1 septembre 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00596

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1 septembre 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00596
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FP/LL

[Y], [K], [W], [A] [F] épouse [G]

C/

[M], [O], [I], [A] [F]

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D’APPEL DE DIJON

3ème Chambre Civile

ARRÊT DU 01 SEPTEMBRE 2022

N° RG 21/00596 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FV7B

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : au fond du 20 avril 2021,

rendue par le tribunal judiciaire de Chaumont – RG : 20/00142

APPELANTE :

Madame [Y], [K], [W], [A] [F] épouse [G]

née le 17 Avril 1957 à [Localité 21] (52)

domiciliée :

[Adresse 10]

[Localité 13]

représentée par Me Anne-Line CUNIN, membre de la SCP du PARC – CURTIL – HUGUENIN – DECAUX – GESLAIN – CUNIN – CUISINIER – BECHE – GARINOT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 91

INTIMÉ :

Monsieur [M], [O], [I], [A] [F]

né le 19 Novembre 1951 à [Localité 19] (52)

domicilié :

[Adresse 6]

[Localité 12]

représenté par Me Martine LARRIERE, membre de la SCP LARRIERE, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 19 mai 2022 en audience publique devant la cour composée de :

Frédéric PILLOT, Président de Chambre, Président, ayant fait le rapport,

Anne SEMELET-DENISSE, Conseiller,

Benoit GRANDEL, Vice Président placé,

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Sylvie RANGEARD, Greffier

DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 01 Septembre 2022,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Frédéric PILLOT, Président de Chambre, et par Sylvie RANGEARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. [O] [F] est décédé le 18 décembre 2001, laissant pour lui succéder son épouse, Mme [K] [B], et ses trois enfants, M. [E] [F], M. [M] [F] et Mme [Y] [F] épouse [G].

Mme [K] [B] est décédée le 12 juillet 2013, laissant pour lui succéder ses trois enfants sus nommés, issus de son union avec son conjoint prédécédé.

Les trois enfants sont indivisaires de parcelles agricoles sise commune de [Localité 19] (Haute-Marne) cadastrées comme suit :

– moitié indivise de la parcelle de terre située lieudit « [Localité 15] » cadastrée ZH n°[Cadastre 11] pour 1 hectare 20 ares 10 centiares, étant précisé que l’autre moitié a été attribuée à [E] [F] suivant donation du 28 avril 2005,

– une parcelle de terre située lieudit « [Localité 18] » cadastrée section ZE numéro [Cadastre 9] pour 8 hectares 34 ares 91 centiares,

– une parcelle de terre située lieudit « [Localité 20] » cadastrée section ZK numéro [Cadastre 4] pour 26 ares 80 centiares,

– une parcelle de terre située même lieudit cadastrée section ZK numéro [Cadastre 5] pour 11 hectares 62 ares 30 centiares.

Par actes d’huissier des 4 et 9 mai 2018, Mme [Y] [F] a fait attraire ses frères Mrs [M] et [E] [F] devant le tribunal de grande instance de Chaumont afin d’obtenir que soit homologué le rapport de M. [R], expert judiciaire commis en référé, et qu’il soit procédé aux opérations de comptes, liquidation et partage des communautés et successions de [O] [F] et [K] [B] avec 3 lots d’égale valeur à attribuer par tirage au sort à défaut de meilleur accord entre les parties.

Par jugement du 24 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Chaumont a, notamment :

– ordonné l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre [O] [F] et [K] [B] et de leurs successions confondues,

– désigné Me [T] [D] et Me [L] [P] [J] pour y procéder,

– fixé les évaluations de l’immobilier bâti et non bâti.

M. [M] et M. [E] [F] ont interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 12 mai 2022, la cour de céans a :

– déclaré irrecevable les demandes de Mrs [M] et [E] [F] tendant à la fixation à la somme de 6.600,00 euros l’hectare des parcelles de terre agricole lieu-dit [Localité 18] cadastrée ZE n°[Cadastre 9], lieu-dit [Localité 14] cadastrée n°ZI n°[Cadastre 8], lieu-dit [Localité 15] cadastrée ZH n°[Cadastre 11] « ainsi que des autres parcelles agricoles sises sur les communes de [Localité 19]/[Localité 16],

– confirmé le jugement en ses dispositions soumises à la cour, et y ajoutant, fait injonction aux parties de rencontrer le Centre notarial de Médiation de Bourgogne,

– dit que, dans l’hypothèse où les parties donneraient leur accord à la médiation ainsi proposée, le médiateur procédera à une médiation dite conventionnelle, avec pour mission d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose, ou prévenir un nouveau conflit,

– débouté les parties de leurs demandes au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné chaque partie à supporter la moitié des dépens,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par lettre du 12 novembre 2019, Mme [Y] [F] a mis M. [M] [F] en demeure de cesser d’exploiter les parcelles sises à [Localité 19] dépendant des successions.

Par lettre du 21 février 2020 le conseil de Mme [Y] [F], s’adressant au conseil de M. [M] [F], a réitéré l’opposition à l’exploitation par M. [M] [F] des parcelles dépendant des successions.

Par acte d’huissier du 26 juin 2020, Mme [Y] [F] a fait signifier à M. [M] [F] une sommation de déguerpir desdites parcelles.

Par acte d’huissier du 16 juillet 2020, Mme [Y] [F] a fait signifier une sommation interpellative à M. [X] [N] d’avoir à déclarer l’identité de la personne l’ayant mandaté pour ensemencer lesdites parcelles.

M. [X] [N] a alors déclaré n’être que loueur de matériels agricoles.

Par acte d’huissier du 22 décembre 2020, Mme [Y] [F] a fait assigner M. [M] [F] devant le président du tribunal judiciaire de Chaumont statuant selon la procédure accélérée au fond afin de demander notamment l’expulsion de M. [M] [F] et de tout occupant de son chef des parcelles sises à [Localité 19] cadastrées section ZH n°[Cadastre 11] lieu-dit « [Localité 15] », section ZE n°[Cadastre 9] lieu-dit « [Localité 18] », section ZK [Cadastre 2]°[Cadastre 4] lieu-dit « [Localité 20] » et section ZK n°[Cadastre 5] lieu-dit « [Localité 20]».

Par jugement du 20 avril 2021, le président du tribunal judiciaire de Chaumont a :

– déclaré Mme [Y] [F] irrecevable en sa demande portant sur la moitié indivise de la parcelle sise à [Localité 19], cadastrée ZH n°[Cadastre 11] lieu-dit « [Localité 15] »,

– débouté Mme [Y] [F] de toutes ses demandes,

– débouté M. [M] [F] de sa demande de dommages intérêts,

– condamné Mme [Y] [F] à payer à M. [M] [F] la somme de 2.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [Y] [F] aux entiers dépens.

Par déclaration du 3 mai 2021, enregistrée le 4 mai 2021, Mme [Y] [F] a interjeté appel de tous les chefs de la décision lui faisant grief.

Selon le dernier état de ses conclusions transmises par voie électronique le 20 janvier 2022, Mme [Y] [F], appelante, demande à la cour, au visa des articles 481-1 du code de procédure civile, et des articles 815-8 et 815-9 du code civil, de :

– constater que M. [M] [F] ne dispose d’aucun droit ni titre sur les parcelles cadastrées :

la moitié indivise de la parcelle section ZH n°[Cadastre 11] lieu-dit « [Localité 15] » appartenant à l’indivision [F]-[G]

section ZE n°[Cadastre 9] lieu dit « [Localité 18] »

section ZK n°[Cadastre 4] lieu dit « [Localité 20] »

section ZK n°[Cadastre 5] lieu-dit « [Localité 20] »

– ordonner l’expulsion de M. [M] [F] et tout occupant de son chef des parcelles indivises sise commune de [Localité 19] cadastrées dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard :

la moitié indivise de la parcelle section ZH n°[Cadastre 11] lieu-dit « [Localité 15] » appartenant à l’indivision [F]-[G]

section ZE n°[Cadastre 9] lieu-dit « [Localité 18] »

section ZK n°[Cadastre 4] lieu-dit « [Localité 20] »

section ZK n°[Cadastre 5] lieu-dit « [Localité 20] »

– ordonner le concours de la force publique au titre de ladite expulsion,

– enjoindre sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, M. [M] [F] de produire toutes les factures ou tout document relatifs à la vente de paille et de grain récoltés sur les parcelles indivises sise commune de [Localité 19] :

la moitié indivise de la parcelle section ZH n°[Cadastre 11] lieu-dit « [Localité 15] » appartenant à l’indivision [F]-[G]

section ZE n°[Cadastre 9] lieu-dit « [Localité 18] »

section ZK n°[Cadastre 4] lieu-dit « [Localité 20] »

section ZK n°[Cadastre 5] lieu-dit « [Localité 20] »

– débouter M. [M] [F] de l’ensemble de ses demandes, prétentions et moyens,

– condamner M. [M] [F] à lui régler la somme de 500 euros au titre du préjudice moral,

– condamner M. [M] [F] à lui régler la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance,

– condamner M. [M] [F] à lui régler la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,

– condamner M. [M] [F] aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel en ceci compris la sommation interpellative du 16 juillet 2020, la sommation de déguerpir du 26 juin 2020 et le procès-verbal de constat d’Huissier de Me [H] du 2 et 3 juin 2020.

Dans le dernier état de ses écritures transmises par voie électronique le 22 octobre 2021, M. [M] [F], intimé, conclut à la confirmation du jugement, sauf en ce qu’il forme appel incident, et demande à la cour, déclarant Mme [Y] [F] mal fondée en toute demande contraire et l’en déboutant, de :

– le déclarer bien fondé en sa demande de dommages et intérêts et condamner ainsi Mme [Y] [F] à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par son acharnement procédural abusif et injustifié,

– Y ajoutant, condamner Mme [Y] [F] à lui payer la somme de 3.500 euros pour ses frais irrépétibles en cause d’appel, en sus de ceux de première instance,

– condamner Mme [Y] [F] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La cour fait référence, pour le surplus de l’exposé des moyens des parties et de leurs prétentions, à leurs dernières conclusions récapitulatives sus-visées, en application de l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée le 19 avril 2022 et l’affaire a été appelée à l’audience du 19 mai 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

– A titre liminaire, sur la recevabilité de la demande de Mme [Y] [F] relative à la moitié indivise de la parcelle cadastrée ZH n°[Cadastre 11] [Localité 15]

Le jugement critiqué a déclaré irrecevable la demande de Mme [Y] [F] concernant la parcelle sus-visée, en retenant que par acte authentique reçu le 28 avril 2015 par Me [P], Mme [K] [B] avait fait donation entre vifs en avance de part successorale de la moitié indivise de la parcelle sise à [Localité 19] cadastrée section ZH n°[Cadastre 11], laquelle est pour partie la propriété de M. [E] [F].

Appelante, Mme [Y] [F] explique que les trois enfants du couple [F]-[B] sont indivisaires de parcelles, dont la moitié indivise de la parcelle de terre « [Localité 15] » cadastrée ZH n°[Cadastre 11], seule l’autre moitié de cette parcelle ayant été attribuée à M. [E] [F] par donation du 28 avril 2015, et indique que sa demande d’expulsion ne porte ainsi que sur la moitié indivise de ladite parcelle.

M. [M] [F], intimé, conclut à la confirmation du jugement ayant déclaré la demande irrecevable compte tenu de la donation de la moitié de cette parcelle qui est désormais la propriété de M. [E] [F], et relève que désormais les demandes de sa s’ur ne visent plus que la moitié indivise de cette parcelle qu’elle indique appartenir à l’indivision [F].

En droit, l’article 31 du code de procédure civile prévoit que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Aux termes de l’article 32 du même code, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

En l’espèce l’action en expulsion intentée par Mme [Y] [F], en ce qu’elle porte sur la partie indivise de la parcelle litigieuse, action réalisée dans le but de la conservation du bien indivis, doit être regardée comme un acte conservatoire qui peut être diligentée par un seul indivisaire.

L’action en expulsion de Mme [F], en ce qu’elle concerne la moitié indivise de la parcelle section ZH n°[Cadastre 11] lieu dit « [Localité 15] » appartenant à l’indivision [F]-[G], est recevable.

Le jugement critiqué sera infirmé en ce sens.

– Sur la demande d’expulsion formulée par Mme [Y] [F]

Le jugement entrepris a débouté Mme [Y] [F], co-indivisaire des parcelles susvisées, de sa demande en expulsion de M. [M] [F], également co-indivisaire.

Mme [Y] [F], qui conclut à l’infirmation, demande à ce qu’il soit constaté que M. [M] [F] ne dispose d’aucun droit ni titre sur les parcelles litigieuses, et donc d’ordonner l’expulsion de M. [M] [F] et de tout occupant de son chef dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, ce sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Elle reproche au premier juge d’avoir retenu que son frère ne revendiquait pas de bail sur les parcelles, de sorte qu’il n’y aurait aucune incompatibilité entre les co-indivisaires dès lors que l’incompatibilité de jouissance qu’elle soutient consiste en la revendication d’un bail rural par son frère.

Elle soutient que son frère exploite les parcelles indivises, non pas pour le compte de l’indivision, mais pour son propre compte, invoquant la déclaration d’exploitation faite par son frère et le bulletin de mutation à la MSA.

Elle explique également qu’il ne verse pas les fruits revenus indivis chez le notaire, et qu’il a refusé la conclusion d’une convention d’occupation précaire, mais qu’il a tenté de se faire consentir un bail rural en lui adressant des chèques de fermage, qu’elle n’a pas encaissés, puisque sinon, un bail rural aurait été conclu.

Elle estime que le maintien dans les lieux de son frère est incompatible avec les droits concurrents des autres indivisaires, car en devenant locataire, il disposerait de plus de droits que les autres indivisaires, les droits du preneur rural étant incompatibles avec ceux des autres indivisaires, compte tenu de l’application contraignante du statut du fermage, d’ordre public, et de la possibilité de se prévaloir de l’attribution préférentielle.

Elle ajoute que le partage judiciaire est toujours en cours et qu’elle ne souhaite pas se voir attribuer des parcelles grevées d’un bail.

Elle conclut qu’il est dans l’intérêt de l’indivision que les parcelles soient exploitées, mais sans la conclusion d’un bail à ferme, et qu’il est ainsi dans l’intérêt d’expulser son frère pour faire exploiter les parcelles suivant convention de mise à disposition précaire conclue avec la Safer.

En appel, M. [M] [F] conclut à la confirmation du jugement querellé.

Il explique que les parcelles en cause étaient auparavant louées à M. [C], qui a fait valoir ses droits à la retraite, qu’il a déposé une demande d’autorisation d’exploiter lesdites parcelles à laquelle la DDT lui a répondu qu’au regard du contrôle des structures, il peut exploiter sans dépôt de déclaration ni d’autorisation préalable, mais qu’il doit prendre contact avec le bailleur pour la conclusion d’un bail.

Il considère qu’en tant qu’indivisaire, il peut exploiter les terres sans le consentement de sa s’ur, s’agissant d’une exploitation normale des biens indivis, à laquelle son frère [E] a consenti.

Il conteste tenter d’imposer un bail et il soutient exploiter les terres pour le compte de l’indivision, adressant à ses frères et s’urs leurs parts sur la vente des produits agricoles, bien que sa s’ur ait refusé de recevoir ce règlement. M. [M] [F] estime qu’il est de l’intérêt de l’indivision de ne pas laisser les terres en friche, et que son initiative d’exploitation a fait échec à la tentative de l’ancien locataire d’imposer la continuation de l’exploitation par le biais d’une EARL, ce qui aurait, pour le cas, soumis les terres à bail rural.

En droit, dans le cadre d’une indivision, l’article 815-9 du code civil prévoit que chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision.

S’il suffit, pour qu’un tel usage ne remplisse pas la condition posée à l’article 815-9, que cet usage affecte l’exercice par les co-indivisaires de leurs droits concurrents sur la chose commune, le demandeur doit démontrer la jouissance privative de l’immeuble indivis par son co-indivisaire, laquelle résulte de l’impossibilité de droit ou de fait pour les co-indivisaires d’user de la chose.

Pour que l’usage d’un bien indivis par l’un des co-indivisaires soit conforme à la règle posée à l’article 815 9, il faut donc que cet usage n’ait aucun effet sur les droits de ses co-indivisaires, et si ces droits sont affectés d’une manière quelconque par l’usage du bien indivis que prétend faire l’un des indivisaires, cet usage est prohibé, même s’il est conforme à la destination du bien.

En l’espèce, les déclarations faites à la MSA et à la DDT par M. [F], simple autorisation administrative au titre du contrôle des structures, concernant l’exploitation des parcelles, sont sans emport sur ses relations avec ses co-indivisaires, qui ne sont pas obligés de lui consentir un bail.

Il ressort du constat d’huissier dressé le 3 juin 2020 à la requête de Mme [Y] [F] que les parcelles litigieuses sont exploitées et ensemencées de blé, cela n’étant d’ailleurs pas contesté par M. [M] [F] qui reconnaît y procéder depuis novembre 2019 dans la suite du départ de M. [C].

M. [M] [F] ne bénéficie d’aucun titre pour exploiter les parcelles litigieuses, ses tentatives de paiement, qui lui auraient alors permises de bénéficier d’un bail rural, ayant été refusées par Mme [Y] [F]. Il n’en demeure pas moins qu’à terme il sera redevable d’une indemnité d’occupation et devra justifier d’un compte d’indivision au titre des fruits perçus, l’indivision n’étant donc pas lésée par l’exploitation réalisée par ses soins.

Mme [Y] [F] n’indique pas vouloir exploiter les lieux ni vouloir procéder à la vente desdites parcelles, laquelle serait empêchée par le maintien dans les lieux de M. [M] [F], et elle ne déplore pas non plus le non paiement d’une indemnité d’occupation.

Même s’il n’a pas souhaité la conclusion d’une convention d’occupation précaire sur les parcelles litigieuses, l’exploitation des parcelles litigieuses par M. [M] [F] est de nature à assurer l’entretien des terres et à éviter qu’elles ne restent à l’état de friches.

Certes, l’intérêt commun des indivisaires est, aussi, de parvenir au partage des biens successoraux et de mettre fin au conflit particulièrement exacerbé dont les parcelles litigieuses sont l’objet, les dites parcelles ayant déjà été l’objet d’un précédent arrêt de la cour de céans, mais si la possibilité d’un partage en nature n’est pas alléguée, un partage amiable étant peu probable compte tenu du climat familial, rien n’est encore acté sur sur point, et l’expulsion ne peut, à ce jour, être regardée comme nécessaire au bon déroulement des opérations successorales.

Dés lors, en l’état, Mme [Y] [F] échoue à rapporter la preuve que le maintien dans les lieux de M. [M] [F], indivisaire, serait incompatible avec les droits concurrents des autres indivisaires.

Le jugement critiqué sera confirmé sur ce point.

– Sur la demande de communication de documents

Le jugement critiqué a rejeté la demande de Mme [Y] [F] visant à ce qu’il soit enjoint à M. [M] [F] de produire les factures et pièces liées aux ventes réalisées dans le cadre de l’exploitation des parcelles litigieuses.

Mme [Y] [F] sollicite l’infirmation du jugement, et considère sur le fondement de l’article 815-8 du code civil, que son frère doit justifier des fruits de l’exploitation pour les imputer sur l’actif de l’indivision, sa demande étant la conséquence de l’exploitation de M. [M] [F], afin d’intégrer à la succession le montant des fruits indivis de la campagne 2019/2020.

Approuvant le premier juge, M. [M] [F] estime que la demande de sa s’ur relève des comptes entre indivisaires à établir dans le cadre de la procédure de partage.

En droit, il résulte de l’article 815-8 du code civil que quiconque perçoit des revenus ou expose des frais pour le compte de l’indivision doit en tenir un état qui est à la disposition des indivisaires.

En l’espèce, certes, les comptes entre les parties devront être réalisés au titre des opérations de liquidation-partage.

Mais dans ce cadre, M. [M] [F] devra nécessairement produire un compte d’indivision faisant apparaître les revenus générés par l’exploitation des parcelles litigieuses, et d’autres parts les charges afférentes, Mme [F] ayant un intérêt légitime à obtenir communication des pièces justificatives afférentes pour vérification et intégration aux opérations de liquidation-partage.

Il convient donc d’enjoindre, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter d’un délai de deux mois suivant signification de l’arrêt à intervenir, Monsieur [M] [F] à produire toutes les factures ou tout document relatif à la vente de paille et de grain récoltés sur les quatre parcelles indivises sise commune de [Localité 19] depuis novembre 2019.

Le jugement querellé sera infirmé en ce sens.

– Sur la demande de dommages et intérêts

Le jugement criqué a débouté M. [M] [F] de sa demande en dommages intérêts pour procédure abusive, estimant qu’il ne rapportait pas la preuve d’une faute à l’encontre de sa s’ur.

En appel, M. [M] [F] réitère sa demande en formant appel incident de ce chef et en sollicitant la condamnation de Mme [Y] [F] à lui payer une somme de 5 000 euros, en estimant que la procédure diligentée par sa s’ur manifestement abusive et injustifiée, s’agissant d’un acharnement procédural, son attitude procédurale empreinte de malveillance s’analysant en un abus du droit d’ester en justice.

Mme [Y] [F] reproche à son frère d’adopter un comportement « cavalier », expliquant n’avoir d’autre choix que d’agir en justice pour rétablir les droits des indivisaires et préserver l’intérêt de l’indivision, en soulignant qu’exercer le recours qui lui est ouvert à l’encontre de la décision qui l’a déboutée ne constitue pas un abus de droit.

En l’espèce, alors que Mme [Y] [F] n’a fait qu’exercer de son droit à agir en justice pour la défense de ses intérêts, M. [M] [F] échoue à démontrer une intention malveillante ou dilatoire constitutive d’un abus, de sorte que c’est par une juste appréciation que le premier juge a rejeté la demande de dommages et intérêt formée par M. [M] [F].

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

– Sur la médiation

Aux termes de l’article 22-1 de la loi du 8 février 1995 modifié par la loi du 23 mars 2019,

‘En tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible, le juge peut, s’il n’a pas recueilli l’accord des parties, leur enjoindre de rencontrer un médiateur qu’il désigne et qui répond aux conditions prévues par décret en Conseil d’Etat. Celui-ci informe les parties sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation’.

L’article 127-1 du code de procédure, introduit par le décret n°2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation et portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant diverses dispositions, précise que à défaut d’avoir recueilli l’accord des parties prévu à l’article 131-1, le juge peut leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu’il détermine, un médiateur chargé de les informer de l’objet et du déroulement d’une mesure de médiation.

 

En l’espèce, il ressort de l’examen des circonstances de faits et de l’argumentation des parties développées dans leurs écritures qu’une mesure de médiation judiciaire confiée à un tiers impartial, diligent et compétent, chargé de les entendre et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose, pourrait être de nature à faciliter le règlement du litige, et prévenir l’apparition de nouveaux conflits dans l’avenir.

Il est en effet de l’intérêt des parties de recourir à cette mesure qui leur offre la possibilité de parvenir à une solution rapide et pérenne.

Dés lors il convient de désigner un médiateur pour :

d’une part délivrer une information sur le processus de médiation,

et d’autre part recueillir l’accord éventuel des parties sur une telle mesure.

Dans l’hypothèse où toutes les parties donneraient au médiateur un accord écrit à la médiation, la présente décision comporte désignation du médiateur et celui-ci pourra commencer ses opérations de médiation, dite conventionnelle, à compter du jour où la provision à valoir sur la rémunération du médiateur est versée entre les mains de celui ci dans son intégralité.

– Sur les autres demandes

L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour, la condamnation de première instance à ce titre étant confirmée.

Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de communication de pièces,

Et statuant à nouveau dans cette limite,

Fait injonction à M. [M] [F] de communiquer à Mme [Y] [F] épouse [G] toutes les factures ou documents relatifs à la vente de paille et de grain récoltés sur les quatre parcelles indivises sise commune de [Localité 19] depuis novembre 2019, ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter d’un délai de deux mois suivant signification de l’arrêt,

Y ajoutant,

Rejette la demande en dommages et intérêts de M. [M] [F],

Fait injonction aux parties, assistées de leurs conseils, de rencontrer, en présentiel ou en distanciel, dans le délai maximum d’un mois à compter de la notification de la présente la structure de médiation suivante :

Le Centre Notarial de Médiation de Bourgogne

[Adresse 7] ‘ [Localité 3]
Tél [XXXXXXXX01]

[Courriel 17]

dont le nom figure sur la liste des médiateurs inscrits auprès de la cour d’appel de Dijon,

 

Donne mission au médiateur ainsi désigné d’expliquer gratuitement aux parties le principe, le but et les modalités d’une mesure de médiation, mais aussi de recueillir par un écrit daté leur consentement ou leur refus de cette mesure, dans le délai d’un mois précité,

 

Dit que les conseils des parties devront communiquer au médiateur désigné dans le délai de huit jours à compter de la réception de la présente décision les coordonnées de leurs clients respectifs (téléphone et adresse courriel), et que les parties assistées de leurs conseils devront accepter une date parmi les trois proposées par le médiateur sauf meilleur accord afin de respecter le délai d’un mois précité,

 

Dit que, dans l’hypothèse où les parties donneraient leur accord à la médiation ainsi proposée, le médiateur procédera à une médiation dite conventionnelle, avec pour mission d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose, ou prévenir un nouveau conflit,

Déboute les parties de leurs demandes au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens exposés pour la défense de ses intérêts,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Le Greffier,Le Président,

 


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