L’injure absorbée par la diffamation

·

·

,
L’injure absorbée par la diffamation
Ce point juridique est utile ?

L’alinéa 2 de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme ‘toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait’ (une expression outrageante porte atteinte à l’honneur ou à la délicatesse ; un terme de mépris cherche à rabaisser l’intéressé ; une invective prend une forme violente ou grossière).

L’appréciation du caractère injurieux du propos relève du pouvoir du juge ; elle doit être effectuée en fonction du contexte, en tenant compte des éléments intrinsèques comme extrinsèques au message, et de manière objective, sans prendre en considération la perception personnelle de la victime.

Par ailleurs, un même message peut contenir, à la fois, des propos diffamatoires et des termes injurieux : i) s’ils sont détachables les uns des autres, une double déclaration de culpabilité est justifiée, lorsqu’il résulte du contexte que les termes injurieux ne se réfèrent nullement aux faits visés par les imputations diffamatoires ; ii) en revanche, lorsque les expressions injurieuses sont indivisibles d’une imputation diffamatoire, le délit d’injure est absorbé par celui de diffamation et ne peut être relevé seul.

En l’occurrence, si le mot ‘médiocre’ -même répété plusieurs fois- est certes péjoratif, il ne caractérise, qu’un jugement de valeur négatif sans véritable portée injurieuse. De plus, les termes injurieux ‘délinquants’ et ‘voyous’ sont absorbés par la diffamation également contenue et poursuivie dans la même vidéo ‘Franc-maçon-gate’, expliquant notamment que ‘nous avons des preuves comme quoi ces gens ont commis des infractions’. Les injures poursuivies n’étaient donc pas caractérisées.

________________________________________________________________________

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 7

ARRET DU 30 JUIN 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/12254 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCJAK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2020 – TJ hors JAF, JEX, JLD, J.EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 19/12607

APPELANT

Monsieur A E

[…]

[…]

né le […] à Epinal

Représenté par Maître Alexis SOBIERAJ, avocat au barreau de PARIS, toque : K111, avocat postulant

INTIMES

Monsieur F Y

[…]

[…]

né le […] à Paris

Représenté par Maître Luc BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P336, avocat postulant

Assisté de Maître Margot BAILLY, avocat au barreau de PARIS, toque : P336, avocat plaidant

MINISTERE PUBLIC pris en la personne de Monsieur le Procureur Général

[…]

[…]

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 26 mai 2021, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme P RIVIERE, Présidente

Mme P CHAPLY, Conseillère

Mme P-Q X, Magistrat honoraire juridictionnel

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme X dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par P RIVIERE, Présidente, et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu l’assignation à jour fixe délivrée le 22 octobre 2019 à A E, à la requête de F Y qui demandait au tribunal de grande instance de Paris, au visa des articles 29 alinéas 1 et 2, 32 alinéa 1 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, de :

— dire et juger diffamatoires les propos suivants :

‘Il utilise des manoeuvres qu’on appelle des manoeuvres dilatoires, qui sont faites un petit peu pour noyer le poisson, pour retarder l’échéance. Là je m’excuse, Maître, mais vous vous êtes planté hein parce qu’il faut pas rigoler avec ça. En fait vous venez de désobéir aux ordres du Prince, aux ordres implicites du Prince, là déjà faudra que vous rendiez des comptes.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Maître F Y, c’est l’Avocat du Prince qui fait, qui place depuis des années tous ses larbins, ses petits copains de Paris dans les institutions de Monaco bien entendu tous francs-maçons, et qui tient par, par ce que vous devez savoir pour rester poli, ce Monsieur s’est cru pendant des années intouchable.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Mais c’est vrai qu’entre, entre voyous, on se comprend. Mais ce que je dis le mot voyou prend toute son importance quand, excusez moi du peu, Avocat du Prince, ce qui est pas rien, Monsieur Y dans un arrêt du 14 juin 2007, 2016 pardon, portant le numéro I5/50100, ce Monsieur Y est mis en accusation par la Cour de Cassation. Vous devez savoir la Cour de Cassation, c’est quand même la Cour Suprême.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Donc ça veut dire que Monsieur Y, dans cet arrêt, qui est quand même de la Chambre, la Chambre de la Cour de Cassation, ce Monsieur est accusé d’être ce qu’on appelle un délinquant. Donc nous avons quand même deux délinquants Monsieur Z, A, ce qui n’est pas rien, (…) le Monsieur qui vous a menacé, ce qui n’est pas rien.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Y a même fait établir des factures d’honoraires au nom de sa propre mère.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Il faisait quand même, c’est pour vous dire, des fausses factures parce que c’est ça que les gens vous devez entendre, fausses factures d’honoraires au nom de sa propre mère dans l’affaire que tout Monaco connaît, la Tour Odéon et la Tour Giroflées. Ça veut dire quelle probité.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Mais si cet Avocat, qui a quand même prêté serment, s’autorise à magouiller, à faire des fausses factures en impliquant sa mère à son insu’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘C’est normal quand on lit les attendus et qu’on met les honoraires au nom de sa mère, on peut, on a quand même le reflet du sacré personnage, du sacré voyou, Avocat du Prince, ce qui n’est pas rien.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Je ne peux pas travailler avec quelqu’un qui utilise sa mère pour faire des fausses factures pour magouiller. Parce que quand on fait ça on ne peut pas, on ne peut pas être ami avec quelqu’un d’autre, c’est pas possible.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Donc, c’est quand même une affaire de question de trafic d’influence où Monsieur Y est mis en accusation, dans cet arrêt.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Et nous avons quand même l’Avocat du Prince qui lui même est mis en accusation dans une question de trafic d’influence.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Donc ça veut dire que Monsieur Y, dans cet arrêt, qui est quand même de la Chambre, la Chambre de la Cour de Cassation, ce Monsieur est accusé d’être ce qu’on appelle un délinquant. Donc nous avons quand même deux délinquants Monsieur Z, A, ce qui n’est pas rien, (…) le Monsieur qui vous a menacé, ce qui n’est pas rien.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Alors là je m’adresse spécialement au Prince Albert. Votre Altesse comment pouvez-vous accepter que deux délinquants, parce que nous là nous parlons de délinquance, deux délinquants qui bafouent le droit, des violations, violation du droit, violation des traités bilatéraux, violation de la Convention Européenne des Droits de l’Homme quand même, et en même temps votre Avocat qui magouille avec, qui continue à magouiller parce que c’est un habitué des magouilles, qui place à Monaco tous ses, tous ses pantins de francs-maçons, qui discrédite Monaco’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Je vous donne raison. Mais le, le problème c’est que ces gens-là, que ce soit le, que ce soit Monsieur Z ou que ça soit Monsieur Y, Maître Y, on va dire ça comme ça, s’il a encore le mot Maître, parce que le mot Maître fait, fait rigoler. Plutôt Monsieur le délinquant, c’est beaucoup mieux, ça sonne beaucoup mieux vis-à-vis des affaires qu’il a, des casseroles qu’il a derrière lui. Ce Monsieur se permet encore de donner des leçons de morale, bon franchement, votre Altesse il est temps de mettre un grand coup de balai au Palais parce que franchement, qu’est ce que ça vous discrédite.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘j’ai déposé donc une plainte contre Monsieur G G… comment il s’appelle Monsieur Z, vous aussi, pour menaces, chantage, Monsieur G Maître Y qu’on sait tous que c’est un délinquant, mais même pas primaire puisque ce Monsieur est quand même cité dans plusieurs affaires et bien d’autres choses…’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Franc-maçon-gate’)

‘qui m’ont dit que K et Y l’avocat, donc il s’agit bien de cet avocat que j’ai révoqué ‘devaient être mis en examen par le juge qui a été viré’, il s’agit bien évidemment du juge H I’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Franc-maçon-gate’)

‘le Juge I devait mettre en examen Messieurs J K, actuel Directeur des services judiciaires, et l’Avocat du Prince Albert II, F Y…’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘ Francs-maçons démasqués’)

‘Il convient donc de souligner que le Juge I devait mettre en examen de très hauts dignitaires, encore une fois des institutions monégasques, et non des moindres, J K et F Y’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Francs-maçons démasqués’)

‘vous comprendrez mieux pourquoi le Directeur des services judiciaires de Monaco, J K et son ami l’Avocat du Prince Albert II, n’ont pas renouvelé le mandat de trois ans du juge H I.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Francs-maçons démasqués’)

‘déjà sanctionné par la Cour de Cassation à trois années de sursis pour des malversations’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Francs-maçons démasqués’)

‘… et F Y, ce même Y qui prétendait être l’Avocat et ami du Prince Albert II et qu’il a tout simplement trahi.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Francs-maçons démasqués’)

‘Regardez ce dont sont capables ces malfaiteurs. Profiter de la faiblesse d’un chef d’Etat due à la maladie qui l’emportera, en l’occurrence le Prince Rainier III de Monaco, pour lui faire signer des ordonnances générant des avantages illégaux. Si ça ce n’est pas de la spéculation. Fourbes ! Machiavéliques ! En temps de guerre, c’est le peloton d’exécution à coup sûr.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Francs-maçons démasqués’)

‘Maître, les deux recommandés que vous avez cru devoir m’envoyer à titre d’avertissement constituent ni plus ni moins qu’un chantage et une menace ouverte à mon encontre… Si vous en aviez été informé auparavant, vous vous seriez rapidement aperçu de la puérilité inefficace de vos deux courriers précités engageant votre responsabilité puisqu’il constitue la preuve des faits de chantages et menaces accentuant gravement la situation judiciaire de vos deux clients.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Libération-DJ C-Avocats’)

‘Monsieur Y a commis une faute professionnelle grave. Il n’avait a posteriori pas le droit d’entrer en contact avec Monsieur Z, pas le droit de prendre connaissance de la teneur de l’enregistrement illégal du 23 juillet 2019, je le répète, réalisé à mon insu.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Libération-D.J C-Avocats’)

‘Je constate par ailleurs que ces deux recommandés constituent la preuve formelle de la collusion illégale entre vos deux clients à mon détriment et à celui de Monsieur C.’ (Propos tirés de la vidéo intitulée ‘Libération-DJ C-Avocats’)

— dire et juger A E coupable de ces délits de diffamation,

— dire et juger que sont constitutives du délit d’injure publique les expressions suivantes :

‘des médiocres, des médiocres qui resteront des médiocres et qui mourront comme des médiocres’ (utilisée dans la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’)

‘Délinquants’ et ‘voyous’ (utilisées dans la vidéo intitulée ‘Franc-maçon-gate’)

— dire et juger A E coupable de ces délits d’injure,

— le condamner à payer à F Y en réparation de son préjudice une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts,

— ordonner la publication de communiqués informant de la décision à intervenir dans cinq journaux

au choix du demandeur dans la limite d’un coût de 5.000 euros par insertion à la charge de A E,

— ordonner à A E, sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, la suppression des vidéos litigieuses ou à tout le moins des passages jugés fautifs,

— lui faire interdiction de republier ou de rediffuser lesdites vidéos ou en tout état de cause les passages condamnés de ces vidéos, sur quelque support que ce soit, notamment numérique, sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée,

— condamner A E à payer à F Y une somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens qui incluront les frais de constat,

— ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

Vu le jugement contradictoire rendu le 8 juillet 2020 par la 17e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris qui a :

— rejeté l’exception d’incompétence soulevée par A E,

— rejeté la demande de sursis à statuer soulevée par A E,

— dit que les propos poursuivis constituent respectivement une diffamation publique et une injure publique à l’égard de F Y,

— condamné A E à verser la somme de 4.000 € à F Y en réparation de son préjudice moral,

— ordonné le retrait des propos diffamatoires et injurieux de la page Facebook de A E, dans le délai de quinze jours à partir de la date à laquelle le jugement sera devenu définitif, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

— condamné A E à payer à F Y la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné A E aux dépens,

— débouté les parties du surplus de leurs demandes,

Vu l’appel interjeté par A E le 20 août 2020 et l’appel incident de F Y,

Vu les seules conclusions au fond signifiées le 13 novembre 2020 par A E qui demandait à la cour, au vu de la prescription d’action, de sa bonne foi et de l’absence de sa qualité de responsable ou de diffuseur des vidéos :

— d’infirmer le jugement,

— de déclarer prescrite l’action de M. Y lors de la première instance sur les propos tenus dans la première vidéo,

— de juger que seule la chaîne JASPER MADER ou son représentant légal pouvait être attrait à la ause,

— de débouter M. Y de toutes ses demandes,

— subsidiairement, de prononcer une condamnation amoindrie,

— en tout état de cause, de condamner M. Y à lui verser la somme de 25.000 € à titre de dommages-intérêts par application de l’article 1240 du code civil et pour procédure abusive,

— de le condamner au paiement de la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux entiers dépens y compris les frais d’exécution et de signification à venir,

Vu l’ordonnance en date du 27 janvier 2021 par laquelle le magistrat chargé de la mise en état a rejeté l’incident formé par l’appelant, dit n’y avoir lieu à prescription partielle de l’action, condamné A E à payer à F Y la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné A E aux dépens de l’incident,

Vu les dernières conclusions signifiées par RPVA le 22 février 2021 par F Y qui demande à la cour de :

— confirmer le jugement en ce qu’il a retenu les diffamations et les injures et en ce qu’il a ordonné la suppression des propos poursuivis,

— l’infirmer sur les réparations,

— condamner A E à lui payer une somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts,

— ordonner la publication de communiqués judiciaires dans cinq journaux de son choix dans la limite de 5.000 € par insertion à la charge de A E,

— condamner ce dernier au paiement de la somme de 10.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

— le condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel qui incluront les frais de constat,

Vu l’ordonnance de clôture du 14 avril 2021qui a suspendu la prescription,

Vu l’article 455 du code de procédure civile,

***************

F Y, avocat au barreau de Paris, expose qu’il est visé dans une série de vidéos diffusées sur Youtube par la chaîne JASPER MADER.

Il ressort des différents constats d’huissier produits par lui qu’étaient publiés sur le réseau social Facebook sur un compte au nom de A E de nombreux messages et liens, concernant notamment des vidéos renvoyant vers le site internet Youtube.

F Y a agi, d’une part, devant le juge des référés pour obtenir le retrait des vidéos sur Youtube et, d’autre part, au fond par la présente instance à jour fixe pour leur diffusion sur le compte Facebook de A E à raison de propos diffamatoires ou injurieux contenus dans quatre vidéos publiées :

— le 7 septembre 2019, une vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’,

— le 16 septembre 2019, une vidéo intitulée ‘Franc-maçon-gate’,

— le 20 septembre 2019, une vidéo intitulée ‘Francs-maçons démasqués’,

— le 28 septembre 2019 (et non le 22), une vidéo intitulée ‘Libération-D.J C-Avocats’,

sur lesquelles A E apparaît, parfois en compagnie de L C.

Il sera d’abord observé que par ordonnance sur incident du 27 janvier 2021, le magistrat chargé de la mise en état a rejeté le moyen tiré de la prescription partielle de l’action s’agissant des propos contenus dans la première vidéo publiée sur Youtube plus de trois mois avant l’assignation, notamment au motif que celle-ci vise des publications sur Facebook, ce qui constitue une nouvelle mise à disposition du public faisant courir un nouveau délai de prescription.

Par ailleurs, les faits poursuivis dans la présente instance sont bien imputables à A E puisque cette procédure ne concerne que les publications réalisées sur son compte Facebook, dont il est le responsable comme directeur de la publication, et non celles effectuées sur la chaîne JASPER MADER.

Sur le caractère diffamatoire des propos

Il sera rappelé à cet égard que :

— l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme ‘toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé’ ;

— il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par ‘toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait’- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;

— l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;

— la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.

Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par la partie civile ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d’examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.

En l’espèce, les divers passages incriminés imputent à F Y, nommément désigné, de ne pas respecter les consignes de son client, le Prince de Monaco, de placer ses ‘larbins’ dans les institutions monégasques, d’être mis en accusation par la Cour de cassation comme délinquant dans une affaire de trafic d’influence, d’avoir fait des fausses factures d’honoraires, de pratiquer la menace et le chantage, d’avoir contribué au non renouvellement du juge qui devait le mettre en examen, d’avoir été pénalement sanctionné pour malversations, d’avoir trahi son client, d’avoir profité de la faiblesse d’un chef d’Etat ‘ pour lui faire signer des ordonnances générant des avantages illégaux’ et d’avoir commis de graves fautes professionnelles.

Il s’agit de faits précis pouvant faire l’objet d’un débat sur la preuve de leur vérité, qui portent atteinte à l’honneur ou à la considération de F Y, ces faits étant pénalement répréhensibles ou contraires aux règles déontologiques d’un avocat et à la morale commune.

Les propos poursuivis sont donc bien diffamatoires.

Sur la bonne foi

A E n’a pas offert de prouver la vérité des faits diffamatoires dans les conditions prévues par la loi du 29 juillet 1881, mais il fait valoir que ses propos ne sont aucunement mensongers et qu’ils s’appuient sur des faits réels, en visant sa ‘bonne foi’ dans le dispositif de ses conclusions.

Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos.

Lorsque les propos incriminés concernent un sujet d’intérêt général, leur auteur doit établir qu’ils reposent sur une base factuelle suffisante.

A E expose en particulier que le 9 septembre 2019, il a déposé plainte à l’encontre de F Y pour complicité de menaces, pressions, chantage, violation du secret professionnel, enregistrement illégal, violation de la vie privée, conflit d’intérêts, notamment à la suite d’une conversation privée tenue le 23 juillet 2019 entre lui-même et N O Z, que ce dernier a enregistrée à son insu et que M. Y s’est procurée.

S’il peut être légitime et relever de l’intérêt général de dénoncer les agissements fautifs de l’avocat d’un chef d’Etat, l’appelant ne justifie d’aucune base factuelle à l’appui de ses multiples accusations, dès lors qu’il produit principalement la copie non signée d’une plainte avec constitution de partie civile qu’il aurait envoyée le 10 décembre 2019 au ‘doyen des juges’ du tribunal de grande instance de Privas, faisant suite à sa plainte adressée le 9 septembre 2019 au procureur de la République de Privas et restée sans suite, ce dont il ne justifie nullement et ce qui ne pourrait, de toute façon, pas constituer une base factuelle suffisante pour l’ensemble des imputations diffamatoires retenues.

En conséquence, les passages incriminés sont bien constitutifs de diffamation publique envers particulier, comme le tribunal l’a jugé.

Sur les injures

L’alinéa 2 de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme ‘toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait’ (une expression outrageante porte atteinte à l’honneur ou à la délicatesse ; un terme de mépris cherche à rabaisser l’intéressé ; une invective prend une forme violente ou grossière).

L’appréciation du caractère injurieux du propos relève du pouvoir du juge ; elle doit être effectuée en fonction du contexte, en tenant compte des éléments intrinsèques comme extrinsèques au message, et de manière objective, sans prendre en considération la perception personnelle de la victime.

Par ailleurs, un même message peut contenir, à la fois, des propos diffamatoires et des termes injurieux :

— s’ils sont détachables les uns des autres, une double déclaration de culpabilité est justifiée, lorsqu’il résulte du contexte que les termes injurieux ne se réfèrent nullement aux faits visés par les imputations diffamatoires ;

— en revanche, lorsque les expressions injurieuses sont indivisibles d’une imputation diffamatoire, le délit d’injure est absorbé par celui de diffamation et ne peut être relevé seul.

En l’occurrence, la cour relève que si le mot ‘médiocre’ -même répété plusieurs fois- est certes péjoratif, il ne caractérise, au cas présent, qu’un jugement de valeur négatif sans véritable portée injurieuse.

De plus, les termes injurieux ‘délinquants’ et ‘voyous’ sont absorbés par la diffamation également contenue et poursuivie dans la même vidéo ‘Franc-maçon-gate’, expliquant notamment que ‘nous avons des preuves comme quoi ces gens ont commis des infractions’.

Les injures poursuivies ne sont donc pas caractérisées et le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur les demandes

F Y ne démontre pas que les propos diffamants diffusés sur le seul compte Facebook ici poursuivi lui ont causé un préjudice moral de l’ampleur réclamée, ni que la publication de cinq communiqués judiciaires serait justifiée au cas présent.

Le tribunal ayant fait une juste appréciation du préjudice, le jugement sera confirmé sur le montant des dommages-intérêts, mais qui seront alloués en réparation des seules diffamations reconnues par la cour. Le retrait des propos diffamants sera également confirmé en tant que de besoin, ainsi que les frais irrépétibles accordés en première instance, incluant les frais de constat.

Il y sera ajouté une somme de 2.000 € pour ceux exposés en cause d’appel.

L’appelant principal, qui succombe en ses prétentions, sera débouté de ses demandes en paiement de dommages-intérêts et de frais irrépétibles ; il sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 8 juillet 2020 en ce qu’il a dit constitutifs d’injure publique les propos ‘des médiocres, des médiocres qui resteront des médiocres et qui mourront comme des médiocres’ (dans la vidéo intitulée ‘Qui sème le vent’),

‘délinquants’ et ‘voyous’ (dans la vidéo intitulée ‘Franc-maçon-gate’),

Le confirme en ce qu’il a :

— dit que les propos poursuivis sont constitutifs de diffamation publique à l’égard de F Y,

— condamné A E à lui payer la somme de 4.000 € à titre de dommages-intérêts, étant précisé que ce montant répare le préjudice moral issu des seules diffamations,

— ordonné le retrait des seuls propos diffamants de la page Facebook de A E, mais dans le délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la présente décision sera définitive, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai,

— condamné A E au paiement de la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,

Condamne en outre A E à payer à F Y la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

Déboute F Y du surplus de ses demandes,

Déboute A E de toutes ses demandes,

Le condamne aux dépens de première instance et d’appel.

LE PRESIDENT LE GREFFIER


Chat Icon