Your cart is currently empty!
Le compositeur de la musique « Ballade pour Adeline» (Paul de Senneville), interprétée au piano par Richard Clayderman, a obtenu la reconnaissance de la compétence du juge français. L’auteur a fait valoir une atteinte à son droit moral en raison de l’association de sa musique à un épisode particulièrement violent de la série Netflix Narcos.
Les sociétés Narcos productions Llc et Gaumont international télévision Llc, de droit américain, ont produit la série « Narcos Mexico », diffusée depuis 2018 sur la plateforrne Netflix qui traite du trafic de stupéfiants au Mexique et dont la saison 2 a été mise en ligne le 13 février 2020.
Exposant avoir découvert en mars 2020 que 1’oeuvre musicale « Ballade pour Adeline » avait été reproduite pour accompagner une scène particulièrement violente de l’épisode 10 de la saison 2 de la série Narcos Mexico intitulé « Libre échange », Paul de Senneville indique s’être rapproché sans succès des sociétés précitées qu’il a ensuite fait assigner devant le tribunal judiciaire en vue de voir cesser l’exploitation en cause et d’obtenir réparation de l’atteinte qu’il estime avoir été portée à son droit moral d’auteur.
La société Regent a par contrat du 11 octobre 2019, concédé une sous-licence de synchronisation à la société Narcos, productrice de la série éponyme, l’oeuvre musicale ‘Ballade pour Adeline’ étant utilisée dans l’épisode 510 de la saison 5 de la série pour illustrer une scène de violence.
Le contrat de sous édition de l’œuvre musicale conclu pour une période expirant le 31 décembre 2018, confère notamment à la société éditrice le droit exclusif d’accorder des licences mondiales exclusives et non exclusives de synchronisation pour l’utilisation des oeuvres en synchronisation et comporte une clause attributive de compétence au bénéfice du tribunal de première instance du district sud de l’état de New York ainsi rédigée :
« Le présent accord lie les parties respectives, leurs successeurs et ayants-droit autorisés, et est régi et interprété conformément aux lois de l’État de New York applicables aux accords qui doivent y être entièrement exécutés. Tout différend survenant entre les parties aux présentes sera résolu par les tribunaux de l’État de New York, du comté de New York et du tribunal de district des États-Unis pour le district sud de New York, qui seront seuls compétents et l’éditeur s’engage à se soumettre à la juridiction de ces tribunaux ».
Selon la loi française, en application des dispositions de l’article L. 121-1 du code la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur. L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.
L’inaliénabilité du droit moral d’auteur interdit non seulement les renonciations de façon préalable et générale de l’auteur dans le cadre d’un contrat, mais également les cessions de ce droit moral, ce en raison du caractère personnel et de la nature extra patrimoniale de ce droit.
Aussi, les droits objets du contrat de sous-licence concernent les droits patrimoniaux d’auteur sur l’oeuvre musicale en cause et non le droit moral d’auteur.
En conséquence, la clause attributive de compétence aux juridictions américaines prévue audit contrat n’était pas applicable au litige dont est saisi le tribunal judiciaire de Paris qui a trait exclusivement à l’atteinte au droit moral d’auteur et notamment au respect de l’intégrité de sons oeuvre, étant relevé que l’auteur n’a pas effectivement consenti à la clause attributive de compétence, sa qualité d’actionnaire minoritaire de la société étant indifférente.
La circonstance que les parties aient convenu de soumettre au juge américain des questions portant notamment sur sa compétence à juger de la responsabilité et du préjudice du fait d’une violation des droits moraux selon la loi française est indifférente à lui conférer une telle compétence, s’agissant uniquement d’une question posée à la juridiction américaine qui n’y a pas encore répondu.
Il résulte de ce qui précède que la décision du tribunal de New York quant à l’interprétation du contrat du 1er juillet 2017 notamment sur sa durée, si elle a une influence sur la validité du contrat de synchronisation conclu entre la société Regent et la société Narcos le 11 octobre 2019, n’a aucune incidence sur le droit moral dont l’auteur est resté titulaire, celui-ci pouvant toujours s’opposer à une exploitation qui porte atteinte à l’intégrité de l’oeuvre dont il est l’auteur.
_______________________________________________________________________________________________________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 15 OCTOBRE 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 21/06637 – n° Portalis 35L7-V-B7F-CDOOK
Jonction avec le dossier 21/07913
Décision déférée à la Cour : ordonnance du juge de la mise en état du 26 février 2021 – Tribunal judiciaire de PARIS – 3e chambre 2e section – RG n°20/06038
APPELANTES et INTIMEES
Société REGENT MUSIC CORP, société de droit américain, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé 235 W
[…]
01001 NEW-YORK NY
ETATS-UNIS D’AMERIQUE
Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque L 0075
Assistée de Me Alain SPILLIAERT plaidant pour la SELARL SPILLIAERT, avocat au barreau de PARIS, toque C 965
Société NARCOS PRODUCTIONS LLC, société de droit américain, prise en la personne de son représentant légal, M. Z A, Executive Vice President, domicilié en cette qualité au siège social situé
[…]
Suite RW 1000
West Hollywood
[…]
ETATS-UNIS D’AMERIQUE
Représentée par Me Eléonore GASPAR de la SELARL DUCLOS – THORNE MOLLET-VIEVILLE & ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque P 75
INTIMES
M. X DE Y
Né le […] à Paris
De nationalité française
Exerçant la profession de compositeur de musique
Demeurant […]
Représenté par Me Jean-Marie GUILLOUX, avocat au barreau de PARIS, toque G 818
Société GAUMONT TELEVISION USA LLC, anciennement dénommée GAUMONT INTERNATIONAL TELEVISION LLC, société de droit américain, prise en la personne de son représentant légal, M. Z A, Executive Vice President, domicilié en cette qualité au siège social situé
[…]
Suite RW 1000
West Hollywood
[…]
ETATS-UNIS D’AMERIQUE
Représentée par Me Eléonore GASPAR de la SELARL DUCLOS – THORNE MOLLET-VIEVILLE & ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque P 75
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 2 septembre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Agnès MARCADE, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport
Mme Agnès MARCADE a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Brigitte CHOKRON, Présidente
Mme Laurence LEHMANN, Conseillère
Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Brigitte CHOKRON, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu l’ordonnance contradictoire rendue le 26 février 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris.
Vu l’appel interjeté le 13 avril 2021 par la société Regent Music Corporation (RG 21/6637).
Vu l’ordonnance sur requête du 20 avril 2021 autorisant la société Regent Music Corporation à assigner à jour fixe pour l’audience du 2 septembre 2021.
Vu les assignations à jour fixe en date des 23 et 28 avril 2021 déposées au greffe le 29 avril 2021.
Vu l’appel interjeté le 23 avril 2021 par la société Narcos (RG 21/7913).
Vu les dernières conclusions remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 28 juillet 2021 par la société Regent Music appelante.
Vu les dernières conclusions remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 30 août 2021 par la société Narcos Production, appelante et intimée.
Vu les dernières conclusions remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 31 août 2021 par M. X de Y, intimé.
Vu l’ordonnance de jonction en date du 2 septembre 2021 des instances enregistrées sous les numéros RG 21/7913 et 21/6637 sous le numéro 21/6637.
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
M. X de Y se présente comme un compositeur et producteur de musique française et l’auteur de la musique « Ballade pour Adeline» interprétée an piano par B C, qui a immédiatement connu un succès commercial.
Les sociétés Narcos productions Llc et Gaumont international télévision Llc, de droit américain, ont produit la série « Narcos Mexico », diffusée depuis 2018 sur la plate-forrne Netflix. qui traite du trafic de stupéfiants au Mexique et dont la saison 2 a été mise en ligne le 13 février 2020.
La société Regent Music Corporation, de droit américain, est éditrice de musique et gestionnaire de catalogues musicaux. Elle a conclu le 29 août 1991 un contrat de sous-édition lui permettant de concéder sous certaines conditions des licences de synchronisation des oeuvres musicales de M. X de Y, avec la société Coronet-E Productions dont les actifs ont été repris par la société française E Productions SA dans le cadre d’un plan de dissolution. Les termes de cet accord initial ont été réitérés le 1er juillet 2017 avec effet jusqu’au 31 décembre 2018.
Une action visant notamment à voir constater la prolongation du contrat au-delà de cette date a été introduite par la société Regent Music Corporation devant le tribunal du district sud de New York (USA), faisant suite à une plainte déposée le 16 juin 2020, ce en application d’une clause attributive de compétence figurant au point I5 de l’accord.
Exposant avoir découvert en mars 2020 que 1’oeuvre musicale « Ballade pour Adeline » avait été reproduite pour accompagner une scène particulièrement violente de l’épisode 10 de la saison 2 de la série Narcos Mexico intitulé « Libre échange », M. X de Y indique s’être rapproché sans succès des sociétés précitées qu’il a ensuite fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris par actes en date du 2 juillet 2020 en vue de voir cesser l’exploitation en cause et d’obtenir réparation de l’atteinte qu’il estime avoir été portée à son droit moral d’auteur.
La société Regent Music Corp. (Regent) a saisi le juge de la mise en état d’un incident tendant à voir :
— déclarer irrecevables les demandes formées à son encontre ;
— ordonner la production des accords conclus avec la société E Productions ;
— se déclarer incompétent au profit du tribunal de première instance du district sud de New York ;
Plus subsidiairement,
— renvoyer l’affaire devant le tribunal de première instance du district sud de New York en raison de la connexité des affaires,
Plus subsidiairement encore,
— ordonner un sursis à statuer dans l’attente que la décision qui sera rendue par le tribunal de première instance du district sud de New York. devienne définitive,
— débouter X de Y de toutes ses demandes,
— condamner X de Y aux dépens de 1’incident.
Par conclusions d’incident, la société Narcos Productions Llc (Narcos) demandait au juge de la mise en état de :
— surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pendante devant le tribunal de première instance du district sud de New York entre la société Regent music corporation, X de Y et la société E productions,
— condamner X de Y à la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Selon l’ordonnance déférée, le juge de la mise en état :
— s’est déclaré compétent pour connaître des demandes formées par X de Y dans l’affaire enrôlée sous le numéro RG 20/06038 ;
— a dit n’y avoir lieu de se dessaisir au profit du tribunal de première instance du district sud de New York ;
— a dit n’y avoir lieu de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pendante devant le tribunal de première instance du district sud de New York entre la société Regent, X de Y et la société E Productions inscrite sous le numéro I : 20 cv 04608 VSB ;
— a rejeté la fin de non recevoir soulevée au visa de l’article 750 I du code de procédure civile ;
— a rejeté les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— a condamné la société Regent Music Corporation aux dépens de l’incident.
La société Regent a interjeté appel contre cette ordonnance.
La société Narcos a également interjeté appel de cette ordonnance mais seulement sur les chefs suivants : dit n’y avoir lieu de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pendante devant le tribunal de première instance du district sud de New York entre la société Regent, X de Y et la société E Productions inscrite sous le numéro I : 20 cv 04608 VSB et rejeté les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; (RG 21/7913).
Par ses dernières conclusions, la société Regent demande à la cour de :
— ordonner la jonction des deux procédures pendantes ;
— juger recevable l’appel interjeté par elle ;
— infirmer l’ordonnance rendue le 26 février 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il :
— s’est déclaré compétent pour connaître des demandes formées par X de Y dans 1’affaire enrôlée sous le numéro rg20/06038,
— a dit n’y avoir lieu de se dessaisir au profit du tribunal de première instance du district sud de New York,
— a dit n’y avoir lieu de surseoir à statuer dans 1’attente de l’issue de la procédure pendante devant le tribunal de première instance du district sud de New York entre elle, X de Y et la société E Productions, inscrite sous le numéro 1 : 24-cv-04608-VSB,
— rejeté les demandes formées au titre de 1’article 700 du code de procédure civile,
— l’a condamnée aux dépens de 1’incident.
Statuant à nouveau,
— se déclarer incompétent au profit du tribunal de première instance du district sud de New York et renvoyer M. X de Y à se pourvoir devant ledit tribunal,
Subsidiairement,
— renvoyer l’affaire devant le tribunal de première instance du district sud de New York en raison de la connexité des affaires,
Plus subsidiairement,
— ordonner le sursis à statuer dans l’attente de la décision définitive tribunal de première instance du district sud de New York ,
En tout état de cause,
— débouter M. X de Y de toutes ses demandes, fins et conclusions,
— condamner M. X de Y aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont le recouvrement sera effectué conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
— condamner M. X de Y à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des frais d’article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions la société Narcos demande à la cour de :
— ordonner la jonction des deux procédures pendantes,
— infirmer l’ordonnance rendue le 26 février 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu’elle a :
— dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pendante devant le tribunal de première instance du district sud de New York entre la société Regent, M. X de Y et la société E Productions inscrite sous le numéro 1 :20-cv-04608-VSB,
— rejeté les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
— surseoir à statuer dans l’attente de l’issue définitive de la procédure pendante devant le Tribunal de première instance du district sud de New York entre la société Regent, M. X de Y et la Société E Productions inscrite sous le numéro 1 :20-cv-04608-VSB,
— condamner M. X de Y à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner M. X de Y aux entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions M. X de Y demande à la cour de :
A titre liminaire
— ordonner la jonction des deux procédures sus-évoquées enrôlées devant la cour d’appel de Paris sous les numéros RG : 21/06637 et RG : 21/07913 ;
— dire qu’elles se continueront sous les références de la plus ancienne ;
A titre principal,
— confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 26 février 2021 en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire,
Sur les demandes de la société Regent :
Si par extraordinaire, la cour devait infirmer le jugement entrepris :
A titre liminaire rejeter l’ensemble des pièces produites par la société Regent non traduites en langue française (pièces n°7, n°9 (Annexes A, B, E, G, H, J, M, N) et n°11).
En conséquence :
— débouter la société Regent de sa demande de déclarer le tribunal judiciaire de Paris incompétent au profit du tribunal de première instance du district sud de l’état de New York et le renvoyer e à se pourvoir devant ledit tribunal ;
— débouter la société Regent de sa demande de renvoi de l’affaire devant le tribunal de première instance du district sud de l’état de New York en raison de la prétendue connexité des affaires ;
— débouter la société Regent de sa demande de sursis à statuer dans l’attente de la procédure pendante devant le tribunal de première instance du district sud de l’état de New York entre lui, la société Regent et la société E Productions, inscrite sous le numéro 1 : 24-cv-04608-VSB.
A titre principal :
— débouter la société Regent de sa demande de renvoi de l’affaire devant le tribunal de première instance du district sud de l’état de New York en raison de la prétendue connexité des affaires ;
— débouter la société Regent de sa demande de sursis à statuer dans l’attente de la procédure pendante devant le tribunal de première instance du district sud de l’état de New York entre lui, la société Regent et la société E Productions, inscrite sous le numéro 1 : 24-cv-04608-VSB ;
En conséquence,
— débouter la société Regent de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions et les dire mal fondées ;
— déclarer le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaître des demandes formées par lui dans l’affaire enrôlée sous le numéro RG 20/06308.
Sur les demandes de la société Narcos,
Si par extraordinaire, la cour devait infirmer le jugement entrepris (sic) :
— débouter la société Narcos de sa demande de sursis à statuer dans l’attente de la procédure pendante devant le tribunal de première instance du district sud de l’état de New York entre lui, la société Regent et la société E Productions, inscrite sous le numéro 1 : 24-cv-04608-VSB.
En conséquence,
— débouter la société Narcos de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions et les dire mal fondées.
— déclarer le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaître des demandes formées par lui dans l’affaire enrôlée sous le numéro RG 20/06308.
En tout état de cause,
— débouter les sociétés Regent et Narcos de l’ensemble de leurs demandes, fin et prétentions et les dire mal fondées ;
— condamner les sociétés Regent et Narcos à lui verser, chacune, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamner in solidum tout succombant aux entiers dépens.
La société Gaumont International Télévision Llc a constitué avocat mais n’a pas conclu au fond.
L’ensemble des parties sollicitant la jonction des instances introduites par la société Regent, d’une part, et par la société Narcos, d’autre part, celle-ci a été ordonnée par décision du 2 septembre 2021.
La cour relève qu’il n’a pas été relevé appel du chef de l’ordonnance rejetant la fin de non-recevoir soulevée au visa de l’article 750-1 du code de procédure civile. L’ordonnance entreprise est donc devenue irrévocable sur ce point.
Sur la demande de rejet des pièces
La société Regent ayant fourni aux débats la traduction en français des pièces n°7, n°9 (annexes A, B, E, H, J, M et N) et n°11, M. de Y doit être débouté de sa demande de rejet desdites pièces.
Sur la compétence du tribunal judiciaire de Paris
La société Regent explique que le 16 juin 2020, elle a saisi le tribunal de première instance du district sud de New York d’une demande dirigée à l’encontre de M. de Y et de la société E Productions tendant à faire juger notamment que le sous-contrat d’édition s’était appliqué jusqu’au 12 mai 2020, date de résiliation par la société E Productions, et l’autorisait à consentir des licences de synchronisation, de sorte que la licence consentie à la société Narcos était valable et ne pouvait constituer une violation de ses obligations contractuelles ou une violation des droits d’auteur de la société E Productions et de M. de Y. Elle ajoute que contrairement à ce qui a été retenu par l’ordonnance du juge de la mise en état, le tribunal de première instance du district sud de New-York doit juger si la concession de la licence de synchronisation en cause a été consentie dans le respect des droits d’auteur de M. de Y, ce qui inclut son droit moral, sans que cette demande ne soit limitée aux seuls droits patrimoniaux.
Elle sollicite l’infirmation de l’ordonnance entreprise qui a retenu la compétence du tribunal judiciaire de Paris et considère que la question de l’atteinte au droit moral invoquée par M. de Y à son encontre est intrinsèquement liée à celle de l’examen des conditions contractuelles par lesquelles elle s’est vu confier les droits d’exploitation sur la composition musicale litigieuse de M. de Y, que le sous-contrat d’édition conclu le 1er juillet 2017 entre elle et la société E Productions est opposable à M. de Y en sa qualité de « partie intéressée » selon le droit de l’état de New-York applicable à ce contrat et que les parties, incluant M. de Y, ont expressément convenu de désigner les juridictions de New-York comme étant seules compétentes pour trancher tout litige entre elles.
M. de Y réplique que l’interprétation du contrat de sous-édition du 1er juillet 2017 est indifférente pour déterminer l’atteinte à ses droits moraux car, quelle que soit l’issue de la procédure devant le tribunal de première instance du district sud de l’état de New York, qui porte sur l’interprétation du contrat de sous-édition du 1er juillet 2017, la violation de ses droits moraux demeure, ceux-ci ne pouvant entrer dans le champ contractuel. Il en conclut qu’il n’a pas cédé ses droits moraux en vertu du contrat de sous-édition du 1er juillet 2017, dont il n’est pas partie, et qu’en tout état de cause, il conserve le droit de veiller à ce que l’exploitation de son ‘uvre respecte ses droits moraux, notamment en ce qui concerne l’intégrité de son ‘uvre. Il considère en outre que contrairement à ce que prétend la société Regent, la clause contractuelle de compétence du contrat de sous-édition du 1er juillet 2017 ne lui est pas applicable puisqu’il n’est pas partie à ce contrat. A titre subsidiaire, il fait valoir que si cette clause d’élection du for devait avoir effet à son égard, cet effet est limité aux demandes découlant du contrat conclu entre la société E Productions et la société Regent, les droits moraux étant inaliénables et ne pouvant jamais faire l’objet d’un contrat en droit français.
Il ressort des éléments fournis au débat et des explications des parties que la société E Productions vient aux droits de la société Coronet-E titulaire de droits sur diverses oeuvres musicales dont l’oeuvre ‘Ballade pour Adeline’ pour les avoir acquis auprès de la société Editions E, elle-même concessionnaire des droits patrimoniaux d’auteur de M. X de Y en vertu d’un contrat du 9 octobre 1980. La société Coronet-E, devenue E Productions, est liée à la société Regent par un contrat de sous édition du 1er juillet 2017, ce contrat conclu pour une période expirant le 31 décembre 2018, confère notamment à la société éditrice le droit exclusif d’accorder des licences mondiales exclusives et non exclusives de synchronisation pour l’utilisation des oeuvres en synchronisation et comporte une clause attributive de compétence au bénéfice du tribunal de première instance du district sud de l’état de New York ainsi rédigée :
« Le présent accord lie les parties respectives, leurs successeurs et ayants-droit autorisés, et est régi et interprété conformément aux lois de l’État de New York applicables aux accords qui doivent y être entièrement exécutés. Tout différend survenant entre les parties aux présentes sera résolu par les tribunaux de l’État de New York, du comté de New York et du tribunal de district des États-Unis pour le district sud de New York, qui seront seuls compétents et l’éditeur s’engage à se soumettre à la juridiction de ces tribunaux ».
La société Regent a par contrat du 11 octobre 2019, concédé une sous-licence de synchronisation à la société Narcos, productrice de la série éponyme, l’oeuvre musicale ‘Ballade pour Adeline’ étant utilisée dans l’épisode 510 de la saison 5 de la série pour illustrer une scène de violence.
M. de Y estimant que cette utilisation sans son autorisation, portait atteinte à son droit moral d’auteur notamment au droit au respect de son oeuvre a, après avoir adressé des lettres de mise en demeure, fait assigner notamment les sociétés Regent et Narcos devant le tribunal judiciaire de Paris par actes du 2 juillet 2020.
La société Regent a, le 16 juin 2020, introduit devant le tribunal du district sud de New york une ‘plainte’ contre la société E Productions et M. X de Y dont il ressort de la traduction fournie par la société Regent et non discutée par les parties, que celle-ci demande une décision du tribunal ‘établissant que la licence concédée lors de la prolongation constitue une licence valide et non une violation du contrat ou une violation des droits d’auteurs du défendeur’ et qu’elle ‘a pleinement rempli ses obligations contractuelles en vertu du contrat’.
Selon une requête présentée le 16 novembre 2020 au juge américain par la société Regent, acceptée par ce dernier le 19 novembre suivant, il est mentionné que l’ensemble des parties sont d’accord pour soumettre au débat devant le tribunal les questions suivantes :
— la clause attributive de compétence survit-elle à l’arrivée du terme du contrat ‘
— le tribunal peut-il juger de la responsabilité et du préjudice du fait d’une violation des droits moraux selon la loi française ‘
— dans l’hypothèse où le juge américain ne serait pas compétent pour décider de la responsabilité d’une violation des droits moraux, et que cette question ne puisse être tranchée qu’en France, le juge américain reste-t-il compétent pour se prononcer sur les dommages et intérêts ‘
La question de l’étendue du contrat et de sa reconduction, pour déterminer la durée de son application a été ajoutée par le juge.
Selon la loi française, en application des dispositions de l’article L. 121-1 du code la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur. L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.
La société Regent ne peut être suivie lorsqu’elle soutient que la question de l’atteinte au droit moral de M. de Y ne peut être tranchée sans que le soit celle des conditions d’exploitation qui lui ont été contractuellement consenties.
A supposer que le contrat de sous-édition en cause soit en vigueur le 11 octobre 2019, date à laquelle elle a concédé des droits de synchronisation pour l’utilisation de la composition ‘Ballade pour Adeline’ à la société Narcos, ce contrat ne concerne pas le droit moral d’auteur dont est titulaire M. de Y sur son oeuvre.
En effet, contrairement à ce que soutient la société Regent, l’inaliénabilité du droit moral d’auteur interdit non seulement les renonciations de façon préalable et générale de l’auteur dans le cadre d’un contrat, mais également les cessions de ce droit moral, ce en raison du caractère personnel et de la nature extra patrimoniale de ce droit.
Aussi, les droits objets du contrat de sous-licence du 1er juillet 2017 concernent les droits patrimoniaux d’auteur sur l’oeuvre musicale en cause dont est propriétaire la société E Productions et non le droit moral d’auteur dont M. de Y est resté titulaire, étant relevé avec ce dernier qu’aucune disposition du contrat, auquel il n’est pas personnellement partie, ne fait référence à une cession du droit moral d’auteur.
La clause attributive de compétence aux juridictions américaines prévue audit contrat (article 15) n’est donc pas applicable au litige dont est saisi le tribunal judiciaire de Paris qui a trait exclusivement à l’atteinte au droit moral d’auteur de M. de Y et notamment au respect de l’intégrité de sons oeuvre, étant à nouveau relevé que l’auteur n’est pas partie au contrat du 1er juillet 2014 et qu’il n’est pas établi qu’il a effectivement consenti à la clause attributive de compétence, sa qualité d’actionnaire minoritaire de la société E Productions étant indifférente. La circonstance que les parties aient convenu de soumettre au juge américain des questions portant notamment sur sa compétence à juger de la responsabilité et du préjudice du fait d’une violation des droits moraux selon la loi française est indifférente à lui conférer une telle compétence, s’agissant uniquement d’une question posée à la juridiction américaine qui n’y a pas encore répondu.
Il résulte de ce qui précède que la décision du tribunal de New York quant à l’interprétation du contrat du 1er juillet 2017 notamment sur sa durée, si elle a une influence sur la validité du contrat de synchronisation conclu entre la société Regent et la société Narcos le 11 octobre 2019, n’a aucune incidence sur le droit moral d’auteur dont M. de Y est resté titulaire, celui-ci pouvant toujours s’opposer à une exploitation qui porte atteinte à l’intégrité de l’oeuvre dont il est l’auteur.
Le tribunal judiciaire de Paris est donc compétent pour connaître des demandes de M. X G s’agissant de l’atteinte à son droit moral d’auteur et l’ordonnance du juge de la mise en état confirmée de ce chef, sauf à préciser que l’exception d’incompétence soulevée par la société Regent au profit de la juridiction américaine est rejetée.
Sur l’exception de connexité internationale
La société Regent soutient que le tribunal de New-York a été saisi avant le tribunal judiciaire de Paris et que la juridiction américaine est bien saisie de la question de l’atteinte et de l’indemnisation du droit moral de M. de Y de sorte que le risque de contrariété des décisions est avéré.
Ainsi que le relève M. de Y, l’antériorité de la saisine de la juridiction américaine n’est pas pertinente en matière de connexité.
En outre, il résulte de ce qui précède que le tribunal de première instance du district sud de l’état de New York est saisi de la question de l’exécution du contrat de sous-licence conclut le 1er juillet 2017 entre la société E productions (anciennement Coronet E) et la société Regent et notamment de la prolongation dudit contrat. La plainte du 16 juin 2020 concerne une demande de décision du tribunal ‘établissant que la licence concédée lors de la prolongation constitue une licence valide et non une violation du contrat ou une violation des droits d’auteurs du défendeur’ et que la société Regent ‘a pleinement rempli ses obligations contractuelles en vertu du contrat’.
Le tribunal judiciaire de Paris est quant à lui saisi de demandes afférentes à l’atteinte au droit moral de M. X de Y en raison de l’exploitation de l’oeuvre musicale ‘Ballade pour Adeline’ dans le cadre d’un épisode de la série Narcos.
La question de l’atteinte au droit moral de l’auteur ne dépend pas de l’interprétation du contrat de sous-licence par la juridiction américaine ce quand bien même la société Regent a fait le choix d’attraire M. de Y devant le tribunal de première instance du district sud de l’état de New York, a déposé le 17 septembre 2020 une ‘motion for anti-suit injunction’ et un ‘mémorandum of law’ aux fins d’interdire à l’auteur d’agir en France et que les parties ont soumis le 16 novembre 2020 au juge américain la question de sa compétence à connaître de l’atteinte au droit moral, cette question n’ayant pas reçu de réponse et n’ayant donc pas encore fait entrer l’atteinte au droit moral d’auteur dans le périmètre de la saisine du juge américain. De même, la ‘first amended complaint’ déposée la 11 janvier 2021 par la société Regent qui par ses demandes peu précises, telles ‘faire établir que la licence Narcos accordée pendant la période prolongée est valable et ne constitue pas une violation du contrat d’administration ou une violation du droit d’auteur du défendeur ou d’un autre droit’, n’apparaît pas faire entrer l’atteinte au droit moral d’auteur dans le périmètre de la saisine du juge américain.
Il n’existe donc pas de lien tel entre ces deux affaires qu’il soit d’une bonne administration de la justice de les faire instruire et juger ensemble, le risque de contrariété entre les décisions de la juridiction américaine et de la juridiction française n’étant pas caractérisé.
L’exception de connexité doit en conséquence être rejetée et l’ordonnance entreprise confirmée de ce chef.
Sur la demande de sursis à statuer
Les sociétés Regent et Narcos sollicitent le sursis à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction américaine en raison du lien existant entre les deux procédures et du risque évident de contrariété entre les décisions de chaque juridiction.
Pour les motifs sus évoquées il n’y a pas lieu de surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction américaine, l’atteinte au droit moral de l’auteur et plus particulièrement à son droit à la paternité et à l’intégrité de l’oeuvre pouvant être appréciée sans attendre qu’il soit statué sur le point de savoir si la société Regent était encore bénéficiaire d’un contrat de sous-licence sur l’oeuvre musicale ‘Ballade pour Adeline’ au 11octobre 2019 date à laquelle elle a accordé une sous-licence de synchronisation à la société Narcos, une atteinte au droit moral pouvant être caractérisée ce quand bien même l’exploitant de l’oeuvre est concessionnaire des droits patrimoniaux.
La demande de sursis à statuer doit en conséquence être rejetée. L’ordonnance entreprise mérite également confirmation de ce chef.
— Sur les autres demandes
Le sens de l’arrêt conduit à confirmer les dispositions de l’ordonnance concernant les dépens.
Parties perdantes, la société Regent et la société Narcos sont condamnées aux dépens d’appel et à payer chacune à M. de Y, en application de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 3.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Dans les limites de l’appel,
Confirme l’ordonnance du juge de la mise en état déférée sauf à préciser que l’exception d’incompétence de la société Regent Music Corp est rejetée,
Y ajoutant,
Déboute M. X de Y de sa demande de rejet des pièces n°7, n°9 (annexes A, B, E, H, J, M et N) et n°11 de la société Regent,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Regent Music Corp à payer à M. X de Y la somme de 3.000 euros,
Condamne la société Narcos Productions Llc à payer à M. X de Y la somme de 3.000 euros,
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire,
Condamne la société Regent Music Corp et la société Narcos Productions Llc aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente