Cour d’appel de Noumea, 10 novembre 2022, 21/000597

·

·

Cour d’appel de Noumea, 10 novembre 2022, 21/000597
Ce point juridique est utile ?

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

No de minute : 83/2022

COUR D’APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 10 novembre 2022

Chambre sociale

Numéro R.G. : No RG 21/00059 – No Portalis DBWF-V-B7F-SIJ

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Juillet 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :19/262)

Saisine de la cour : 11 Août 2021

APPELANT

S.A.R.L. STNC ENSEIGNE CLPI, représentée par M. [T] [Z]
Siège social : [Adresse 3]
Représentée par Me Noémie KOZLOWSKI de la SELARL JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. [C] [D]
né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 2]
demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Myriam LAGUILLON de la SELARL LEXNEA, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 Mai 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,
Mme Nathalie BRUN, Conseiller,
M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Thibaud SOUBEYRAN.

Greffier lors des débats et de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :

– contradictoire,

– prononcé publiquement après prorogations par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 10 novembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

– signé par Monsieur Thibaud SOUBEYRAN, conseiller, pour le président empêché, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Par contrat à durée indéterminée du 27 mars 2012, M. [C] [D] a été engagé à temps plein par la société S T.N.C, exerçant sous l’enseigne C.L.P.I., en qualité de technicien-vendeur représentant, statut employé, niveau II, échelon 2, moyennant un salaire mensuel brut de 154 530 francs CFP, outre une part variable indexée sur les ventes. Il lui était en particulier confié la représentation, la vérification et l’entretien des dispositifs de lutte contre l’incendie commercialisés par la société.

M. [D] était placé en arrêt maladie du 1er au 8 septembre 2018, puis du 10 octobre 2018 au 16 août 2019.

Le 12 septembre 2018, une déclaration de maladie professionnelle était adressée à la CAFAT, accompagnée d’un certificat médical du Dr [L] [G] faisant état d’une première constatation médicale le 21 juin 2018 et mentionnant une atteinte aux canaux carpiens droit et gauche avec prédominance à droite entraînant majorée selon l’intensité des efforts professionnels.

Le 27 septembre 2018, le Dr [N], rhumatologue, constatait, après avoir pratiqué un examen spécialisé (EMG) : “sévère bloc de conduction sensitive sur les 2 médians au canal carpien, prédominant à droite, avec ralentissement de conduction motrice transcarpienne, et souffrance neurogène thénarienne débutante à droite. Indication chirurgicale formelle. Pas d’anomalie de conduction sur les nerfs ulnaires”.

Le 20 septembre 2018, le technicien de prévention missionné par la Caisse de Compensation des Prestations Familiales et de Prévoyance des Travailleurs de Nouvelle Calédonie (CAFAT) émettait l’avis suivant : “le délai de prise en charge de 30 jours est respecté car l’intéressé n’a jamais cessé de travailler jusqu’au jour de l’examen médical en date du 21/06/2018 (…) Par contre la colonne no3 n’est pas respectée car l’employeur de ce salarié ne confirme pas le caractère habituel de la gestuelle manuelle (rappel : 20% du temps de travail maxi) contrairement aux dires de l’assuré. “

Suivant courrier daté du 22 octobre 2018, la CAFAT informait M. [D] du refus de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie en raison de l’irrespect des critères relatifs à la liste des travaux susceptibles de provoquer la maladie.

Lors de sa réunion du 3 décembre 2018, le Comité Territorial de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CTRMP) refusait de reconnaître le caractère professionnel de la pathologie.

Par courrier du 3 décembre 2018, la CAFAT, visant l’avis du CTRMP, confirmait son refus de prise en charge par l’assurance Accidents du Travail et Maladies Professionnelles.

Le 2 janvier 2019, M. [D] adressait à la CAFAT diverses pièces médicales afin de compléter sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle.

Le 10 avril 2019, le médecin du travail émettait l’avis suivant : “PAS DE DÉCISION D’APTITUDE. La reprise est envisageable au poste à l’essai, si possible avec un maximum de travail commercial. Pour le travail technique, nécessité de mallette ergonomique : légère, à roulette et si possible utilisable dans les escaliers et d’outils performants/pinces à sertir ergonomiques. A revoir à la reprise”.

Toutefois, le 14 juin 2019, le médecin du travail déclarait M. [D] “INAPTE DÉFINITIF au poste de Technico-commercial” tout en précisant que “le maintien du salarié à ce poste serait préjudiciable à sa santé. Un reclassement en dehors de l’entreprise à un poste commercial est tout à fait possible”.

Par courrier daté du 9 juillet 2019, M. [D] était convoqué à un entretien préalable à son licenciement pour inaptitude définitive prévu le 18 juillet 2019, l’employeur évoquant une proposition de reclassement hors de l’entreprise à un poste de commercial. Le salarié ne se présentait pas à l’entretien préalable.

L’employeur le convoquait une seconde fois à un entretien préalable fixé au 9 août 2019, mais selon courrier du 8 août 2019, le salarié informait l’employeur de son absence à cet entretien et sollicitait des informations complémentaires relatives au poste proposé.

Par courrier daté du 12 août 2019, l’employeur informait M. [D] d’une possibilité de reclassement sur un emploi de commercial auprès de la société PACIFIC SAFETY.

Par courrier daté du 6 septembre 2019 adressé en recommandé avec accusé de réception, son employeur le convoquait à un nouvel entretien préalable, fixé au 12 septembre 2019. M. [D] ne se présentait pas à cet entretien.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 septembre 2019, l’employeur lui notifiait son licenciement pour inaptitude définitive dans les termes suivants :

“Suivant avis en date du 19 juin 2019, le médecin du SMIT vous a déclaré “INAPTE DÉFINITIF au poste de Technico-commercial. Le maintien du salarié à ce poste serait préjudiciable à sa santé. Un reclassement en dehors de l’entreprise à un poste de commercial est tout à fait possible”.

Il s’agit d’une inaptitude définitive d’origine non professionnelle, confirmée par la CAFAT par courrier en date du 22 octobre 2018 sans révision depuis lors.

Souhaitant vous maintenir une collaboration salariée, et conformément à la réglementation en vigueur, nous avons entrepris un processus de recherche de reclassement, en tenant compte de vos aptitudes physiques, telles qu’appréciées par le médecin du travail, ainsi que de vos compétences.

Cette recherche n’a malheureusement pas été concluante.

Aucun poste disponible, même avec aménagement, et compatible avec vos possibilités physiques et professionnelles n’ayant pu être identifié au sein de notre société.

Outre le fait que nos effectifs sont équilibrés par rapport aux activités de la société, nos besoins sont par ailleurs ce jour plus “techniques” que “commerciales”

La société n’est en effet plus en capacité de s’inscrire dans une dynamique de développement commercial, mais, aux fins d’assurer sa compétitivité sur le marché et sa pérennité, se doit de renforcer ses capacités techniques, et ce aux fins de pouvoir répondre, satisfaire et ainsi maintenir nos clients déjà en portefeuille.

Cet impératif explique également notre empêchement à aménager votre poste actuel, qui serait nécessairement vidé de toute sa substance si nous lui retirions les activités techniques.

Au vu des désorganisations liées à votre absence prolongée dans notre entreprise, alors que nos besoins techniques actuels sont réels et sérieux, j’ai procédé à un recrutement le 19 août 2019.

La société n’a malheureusement ainsi à ce jour, pas la possibilité de vous proposer d’emploi en son sein.

Aux fins de répondre pleinement aux exigences de la réglementation en vigueur, ainsi qu’aux prescriptions du médecin du travail, nous avons étendu nos recherches de reclassement en dehors de l’entreprise, auprès des autres entités avec lesquelles CLPI a un lien, ce qui nous a permis d’identifier un poste pleinement satisfaisant au titre de votre reclassement.

Il s’agit d’un poste de Commercial au sein de la structure PACIFIQUE – SAFETY ; société que vous connaissez ; située à [Adresse 5], qui intervient dans la sécurité des navires (extinction incendie et radeaux de sauvetage) et la fourniture d’équipements de protection individuelle tous domaines.

Nous vous avons fait part de cette proposition de reclassement de vive voix, dès le 17 juin 2019.

Face à votre absence de retour, et dans le respect de nos obligations, puisque sans possibilité de reclassement au sein de CLPI nous ne pouvons maintenir votre collaboration, nous avons engagé une procédure de licenciement.

C’est dans ce cadre que vous avez été convoqué à un entretien préalable, qui aurait justement été l’occasion d’échanger sur notre proposition de reclassement, fixé au 18 juillet 2019 à 10 heures.

Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien, sans motif et sans en solliciter le report.

Aux fins que le principe du contradictoire soit dûment respecté, et dans l’objectif, toujours poursuivi, de vous présenter au plus vite notre offre de reclassement, nous avons pris l’initiative de réorganiser un entretien préalable le 09 août 2019 à 10 heures, auquel, une fois encore, vous ne vous êtes pas présenté.

La veille de cet entretien, soit le 08 août 2019, vous nous avez fait porter un courrier nous signalant que vous serez absent et nous demandant “la présentation du poste” proposé à titre de reclassement.

Nous y avons procédé par courrier du 12 août 2019, dans lequel nous vous avons apporté les renseignements utiles sur l’emploi.

Nous vous avons accordé un délai de quinze (15) jours pour nous communiquer votre position ; délai raisonnable eu égard au fait que le poste offert au reclassement était déjà connu depuis plusieurs semaines.

Bien évidemment, si vous nous l’aviez demandé, nous vous aurions accordé un délai supplémentaire et répondu à l’ensemble de vos interrogations.

Nous n’avons malheureusement eu aucun retour de votre part, ce qui nous a contraints à vous reconvoquer à un entretien préalable, avorté depuis plusieurs semaines par votre silence.

Vous ne vous êtes pas non plus présenté à cet entretien fixé au 12 septembre 2019 à 16 heures, sans nous donner aucune nouvelle.

Dans ces conditions, et eu égard au délai écoulé, nous considérons légitimement que vous déclinez notre offre de reclassement sur le poste de Commercial auprès de la société PACIFIC – SAFETY.

Etant donné l’absence de tout poste disponible, même avec aménagement, au sein de la société CLPI, ainsi qu’auprès des autres sociétés de notre groupe, après actualisation de nos recherches, nous sommes amenés, par la présente, à vous notifier votre licenciement pour inaptitude définitive à votre emploi et impossibilité absolue de reclassement, qu’il soit interne ou externe.

Nous ne pouvons en effet maintenir dans son emploi, un salarié déclaré inapte définitif, alors que la prestation de travail est l’essence même du contrat de travail.

A ce jour, nous n’avons pas non plus d’information sur une éventuelle incapacité, ou situation de handicap, reconnue par la CAFAT, malgré nos demandes, auxquelles vous n’avez donné aucune suite. Ces informations ne peuvent nous être communiquées par les organismes compétents, et ce en raison de leur caractère personnel et donc confidentiel (informations couvertes par le secret médical).

Etant donné vos incapacités, votre licenciement prend effet à compter de la notification de la présente. C’est à cette date que sera arrêté votre solde de tout compte et que vous serez sorti des effectifs de notre entreprise.

Vous bénéficiez d’une priorité de réembauchage pendant une durée d’un (1) an, courant à compter de la première date de présentation du courrier, à condition de nous faire part de votre intérêt pour cette priorité dans un délai de quatre (4) mois.

Nous vous remercions de prendre notre attache aux fins que nous puissions vous remettre vos documents de fin de contrat et de votre solde de tout compte, qui contiendra notamment votre indemnité de licenciement calculée conformément à votre ancienneté.

Etant donnée la nature non professionnelle de votre indisponibilité, nous vous informons de ce que vos périodes d’arrêt maladie ne sont pas prises en compte dans le décompte de votre ancienneté.”

Selon requête du 19 décembre 2019, M. [C] [D] a saisi le tribunal du travail de Nouméa aux fins de voir reconnaître tant le caractère professionnel de son affection du canal carpien bilatéral et de son inaptitude, que la faute inexcusable de son employeur et de voir en conséquence ordonner une expertise médicale et la majoration de la rente d’incapacité permanente à son maximum. Il sollicitait par ailleurs que soit prononcées la nullité du licenciement et la condamnation de l’employeur à lui verser diverses sommes en indemnisation.

A titre subsidiaire, il soutenait que son employeur avait manqué à son obligation de sécurité de résultat et sollicitait en conséquence sa condamnation à lui verser la somme de 1 000 000 de francs CFP à titre de dommages et intérêts.

A titre infiniment subsidiaire, il soutenait que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et sollicitait l’indemnisation de son préjudice à ce titre.

Enfin, invoquant l’absence d’accord d’entreprise fixant le montant de la gratification de fin d’année prévue par la convention collective, il sollicitait l’indemnisation de son préjudice à ce titre.

Suivant jugement du 20 juillet 2021, le tribunal du travail a :

– dit que M. [C] [D] était atteint d’une maladie professionnelle et que la société S.T.N.C avait commis une faute inexcusable de nature à entraîner la majoration de la rente si une rente lui était due ;

– dit que la majoration de la rente serait fixée au maximum ;

– dit que M. [C] [D] était fondé à solliciter la réparation de son préjudice personnel de droit commun et ordonné une expertise médicale ;

– dit que le licenciement de M. [C] [D] pour inaptitude était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– condamné la société S.T.N.C. à payer à M. [C] [D] les sommes suivantes :

– 4 332 000 francs CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 1 969 045 francs CFP à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le non-paiement de la gratification annuelle ;

– dit que les sommes allouées produiraient intérêts au taux légal à compter du jugement ;

– débouté les parties du surplus de leur demandes ;

– ordonné l’exécution provisoire à hauteur de 50 % des sommes allouées ;

– dit qu’il appartiendrait à M. [C] [D] de saisir le tribunal lorsque le rapport d’expertise serait déposé ;

– ordonné le retrait de l’affaire du rôle ;

– condamné la société S.T.N.C à verser à M. [C] [D] la somme de 200 000 francs CFP au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.

Pour statuer en ce sens, le tribunal a notamment retenu :

– que la décision de la CAFAT de refus de reconnaissance de sa maladie professionnelle était entachée d’irrégularité et dès lors inopposable au salarié ;

– que le syndrome du canal carpien dont souffre M. [D] devait être considéré comme étant de nature professionnelle au vu des pièces produites sans qu’il y ait lieu à expertise sur ce point ;

– que l’employeur, qui n’avait pris aucune mesure pour protéger la santé et la sécurité de son salarié alors qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, avait commis une faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle ;

– que faute pour l’employeur de justifier de démarches effectuées pour aménager le poste de travail du requérant ou pour lui proposer une proposition satisfaisante de reclassement, le licenciement du salarié devait être considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse.

PROCÉDURE D’APPEL :

Suivant requête déposée au greffe de la cour le 9 août 2021, la société S.T.N.C. a interjeté appel de ce jugement.

Au terme de ses dernières écritures du 15 novembre 2021, elle demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de juger à titre principal que les décisions de la CAFAT et du CTRMP sont opposables au salarié, à titre subsidiaire de prononcer un sursis à statuer et d’ordonner une enquête contradictoire confiée au CTRMP ou à la CAFAT, de débouter M. [D] de l’intégralité de ses demandes au titre de la reconnaissance d’une maladie professionnelle et d’une faute inexcusable de l’employeur et de le condamner à lui verser la somme de 350 000 francs CFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

En réplique, M. [D] forme en cause d’appel les mêmes demandes qu’en première instance.

La CAFAT, à qui le mémoire ampliatif d’appel a été communiqué, n’a pas comparu.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie expressément à leurs écritures respectives, aux notes de l’audience et aux développements ci-dessous.

MOTIFS :

Sur l’origine professionnelle de la maladie :

L’article 1er de la Délibération no 395/CP du 19 avril 1995 relative à la reconnaissance des maladies professionnelles et à la création d’un Comité territorial de reconnaissance des maladies professionnelles énonce : “Conformément à la délibération no 8 du 26 décembre 1958 relative aux maladies professionnelles, est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles figurant sur une liste fixée par arrêté de l’Exécutif du Territoire et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée, non désignée dans un tableau de maladies professionnelles, lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux au moins égal à 25 %.

Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la CAFAT reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un Comité territorial de reconnaissance des maladies professionnelles.

L’avis du Comité s’impose à la CAFAT.”

Ainsi, pour que la maladie désignée à un tableau, sans en remplir les conditions administratives de prise en charge, puisse être reconnue d’origine professionnelle, la preuve doit être rapportée du lien direct entre cette maladie et le travail habituel de la victime. Le texte n’exige toutefois pas que le travail habituel soit la cause unique ou essentielle de la maladie.

Les juges du fond ne sont pas liés par l’avis du Comité qui constitue un élément de preuve parmi les autres et dont ils apprécient souverainement la force probante.

En l’espèce, la réalité de l’atteinte des canaux carpiens des deux mains avec prédominance à droite, telle qu’elle résulte des termes des certificats médicaux et arrêts de travail des 12 et 27 septembre, 10 octobre, 6 et 15 novembre, 18 décembre 2018, 7 janvier, 6 février, 5 avril, 11 mai, 7 et 17 juin et 15 juillet 2019 versés aux débats, n’est pas contestée par l’employeur.

Il n’est pas d’avantage contesté que cette affection est visée au no57/C (“Syndrome du canal carpien”) du tableau des maladies professionnelles relatives aux affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail applicable sur le territoire.

L’employeur soutient en premier lieu que la condition tenant au délai d’exposition prévu au tableau – 30 jours – n’est pas remplie.

Il résulte toutefois du contrat de travail et des pièces versées par l’appelante que M. [D] est employé en qualité de technicien vendeur à temps plein depuis le 27 mars 2012 et qu’il procède quotidiennement à des vérifications de l’état des dispositifs de lutte contre l’incendie dans le cadre de sa mission, de sorte que la condition de durée d’exposition est remplie.

L’employeur soutient en second lieu que les tâches confiées à M. [D] n’entrent pas dans la liste limitative des travaux visés au tableau comme étant susceptibles de provoquer cette affection, laquelle vise les “travaux comportant de façon habituelle, soit des mouvements répétés ou prolongés d’extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main”.

Toutefois, comme l’a exactement retenu le tribunal, il résulte des pièces produites aux débats par M. [D] que ce dernier a pratiqué de manière habituelle les gestes répétés visés au tableau dans l’exercice de sa profession.

Ainsi, M. [D] a procédé dans le cadre de ses missions à des vérifications et maintenances préventives quotidiennes des dispositifs de lutte contre l’incendie (extincteurs à pression permanente et auxiliaire), à raison, selon le décompte effectué par l’employeur lui-même sur la base des prestations facturées depuis 2012, de 2193 à 1549 opérations de vérification et maintenance par an, soit une moyenne de 9,3 à 6,6 opérations par jour travaillé, outre les recharges en eau, poudre et Co2.

Or, il résulte du manuel spécifiant les procédures de vérification et de maintenance préventive de ces appareil, produit par l’appelante, qu’une telle opération nécessite, quel que soit le modèle, des gestes répétés de préhension et d’extension du poignet et de pression sur le talon de la main, directement ou à l’aide d’outils à main, à l’occasion de la manutention des extincteurs (dont le poids est compris entre 9 et 15 kg) et du matériel de vérification, de démontage et de remontage de l’enjoliveur et de la cartouche, de dévissage et de serrage des écrous, de vérification du bon fonctionnement du système de sécurité par goupilles et enfin de plombage des appareils, ce que confirment les photographies illustrant le document.

Ces gestes répétés sont confirmés par la fiche “risques professionnels” produite par M. [D] pour les années 2015-2016 contresignée par l’employeur, qui évoque, au titre des contraintes liées aux expositions, un travail mécanique quotidien avec outils à mains et au titre des contraintes liées aux postures et gestes des “gestes répétitifs” quotidiens et des ports de charges quotidiens entre 10 et 25 kg. Les constations du Dr [Y], médecin du travail, le 4 octobre 2018, telles que portées au dossier médical du Service Médical Interentreprises du Travail (SMIT) de Nouvelle Calédonie mentionnent que M. [D] “change et met en place des extincteurs, toute la journée, entre 9 et 15 kg, porte aussi une caisse à outils de plusieurs kilos, fait ce travail depuis 7 ans”.

Ils sont également étayés par les attestations précises d’anciens salariés (M. [J], M. [S]) dont l’employeur n’établit pas, comme il le soutient, qu’ils sont dépourvus de force probante.

Comme le relève à juste titre le tribunal, la circonstance invoquée par l’employeur, à la supposer démontrée, selon laquelle M. [D] ne consacre pas une part prépondérante de son temps de travail à la pose, aux vérifications techniques et à l’entretien des extincteurs est sans incidence sur l’imputabilité des atteintes constatées à ces gestes dès lors qu’ils sont effectués dans le cadre de ses missions, de manière régulière et répétée et que les atteintes leur sont imputables de manière directe et certaine, ainsi que le confirme le certificat médical du Dr [H], chirurgien orthopédiste en date du 7 janvier 2019.

Enfin, l’avis du technicien de la CAFAT et du CTRMP sont dépourvus de force probante dès lors que le refus de prise en charge opposé à M. [D] ne repose que sur les déclarations de l’employeur, en l’absence de toute analyse concrète des tâches attribuées au salarié.

Dès lors et sans qu’il soit besoin d’ordonner une mesure d’instruction, c’est à bon droit que le tribunal a retenu que l’affection dont souffre M. [D] doit être réputée d’origine professionnelle pour remplir les conditions mentionnées au tableau 57/C précité et qu’il a, en l’absence de preuve contraire proposée par l’employeur, considéré le syndrome du canal carpien dont souffre le requérant comme étant d’origine professionnelle.

Sur la faute inexcusable de l’employeur :

Il appartient à l’employeur, en vertu des articles Lp. 261-1 à Lp. 261-3 du code du travail de la Nouvelle Calédonie de prendre les mesures de prévention, d’information, de formation nécessaires à la sécurité et à la protection de la santé des salariés, ainsi que de mettre en place une organisation du travail et des moyens adaptés à ces objectifs.

L’employeur se doit ainsi d’évaluer les risques pesant sur ses salariés, de les combattre à la source, d’adapter les outils, méthodes et équipements de travail en vue notamment de limiter les conséquences de tâches et gestes répétitifs sur la santé de son salarié, créancier à son égard d’une obligation de sécurité de résultat.

A défaut, si le salarié établit que le manquement de son employeur lui a causé une atteinte préjudiciable alors qu’il aurait dû avoir conscience du danger auquel il l’exposait, sa faute inexcusable est susceptible de justifier une majoration de la rente à laquelle il peut prétendre.

L’appelante estime en l’espèce que M. [D] n’établit pas la réalité de la faute inexcusable dont il se prévaut, le tribunal ayant, par une erreur d’appréciation et de droit, renversé à son détriment la charge de la preuve.

Toutefois, la société S.T.N.C., qui avait nécessairement connaissance du tableau 57/C et du risque, pour ses techniciens, d’affection du canal carpien consécutive à des “travaux comportant de façon habituelle, soit des mouvements répétés ou prolongés d’extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main”, ne pouvait ignorer la nature et la répétition des gestes exécutés par M. [D] depuis sa prise de poste.

Elle ne justifie toutefois ni avoir réalisé une analyse de ce risque, ni avoir mis en place d’action de prévention spécifique, ni avoir organisé le travail de M. [D] au regard de ce risque, notamment en limitant ses tâches ou en ménageant des temps suffisants de décharge de ses activités techniques, ni lui avoir donné de consignes pour prévenir cette atteinte, ni enfin avoir mis à sa disposition de matériels adaptés (malette et outils à sertir ergonomiques, chariot de portage ou diable individuel, clefs à choc) permettant d’amoindrir l’effort nécessaire à la réalisation de ses tâches malgré les observations du médecin du SMIT du 11 avril 2018 et ses préconisations du 10 avril 2019.

Dès lors, c’est à juste titre que le tribunal a retenu la faute inexcusable de l’employeur et qu’il a, en l’absence de faute imputable au salarié, décidé que la rente serait majorée au taux maximal.

En l’absence de critique de ce chef, le jugement sera également confirmé en ce qu’il a ordonné une expertise médicale afin de déterminer les préjudices subis à ce titre par M. [D].

Sur la nullité du licenciement :

Conformément aux articles Lp. 127-2 et Lp. 127-3 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, au cours des périodes de suspension du contrat de travail occasionnée par une maladie professionnelle, l’employeur ne peut procéder au licenciement d’un salarié engagé à durée indéterminée que s’il justifie soit d’une faute grave, soit de son impossibilité de maintenir la relation contractuelle pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.

Aux termes de l’article Lp. 127-8, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions de l’article Lp. 127-3 est nulle.

En l’espèce, M. [D] justifie par la production de certificats médicaux successifs, avoir été placé en arrêt de travail jusqu’au 16 août 2019 (certificat médical du 15 juillet 2019), de sorte que, le licenciement ayant été prononcé le 20 septembre 2019, les articles précités ne peuvent trouver à s’appliquer.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [D] de sa demande en nullité du licenciement formée sur ce fondement.

Sur le bien-fondé du licenciement :

Aux termes de l’article Lp. 127-6 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, lorsque, à l’issue des périodes de suspension consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existants dans l’entreprise.

L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformation de poste ou aménagement du temps de travail.

L’article Lp. 127-7 dispose quant à lui que lorsque l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent au reclassement.

L’employeur ne peut rompre le contrat que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article Lp. 127-6, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions.

S’il prononce le licenciement, l’employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue à la section deux du chapitre II du titre 2 du présent livre.

Le tribunal a retenu, aux termes du jugement entrepris, que l’employeur n’avait pas connaissance du caractère professionnel de la maladie à l’origine de l’inaptitude dès lors que la CAFAT avait à cette date rejeté par deux fois la demande du salarié en reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et que ce dernier ne justifiait pas avoir indiqué à l’employeur qu’il contestait ses décisions.

Il est constant en effet que les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’employeur a connaissance de l’origine professionnelle de la maladie ou de l’accident.

En l’espèce, même si l’employeur avait été informé du refus de prise en charge au titre du régime des maladies professionnelles, il résulte des constatations détaillées des différents médecins prescripteurs des arrêts de travail communiqués à l’employeur, des termes de la saisine de l’organisme social et du certificat médical joint, des constatations explicites du médecin du travail et de la fiche de risques professionnels contresignée par l’employeur que ce dernier avait nécessairement connaissance de l’origine professionnelle de l’atteinte du canal carpien justifiant son inaptitude définitive.

La société S.T.N.C. était dès lors tenue au respect des dispositions précitées.

Pour estimer que le licenciement n’était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, le tribunal a retenu que l’employeur ne justifiait d’aucune démarche pour aménager son poste de travail ni d’aucune autre démarche de reclassement que la proposition d’un poste de commercial au sein d’une société du même groupe, refusée par le salarié.

L’appelante se borne en cause d’appel à reprendre l’argumentation de première instance sans critiquer les motifs du jugement, soutenant d’une part que le reclassement au sein de la société était impossible, d’autre part qu’elle a respecté son obligation de reclassement en procédant à la proposition précitée.

En l’espèce, l’employeur ne justifie pas avoir cherché à aménager le poste occupé par M. [D] au sein de l’entreprise autour de ses activités commerciales en excluant toute tâche technique, et ne produit aucune pièce susceptible de démontrer, comme il le soutient, que ces tâches étaient indissociables des activités commerciales et qu’elles ne pouvaient être confiées à d’autres salariés dans le cadre d’une réorganisation de l’activité, alors même qu’il estime par ailleurs que ces tâches techniques étaient limitées à 20 % de son temps de travail.

Il ne justifie pas davantage du nombre de salariés au jour du licenciement, de leurs emplois et de l’absence de vacance de postes.

Par ailleurs, il ne produit aucune fiche de poste ou appel à candidature portant sur le poste de commercial offert en reclassement à M. [D] au sein de la société PACIFIC SAFETY.

Les seules mentions relatives à ce poste portées au courrier du 12 août 2019 sont insuffisantes à établir que cet emploi pouvait revêtir des caractéristiques comparables au poste occupé par M. [D] au sein de la société S.T.N.C. dès lors notamment que l’objectif contractuel du chiffre d’affaires mensuel à réaliser par le salarié était fixé à 2 500 000 francs CFP contre 1 500 000 francs CFP aux termes du contrat du 27 mars 2012, d’autre part que le salarié ne pouvait légitimement s’attendre à un maintien de sa rémunération en l’absence de reprise de son ancienneté et au regard de l’incertitude sur le montant prévisible des primes, correspondant, au regard des bulletins de salaires produits, à plus de la moitié de ses revenus (3 975 793 – 190 000 x 10 = 2 075 793 francs CFP de primes au mois d’octobre 2018).

Dès lors, l’employeur ne peut se prévaloir de l’absence de suites données par son salarié à cette proposition pour se dire libéré de son obligation de reclassement.

En l’absence de toute autre démarche sérieuse de reclassement, il convient de constater que la société S.T.N.C. n’a pas respecté les termes de l’article 127-6 précité et de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes indemnitaires :

Aux termes de l’article Lp. 127-10 du code du travail, lorsqu’un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives (…) au reclassement du salarié déclaré inapte prévues à l’article Lp. 127-6 et au dernier alinéa de l’article Lp. 127-7, le tribunal octroie au salarié, en cas de refus de réintégration, une indemnité qui ne saurait être inférieure à 12 mois de salaire, sans préjudice de l’indemnité compensatrice et, le cas échéant, de l’indemnité spéciale de licenciement prévue à l’article Lp. 127-9.

Le montant du salaire moyen mensuel net de M. [D] durant les mois précédant son licenciement, fixé par le tribunal à 393 809 francs CFP au regard des bulletins de salaire produits aux débats, n’est pas discuté par les parties.

Il se déduit de ce qui précède que M. [D] est fondé à solliciter la condamnation de son employeur à lui verser les sommes de :

– 393 809 x 12 = 4 725 708 francs CFP au titre de l’indemnité de licenciement ;

– 393 809 x 2 + 10 % = 866 380 francs au titre de l’indemnité de préavis augmentée des congés payés afférents ;

– 295 357 francs CFP au titre du doublement de l’indemnité prévue à l’article Lp.122-27.

Sur le rappel de la prime de fin d’année 2019 :

C’est par des motifs pertinents et non critiqués en cause d’appel que le tribunal a retenu aux termes de la décision frappée d’appel que la prime de fin d’année dont le rappel était réclamé au titre des cinq dernières années sur le fondement de l’article 25 de la convention collective Commerce avait un caractère obligatoire malgré l’absence d’accord d’entreprise et qu’il a fixé le montant du préjudice subi à ce titre par M. [D], au regard des bulletins de salaires 2018 et 2019, à 1 969 045 francs CFP.

La décision entreprise sera également confirmée de ce chef.

Sur les demandes annexes :

La société S.T.N.C., qui succombe à l’instance, sera condamnée à supporter la charge des dépens d’appel et à verser à M. [D] la somme de 350 000 francs CFP sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile de Nouvelle Calédonie.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement, sauf en ce qu’il a fixé à 4 332 000 francs CFP le montant de la somme due par la société S.T.N.C. au titre du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a débouté M. [C] [D] de ses demandes indemnitaires additionnelles ;

Statuant à nouveau de ces chefs :

CONDAMNE la société S.T.N.C. à verser à M. [C] [D] les sommes de :

– 4 725 708 francs CFP au titre de l’indemnité de licenciement ;

– 866 380 francs CFP au titre de l’indemnité de préavis augmentée des congés payés afférents ;

– 295 357 francs CFP au titre du doublement de l’indemnité prévue à l’article Lp.122-27 du code du travail de Nouvelle Calédonie ;

Y ajoutant :

CONDAMNE la société S.T.N.C. à verser à M. [C] [D] la somme de 350 000 francs sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile de Nouvelle Calédonie ;

CONDAMNE la société S.T.N.C. aux dépens d’appel ;

Le greffier, Le conseiller.


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x