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La commission des affaires sociales du Sénat a rendu son rapport et a formulé des propositions de réforme visant à améliorer la situation des travailleurs indépendants exerçant leur activité via les plateformes numériques.
Parmi les recommandations soumises figurent les propositions suivantes :
Transposer aux travailleurs indépendants ayant recours à des plateformes les dispositions du code du travail relatives à l’interdiction des discriminations à l’embauche.
Créer un système de caisses de congés payés pour les travailleurs utilisant de manière régulière une plateforme numérique.
Imposer la motivation écrite de toute rupture temporaire ou définitive de la relation entre un travailleur indépendant et une plateforme numérique à l’initiative de celle-ci.
Imposer aux plateformes numériques de proposer aux travailleurs qui ont recours à leurs services d’intermédiation un contrat collectif d’assurance complémentaire santé répondant à un cahier des charges défini par l’État.
Imposer aux plateformes d’assurer les travailleurs contre le risque d’accident du travail.
Remettre à plat les règles applicables au régime de la micro-entreprise afin de limiter les effets d’aubaine et de renforcer la protection des travailleurs indépendants.
Accompagner le développement du modèle coopératif en créant sous forme de SCIC des entreprises porteuses pour certains travailleurs de plateformes.
Dans les secteurs où un régime d’autorisation préalable s’avèrerait nécessaire, introduire dans l’agrément des critères sociaux liés notamment à la santé et à la sécurité ainsi qu’au revenu des travailleurs.
Inscrire dans le code du travail que, dans certaines activités considérées comme peu qualifiantes, le fait pour une plateforme de prévoir des formations obligatoires pour les travailleurs indépendants ne peut pas être un indice de lien de subordination.
Créer à destination des plateformes une procédure de rescrit portant sur le caractère salarié ou non de la relation avec les travailleurs.
Rendre obligatoire le mandatement par les travailleurs d’une plateforme pour la réalisation de leurs démarches déclaratives et le paiement de leurs charges sociales.
Créer des instances de dialogue social à un niveau à la fois sectoriel et local réunissant des représentants des travailleurs indépendants et des représentants des plateformes, voire le cas échéant des entreprises utilisatrices.
Définir des thèmes de négociation obligatoires au sein de ces instances, tels que les modalités de fixation du tarif, les modalités de développement des compétences professionnelles et l’amélioration des conditions de travail.
Prévoir un mécanisme d’extension des accords conclus dans ce cadre à l’ensemble des travailleurs indépendants du secteur.
Selon le sénateur Michel Forissier, “La crise sanitaire rend plus évident que jamais le besoin de protection de certains travailleurs mais la question du statut n’est pas l’essentiel. Plaquer le modèle du salariat sur des situations auxquelles il n’est pas adapté ne répondrait ni aux aspirations des travailleurs concernés, ni aux besoins de la société. Il importe plutôt d’encourager des mutations qui s’imposent à nous en renforçant la protection de l’ensemble des actifs”.
Les rapporteurs se sont attachés à bien cerner l’ampleur du phénomène, placé sous un effet de loupe médiatique. Le vocable de plateforme recouvre lui-même une multitude de modèles qui ne posent pas tous problème. Enfin, même si leur développement est révélateur de l’émergence de nouvelles formes de précarité, ces intermédiaires représentent aussi des opportunités. Le rapport propose d’étendre aux travailleurs de plateformes certaines des garanties offertes aux salariés par le code du travail, notamment le principe de non-discrimination, l’obligation de motiver la rupture de la relation et le droit aux congés. Pour Frédérique Puissat, il faut prolonger la logique d’universalisation de la protection sociale, en étendant la généralisation de la complémentaire santé ou en rendant obligatoire l’assurance contre le risque d’accident.
Un autre axe du rapport vise à remettre à plat les règles de la micro-entreprise, un régime qui a facilité la création d’activités indépendantes mais qui a pu conduire à solvabiliser artificiellement des activités peu créatrices de valeur. Si les rapporteurs sont très réservés à l’égard des chartes de responsabilité sociale, le dialogue social et la construction d’une représentativité des travailleurs de plateformes apparaissent comme une voie de régulation féconde. Pour Catherine Fournier, “l’enjeu est donc de parvenir à bâtir un cadre de représentation sans le calquer sur celui du salariat”.
La notion de travailleurs de plateformes peut désigner des travailleurs indépendants hautement qualifiés et dont les compétences très demandées leur permet de travailler à la demande. A l’opposé, elle recouvre également des travailleurs exerçant des activités faiblement rémunératrices, notamment dans le secteur de la livraison à vélo. Les rémunérations nettes perçues sont généralement supérieures au SMIC horaire, mais les travailleurs concernés ne parviennent pas nécessairement, quand ils le souhaitent, à réaliser un volume de travail suffisant pour s’assurer un revenu décent. Le recours des travailleurs indépendants traditionnels à l’auto-assurance n’apparaît ainsi pas pertinent pour les travailleurs des plateformes.
L’idée selon laquelle les travailleurs des plateformes bénéficient d’une protection sociale dérisoire doit être fortement nuancée. Les indépendants bénéficient en effet de la même couverture que les salariés en matière de prise en charge des frais de santé. Les prestations de la branche famille sont également décorrélées du statut. Pour l’assurance vieillesse ou les prestations en espèces, les droits acquis sont plus faibles en raison d’un effort contributif moins élevé.
En revanche, certaines protections ne sont pas assurées aux travailleurs indépendants. Ainsi, les non-salariés ne sont couverts contre les accidents du travail que s’ils souscrivent une assurance volontaire. En outre, les indépendants ne sont pas couverts par l’assurance chômage, et la nouvelle allocation aux travailleurs indépendants est soumise à des conditions restrictives qui en excluent de fait la grande majorité des travailleurs de plateformes.
Cette couverture sociale incomplète peut s’avérer problématique dans le cas de travailleurs avec de faibles revenus. De plus, des questions d’équité se posent quant au rapport entre le niveau des prélèvements et les droits qui leur sont ouverts.
L’apparition des plateformes numériques de mise en relation a donné une acuité nouvelle à la question relativement classique de la frontière entre salariat et travail indépendant. Jusqu’à présent, le législateur n’est pas intervenu pour trancher cette question et a laissé les juges faire application d’une jurisprudence bien établie consistant à rechercher, in concreto, les indices permettant de conclure à l’existence d’un lien de subordination constitutif d’une relation salariée.
Instaurer une présomption de non-salariat pour l’ensemble des travailleurs utilisant une plateforme conduirait à valider des stratégies de contournement du droit du travail au détriment des travailleurs. À l’inverse, qualifier, par voie législative, de salariés des travailleurs qui demeurent libres d’organiser leur travail sans être soumis à un pouvoir de direction de la part de la plateforme de mise en relation poserait un certain nombre de problèmes juridiques difficiles à résoudre. Au demeurant, le salariat n’apparaît pas comme une revendication majoritairement partagée par les travailleurs concernés.
La création d’un statut intermédiaire entre le travail indépendant et le salariat, qui est parfois proposée, n’apparaît pas non plus souhaitable. Des exemples étrangers démontrent en effet le risque d’attraction de ce troisième statut vis-à-vis de salariés précaires et pourrait ainsi avoir un effet contraire à ses objectifs.
Afin de lutter contre les ruptures abusives de contrat, il pourrait être imposé aux plateformes de motiver explicitement la rupture de leurs relations commerciales avec un indépendant. Le principe d’une cotisation à une caisse de congés payés pourrait être étendu aux travailleurs ayant des relations régulières avec une même plateforme.
En matière de protection sociale, la commission propose de transposer aux plateformes numériques de mise en relation l’obligation pesant sur les employeurs de proposer à leurs salariés une couverture complémentaire en matière de santé. Il serait également pertinent, du moins pour les activités les plus accidentogènes, d’imposer l’affiliation à l’assurance contre les accidents du travail de la sécurité sociale.
Le régime de la micro-entreprise facilite la création d’activités nouvelles en offrant des règles comptables simples et un niveau de cotisations réduit. Ce régime simplifié constitue une part importante des créations d’entreprises en France et est choisi par la plupart des travailleurs de plateformes.
Pour autant, combiné à des réductions de cotisations sociales dans le cadre de l’aide à la création ou à la reprise d’une entreprise (ACRE), ce régime peut contribuer à solvabiliser des activités faiblement créatrices de valeur et à créer les conditions de « trappes » à précarité.
La commission des affaires sociales recommande donc de remettre à plat les règles du régime micro-social en veillant à ne pas mettre en difficulté les activités naissantes ni les activités accessoires.
Les chartes introduites par la loi d’orientation des mobilités, facultatives et établies unilatéralement par les plateformes, apparaissent comme un outil de régulation insuffisant.
L’idée de soumettre certaines plateformes à un dispositif d’autorisation préalable présente des inconvénients : lourdeur administrative, risque de favoriser les acteurs les plus importants au détriment des entreprises naissantes, qui sont parfois plus vertueuses.
Elle pourrait toutefois s’avérer pertinente dans certains secteurs comme celui des transports urbains, afin notamment de réguler l’offre et de garantir la sécurité des usagers. Dans les cas où il s’imposerait, un tel agrément pourrait inclure des critères sociaux : par exemple, des garanties en matière de prévention et de couverture des accidents du travail ou en matière de tarification.
Pour répondre au besoin de sécurisation des plateformes ayant des pratiques vertueuses, un rescrit spécifique pourrait être proposé aux plateformes pour leur permettre de vérifier le caractère non-salarié de la relation avec leurs partenaires. La possibilité pour les travailleurs de mandater la plateforme afin qu’elle réalise pour leur compte leurs démarches déclaratives ainsi que le paiement de leurs cotisations et contributions sociales pourrait être rendue obligatoire à des fins de simplification.
Enfin, le dialogue social et la construction d’une représentativité des travailleurs de plateformes sont une voie possible de régulation. Plusieurs obstacles se dressent face au développement d’un dialogue social structuré entre travailleurs et plateformes : le droit de la concurrence ; l’atomicité des travailleurs et leur désir d’indépendance ; enfin, l’intérêt des plateformes.
Il paraît cependant possible de bâtir un cadre de représentation sans le calquer sur celui du salariat. Cette représentation pourrait être mise en place dans le cadre d’instances ad hoc au niveau du secteur professionnel et à une échelle territoriale pertinente déterminée en fonction du secteur. Dans ce cadre, pourraient être représentées les plateformes, les travailleurs indépendants mais aussi, le cas échéant, les entreprises utilisatrices de leurs services.
Des thèmes de négociation obligatoire pourraient être définis en vue de la conclusion d’accords collectifs au sein de ces instances. Pour leur applicabilité aux travailleurs de plateformes, la commission recommande de prévoir un mécanisme d’extension des accords à l’ensemble des travailleurs d’un secteur, sur le modèle du mécanisme applicable aux entreprises pour les accords de branche. Les accords pourraient s’appliquer aux plateformes suivant les mêmes modalités.