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La très attendue Ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 sur les Droits voisins dans le marché unique numérique est entrée en vigueur. Celle-ci transpose (de justesse – 7 juin 2021) des articles clés de la directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins.
Avec cette transposition, quatre nouveautés majeures : i) les plateformes de partage de contenus et les réseaux sociaux, s’ils restent déliés de toute obligation générale de surveillance, devront désormais mettre en œuvre leurs « meilleurs efforts » pour obtenir, l’autorisation des titulaires de droits quant aux contenus publiés par les utilisateurs ; ii) l’accès aux comptes et la rémunération proportionnelle sont reconnus aux auteurs mais aussi aux artistes interprètes ; iii) les auteurs disposent d’un droit de résiliation de leur contrat en l’absence d’exploitation de leurs œuvres ; iv) les contrats de cession de droits sont assortis d’une clause d’ajustement de la rémunération des auteurs.
L’article 1er crée dans le Code de la propriété intellectuelle (CPI) un article L. 137-1 qui encadre les activités des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne entendus comme :
« Les fournisseurs de services de communication au public en ligne dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et donner au public accès à une quantité importante d’œuvres et d’autres objets protégés téléversés par leurs utilisateurs, que les fournisseurs de service organisent et promeuvent en vue d’en tirer un profit, direct ou indirect » (le critère de la quantité importante d’œuvres et d’objets protégés devra être précisé par Décret).
Le nouvel article L. 137-2 du CPI dispose qu’en donnant accès aux œuvres téléversées par ses utilisateurs, un fournisseur de service de partage de contenus en ligne effectue des actes de représentation pour lesquels il doit obtenir une autorisation des titulaires de droits.
Le II de cet article L. 137-2 du CPI exclut alors toute possible application de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 à ce fournisseur pour les actes en cause (exclusion du régime de faveur sur le volet de la responsabilité).
Tout en retenant le principe de la responsabilité du fournisseur de service de partage de contenus en ligne pour contrefaçon en cas d’actes d’exploitation non autorisés, l’article L. 137-2 se réfère à la notion de « meilleurs efforts » pour obtenir une autorisation des titulaires de droits, ainsi que pour lutter contre la présence de contenus protégés non autorisés.
Un niveau allégé de diligences est prévu, conformément à la directive, pour les fournisseurs de services dont la mise à disposition auprès du public au sein de l’Union européenne date de moins de trois ans et dont le chiffre d’affaires ainsi que l’audience au niveau de l’Union européenne sont en deçà de seuils fixés dans l’article.
La directive prohibant toute obligation générale de surveillance dans le cadre des mesures prises par les fournisseurs de services, l’article prévoit que le fournisseur de services de partage de contenus en ligne agit sur la seule base des notifications et éléments fournis par les titulaires de droits en lien avec des contenus identifiés.
Le IV prévoit que les autorisations accordées par les titulaires de droits aux fournisseurs de services de partage en ligne de contenus pour leurs actes d’exploitation sont réputées couvrir également les actes de représentation des utilisateurs.
Le nouvel article L. 137-3 du CPI prévoit des obligations de transparence à la charge des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne. Le nouvel article L. 137-4 du CPI comporte un ensemble de dispositions dans l’intérêt des utilisateurs. Il s’agit en particulier du rappel que les nouvelles dispositions ne remettent pas en cause le libre usage des œuvres dans les limites des droits prévues par le code de la propriété intellectuelle et des autorisations accordées par les titulaires de droits et, qu’en particulier, elles ne privent pas les utilisateurs du bénéfice des exceptions.
Il s’agit également et à ce titre de l’obligation pour les fournisseurs de services de mettre en place un dispositif permettant à un utilisateur de contester une situation de blocage ou de retrait d’une œuvre téléversée empêchant une utilisation licite de cette œuvre et de la possibilité d’introduire un recours ultérieur devant la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), selon la procédure prévue par l’article L. 331-35 du code.
Un tel recours est également ouvert au titulaire de droits. La Haute Autorité n’est pas tenue de donner suite aux saisines abusives des titulaires de droits ou des utilisateurs.
L’article 3 de l’ordonnance confie à la HADOPI le soin de formuler de recommandations sur le niveau d’efficacité des mesures que doivent mettre en place les plateformes de partage de contenus, sous peine d’engagement de leur responsabilité au titre de la contrefaçon.
Elle est par ailleurs chargée d’encourager la collaboration entre titulaires de droits et fournisseurs de services de partage de contenus en ligne en vue d’assurer la disponibilité sur le service des contenus téléversés qui ne portent pas atteinte au droit d’auteur ou aux droits voisins.
En ce qui concerne la transposition des articles 18, 19, 20 et 22 de la directive du 17 avril 2019, l’ordonnance renvoie, comme le permet la directive, aux accords collectifs ou aux accords professionnels le soin de préciser les conditions de mise en œuvre de ces dispositions. Les conventions collectives et accords existants respectant les conditions de ces dispositions n’auront pas besoin d’être renégociés. Les auteurs de logiciels sont exclus du champ de ces dispositions, comme le prévoit la directive.
L’article 4 transpose, pour les auteurs, l’article 20 de la directive du 17 avril 2019 qui prévoit un mécanisme de réajustement de la rémunération prévue au contrat, si la rémunération initialement convenue se révèle exagérément faible par rapport à l’ensemble des revenus ultérieurement tirés de l’œuvre.
L’article L. 131-5 actuel du CPI prévoyant une rescision pour lésion ou pour prévision insuffisante dans des hypothèses de rémunération forfaire est maintenu. Il est complété afin de prendre en compte les cas où la rémunération prévue au contrat est proportionnelle.
L’article 19 de la directive est relatif à l’obligation de transparence et crée à cet effet des obligations de reddition des comptes à la charge de tout bénéficiaire d’un contrat d’exploitation par lequel un auteur ou un artiste interprète a cédé tout ou partie de ses droits.
Une nouvelle disposition transversale est créée par l’article 5 à l’article L. 131-5-1 du CPI sous réserve des dispositions législatives spéciales applicables dans les secteurs du livre et de l’audiovisuel, qui respectent les mêmes exigences. Elle prévoit que les conditions dans lesquelles s’exerce la reddition des comptes peuvent être définies par un accord professionnel conclu dans chaque secteur d’activité.
Le II de l’article L. 131-5-1 du CPI prévoit en outre, comme l’exige la directive, les modalités selon lesquelles l’auteur peut demander des informations complémentaires détenues par des sous-exploitants en cas d’information insuffisante sur les résultats de l’exploitation de son œuvre. La disposition s’entend, là encore, sous réserve des dispositions législatives existantes dans le secteur du livre et de l’audiovisuel.
L’article L. 132-18 du CPI vise à préciser la portée de l’obligation de transparence dans le cadre des contrats généraux de représentation conclus avec les services de médias audiovisuels à la demande. Cette transparence porte sur le nombre d’actes de téléchargement, de consultation ou de visualisation des œuvres, selon une périodicité adaptée à la répartition des droits.
Le nouvel article L. 132-28-1 vise, par l’intermédiaire du producteur et du contrat autorisant la communication d’une œuvre au public, à décliner cette obligation de transparence au bénéfice des auteurs dans le cadre du contrat de production audiovisuelle.
Tout auteur dispose désormais d’un droit de résiliation de plein droit de tout ou partie du contrat par lequel il a octroyé à un exploitant une cession ou une licence d’exploitation de ses droits à titre exclusif en cas d’absence totale d’exploitation de son œuvre.
Le nouvel article L. 131-5-2 du CPI consacre le principe de résiliation en cas d’absence totale d’exploitation de l’œuvre et renvoie aux acteurs de chaque secteur le soin de le mettre en œuvre selon ses pratiques et ses usages. En cas de pluralité d’auteurs, le droit de résiliation doit être exercé d’un commun accord. Les auteurs d’une œuvre audiovisuelle sont expressément exclus du champ de la disposition, comme le permet la directive. Des dispositions spécifiques prévoient d’ores et déjà l’obligation pour les producteurs audiovisuels de « rechercher une exploitation suivie » de l’œuvre (article L. 132-27 du CPI) et paraissent davantage adaptées aux modalités d’exploitation des œuvres audiovisuelles. Les auteurs ayant conclu un contrat d’édition de livre sont également exclus, le CPI prévoyant d’ores et déjà une disposition spécifique les concernant.
Tous les contrats de cession et d’exploitation de droits ne peuvent déroger aux dispositions relatives aux principes de transparence, de réajustement de la rémunération et d’accès à une procédure extra-judiciaire de règlement des litiges.
Lorsqu’un contrat de cession d’une œuvre musicale à un producteur audiovisuel est soumis à une loi étrangère, le contrat ne peut avoir pour effet de priver l’auteur, pour l’exploitation de son œuvre sur le territoire français, des dispositions protectrices prévues aux articles L. 131-4, L. 131-5, L. 132-25 et L. 132-28 du CPI. De même, l’auteur pourra toujours saisir les tribunaux français de tout litige relatif à l’application de ces dispositions, même en présence d’une clause attributive de juridiction contraire.
L’ordonnance conforte la mise en œuvre du droit à rémunération proportionnelle dans le secteur audiovisuel.
En l’absence d’accord collectif relatif à la rémunération des auteurs pour chaque mode d’exploitation des œuvres audiovisuelles dans un délai de douze mois à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, le pouvoir règlementaire pourra fixer tout ou partie des conditions et des modalités de cette rémunération jusqu’à ce qu’un accord entre en vigueur sur les points en question.
L’ordonnance ne prévoit pas de disposition spécifique portant sur le recours à des mécanismes extra-judiciaires de règlement des différends, dès lors que le droit commun en matière de conciliation et de médiation (titre VI du livre Ier du code de procédure civile), permet d’assurer cette transposition. Ces procédures sont accessibles aux auteurs et aux artistes interprètes mais aussi aux organisations les représentant.
L’Ordonnance consacre le principe d’une rémunération proportionnelle au profit des artistes-interprètes. Il est prévu que la rémunération de l’artiste-interprète est proportionnelle à la valeur économique réelle ou potentielle des droits cédés, compte tenu de la contribution de l’artiste-interprète à l’ensemble de l’œuvre et compte tenu de toutes les autres circonstances de l’espèce, telles que les pratiques de marché ou l’exploitation réelle de la prestation.
Ce principe est assorti de limitations dans l’hypothèse où il est possible de recourir au forfait. S’agissant des artistes-interprètes, les dispositions prévues à l’article L. 212-3 du CPI sont complétées par la même disposition que celle existant pour le droit d’auteur. Un alinéa renvoyant aux conventions collectives le soin de préciser les conditions de mise en œuvre de ce forfait.
Comme pour les auteurs, les artistes-interprètes bénéficient aussi des clauses de transparence, à savoir les dispositions relatives à l’obligation de transparence, le mécanisme de réajustement du contrat, le droit de révocation et le caractère d’ordre public de certaines dispositions.
A l’aune du principe de rémunération appropriée et proportionnelle des artistes-interprètes, une garantie de rémunération minimale est prévue à l’article L. 212-14 du CPI au profit des artistes-interprètes pour les diffusions en streaming de leurs prestations.
En l’absence d’accord spécifique de rémunération conclu et étendu par le ministre en charge de la culture dans un délai de six mois à compter de la publication de l’ordonnance, les modalités et le niveau de la garantie de rémunération minimale seront déterminés par la commission administrative mentionnée à l’article L. 212-14 du CPI. La garantie de rémunération minimale sera proportionnelle à la valeur économique des droits mais pourra toutefois être fixée forfaitairement dans certains cas.