Liberté d’expression du salarié : les limites de l’injure

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Liberté d’expression du salarié : les limites de l’injure
Ce point juridique est utile ?

La liberté d’expression du salarié ne s’étend pas au droit de proférer des injures. Les insultes ainsi proférées à plusieurs reprises au représentant d’une société pour laquelle l’employeur intervenait suffisent à caractériser une faute grave.

Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’établir la réalité des griefs qu’il formule.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 26 JANVIER 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/07318 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAHIC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Avril 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/07385

APPELANTE

SARL AGENCE SECURITE PRIVEE INDUSTRIELLE EVENEMENTIELLE (ASPIE) agissant par son représentant légal domicilié au siège de la société

Représentée par Me Martine ASSIÉ-SEYDOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : E0222

INTIME

Monsieur B X

Représenté par Me Aurélie BOUSQUET, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 214

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Novembre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 24 août 2021,chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 16 décembre 2021 Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. B X a été engagé, en qualité d’agent conducteur de chien de défense, en contrat à durée indéterminée à compter du 7 juin 2014, par la SARL Agence sécurité privée industrielle événementielle (ASPIE).

La convention collective applicable est celle nationale des entreprises de prévention et de sécurité.

Par courrier du 5 mars 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à licenciement, assorti d’une mise à pied conservatoire, fixé pour le 14 mars 2018, auquel il s’est présenté assisté par un conseiller du salarié.

Le licenciement pour faute grave lui a été notifié par courrier du 5 avril 2018.

Contestant le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail, M. X a saisi le conseil de prud’hommes le 2 octobre 2018.

Par jugement en date du 18 avril 2019, notifié à la SARL AGENCE SECURITE PRIVE le 31 mai 2019, le conseil de prud’hommes a :

– dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamné la société au paiement des sommes suivantes :

– 1 381,32 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied,

– 138,13 euros au titre des congés payés afférents,

– 4 157,70 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 415,77 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

– 1 948,92 euros à titre d’indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation ;

– condamné la société au paiement de la somme de 8 315,40 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

– condamné la société au versement de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné l’exécution provisoire du jugement en application de l’article 515 du code de procédure civile ;

– débouté M. X du surplus de ses demandes ;

– débouté l’employeur de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné celui-ci aux dépens.

La société ASPIE a interjeté appel du jugement par déclaration électronique déposée le 20 juin 2019.

Par des écritures transmises par voie électronique le 19 septembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des moyens développés, la société ASPIE demande à la cour de :

– infirmer le jugement dont appel ;

– dire que le licenciement est fondé sur une faute grave ;

– à titre subsidiaire,

– dire que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– en tout état de cause, condamner M. X au versement d’une indemnité de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à tous les dépens.

Au soutien de l’appel qu’elle a formé, la société fait valoir que :

– la lettre de licenciement énonce de manière très claire les faits graves qui sont reprochés au salarié,

– un témoin peut confirmer les propos orduriers et outrageants de M. X envers le représentant de la société Onet,

– durant l’entretien préalable au licenciement, M. X a proféré des menaces de mort envers ce représentant.

Le salarié a constitué avocat mais n’a pas déposé de conclusions.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 septembre 2021.

MOTIFS

A titre liminaire, il sera rappelé que l’intimé qui n’a pas conclu est réputé s’approprier les motifs du jugement.

Sur le licenciement

Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’établir la réalité des griefs qu’il formule.

La lettre de licenciement, qui fixe les termes du litige, est ainsi rédigée: « Nous faisons suite à notre entretien préalable du 14 mars 2018 au cours duquel vous étiez assisté de votre conseil, Monsieur D E, et sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave, compte tenu des éléments suivants:

– la nuit du 22 février 2018 alors que vous étiez en poste sur le site des Tuileries au Musée du Louvre à Paris, vous avez eu une vive altercation avec Monsieur Y, chef d’équipe au musée du Louvre,

– lors de vos échanges verbaux vous avez insulté Monsieur Y et lui avez dit « va te faire enculer » ce qu’un témoin confirme,

– dans votre courrier recommandé avec accusé de réception du 7 mars 2018, vous avez mentionné avoir mis Mr Z responsable sécurité du Louvre, notre client, en copie de cette correspondance,

– le 14 mars 2018, en présence de votre conseil Monsieur D E:

” vous avez proféré des menaces à l’encontre de Monsieur Y,

” vous avez reconnu avoir essayé d’envoyer la copie de votre rapport par mail à notre client, sans y parvenir,

” vous avez également reconnu ne pas nous avoir contactés pour nous informer de l’incident au moment même des faits et ne pas l’avoir mentionné sur la main courante,

” vous avez ajouté « si Monsieur Y a un témoin, je démissionne de suite »

” vous êtes parti en congés en juillet 2017, depuis votre retour vous ne vous êtes jamais plaint d’avoir rencontré des difficultés sur le site,

” le 15 juin 2017 lors d’un entretien en nos locaux, nous vous avons fait part de notre intention de vous changer de site, et avons établi un avenant à votre contrat de travail ledit 15 juin 2017 que vous avez refusé de signer; de même vous avez refusé le changement de site. Nous vous avons donc affecté sur le poste le plus éloigné pour prendre en considération votre volonté de rester sur le site du Musée du Louvre.

Vos explications recueillies lors de notre entretien du 14 mars 2018, en présence de votre conseil Monsieur D E, ne sont pas de nature à modifier notre décision.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible, y compris pendant la durée de votre préavis »

L’employeur produit aux débats un rapport d’incident rédigé par le chef de site du Musée du Louvre de la société ONET relatant les faits survenus dans la nuit du 22 février de façon très circonstanciée. Il relate notamment l’origine de l’incident – une porte restée ouverte au Jeu de Paume- le signalement de l’incident au PC et l’appel du chef d’équipe à M. X. Ce rapport précise que ce dernier a répondu par trois fois « tu me fais chier, va te faire enculer ». L’employeur produit également aux débats un mail du PC relatant l’appel de la nuit du 22 février. Si ce mail n’identifie pas M. X comme étant l’interlocuteur de M. Y ce soir là puisque le PC entend seulement la conversation téléphonique, il confirme cependant les insultes proférées par la personne en ligne avec M. Y.

Contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, ces deux rapports établissent la réalité des faits survenus pendant la nuit du 22 février 2017 et le fait que Monsieur X était l’interlocuteur de M. Y et celui auquel il a proféré des insultes.

En revanche, aucun élément de preuve n’établit la réalité des faits qui se seraient déroulés lors de l’entretien préalable. Aucun compte-rendu de l’entretien n’est produit ni aucune attestation de ceux qui y auraient participé. De même, le courrier recommandé du 7 mars 2018 évoqué par la lettre n’est pas produit aux débats.

Néanmoins, les insultes ainsi proférées à plusieurs reprises au représentant de la société pour laquelle l’employeur intervenait suffisent à caractériser une faute grave.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné en conséquence la société ASPIE au paiement de diverses sommes à M. X.

Sur les frais de procédure

M. X, partie perdante, sera condamné aux dépens.

L’équité commande de ne pas faire droit à la demande de la société ASPIE au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu le 25 avril 2019 en toutes ses dispositions,

Condamne M. B F aux dépens

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


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