguer ou mettre à la disposition de tiers, sans l’accord exprès préalable écrit d’AEs Groupe. Elle s’engage par ailleurs à faire le nécessaire auprès de son personnel qui viendrait à connaître ces informations pour que cette obligation de confidentialité soit respectée’.
Si l’appelante soutient que la société [Y] Qualitaire a ‘manifestement ignoré la clause de confidentialité’, elle n’explique pas en quoi a consisté le manquement, alors qu’il ne ressort pas des éléments de la procédure que la société [Y] Qualitaire ait divulgué ou mis à la disposition de tiers des informations techniques, commerciales, financières ou autres qui lui ont été communiquées sous quelque forme que ce soit ou dont elle a eu connaissance lors de l’exécution de la prestation au sein de la société Aresia-[Localité 2].
Il résulte de ces développements que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a débouté la société Aresia-[Localité 2] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires.
Sur le taux de l’intérêt de retard
Faisant droit à la demande reconventionnelle de la société [Y] Qualitaire, le jugement déféré a condamné la société Aresia-[Localité 2] à régler à cette dernière une somme de 29.700 € au titre de trois factures impayées. Il a assorti cette condamnation des intérêts au taux contractuel à compter du 30 décembre 2018 sur la somme de 11.340 €, à compter du 30 janvier 2019 sur la somme de 10.800 € et à compter du 27 avril 2019 sur la somme de 7.560€.
La société Aresia-[Localité 2] demande à la cour de dire qu’il n’y a pas lieu d’appliquer le taux d’intérêt de retard contractuel au regard des fautes contractuelles imputables à la société [Y] Qualitaire.
Les intimées relèvent que la société Aresia-[Localité 2] n’a pas interjeté appel du chef du jugement la condamnant au paiement des trois dernières factures impayées établies par la société [Y] Qualitaire à hauteur de 29 700 € TTC. Elles demandent que les intérêts de retard courent au taux contractuel à compter de l’émission des factures, estimant que la société Aresia-[Localité 2] ne pouvait se faire justice à elle-même en prétendant compenser le montant des factures émises en contrepartie de cette prestation avec un préjudice.
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Dès lors que le débauchage illicite et les manquements contractuels reprochés à la société [Y] Qualitaire ne sont, pour les motifs précités, pas démontrés, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a appliqué le taux d’intérêt de retard contractuel dans les conditions susvisées.
Sur la publication et la communication de la décision
La société Aresia-[Localité 2] sollicite la publication de la décision dans deux journaux professionnels aux frais des sociétés [Y], ainsi que sa communication au groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, afin d’éviter que ne se renouvelle le débauchage illicite de salariés au regard de ses conséquences dommageables.
Les intimées s’y opposent contestant tout comportement fautif.
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Compte tenu de la solution du litige, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a débouté la société Aresia-[Localité 2] de sa demande.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive
A titre reconventionnel, les sociétés [Y] demandent à la cour de condamner la société Aresia-[Localité 2] au paiement d’une somme de 10.000 € chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
La société Aresia-[Localité 2] conclut au débouté, considérant que sa procédure n’est nullement abusive.
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L’exercice d’un droit ne dégénère en abus qu’en cas de faute équipollente au dol, qui n’est pas caractérisée en l’espèce à l’égard de la société Aresia-[Localité 2], de sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté les sociétés [Y] de leur demande indemnitaire au titre de la procédure abusive.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Compte tenu de la décision, les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront confirmées.
Par ailleurs, en application de l’article 696 du code de procédure civile, la société Aresia-[Localité 2], qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel. Elle sera en outre condamnée à verser aux sociétés [Y] une indemnité de’3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Condamne la société Aresia-[Localité 2] aux dépens d’appel,
Condamne la société Aresia-[Localité 2] à payer à la société [Y] France et la société [Y] Qualitaire la somme totale de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,