14 juin 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 21/04196

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14 juin 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 21/04196
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ARRÊT N°

R.G : N° RG 21/04196 – N° Portalis DBVH-V-B7F-IIGU

CJP

TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX D’ALES

08 novembre 2021

RG :51/20/3

Société LES ECURIES L’ARQUE

C/

[T]

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B

ARRÊT DU 14 JUIN 2022

APPELANTE :

Association LES ECURIES L’ARQUE

agissant poursuites et dilligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Emmanuel BARD de la SELARL CABINET BARD AVOCATS ET ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau d’ARDECHE

Représentée par Me Florence DESHAYS, Plaidant, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

Monsieur [O] [T]

né le 07 Février 1950

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Coralie CHEVALLEY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d’ALES

Statuant en matière de baux ruraux après convocations des parties par lettres simples et lettres recommandées avec accusé de réception du 15 décembre 2021 et 17 janvier 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Chantal JACQUOT-PERRIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre

Mme Chantal JACQUOT-PERRIN, Conseillère

Mme Elisabeth GRANIER, Conseillère

GREFFIER :

Mme Véronique LAURENT-VICAL, Greffière, lors des débats et Mme Véronique PELLISSIER, Greffière, lors du prononcé de la décision

DÉBATS :

à l’audience publique du 12 Avril 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 Juin 2022.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre, le 14 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte sous seing privé intitulé « bail commercial » en date du 1er janvier 2014, M. [O] [T] a consenti un bail à l’association Les Ecuries de l’Arque diverses installations équestres composées de deux écuries avec box et stabulations, d’un manège, d’une carrière de dressage, d’une carrière de sauts d’obstacles et d’un terrain d’une surface de 4 hectares et 93 ares.

Dans le cadre d’une procédure pendante devant le tribunal judiciaire d’Alès et opposant M. [O] [T], ès-qualité d’ancien président de l’association Les Ecuries de l’Arque, à celle-ci, cette dernière a soulevé l’incompétence du tribunal judiciaire saisi au profit du tribunal paritaire des baux ruraux exposant que le contrat liant les parties devait être considéré comme un bail rural et non un bail commercial.

Par requête reçue au greffe le 9 septembre 2020, l’association Les Ecuries de l’Arque a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d’Alès et a sollicité la convocation de M. [O] [T].

Le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Alès, par décision en date du 11 mai 2021, a sursis à statuer dans l’attente de la qualification du contrat par le tribunal paritaire des baux ruraux.

Par jugement contradictoire en date du 8 novembre 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux d’Alès :

-a fait droit à l’exception d’incompétence soulevée par M. [O] [T] tenant l’absence de caractère rural du bail conclu le 1er janvier 2014 entre ce dernier et l’association Les Ecuries de l’Arque,

-en conséquence, s’est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire d’Alès,

-a condamné l’association Les Ecuries de l’Arque, représentée par son représentant légal en exercice, aux dépens et au paiement de la somme de 800 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Suivant déclarations reçues via le RPVA les 23 et 26 novembre 2021, l’association Les Ecuries de l’Arque a interjeté appel du jugement rendu en toutes ses dispositions.

Les procédures enregistrées sous les numéros RG 21/04191 et 21/04196 ont été jointes sous ce dernier numéro.

Par ordonnance en date du 10 décembre 2021, le délégataire du premier président de la cour d’appel de Nîmes a rejeté la demande d’autorisation à assigner à jour fixe présentée par l’association Les Ecuries de l’Arque, au motif que le péril prévu par l’article 917 du code de procédure civile n’était pas démontré et que l’affaire avait déjà été fixée à l’audience du 11 janvier 2022.

Après un renvoi à la demande de l’appelante, l’affaire a été appelée à l’audience du 12 avril 2022.

A cette audience, l’association Les Ecuries de l’Arque, en sa qualité d’appelante, représentée par Mme [R] [J], trésorière de l’association et assistée par son conseil, expose ses prétentions et moyens et s’en rapporte à ses conclusions reçues le 12 avril 2022 pour le surplus.

L’appelante souhaite voir la cour réformer la décision querellée dans toutes ses dispositions et :

-dire et juger qu’elle est titulaire d’un bail à ferme et, en conséquence, se déclarer compétent,

-faire usage de son pouvoir d’évocation et ainsi faire droit à ses prétentions et :

-concernant l’assise du bail et la jouissance exclusive, juger de l’assise du bail dont bénéficie l’association, ainsi que de l’usage exclusif des locaux mis à bail et juger de l’ordonnance d’une expertise,

-concernant la dette invoquée par M. [O] [T],

-à titre principal, le débouter de l’intégralité de ses prétentions, juger de la propriété des équidés cités en pièce n° 91 dans les présentes écritures et de la propriété du van de marque Fautras immatriculé [Immatriculation 1],

-à titre subsidiaire, enjoindre à M. [O] [T] à produire la comptabilité de l’association de 2004 à 2014,

-Concernant la dette de M. [O] [T] au titre des équidés en pension,

-juger de l’existence et du montant de la dette de M. [O] [T] envers l’association au titre des équidés en pension et du paiement de la somme de 54 345 € au titre des frais de pension impayés,

-Concernant l’inexécution des obligations du bailleur,

-concernant les frais supportés par le preneur, juger du remboursement des frais supportés par le preneur quant aux réparations réalisées par l’association soit notamment 3487,18 € au titre de la remise en état des carrières et 6591,81 € au titre du système d’irrigation,

-concernant les réparations, remise en état et mise aux normes, à titre principal, qu’il soit jugé des réparations, remise en état et mise aux normes demandées à M. [O] [T] en sa qualité de bailleur, soit celles portant sur le forage, la citerne, la lumière, le toit de l’écurie, le toit de l’air de pansage et de l’espace de stockage, la lice de la carrière de CSO, la lice de la carrière de dressage et le pare bottes du manège;

-qu’il soit jugé de la consignation des loyers jusqu’à l’exécution complète des travaux et du prononcé d’une astreinte jusqu’à complète exécution des travaux,

-concernant les frais supportés par le locataire au titre de la consommation d’électricité, qu’il soit jugé des frais supportés par le preneur concernant la consommation électrique avant qu’un compteur indépendant ne soit installé et de la condamnation du bailleur au paiement de 12 221,22 € à ce titre,

-concernant le préjudice d’exploitation, qu’il soit jugé du préjudice d’exploitation subi par le preneur et notamment la privation d’irrigation et la perte d’exploitation liée à l’état défectueux du toit de l’écurie et ainsi la condamnation du bailleur au paiement de la somme de 66 150 € à ce titre,

-concernant le trouble de jouissance, qu’il soit jugé des troubles subis par le preneur, en violation de l’obligation de jouissance paisible due au preneur et de l’accès aux clubs house et à la salle d’enseignement par le preneur et ainsi la condamnation du bailleur au paiement de la somme de 10 000 € au titre du préjudice de jouissance,

-en tout état de cause,

-débouter M. [O] [T] de l’intégralité de ses prétentions,

-le condamner au paiement de la somme de 4000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L’association Les Ecuries de l’Arque fait valoir, au soutien de sa demande de qualification du bail en bail à ferme :

-qu’elle exerçait, au moment de la conclusion du bail, et exerce toujours, une activité réputée agricole, en accord avec les termes du bail conclu avec M. [O] [T] et en adéquation avec ses statuts, dont l’objet même est l’exploitation d’un centre équestre ; que le bail est explicite sur la destination agricole des lieux mis en location et que l’usage effectif des lieux correspond bien à un usage agricole, en ce que son activité correspond à une activité de préparation et d’entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation dans le cadre du centre équestre qu’elle exploite ; que la qualification du bail rural s’apprécie à la date de sa conclusion et en fonction de la commune intention des parties ; que cette dernière ne fait aucun doute étant donné les termes des statuts de l’association, de la convention de mise à bail, des installations, du matériel et des équidés mis à disposition ; que l’utilisation des lieux a toujours été conforme à cette commune intention des parties, si ce n’est qu’elle n’a jamais pratiqué le commerce ;

-qu’ainsi, elle exerce une prestation d’enseignement avec fourniture de cavalerie ; qu’elle est, d’ailleurs, affiliée depuis la signature du bail à la fédération française d’équitation ; que les salariés de l’association sont affiliés à la MSA suite à un contrôle de cette dernière structure, laquelle a constaté que les salariés étaient affiliés à l’URSSAF et ce alors qu’ils pratiquaient une activité d’enseignement de l’équitation avec fourniture de la cavalerie qui doit être assujettie au régime agricole ; que l’activité d’enseignement de l’équitation est, en outre, démontré par l’usage de plus de près de 30 équidés permettant l’exercice de l’activité d’enseignement ; que 12 équidés ont d’ailleurs été mis à disposition par M. [O] [T] ; que cette cavalerie est préparée et maintenue en condition d’exploitation par l’association ; que les cavaliers licenciés auprès de l’association passent régulièrement des examens fédéraux ou s’adonnent à la compétition ;

-qu’elle exerce également une activité de location de chevaux (« demi-pension »), activité qui entre dans le cadre des activités de dressage et d’entraînement en vue de l’exploitation des équidés ; que l’association propose également la prise en pension d’équidés comprenant « une garde de l’équidé confié au pré, en paddock ou en box, des soins courants et de l’alimentation ainsi que du dressage et/ou de l’entraînement de l’animal sur des terrains appropriés » ; qu’il en est de même pour l’activité de débourrage, dressage et entraînement des chevaux appartenant à des tiers, prestations que l’association fournit ;

-que contrairement à ce que soutient la partie adverse l’association n’est pas une « façade » masquant deux autres sociétés, la société Sjumping et la société AS Horse ; que cette dernière société à une activité professionnelle indépendante de la clientèle de l’association et a uniquement mis ponctuellement des équidés en pension au sein de l’association ; qu’elle n’a donc été qu’une simple cliente entre 2017 et 2018 ; que la société SJumping est ancrée au haras national d'[Localité 4], où elle y organise des compétitions équestres, et pratique le commerce de chevaux, lesquels sont effectivement filmés et pris en photo dans divers lieux au sein de l’association, mais également dans d’autres centres équestres ;

-que s’agissant de l’analyse comptable de ses activités, le jugement querellé mérite la censure en ce qu’il s’est appuyé sur une ventilation comptable pour déduire la nature de l’activité de l’association ; que la détermination de la nature de l’activité exercée doit découler d’une analyse concrète des activités exercées et non d’une analyse comptable des bilans de l’association ; que cette ventilation comptable faite par l’association est une pratique commune du milieu équestre qui ne reflète pas la réalité de son activité ; qu’en outre, la facturation des installations sportives entre indubitablement dans le cas des activités agricoles et ne remet nullement en cause la qualification de bail rural.

M. [O] [T], en sa qualité d’intimé, représenté par son conseil, expose ses prétentions et moyens et s’en rapporte à ses conclusions notifiées le 7 avril 2022 pour le surplus.

L’intimé demande à la cour de :

-confirmer le jugement déféré en ce qu’il a fait droit à l’exception d’incompétence et s’est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire d’Alès,

-débouter l’association Les Ecuries de l’Arque de ses demandes, fins et conclusions,

-condamner l’association Les Ecuries de l’Arque à lui verser la somme de

3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la présente instance,

-à titre subsidiaire, si la cour venait à retenir la demande d’évocation formulée par l’appelante, l’intimé sollicite la mise en demeure des parties de conclure sur le fond conformément aux dispositions de l’article 78 du code de procédure civile.

M. [O] [T] expose :

-que l’association Les Ecuries de l’Arque a été créé selon acte sous seing privé, en date du 16 juillet 2004, avec pour objet « l’exploitation d’un centre équestre et centre de vacances et de loisirs » ; que par la suite, par acte reçu le 13 septembre 2004, il a fait l’acquisition, sur la commune de [Localité 3], d’un ensemble immobilier, qu’il a ensuite mis à la disposition de l’association dont il était président, à titre gratuit, aux fins d’exploitation d’un gîte pour hébergement de vacances et loisirs et création d’un petit centre équestre attenant ; que l’exploitation des gîtes constituait l’activité principale de l’association, tandis que la partie équitation, qui n’a jamais été financièrement rentable, venait à l’appui à l’accueil des personnes hébergées sur le site ; que souhaitant réduire son activité, il a accepté de démissionner de ses fonctions de président de l’association et de donner à bail au profit de cette dernière une partie de l’ensemble immobilier dont il est propriétaire, le reste étant réservé à son usage personnel (habitation principale) et à l’exploitation en nom propre de l’activité de location de gîte ; que dans ce contexte, la soumission du bail au statut des baux commerciaux était une condition sine qua non à la signature du bail litigieux, d’une part, pour le bailleur, dans la mesure où la configuration des lieux ne permettait pas une jouissance exclusive pour le preneur (usage exclusif pour le bailleur de la partie habitation et usage partagé du bureau, de la citerne, des espaces autour des bâtiments et des sanitaires) et, d’autre part, pour l’association dont le commerce de chevaux était l’activité principale et était indispensable à l’équilibre financier de son projet ; que si l’enseignement de l’équitation, corollaire « naturel » à la tenue de toute écurie par un cavalier professionnel, a été convenu entre les parties, c’est de façon accessoire à celle du commerce de chevaux et pension ;

-que le rattachement possible d’une activité en lien avec le cheval (hors élevage) n’est permis que par exception ; que les dispositions de l’article L311-1 du code rural et de la pêche maritime ne permettent pas de qualifier d’agricoles toutes les activités susceptibles d’être exercées par un exploitant opérant dans le secteur du cheval ; que l’exploitant qui sollicite la reconnaissance d’un bail rural à la charge de la preuve de la réunion des conditions nécessaires à cette qualification et doit ainsi rapporter la preuve de la commune intention des parties de convenir d’un bail rural afin qu’une activité agricole soit exercée sur les biens à usage agricole loué par lui et que les conditions nécessaires à la qualification d’activités « réputées agricoles » sont effectivement réunies ;

-que le contrat de bail du 2 janvier 2014 liant les parties intitulé « bail commercial » présente l’ensemble des caractéristiques d’un bail soumis au statut des baux commerciaux ; qu’ainsi ce contrat prévoit que la location est soumise aux articles L 145-4 et suivants du code de commerce, aucune clause ne faisant référence au statut du fermage ; que le bail restreint l’activité des lieux à l’enseignement de l’équitation, la pension et le commerce de chevaux, activité étrangère à la préparation et à l’entraînement visé par l’article L311-1 du code rural ; qu’également, la fixation du loyer ne répond pas aux dispositions du code rural en la matière et ne prévoit pas d’indexation sur l’indice de fermage ; qu’il n’y a, en outre, aucune jouissance exclusive des lieux loués, de par leur configuration et le maintien de son l’habitation sur le site, en sus de l’activité de gîte, et ce alors que la jurisprudence est constante en la matière et prévoit que la qualification de bail rural suppose la jouissance exclusive des lieux ; que de la même manière ledit bail met l’impôt foncier à la charge du locataire contrairement à ce que prévoit le statut du fermage ;

-qu’il appartient au preneur qui se prévaut du statut d’établir l’exercice régulier de l’activité dont il se prévaut ; qu’en l’espèce, l’association a été affiliée à l’URSSAF jusqu’à ce qu’une fois la présente procédure entamée, elle décide subitement de s’affilier à la mutualité sociale agricole (MSA) ; que le projet initial de l’association était de développer l’événementiel dans la structure ; que faute de communication du bilan 2014, il ressort des comptes annuels 2019 que l’activité d’enseignement de l’équitation ne représente que 7,14 % du chiffre d’affaires annuelles, le reste étant constitué d’accès aux installations et de la prise en pension de chevaux de propriétaire, activité exclue du statut du fermage ; qu’au surplus, deux sociétés commerciales dirigées par [H] [J] utilisent les lieux loués de manière non autorisée, à savoir la société AS Horse et la société Sjumping ; que ces sociétés exercent, ainsi, des activités de centre équestre, d’élevage et de valorisation des équidés, sous couvert de l’association ; qu’il ne fait pas de doute que Mmes [J] ont purement et simplement utilisé l’association pour attirer sa confiance et bénéficier d’installations louées à bas prix, tout en développant des activités commerciales sur le site via des sociétés de capitaux ; que l’examen du bilan 2019 de l’association par un expert permet de mettre en évidence que l’association à une activité commerciale prépondérante, tandis que l’activité agricole reste secondaire, la part d’activités relatives à l’enseignement étant d’environ 5 % de quote-part du chiffre d’affaires ; qu’au surplus, la confusion entre les activités de l’association et celle des sociétés, doublée du statut de dirigeant de Mme [H] [J] tant de l’association que desdites sociétés, rend impossible l’affectation des activités exercées à l’une ou à l’autre et ne permet pas de distinguer ce qui relève de l’activité réelle de l’association ;

-qu’il existe un faisceau d’indices démontrant le développement sur les lieux d’une activité majoritairement commerciale, et ce, depuis le début de la relation contractuelle ; que cela résulte notamment de l’absence de fourniture de la cavalerie, l’enseignement se faisant à partir de chevaux appartenant aux élèves ; que les équidés mis en location sont dressés ou entraînés par les cavaliers, et non par l’établissement équestre ; qu’il existe également une prise en pension

« pure » d’équidés, comprenant l’entretien de la litière, l’alimentation et la surveillance à l’herbe ou au paddock, sans entraînement ; que les contrats de pensions versées au dossier par l’appelante révèlent que l’entraînement de chevaux de propriétaire n’est prévu que dans une convention au profit de Mme [Z] ou bien d’un entraînement ponctuel en cas d’absence du propriétaire ; qu’enfin, l’association ne démontre la propriété d’aucun équidé entre 2014 et 2021 ;

-qu’en dernier lieu, il y a lieu de rejeter la demande d’évocation formulée par l’appelante, sauf à priver les parties d’un double degré de juridiction sur le fond de l’affaire et subsidiairement de mettre en demeure les parties de conclure sur le fond.

Il est expressément renvoyé aux conclusions déposées par les parties pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS :

Conformément à l’article L491-1 du code rural et de la pêche maritime, le tribunal paritaire des baux ruraux est compétent pour connaître des contestations entre bailleurs et preneurs de baux ruraux.

Aux termes de l’article L411-1 du code rural et de la pêche maritime, toute mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l’article L311-1 est régie par les dispositions d’ordre public du statut du fermage.

La loi n° 2005-157 du 23 Février 2005 a modifié l’article L311-1 du code rural et de la pêche maritime en qualifiant désormais d’activités agricoles un certain nombre d’activités équestres. Ainsi, selon l’article L311-1 du code rural et de la pêche maritime sont réputées agricoles, outre les activités correspondant à la maîtrise et à l’exploitation d’un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation, les activités de préparation et d’entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation à l’exclusion des activités de spectacle.

L’activité de pension de chevaux qui ne comprend que l’hébergement, l’alimentation et les soins de base ne relève pas d’une activité agricole. En revanche, si la prise en pension s’accompagne d’une garde de l’équidé confiée au pré, en paddock ou en boxe, des soins courants et de l’alimentation ainsi que du dressage et/ou de l’entraînement de l’animal sur des terrains appropriés, il s’agit alors d’une activité agricole au titre des activités de dressage et d’entraînement.

Également, si l’essentiel de l’activité est l’enseignement du cheval, l’activité n’est pas agricole, tandis qu’au contraire, s’il peut être établi que l’essentiel de l’activité est l’élevage, la préparation et l’entraînement des chevaux en vue de leur exploitation qui peut être alors pédagogique, alors le centre équestre sera agricole (Cour de cassation. 3e civ., 24 juin 2009).

Le décision critiquée a considéré que n’était pas démontré l’exercice par l’association Les Ecuries de l’Arque, à titre prépondérant, d’une activité de préparation et d’entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation, relevant que cette activité ne représente qu’une part infime de l’activité du centre équestre, tel que cela ressort notamment de l’analyse du bilan comptable.

La qualification de bail rural s’apprécie à la date de sa conclusion en fonction de la commune intention des parties, telle qu’elle apparait dans la convention conclue entre les parties et telle qu’elle résulte de l’utilisation des lieux.

Les règles régissant le statut du fermage étant d’ordre public, les parties ne peuvent, dès lors, pas décider de faire application à leur contrat de bail d’un autre statut pour se soustraire aux règles du code rural. Ainsi, la mention sur le contrat de « bail commercial » ne saurait lié la juridiction s’agissant de la qualification du contrat. Également, pour déterminer la nature juridique du contrat, il convient de s’attacher aux termes mêmes du contrat, et plus particulièrement à la clause de destination des biens loués, et non uniquement à l’usage que le preneur en fait.

Le contrat signé entre l’association Les Ecuries de l’Arque et M. [O] [T], le 1er janvier 2014, est intitulé « bail commercial » et renvoie aux dispositions du code de commerce. S’agissant de la destination des lieux, il est mentionné que le preneur « est autorisé à utiliser les lieux loués pour y exercer les activités suivantes : enseignement de l’équitation, tous commerce de chevaux et pensions ».

Ainsi, de prime abord la destination des lieux tel que décrite dans le contrat ne recouvre pas d’activités agricoles, sauf à démontrer pour l’association Les Ecuries de l’Arque que l’enseignement et la pension s’accompagnaient de l’élevage, de la préparation et de l’entraînement des chevaux.

Pour soutenir sa demande, l’appelante verse des copies de « convention de prêt à usage » de chevaux, toutes signées entre 2018 et 2020. Sur certaines de ces conventions, il est indiqué que le centre équestre assurera « la valorisation » des chevaux, mention rajoutée de manière manuscrite sur la convention. Si cette mention relative à la « valorisation » des chevaux peut correspondre à une activité agricole en ce qu’elle permet, en plus de la pension assurée par le centre équestre et de l’utilisation du cheval pour les enseignements, son entraînement, il convient toutefois de relever cette activité n’est prévue que dans certaines conventions et surtout qu’aucune convention antérieure à 2018 n’est produite aux débats. Il n’est ainsi aucunement démontré que cette activité de « valorisation » a été exercée dès la signature du bail et qu’elle correspond effectivement à l’intention des parties signataires. A l’inverse, il est établi par plusieurs attestations ou conventions que l’association Les Ecuries de l’Arque assurait des prestations de pension des chevaux et d’enseignement, activités qui en elles-mêmes ne sont pas agricoles. Comme justement relevé par le premier juge, seul le témoignage de Mme [I] [M] permet de comprendre que l’association Les Ecuries de l’Arque assurait un travail et une valorisation des chevaux en sus de la pension et de l’enseignement ; toutefois le contrat de pension signé avec Mme [I] [M], qui au surplus date de novembre 2020, ne prévoit pas ces prestations. L’attestation établie par Mme [L] met, en revanche, en évidence que ce travail n’était réalisé que de manière ponctuelle, en l’absence ou en cas d’indisponibilité du propriétaire de l’animal.

Seul le contrat signé, en 2010, avec Mme [Z] prévoit explicitement un travail de l’équidé par l’association. Mme [Z] atteste que l’association a toujours assuré le travail de son cheval. Cependant, aucun autre propriétaire de cheval ne vient confirmer l’exercice de cette activité depuis 2014, si bien que le caractère prépondérant de cette activité n’est aucunement démontré.

De la même manière, il n’est pas démontré, à l’exception d’équidés acquis en 2020 et 2021, que l’association Les Ecuries de l’Arque est propriétaire de chevaux, depuis 2014, qu’elle prépare et fait travailler pour assurer l’enseignement aux élèves du centre.

A ces éléments, il convient d’ajouter qu’il est démontré que jusqu’en 2018, l’association déclarait ses salariés non pas à la MSA mais à l’URSSAF et que les déclarations faites à la MSA sont donc tardives et non contemporaines à la signature de bail, ce qui constitue un élément supplémentaire de l’intention des parties.

Enfin, comme justement mis en exergue par le premier juge, l’analyse du bilan comptable de 2019 permet de constater que les activités de préparation et d’entraînement des chevaux ne représentent qu’une part moindre de la production de 2019 tandis que les activités commerciales comme « l’accès aux installations ou la location des installations » représentent une proportion bien plus importante. Au surplus, il y a lieu de relever qu’aucun bilan antérieur à 2019 n’a été produit ce qui ne permet pas à la cour de vérifier si cette répartition des activités étaient similaires dans les années qui ont suivies la signature du bail.

Il résulte de ce qui précède que l’association Les Ecuries de l’Arque est défaillante dans la démonstration d’une activité « de préparation et d’entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation », étant précisé que si cette activité est exercée par l’association ce n’est manifestement pas de manière prépondérante et pas de manière contemporaine à la signature du contrat de bail, permettant ainsi de dire que l’exercice de cette activité n’est pas conforme à l’intention des parties, lesquelles ont signé un bail commercial, régi par les dispositions du code de commerce et en vue d’exercer une activité commerciale.

C’est, en conséquence, sans erreur d’appréciation que la décision entreprise a retenu que l’existence d’un bail rural n’était pas démontré et a fait droit à l’exception d’incompétence du tribunal paritaire des baux ruraux au profit du tribunal judiciaire.

*

Le sort des dépens et des frais irrépétibles a été exactement réglé par le premier juge.

En cause d’appel, il convient d’accorder à M. [O] [T], contraint d’exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’association Les Ecuries de l’Arque, qui succombe, devra supporter les dépens de l’instance d’appel et ne saurait bénéficier d’une somme au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme les dispositions du jugement rendu le 8 novembre 2021 par le tribunal paritaire des baux ruraux d’Alès,

Déboute l’association Les Ecuries de l’Arque de sa demande de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne l’association Les Ecuries de l’Arque à payer à M. [O] [T] la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel,

Condamne l’association Les Ecuries de l’Arque aux dépens de la procédure d’appel.

Arrêt signé par Madame GIRONA, Présidente et par Madame PELLISSIER, Greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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