Clause de non-sollicitation : 23 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/05182

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Clause de non-sollicitation : 23 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/05182
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRET DU 23 NOVEMBRE 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/05182 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOG3

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Mars 2022 -Président du TC de PARIS 04 – RG n° 2021019634

APPELANTE

S.A.R.L. INTUISCIO prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

N° SIRET : 847 60 5 8 88

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistée par Me Magali TOCCO-PERRIN, avocat au barreau de NANTES, toque : 244

INTIMÉES

S.A.S. CONSULTAKE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au dit siège,

[Adresse 2]

[Localité 4]

N° SIRET : 490 09 6 4 92

représentée par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2440

assistée par Me Stéphane COULAUX de la SELARL COULAUX MARICOT GEORGANTA, avocat au barreau de PARIS, toque : K0192

S.A.S. NODYA GROUP prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au dit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

N° SIRET : 790 02 7 3 04

représentée par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2440

assistée par Me Stéphane COULAUX de la SELARL COULAUX MARICOT GEORGANTA, avocat au barreau de PARIS, toque : K0192

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Patricia LEFEVRE, Conseillère, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre

Jean-Christophe CHAZALETTE, Président

Patricia LEFEVRE, conseillère

Greffier, lors des débats : M. Olivier POIX

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, et par Olivier POIX, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

******

La société Consultake exerce une activité de conseil aux entreprises dans le domaine de l’informatique, des systèmes d’information, du multimédia, de l’audiovisuel et des télécommunications.

Selon un acte de cession et d’acquisition en date du 26 novembre 2018, la société Nodya Group a acquis la totalité des actions de la société Consultake group, détenues pour moitié et à part égale par MM. [G] [H] et [N] [Y]. La société Consultake group est elle-même associée de la société Consultake SAS à hauteur de 70% du capital social de cette dernière, dont les 30 % restant sont la propriété à part égale de MM. [H] et [Y].

L’article 12 de ce contrat contient un engagement de non-concurrence et de non-sollicitation à la charge des cédants, pour toute la durée de leur présence effective au sein de la société Consultake group et pour une durée de deux années à compter de la fin de cette période.

Le 8 janvier 2019, M. [H] a formé une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, la société Intuiscio qui, immatriculée le 22 janvier suivant, a pour activité le conseil et l’assistance opérationnelle apportés à des entreprises et autres organisations sur des questions de gestion, stratégie, organisation, marketing, commercial, ressources humaines, et plus généralement toutes les grandes fonctions de l’entreprise ainsi que toutes activités de formation professionnelle et de coaching. M. [H] est le gérant de cette société.

Par une convention d’exercice de mandat social du 30 janvier 2019 et son avenant du 9 juin 2020, la société Intuiscio a été nommée directeur général de la société Consultake SAS et elle devait assurer des prestations de conseil et de formation pour le compte des clients du groupe.

Ce mandat social a été révoqué lors de l’assemblée générale du 29 juillet 2020, pour faute grave suite à la découverte d’une convention d’apporteur d’affaires au profit d’une société tierce.

A la suite de cette révocation, plusieurs différends sont nés entre les parties, et ont donné lieu à divers contentieux et au prononcé, par le tribunal de commerce de Nanterre des décisions suivantes :

– deux ordonnances en date du 24 septembre 2020 autorisant la société Intuiscio à procéder à des saisies conservatoires au titre des rémunérations et préavis dus au titre de son mandat social, ainsi qu’une ordonnance de référé du 3 novembre 2020, rejetant la demande de rétractation de ces autorisations ;

– une ordonnance de référé en date du 14 octobre 2020 rejetant la demande de rétractation formée par la société Consultake SAS à l’encontre de l’ordonnance sur requête du 27 juillet 2020, désignant un huissier afin qu’il assiste et dresse procès-verbal du déroulement de l’assemblée générale de la société du 29 juillet 2020 ;

– une ordonnance du 3 novembre 2020 ordonnant à la société Consultake SAS de régler une somme de 54 017,23 euros au titre du remboursement à la société Intuiscio de son compte courant d’associé, décision dont la demande d’arrêt de l’exécution provisoire a été rejetée par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 11 mars 2021 et qui a été partiellement confirmée par un arrêt de cette même cour du 9 septembre 2021 ;

– une ordonnance du 11 décembre 2020, condamnant la société Consultake SAS à payer à la société Intuiscio une somme de 130 680 euros au titre des rémunérations dues jusqu’à la fin de son mandat et au titre du préavis conventionnel, ordonnance qui a été partiellement confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 9 septembre 2021.

Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nanterre a, par un jugement en date du 7 avril 2021 constaté que la contestation des conversions en saisies-attributions des saisies conservatoires sus-mentionnées introduite par une assignation du 15 décembre 2020 était irrecevable, décision confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 9 décembre 2021.

Enfin, les sociétés Consultake SAS et Nodya group ont fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris M. [H] et la société Intuiscio, le 2 octobre 2020 en exécution de la garantie de passif et le 6 octobre suivant, en responsabilité et indemnisation pour inexécution des prestations de services dues en application du contrat de cession, demandes rejetées par le tribunal de commerce par des jugements des 7 mai 2021 et 11 mars 2022.

Par ordonnance sur requête du 9 mars 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a commis un huissier audiencier du tribunal, la SCP [S] [W] et [U] [P] prise en la personne de ce dernier, en qualité de mandataire de justice, avec mission de se rendre au siège social de la société Intuiscio afin, pour la période du 29 juillet 2020 à la date de ses constatations, se faire remettre ou rechercher sur tout support les éléments de preuve relatifs aux faits de concurrence déloyale, déloyauté et détournement de clientèle et de fichiers dénoncés.

Les opérations de constat se sont déroulées, le 29 mars 2021 dans des conditions difficiles, l’huissier instrumentaire ayant notamment constaté l’affichage de plusieurs fenêtres indiquant la suppression de fichiers durant son intervention. Les éléments collectés ont été copiés sur des clés USB placées sous séquestre.

Par acte extra-judiciaire en date du 23 avril 2021, la société Intuiscio a fait assigner les sociétés Consultake SAS et Nodya Group devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir principalement rétracter l’ordonnance du 9 mars 2021, annuler toutes constatations et diligences, copies et procès-verbaux effectués en exécution de ladite ordonnance ainsi que toutes mises à dispositions dans quelques instances ou à quelques fins que ce soit de pièces issues des opérations effectuées en exécution de ladite ordonnance et d’en ordonner la restitution.

Par ordonnance contradictoire en date du 4 mars 2022, le juge des référés, a dit la société

Intuiscio recevable mais mal fondée dans sa demande de rétractation et en conséquence, l’a déboutée de cette demande, disant que l’ordonnance du 9 mars 2021 est conforme aux dispositions de l’article 145 du code de procédure civile.

Le juge a également :

– dit que la procédure de levée de séquestre devait être engagée selon la procédure ci-après, même s’il était fait appel de cette décision, tout en préservant les intérêts de la société Intuiscio jusqu’à la décision définitive et que les pièces qui pourraient être retenues comme communicables lors de cette éventuelle levée de séquestre à intervenir seront maintenues sous séquestre jusqu’à décision définitive,

– dit que la levée de séquestre éventuelle à intervenir des pièces saisies lors des opérations de constat par l’huissier instrumentaire doit de faire conformément aux dispositions des articles R.153-3 à R.153-8 du code de commerce  selon la procédure suivante, dont il fixait le calendrier :

– la société Intuiscio devant faire un tri sur les fichiers des pièces saisies et séquestrées en trois catégories :

catégorie A : les pièces qui pourront être communiquées en l’état sans examen ;

catégorie B : les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que la société Intuiscio refuse de communiquer ;

catégorie C : les pièces que la société Intuiscio refuse de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;

– ce tri, où chaque pièce sera numérotée, sera communiquée à la SCP [W] et [P], en qualité d’huissier instrumentaire et séquestre, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;

– pour les pièces concernées par le secret des affaires, conformément aux dispositions des articles R.153-3 à R.153-8 du code de commerce, la société Intuiscio communiquera un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires.

Enfin le juge des référés a dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile, a rejeté le surplus de la demande et a condamné la société Intuiscio aux dépens.

Le 9 mars 2022, la société Intuiscio a interjeté appel et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 4 octobre 2022, elle demande à la cour, au visa de l’article 66 de la Constitution, de la liberté du commerce et de la liberté d’entreprendre et des articles 145, 146 et 493 et suivants du code de procédure civile, sous divers juger reprenant ses moyens, d’infirmer l’ordonnance de référés du 4 mars 2022 entreprise et statuant à nouveau, de rétracter l’ordonnance sur requête du 9 mars 2021, d’annuler toutes constatations et diligences, copies et procès-verbaux effectués en exécution de ladite ordonnance ainsi que toutes mises à dispositions dans quelques instances ou à quelques fins que ce soit de pièces issues des dites opérations, ordonner la restitution de l’intégralité des documents saisis, quels qu’en soient les supports (informatique, papier ou autre) et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, dont la liquidation sera réservée.

Elle soutient également le rejet de l’appel incident des sociétés Nodya Group et Consultake SAS, celui de leur demande de levée du séquestre provisoire et de transmission des pièces actuellement séquestrées et de toutes leurs prétentions et elle sollicite en tout état de cause, leur condamnation in solidum à lui payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris, d’une part, les frais et dépens liés aux ordonnances des 9 mars 2021 et 4 mars 2022 et, d’autre part, la totalité des frais et honoraires d’huissier en cas d’exécution forcée de la décision à intervenir, y compris tout droit proportionnel, dépens dont le recouvrement direct par son conseil sera autorisé en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 septembre 2022, les sociétés Nodya Group et Consultake SAS soutiennent au visa des articles 145, 514-1, 699 et 700 du code de procédure civile, de l’article 1626 du code civil, et des article R.153-1 et suivants du Code de commerce, la confirmation de l’ordonnance sauf en ce qu’elle a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de la société Intuiscio à une indemnisation fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et à la libération du séquestre. Elles sollicitent la levée du séquestre provisoire mis en place par les ordonnances des 9 mars 2021 et 4 mars 2022 et la transmission des pièces détenues par l’huissier instrumentaire et la condamnation de l’appelante à leur payer à chacune la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, en ce compris les frais et dépens liés aux ordonnances des 9 mars 2021 et du 4 mars 2022 et leur exécution, dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, aux écritures précédemment visées des parties.

SUR CE, LA COUR

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L’article 493 du même code prévoit que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Enfin, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. Il doit à cet égard constater qu’il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé (sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond) et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

En l’espèce, la société Intuiscio soutient en premier lieu que la présentation des faits dans la requête est tendancieuse, pour ne pas dire mensongère, elle avance ensuite que la nécessité de déroger au principe du contradictoire pas plus que l’existence d’un motif légitime ne sont établies, ce que contestent les sociétés intimées.

La société Intuiscio critique la dissimulation qu’elle qualifie de dolosive, des condamnations toutes exécutoires visant la société Consultake SAS pour une somme totale de 192 697,23 euros qui apportaient un éclairage particulier sur leurs mobiles et ce qui aurait très certainement amené le juge à apprécier avec plus de rigueur la demande dont il était saisi. Invoquant le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’entreprendre et les limites de son engagement de non-concurrence (une interdiction de travailler pour les clients de Consultake) elle prétend qu’est également mensongère l’affirmation dans la requête qu’elle ne pouvait pas exercer une activité similaire à celle de l’entreprise cédée comme l’est, celle qu’elle aurait modifié son activité et que son dirigeant ne pouvait pas animer un webinar, alors que la clause exclut les activités de conférence et de formation dès lors qu’elles ne sont pas relatives à l’activité et aux clients des sociétés du groupe Consultake.

Ainsi que le relève les sociétés intimées pour écarter la prétendue déloyauté dans la présentation de la requête qui entacherait le motif légitime, celles-ci font état dans leur requête de divers contentieux en cours tant à l’initiative de la société Intuiscio que de la société Consultake, ces actions sont pendantes devant le tribunal de commerce de Paris et devant la cour d’appel de Versailles, elles n’ont pas le même objet que celui concerné par la présente requête.

Cet exposé est conforme à la réalité des faits, puisque les procédures dont fait état la société Intuiscio étaient relatives à l’exécution des obligations financières (rémunération et remboursement du compte courant d’associé) étrangère au litige éventuel en violation de la clause de non-concurrence, en concurrence déloyale et en détournement d’actif dans la perspective duquel était sollicitée une mesure d’instruction in futurum. L’allégation que la mention des décisions et condamnations prononcées aurait amené le juge à apprécier avec plus de rigueur la demande dont il était saisi, est désobligeante et fait peu de cas de l’office du juge.

L’argumentation de la société Intuiscio fondée sur la liberté d’entreprendre est tout aussi inopérante. Ce principe n’était pas remis en cause par les requérantes. Celles-ci invoquaient dans leur requête, pour caractériser l’existence d’un litige potentiel susceptible de les opposer à la société Intuiscio tant la violation de l’engagement de non-concurrence et de non sollicitation contenu dans l’acte de cession, que des obligations qui pèseraient, selon une jurisprudence qu’elles citent, sur le cédant de ne pas exercer une activité similiaire à celle de l’entreprise cédée et sur les anciens dirigeants de ne pas détourner à leur profit ses actifs.

Par ailleurs, si les requérantes ne reprennent pas le dernier paragraphe de la clause figurant à l’acte de cession, cet acte était joint à leur requête.

La société Intuiscio nie le caractère légitime de la demande de mesure d’instruction, fondée sur des pièces, qu’elle reprend une à une pour soutenir qu’elles ne sont pas satisfaisantes, soit par leur valeur probante, soit en raison du doute qui réside sur leur sincérité s’agissant des attestations. Elle ajoute que la requête ne rend ni crédibles ni vraisemblables des soupçons de violation de l’engagement de non-concurrence figurant à l’acte de cession. Les intimées prétendent que les faits portés à la connaissance du juge constituent un faisceau d’indices concordants et suffisants rendant crédibles leurs accusations de violation de la clause de non-concurrence et de commission d’actes déloyaux.

Ainsi que le relèvent les intimées, le demandeur à la mesure d’instruction in futurum n’a pas à démontrer la réalité des actes déloyaux qu’il allègue, il doit justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions, ne relevant pas de la simple hypothèse, en lien avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés. Dès lors, la cour n’a pas à suivre l’appelante dans une contestation et des développements qui relèvent du débat au fond.

Pour l’essentiel, la société Intuiscio reprend l’argumentation précédemment développée pour soutenir une présentation biaisée des faits de la cause, limiter l’étendue de ses obligations et elle avance que les pièces produites sont insuffisantes pour établir les fautes qui lui sont imputées et précise les éléments que les requérantes étaient en mesure de produire.

Pour fonder leurs accusations de violation de la clause de non-concurrence, de concurrence déloyale et de détournement d’actifs, les sociétés requérantes mettent en exergue un certain nombre d’indices :

– la révocation du mandat social de la société Intuiscio pour faute grave et l’exportation avant celle-ci de pans entiers de bases de données sensibles de l’entreprise ;

– une activité de la société Intuiscio dédiée à la société Consultake (comme mandataire social et prestataire de services associés) ;

– le constat à la lecture d’attestations comptables d’une absence totale d’activité de la société Intuiscio entre la révocation de son mandat et le 1er octobre 2020 puis un développement fulgurant de son activité sur les quatre mois suivants ;

– le développement par la société Intuiscio d’un site Web proposant des activités similiaires à celles de la société Consultake et qualifiée plus avant dans la requête de directement concurrentes ;

– une prise de contact avec des clients et consultants de l’entreprise comme en atteste leur présence à un Webinar sur l’intelligence artificielle dont l’objet correspond très précisément à l’activité de la société Consultake, ce qu’elles rapprochent d’un événement qui s’était produit un mois avant la révocation du mandat social de la société Intuiscio (l’exportation de la liste Cytheque de sa base de données) ;

– la violation de l’obligation de loyauté à laquelle sont tenus les anciens dirigeants sociaux qui leur interdit de s’emparer d’actifs, y compris incorporels de l’entreprise ;

Elles étayent leurs allégations sur un certain nombre de pièces : les attestations du comptable de la société Intuiscio qui témoigne de la dépendance de la société Intuiscio puisque son activité était intégralement dédiée à la société Consultake SAS jusqu’à sa révocation puis de son développement rapide, des constats d’huissier décrivant les pages web des sites respectifs des entreprises (constat du 6 octobre 2020) et la participation de trois personnes dénommées au Webinar organisé par M. [H] (constat du 19 février 2021), les feuilles d’émargement faisant apparaître la participation de ces trois personnes à une formation dispensée par la société Consultake SAS et la facturation à leur employeur de cette formation et enfin, un constat du 17 février 2021 relatif au transfert des données dénoncé, les alertes relatives à l’export de ces données, les courriels échangés entre M. [H] et M. [Y] à cette occasion et la liste des clients de la société Consultake SAS.

Devant le juge des référés, les sociétés requérantes ont ajouté une attestation de leur expert comptable précisant que les clients figurant sur la liste sus-mentionnée avaient été facturés par la société Consultake dans les douze mois précédant la révocation de la société Intuiscio.

Ces éléments rendent crédibles les suppositions des sociétés intimées quant à l’existence des actes dénoncés et ainsi qu’il est dit ci-dessus, ces sociétés définissent les fondements juridiques (multiples) d’une éventuelle action au fond.

Les sociétés Consultake SAS et Nodya group ont sollicité, aux termes de leur requête qu’il soit dérogé au principe du contradictoire faisant valoir, qu’ainsi que le retient la jurisprudence, qu’un effet de surprise était nécessaire. Elles ajoutaient que l’introduction d’une procédure contradictoire offrirait à la société Intuiscio toute latitude pour organiser la disparition totale ou partielle des documents sollicités, étant précisé que l’expérience et les fonctions du dirigeant de la société Intuiscio le rendent particulièrement capable de dissimuler toute ou partie des éléments recherchés, son agilité lui ayant permis de déjà ‘exporter’ la base de données de la société Consultake au mois de juin 2020.

Un lien est ainsi directement établi entre les capacités du dirigeant de la société Intuiscio à faire disparaître des documents compromettant et la nécessité de déroger au contradictoire, ce que reprend le juge, qui vise la requête et ses motifs et qui retient un risque de dépérissement des preuves, notamment celles de nature informatique.

Contrairement aux allégations de la société Intuiscio, la cour d’appel de Versailles saisie de l’appel de l’ordonnance de référé lui allouant une provision sur sa rémunération ne s’est pas prononcée sur le pillage des données de l’entreprise, qui n’était pas évoqué par les parties.

En dernier lieu, la société Intuiscio soutient que la mesure ordonnée est trop générale pour être admissible, puisque limitée dans le temps elle ne l’est pas dans son objet qui retient un nombre de mots clés conséquent, en voulant pour preuve le nombre de fichiers saisis (8 378). Elle ajoute qu’il n’est toujours pas justifié que les noms figurant sur cette liste soient bien ceux facturés par la société Consultake dans l’année ayant précédé la révocation de son mandat.

Nonobstant le fait que la liste des mots clés, à l’exception des mots Webinar et Intelligence artificielle, reprend celle des clients visés à l’attestation de l’expert comptable de la société Consultake SAS document qui supporte son timbre humide et sa signature tant au recto qu’au verso, ce qui rend inopérant la dénégation de sa valeur probante fondée sur une redite (du mot atteste) et de l’emploi de deux polices d’imprimerie, force est de constater que la mesure est limitée dans son objet, tant par l’usage de mots clés que par sa finalité (la recherche de la matérialité, des conditions de consultation voir le détournement de deux bases de données, de l’activité de la société Intuiscio et les conditions d’organisation du Webinar de novembre et décembre 2020).

Enfin, le caractère proportionné de la mesure eu égard aux intérêts en présence s’apprécie au moment de son prononcé, par conséquent, le résultat de son exécution et notamment le nombre de documents séquestrés n’a pas à être pris en considération.

Par suite, la mesure ordonnée ne s’apparente pas à une mesure générale d’investigation excédant les prévisions de l’article 145 du code de procédure civile. L’ordonnance déférée sera confirmée en ce qu’elle refuse de rétracter l’ordonnance du 9 mars 2021.

L’appel incident des sociétés Consultake et Nodya group n’est soutenu par aucune argumentation et ne peut, par conséquent, qu’être rejeté.

Les dispositions de l’ordonnance entreprise sur les dépens et frais irrépétibles seront confirmées. La société Intuiscio sera condamnée aux dépens d’appel et à payer une indemnité complémentaire au titre des frais exposés par les intimées pour assurer leur défense devant la cour.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance du 4 mars 2022 ;

Y ajoutant

Condamne la société Intuiscio à payer aux sociétés Consultake SAS et Nodya group la somme de 2000 euros à chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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